Groupes rythmiques (groupings) : Augmentez votre vocabulaire rythmique

J’ai une devinette pour vous :
Comment se distinguer dans un groupe où tout le monde joue de belles notes ? … En les jouant bien en place !
Plus sérieusement, le rythme est Le paramètre qui rend votre jeu intéressant. Après tout, une note bien rythmée dans un solo vaut mieux qu’une longue suite de croches maladroites.

Si vous avez atterri sur cet article, c’est que vous trouvez que vos solos manquent de pêche côté rythmique. Que toutes vos phrases se ressemblent un peu, et que sur la longueur, vos idées se répètent.

Devant ce constat, beaucoup de solutions s’offrent à vous. Vous pouvez jouer avec différents placements comme je l’explique dans cet article, varier vos débuts et fins de phrases, jongler entre différents débits

Mais aujourd’hui, nous allons nous intéresser à un procédé assez simple, popularisé dans les années 60 par des instrumentistes comme Wynton Marsalis ou Kenny Garrett : Les groupes rythmiques (aussi appelés « groupes de notes » ou « groupings »).

Si vous avez lu mon article sur les équivalences, sachez que c’est un type de groupe rythmique, nous allons aller plus loin dans cet article. Et si vous êtes vraiment assidu·e, vous allez reconnaître ici certains exemples tirés de mon article sur Kenny Garrett et son utilisation des motifs. Commençons.

Qu’est-ce qu’un groupe rythmique ?

Le premier exemple est celui de Kenny Garrett sur Mack the Knife. Écoutez et constatez que son débit rythmique change à 1’40 :

Voici maintenant un second exemple, cette fois-ci de Wynton Marsalis. Écoutez la figure rythmique qu’il développe :

Comme vous pouvez le voir dans ces deux exemples :

Un groupe rythmique est une polyrythmie consistant à faire se superposer les appuis normaux d’une mesure et un groupement spécifique de ses subdivisions.
Pour que la polyrythmie soit intéressante, lorsque la décomposition du temps est paire, le groupe doit être impair. Inversement, lorsque la décomposition du temps est impaire, le groupe doit être pair.

Quelques petites précisions pour m’assurer que vous avez bien compris :

  • Polyrythmie : Superposition de différents rythmes entre eux.
  • Groupe impair : groupe de 3, 5, 7, … subdivisions
  • Groupe pair : groupe de 2, 4, 6, … subdivisions

Autrement dit, jouer un grouping consiste à répéter une figure rythmique dont les appuis se décalent par rapport à ceux de la mesure initiale.

Il est possible de ne jouer que la première subdivision de chaque groupe comme Kenny Garrett, ou plusieurs voire toutes les subdivisions internes du grouping comme dans l’exemple de Wynton Marsalis.

Créons ensemble un groupe de 3

C’est parti, apprenons à utiliser cet outil. Pour ce faire, voici de nouveau quelques rapides notions de base :

  • Temps de la mesure : Différentes pulsations à l’intérieur d’une mesure. Dans une mesure à 4/4, le temps est habituellement la noire.
    4/4 = 4 noires par mesure, donc 4 temps par mesure.
  • Subdivisions du temps : Décompositions du temps
    Un temps d’une mesure à 4/4 peut être découpé en de plus ou moins gros morceaux, qui sont nos subdivisions (croches, double-croches…)

Prenons maintenant une mesure à 4/4 binaire, dont le temps (la noire) est divisé en 4 double-croches.

Mon exemple audio dure 4 mesures, la voix du haut est jouée par un métronome avec un son aigu sur chaque 1er temps. La voix du bas est assurée par une caisse claire qui accentue les débuts de groupe.

Groupons maintenant ces subdivisions par 3 :

C’est super, mais avez-vous remarqué qu’un nouveau groupe démarre sur la dernière double-croche de la mesure, et est par conséquent incomplet ?

En effet, il manque la seconde et la troisième subdivision de ce dernier groupe. Ajoutons deux mesures afin que le début d’un groupe tombe sur le 1er temps d’une mesure :

Le cycle de notre groupe de trois est ainsi terminé. Constatez qu’il faut 3 mesures pour que le début d’un groupe coïncide avec un 1er temps. 3 mesures pour un groupe de 3, c’est plutôt pratique pour s’en souvenir, non ?

Cette loi est valable pour tout groupe rythmique : Le cycle d’un groupe de X dure X mesures (quelle que soit la métrique).

Maintenant, gardons seulement la première subdivision de chaque groupe :

Nous voilà avec 3 mesures de groupes de 3.

Le stade ultime de cette manipulation rythmique est, comme le fait Tony Williams avec les équivalences, de créer une sensation de nouveau tempo en se servant des débuts de groupes comme de « nouveaux temps ».

En voici une illustration avec 4 mesures d’un groove binaire basique suivies de 3 mesures du même groove, mais calé sur les appuis du groupe de 3 :

Prudence si vous utilisez cet outil en tant que soliste ! C’est plutôt rare, mais la rythmique peut vous rejoindre et créer cette sensation de tempo différent. Si jamais vous perdez le fil de la métrique de base, bon courage pour retomber en place !

Les autres groupes courants

Le groupe de 3 est le grouping le plus répandu. Cependant, il en existe d’autres. Nous allons dans cet article rester dans le cas d’une mesure binaire, découvrons donc les autres groupes impairs courants, les groupes de 5 et 7.

Pour des raisons autant pratiques que musicales, les groupes de 5 et 7 ont des divisions intérieures, et comportent donc plusieurs appuis.
La formule la plus fréquente pour les constituer est la suivante :

  • Groupe de 5 : un groupe de 2 + un groupe de 3 ;
  • Groupe de 7 : Deux groupes de 2 + un groupe de 3.

Si vous voulez constituer un groupe de 9, il suffit de rajouter un groupe de 2 au début : 2 + 2 + 2 + 3 = 9. Un groupe de 11 ? 4 groupes de 2, puis un groupe de 3. C’est aussi simple que cela !

Pour illustrer ces exemples, voici un extrait d’un solo du saxophoniste Stéphane Guillaume où il utilise de manière rapide le groupe de 5, en ne marquant que ses deux appuis internes :

Cela se passe exactement de 7’57 à 7’58, soyez à l’écoute :

Écoutez comme il retombe sur le temps avec la rythmique, c’est ce genre d’effet que vous visez en utilisant un groupe rythmique.

Pour un exemple plus accessible, consultez cette courte vidéo (moins d’une minute) sur la chaîne Youtube de Jazzcomposer.fr :

https://www.youtube.com/shorts/T2w9Er_hw58

Les groupes rythmiques et le swing

Si vous êtes toujours avec moi, vous vous dites peut-être :

« C’est super toutes ces mathématiques, mais comment je l’applique à mes bons vieux standards ?? »

À l’instar de Marsalis et Garrett, il suffit de grouper les croches swing.

En swing, un temps est divisé en 2 croches inégales. La première se rapproche de deux croches de triolet rassemblées, et la seconde, la troisième croche de ce triolet. Comme ceci :

Groupons maintenant ces croches par 3 (sur le schéma, la « grosse » note correspond à la première note du grouping) :

Et voilà le travail. Je ne vous cache pas que l’intégration de groupings dans votre jeu demande un peu d’entraînement pour être bien en place, et surtout pour ne pas se perdre !

Voici quelques pistes pour travailler les groupes rythmiques :

(Commencez par le groupe de 3 en 4/4 binaire, c’est le plus facile).

  1. Commencez par poser votre instrument ! Même sans les contraintes des bonnes notes, de la technique, de vos pistons, tampons ou autres touches, il vous faudra un peu d’entraînement pour arriver à exécuter un grouping (en faisant en sorte que ça groove !), donc ne vous rajoutez pas de difficultés inutiles.
  2. Prenez un métronome et mettez le à un tempo raisonnable. C’est fait ? … Baissez encore d’une vingtaine de points, et là vous serez vraiment à un tempo raisonnable !
  3. Vos pieds vont maintenant marquer les 4 temps de la mesure, l’un après l’autre (commencez avec celui qui vous plaît le plus).
  4. Chantez toutes les subdivisions avec les onomatopées de votre choix. Si cela vous aide, vous pouvez utiliser des onomatopées comme « Takatiki » ou « Takadimi », mais je vous encourage à rapidement délaisser ces formules scolaires peu musicales pour des syllabes improvisées, ou même l’imitation de percussions.
    Cette étape est sans doute la plus importante, quoi que vous fassiez, n’oubliez jamais d’intégrer la découpe dans votre phrasé ! De cette façon et seulement de cette façon, vous serez parfaitement en place.
  5. Commencez par accentuer une subdivision sur trois, sur seulement une mesure, en alternant par exemple avec une ou deux mesures de découpe non-accentuée. Vous chantez un groupe de 3 !
    Si cela vous aide, vous pouvez aussi marquer cet accent en frappant des mains.
  6. Quand vous maîtrisez la 5e étape, et que ça groove vraiment, ajoutez une mesure.
  7. Répétez la 6e étape autant de fois que vous voudrez, allez au moins jusqu’à 4 mesures.
  8. Enlevez les pieds ! Attention car cette étape est clairement la plus compliquée, et va vous demander un peu de persévérance. Vous allez perdre le fil de la métrique de base et votre sensation du tempo va se synchroniser sur les groupings, mais tenez bon ! Commencez par une mesure sans les pieds, alternée par une ou deux mesures de découpe non-groupée avec les pieds tapant les 4 temps. Puis ajoutez une mesure sans les pieds, etc…
    Vous pouvez aussi partir de l’étape 7, et enlever progressivement des temps tapés au pied. Ne tapez plus que les 1er, 2nd et 3ème temps, puis seulement 1er et 2nd, puis le 1er… Et vous serez arrivés à destination !
  9. Une fois que c’est à votre portée, prenez votre instrument et appliquez votre groupe de 3 sur une grille standard, en prenant pour subdivision la croche swing. Alternez entre des mesures de silence et des mesures de grouping, d’abord sur une ou deux notes qui traversent la grillent sans dissonances, puis avec les notes que vous voulez.
  10. Recommencez avec les groupes de 5 et 7 !

Conclusion

Voilà, vous savez tout sur les groupes rythmiques.

Même en les exécutant basiquement sur une seule note, les groupings vont attirer l’oreille des gens qui jouent avec vous et du public, sans vous demander trop d’effort. C’est donc un outil parfait à avoir dans les doigts pour augmenter son vocabulaire et rendre vos solos plus intéressants !

Dans cet article, nous avons vu qu’un groupe rythmique est une polyrythmie consistant à faire se superposer les appuis normaux d’une mesure et un groupement spécifique de ses subdivisions.

Nous avons créé ensemble un des groupes les plus fréquents, le groupe de 3, ainsi que ceux de 5 et 7.

Puis, nous avons vu comment le transposer au swing en choisissant la bonne subdivision à grouper. Et nous avons conclu sur une méthode pour les implémenter dans votre jeu, en faisant en sorte de groover le plus possible.

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Image de couverture : Wynton Marsalis at the Oskar Schindler Performing Arts Center (OSPAC) Seventh Annual Jazz Festival in West Orange, NJ. 13 September 2009. Par Eric Delmar. Domaine Public.

Les équivalences rythmiques expliquées SIMPLEMENT

Vous est-il déjà arrivé de vous perdre pendant un solo de batterie ? En jam par exemple, alors que tout se déroule à merveille, voilà que votre perception du tempo se retrouve chamboulée. Vous ne savez plus où se trouve le premier temps, le stress grandit au fur et à mesure que s’approche la reprise de thème… Et tout ça à cause du jeu un peu aventureux du.de la batteur.euse !

Personnellement, cela m’est arrivé un nombre incalculable de fois ! Et je ne pense pas être le seul à avoir la hantise du solo de batterie…

Mais pour quelle raison la rythmique arrive-t-elle à nous déstabiliser ce point ? Je vous le donne dans le mille :

Pendant leurs solos, les batteurs.euses jouent essentiellement sur l’aspect rythmique du jazz, utilisant parfois des outils avancés qui brouillent notre perception de la métrique et du tempo.
Or, lorsque nous travaillons le jazz, notre attention (à nous, non-batteurs.euses) est principalement focalisée sur l’harmonie, les modes, les gammes, etc… et (presque) pas le rythme.

À contrario, les batteurs.euses pratiquent essentiellement l’aspect rythmique du jazz pour leurs solos. C’est donc normal qu’ils.elles aient un train d’avance dans ce domaine.

Ne baissons pas les bras !

Il est possible de rattraper notre retard en se cultivant un peu sur le sujet, et arriver en jam sereins.eines sans craindre cette satanée reprise de thème…

Découvrons ensemble un des procédés utilisés par nos amis percussionnistes qui nous retourne le cerveau, j’ai nommé :

Les équivalences rythmiques.

Qu’est-ce qu’une équivalence rythmique ?

Avant toutes choses, j’aimerais vous donner un ou deux exemples de ce procédé en action :

Nous voilà au beau milieu d’un solo de Herbie Hancock, au sein du second grand quintet de Miles Davis, véritable laboratoire d’idées harmoniques et rythmiques totalement novateur à l’époque.

Dans quelques mesures, vous pourrez entendre le batteur Tony Williams changer sa manière d’accompagner (à 9’36 exactement) en utilisant une équivalence.

Allez à 10’00, au début d’une carrure, et patientez jusqu’à 10’25 pour entendre une autre équivalence développée sur 4 mesures.

Ça décoiffe non ? Avez-vous l’impression que le tempo a changé ? Avez-vous perdu le premier temps ??
C’est l’effet voulu par Tony Williams. En fait, il réimprime le pattern du cha-ba-da sur les nouveaux appuis de son équivalence pour créer cette illusion rythmique.

Pas de panique, j’explique tout après le second exemple :

Ici, Wynton Marsalis et son groupe paraissent changer de métrique en accélérant progressivement durant les deux premiers A du thème d’Autumn Leaves, puis décélérer durant le C.

En fait, le tempo reste le même du début à la fin (environ 240 à la noire). Marsalis et son groupe nous trompent en utilisant des équivalences successives pour faire entendre un, puis deux, puis trois, quatre… jusqu’à huit temps à l’intérieur de deux mesures, tout en laissant la trompette exposer le thème normalement.

Rentrons un peu dans la théorie pour expliquer ces phénomènes :

Définition d’un équivalence rythmique

Une équivalence rythmique est un type de polyrythmie servant à changer la métrique d’une mesure en conservant sa durée initiale.
On utilise une équivalence pour faire entendre X temps dans une mesure en contenant normalement Y, ce qui donne la notation :
« X pour Y ».

Imaginez que vous êtes en train de jouer un standard à 4 temps, et que vous voulez en cours de morceau passer à 3 temps. Vous pouvez utiliser une équivalence pour ce faire. L’avantage est que la durée de la mesure reste inchangée, ce qui est pratique pour ne pas chambouler complètement la métrique du morceau (ce qui serait peu musical).

Ce dernier point peut être un peu délicat à saisir, aussi, laissez-moi vous donner une analogie :

Imaginez que la mesure est un gâteau dont nous allons faire des parts qui représentent nos temps. Dans un morceau à 4 temps, le gâteau est de base divisé en 4. Utiliser une équivalence pour passer à 3 temps revient à reconstituer le gâteau, puis le redécouper en 3 parts égales.

C’est toujours le même gâteau ! Il est juste découpé différemment.

D’où le terme d’« équivalence ». La mesure ainsi divisée en 3 a une durée équivalente à l’ancienne (divisée en 4), seuls sa découpe et ses appuis ont changé.

Voici un exemple où je m’amuse à passer du 4 temps au 3 temps grâce aux équivalences :

Même si mes appuis changent en cours de route, les 4 temps initiaux sont toujours présents de manière implicite.

Cela va vous paraître logique, mais le premier temps de la mesures à 3 temps est au même endroit que si je jouais à 4 temps. C’est d’ailleurs le cas pour toutes les équivalences, la manipulation ne dure qu’une mesure.

À ce stade, deux possibilités s’offrent à vous :

1. Les équivalences vous semblent inutiles, compliquées à jouer et anti-musicales (vous souhaitez abandonner votre lecture et vous mettre au free jazz de ce pas) ;

2. Les équivalences vous semblent être un bel outil pour s’amuser avec la section rythmique, finalement pas si compliquées à conceptualiser et plutôt musicales.

Quoi que vous en pensiez, si vous voulez arrêter de vous perdre pendant les solos de batterie, restez avec moi ! Je vais maintenant vous montrer comment créer une des équivalences les plus répandues par vous-même.

À vous de jouer ! Réalisation d’un 3 pour 4

Voici quelques notions basiques avant de nous atteler à la réalisation d’une équivalence 3 pour 4 :

  • Temps de la mesure : Différentes pulsations à l’intérieur d’une mesure.
    Dans une mesure à 4/4, le temps est habituellement la noire, 4/4 = 4 noires par mesure, donc 4 temps par mesure.
  • Subdivisions du temps : Décompositions du temps
    Un temps d’une mesure à 4/4 peut être découpé en de plus ou moins gros morceaux, qui sont nos subdivisions. Voir exemples ci-dessous.
  • Binaire : Les subdivisions du temps ont des valeurs paires, souvent 2 ou 4
    Notre temps peut être découpée en deux croches, ou quatre double-croches (ce sont donc nos subdivisions).
  • Ternaire : Les subdivisions du temps ont des valeurs impaires, souvent 3
    Notre temps est découpé en trois croches. Les mesures 6/8 et 12/8 sont des mesures ternaires. Les subdivisions du temps sont les croches, qui groupées par 3 donnent des temps égaux à des noires pointées (il y a deux temps dans une mesure 6/8 et 4 en 12/8).
  • Polyrythmie : Superposition de différents rythmes entre eux.

Maintenant que les bases sont posées, attelons-nous à notre 3 pour 4.

Nous sommes dans une mesure à 4 temps ternaire*. Notre temps (la noire pointée) est divisé en 3 croches :

*Petit rappel : Le swing est une rythmique ternaire, mais elle est écrite en 4/4, comme une rythmique binaire. Donc : mon exemple s’applique à merveille au swing !

Voici comment sonne cette mesure et ses subdivisions (cycle de 4 mesures, tempo : 120 à la noire) :

Groupons maintenant ces subdivisions par 4 :

Cela créé une polyrythmie, les appuis de nos groupes de 4 croches ne tombent pas au mêmes endroits que les temps (sauf pour le premier !).

Si nous gardons seulement le début de chaque groupe en éliminant les autres subdivisions cela nous donne ceci :

Si on alterne entre notre pulse de base et notre nouveau groupe de subdivisions… Nous avons l’impression de passer de 4 temps à 3 temps, tout en conservant la durée de notre mesure !

C’est l’exemple que je vous donnais plus haut :

Cette équivalence s’appelle un 3 pour 4, nous avons créé 3 nouveaux temps à partir de notre mesure à 4 temps de base.

Avez-vous remarqué notre cheminement ? Nous sommes partis de la mesure initiale et de ses subdivisions que nous avons groupées d’une certaine manière pour arriver à notre équivalence.

J’aime particulièrement cette façon de procéder car elle permet d’être parfaitement régulier et stable au moment de jouer l’équivalence.
Nos nouveaux temps ne tombent pas au hasard car ils sont formés grâce aux subdivisions de la mesure. Cela permet à tout les musiciens de jouer bien en place, afin de sonner au mieux.

Une manière simple de trouver une équivalence

Les équivalences résultent donc d’un certain groupement des subdivisions de la mesure, qui dépend de l’équivalence que l’on veut jouer.

Avez-vous remarqué que dans le cas du 3 pour 4, nous avons groupé nos 3 subdivisions du temps par 4 ?

3 pour 4 = Le temps est découpé initialement en 3 subdivisions, que nous allons grouper par 4. C’est aussi simple que ça !

Dans une équivalence X pour Y, notre temps est découpé initialement en X subdivisions, qu’on groupe par Y.

Cette simplification cache en fait une difficulté supplémentaire qu’occasionnent les équivalences…

Parenthèse sur les équivalences avancées

Réfléchissez-y : X pour Y, notre temps découpé en X subdivisions, groupées par Y.

Si nous voulons faire entendre disons 7 temps dans une mesure en contenant normalement 4, il faut que nous découpions nos temps en 7 et que nous groupions ces subdivisions par 4.

Sauf que les temps de notre morceau ne sont pas de base découpés en 7 ! En swing, ils sont découpés en 3, c’est pour ça que le 3 pour 4 fonctionne aussi bien ! Donc, comment faire ?

En fait, il faut changer la subdivision du temps, ce qui implique un changement stylistique.

En effet, une découpe du temps ternaire est utilisée par les styles afro-cubains ou le swing, tandis qu’une découpe binaire peut englober le rock, la bossa-nova
Une découpe du temps en 5 est plus rare, mais on peut l’entendre dans certains grooves alambiqués en Nu-Soul, et les découpes en 7 sont carrément introuvables !

Écoutez plutôt, Tony Williams passe d’un temps découpé en 3 croches (Swing) à un temps découpé en 4 doubles-croches (bossa-nova) dans mon exemple du second quintet de Miles :

Cela arrive exactement à 10’54, même s’il commence à faire entendre le changement un peu avant, en intégrant des double-croches dans son jeu (10’48-49, 10’52).

Ce type de manipulation est plutôt avancé, mais c’est exactement ce qu’utilisent les batteurs.euses pour se jouer de nous et nous mettre dans la panade !

Je vous recommande donc (si vous ne savez pas encore le faire) d’apprendre à alterner, dans une mesure, entre une subdivision binaire et ternaire. Une fois ceci maîtrisé, familiarisez-vous avec les équivalences qui jouent avec ces deux découpes du temps. Puis, ajoutez quintolets, sextolets et septolets à vos découpes.

Conclusion

Si, comme moi, le sens du rythme ne vous a pas été donné à la naissance, il est possible que vous ayez appris beaucoup de choses lors de cet article !

Nous avons vu que les équivalences sont des polyrythmies servant à changer la métrique d’une mesure tout en conservant sa durée initiale (par exemple, en insérant du 3 temps dans une mesure à 4 temps).

Les équivalences sont notées « X pour Y », on insère X « nouveaux » temps dans une mesure à Y temps.

Il faut s’appuyer sur des groupements des subdivisions du temps pour réussir ces équivalences. Ainsi, dans un X pour Y, on divise le temps en X subdivisions qu’on groupe en Y.

En swing, l’équivalence la plus utilisée est le 3 pour 4. Travaillez-la en écoutant l’exemple que je vous ai donné avec le second Quintet de Miles Davis (à 10’25), et appliquez-la à des standards de votre choix.
De cette manière, vous réussirez à ne pas vous perdre si la section rythmique décide de l’utiliser pendant un de vos solos !

Si vous avez des questions, des remarques, laissez un commentaire, je vous répondrai avec plaisir.

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Image de couverture : Miles Davis à Antibes dans la nuit du 26 au 27 juillet 1963. À gauche, Ron Carter. À droite, Tony Williams. Mallory1180. CC BY-SA 4.0.

5 questions à Sylvain Le Ray – Sortie de son album The Unchosen Way

Aujourd’hui, j’ai le plaisir de vous partager ma conversation avec le jeune pianiste Sylvain Le Ray. Il sort son premier album The Unchosen Way chez le label Hostel Records le 14 août 2020. À seulement 24 ans, il se positionne comme une voix singulière sur la scène jazz actuelle, sa musique est riche d’influences et porteuse d’un message qui se veut spirituel.

Parmi toutes les questions qui me venaient à l’esprit, j’ai choisi de me concentrer sur la création de son album. Au programme :

  • L’histoire que raconte son album et comment elle influence sa musique ;
  • Une anecdote sur un morceau enregistré au tout dernier moment ;
  • Sa manière de composer dont nous pouvons nous inspirer ;
  • Son regard sur le métier de musicien de jazz aujourd’hui.

Jazzcomposer.fr : Bonjour Sylvain. Première question plutôt vaste avant de nous plonger dans ton album. Pour toi, qu’est-ce qu’un musicien de jazz en 2020 ?

Sylvain Le Ray : Aujourd’hui, être musicien de jazz nécessite d’être polyvalent. Il n’est pas facile de vivre en jouant exclusivement du jazz.

Personnellement je fais du jazz, de la Salsa, de la musique traditionnelle, de la musique bretonne (je suis originaire de la région), etc…

C’est aussi important d’être dans un endroit concentrant beaucoup de musiciens. Je gravite à Rennes où j’ai beaucoup de projets, je commence aussi à en avoir à Paris. En parallèle, je suis en formation au Centre de Musiques Didier Lockwood. Plus on rencontre de gens, plus ça nous enrichit musicalement, et humainement.

Mon projet solo est très important pour moi. Pour autant, je ne me vois pas en vivre exclusivement d’ici 5 à 10 ans.

JC.fr : Ton premier album s’appelle The Unchosen Way. Quelle histoire raconte-t-il ?

SL : Je voulais parler des choses de la vie sur lesquelles nous n’avons pas d’emprise. De manière plus prosaïque, les trucs qui t’arrivent sans que tu puisses y faire grand chose ! En trois mots : The Unchosen Way.

Le message implicite est qu’il faut accepter qui nous sommes et être plus à l’écoute et respectueux de ce qui nous entoure. De manière plus large, on peut même y percevoir une dimension écolo !

Au moment où l’album a été enregistré (Octobre 2018), ces valeurs étaient particulièrement importantes pour moi, et je voulais les transmettre à travers ce disque.

L’idée était aussi de me démarquer. Je n’avais pas envie de faire simplement un album de jazz en mode « Salut, je m’appelle Sylvain Le Ray, je fais du piano… » !

C’est d’ailleurs grâce à mes études au Conservatoire de Rennes que j’ai pu faire ce premier disque à mon nom. Au départ, le trio s’est formé pour mon projet DEM !

JC.fr : Ton message a-t-il influencé la construction de l’album ?

SL : Il a influencé l’ordre des pistes, mais pas les compositions en elles-même.

J’étais dans un certain état d’esprit au moment de composer les morceaux, mon message n’était pas encore formulé de manière consciente.

Au moment de choisir un titre pour l’album, « The Unchosen Way » m’est venu de manière naturelle, cela faisait sens par rapport aux morceaux.

Concrètement, la première piste Imaginary World représente l’éveil d’un personnage, sa présentation à l’auditeur.
Les deux pistes suivantes (Etna et e-ruption) sont un peu plus agitées, mouvementées. Notre personnage (dans lequel je me transpose) est pris dans le tourbillon de la vie, dans une course effrénée.

Ensuite, Contradictions représente un état de remise en question par rapport à tout cela, et vient Openness où le personnage se libère progressivement, s’épanouit.

Young Years est une parenthèse à propos de la famille, et le dernier titre, Nouveaux Horizons représente un futur plein d’espoir.

Cette progression colle bien avec l’idée de l’acceptation de soi et de l’écoute de ce qui nous entoure.

JC.fr : Je trouve Young Years très réussi, parle-nous de ce morceau.

SL : C’est un air de musique traditionnelle bretonne que mon père musicien a collecté auprès de la grand-mère d’un de mes oncles.

Il l’a ré-arrangé pour l’enregistrer sur un de ses albums, et pour le jouer avec son groupe dans lequel j’ai remplacé quelques fois le pianiste.

Un jour, j’ai repris le morceau et me suis amusé avec, en m’inspirant de Tigran Hamasyan qui est une de mes influences principales. Son disque en solo A Fable est un de mes disques préférés. La piste Kakavik (The Little Partridge) m’a particulièrement inspirée, c’est d’ailleurs un air traditionnel que Tigran a réarrangé !

C’est drôle car nous n’avions pas prévu d’inclure ce morceau à l’album à la base. Au soir du second et dernier jour d’enregistrement de l’album (nous avions donc tout bouclé), dans l’euphorie, je me suis assis au piano et l’ai enregistré seul, en une seule prise !

JC.fr : Tes compositions sont très belles, et racontent toutes une histoire singulière. Comment t’y prends-tu pour composer ?

J’ai différent procédés… Pour ce qui est des morceaux de l’album, ça a fonctionné à l’inspiration.
Pour Imaginary World, c’est la mélodie qui m’est venue en marchant. Je l’ai ensuite arrangée, ai ajouté les accords, etc…
Openness est partie d’une idée purement rythmique, j’ai eu le riff dans la tête et suis parti dans une direction avec.

Par contre, j’ai modelé Etna de manière consciente. Je voulais que le morceau soit assez long et ressemble à une odyssée. J’avais plusieurs idées indépendantes qui mises bout-à-bout sonnaient bien.

Pour moi, tout part de l’idée. Après ce que tu en fais… le plus important c’est d’avoir l’idée !

Je ne pense pas non plus à l’esthétique de mes morceaux. Je trouve cela très compliqué de se forcer à écrire dans un style particulier.

Je pense que c’est une force, comme je n’arrive pas à écrire dans un style précis, je pense que naturellement, j’ai trouvé mon propre style !

JC.fr Merci Sylvain !

Cette interview vous aura sûrement donné envie d’écouter l’album :

Youtube | Deezer | Spotify

Pour retrouver Sylvain Le Ray : Sur Youtube, Sur Instagram, Sur Facebook

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Comment travailler le jazz pendant les vacances ?

C’est les vacances ! (Pour certains d’entre nous, en tout cas…)
Le mois de juillet est déjà bien entamé, vous profitez sans doute de l’été pour prendre un peu de repos, partir en vadrouille à l’autre bout du pays, ou pour les plus chanceux, enchaîner les concerts.

Mais ce quotidien estival peut poser un problème de taille.

Habituellement, vous avez sans doute plus de temps pour penser à votre pratique du jazz, vous êtes sans doute installé.e dans une routine de travail, peut être au sein d’un cursus dans une école…
Autant d’éléments favorisant une progression rapide de votre niveau, sans que vous vous en rendiez forcément compte.

Une période de vacance, par essence, chamboule l’ordre établi et perturbe cette progression. Sans rythme imposé, vous prenez le risque de stagnerVoire de régresser !

À délaisser votre instrument, vos doigts vont « rouiller » et ne plus bouger aussi vite qu’avant. Votre oreille va prendre la poussière et vous prendrez plus de temps à repiquer des morceaux, ou vous repérer dans les grilles. Votre phrasé ne va plus swinguer aussi bien qu’habituellement, et toutes vos idées vont prendre un temps fou à arriver jusqu’à vos doigts, comme si votre cerveau peinait à suivre la cadence infernale du tempo qui défile.

Je ne sais pas vous, mais pour moi, ce sentiment de régression est un véritable cauchemar !
Pour peu qu’une jam se glisse au beau milieu de l’été, je me retrouve dépité à ne plus savoir quoi penser de ma pratique, après avoir passé 2 morceaux à pédaler dans la semoule…

Si cette situation vous parle, et que votre été rime avec « vacances en famille loin de votre instrument » lisez attentivement la suite. Dans cet article, je vous propose 3 étapes qui ont fait leurs preuves de mon côté, et vous éviteront le stress des doigts rouillés !

Étape 0 : Faire une (GROSSE) pause

Malgré tout ce que vous avez pu lire en introduction, vous pouvez faire le choix conscient et assumé de n’absolument RIEN faire pendant ces vacances. Cela peut même vous être bénéfique, à la condition de ne pas culpabiliser face à l’inactivité.

Une longue pause de deux ou trois mois m’a fait du bien par le passé. J’avais en effet accumulé beaucoup de frustration au cours de mon apprentissage… Ce break m’a permis de m’y remettre avec l’esprit frais et de pointer du doigt de mauvaises habitudes à bannir. En bref, de me recentrer sur l’essentiel.

En choisissant cette option, vous perdrez forcément en dextérité, mais le bénéfice peut être énorme, surtout si comme moi frustrations, mauvaises habitudes et mauvais état d’esprit parasitaient votre pratique.
Et, pas de panique, le jazz, c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas !

Si toutefois vous ne ressentez pas le besoin de faire une pause, et que vous ne voulez pas perdre en niveau, passons à la première étape.

Étape 1 : Planifier

À vos agendas ! Afin de ne pas être submergé par l’imprévu, prenons un peu de hauteur et contemplons ces deux mois qui s’annoncent plus ou moins denses selon chacun de nous.

Si vous aviez rempli un calendrier précis de vos vacances, c’est parfait. Sinon, faites-le ! Notez les endroits où vous allez être, la durée de vos séjours, les activités prévues…

Une fois que c’est fait, regardez le tout, et constatez comme moi qu’il vous reste quand même du temps libre. Quelques jours par-ci, quelques heures par-là, et même aux endroits où vous êtes pris, vous pouvez dégager du temps pour entretenir votre jazz.

Planifiez dès maintenant les créneaux où vous allez pouvoir le faire, notez si vous devez prendre votre instrument avec vous, etc… Cela va vous rassurer et vous pourrez passer à la 2nde étape.

Étape 2 : Fixer ses objectifs

Maintenant, réfléchissez à ce que vous voulez accomplir pendant ces vacances. Sans les échéances d’un cursus, vous n’avez peut-être aucune idée de ce que vous voulez travailler ! Pas étonnant qu’il soit dur de s’y mettre, si votre cerveau pense qu’il n’y a rien à faire…

Ou, inversement, vous avez peut-être l’impression d’être submergé.e par le travail à rattraper, et ne savez pas par où commencer.

Si vous avez beaucoup de concerts à préparer, vos objectifs sont vite fixés !
Si non, vous avez deux solutions. Soit vous voyez à long terme et fixez un gros objectif, soit vous découpez vos deux mois en objectifs plus petits.

Concrètement : J’ai pour projet de repiquer, rejouer, analyser et comprendre ce que fait le trompettiste Ambrose Akinmusire en intro de ce morceau :

Je pense que ça va me prendre un mois (sans me presser !), je considère cela comme étant un moyen/petit objectif.

Par contre, je veux pouvoir être en mesure de jouer 6 standards en guitare solo à l’issue de ces vacances. Sachant que j’aimerais repiquer quelques grilles de Julian Lage pour avoir plus d’idées dans mes propres chorus dans ce format bien particulier, et qu’il faut que j’adapte les 6 thèmes pour jouer en même temps mélodie et accords, c’est un gros objectif (qui risque lui de me prendre toutes les vacances).

Pour venir à bout de vos objectifs, la clé est de morceller :

  • Objectif : Jouer 6 standards en guitare solo.
  • Sous-objectifs : Repiquer Julian Lage, adapter mes 6 thèmes, trouver intro et coda pour chaque.
  • Actions concrètes à réaliser aujourd’hui : 1 nouvelle phrase de Lage à apprendre, trouver la bonne tonalité et travailler à trois tempo I Should Care, écouter ce podcats de Learn Jazz Standards pour trouver une idée de coda.

Pour fonctionner de cette manière, vous devez être capable de définir vous même en toute autonomie les bons exercices qui vont vous permettre d’atteindre vos objectifs.
Si vous avez du mal à faire cela, demandez à un prof ou à un camarade jazzman plus expérimenté de vous aider.

De cette manière, vous pourrez passer à la 3e et dernière étape :

Étape 3 : Se dégager un espace de travail (confortable), et s’y mettre !

Depuis peu, je mets un point d’honneur à travailler dans des espaces dédiés à ma pratique, notamment après la lecture de cet excellent article (en anglais) du site Jazzadvice.
Pour vous montrer à quel point c’est important, laissez-moi vous raconter une anecdote :

« C’est les vacances ! L’occasion pour moi de passer quelques semaines à la campagne chez mes parents. Cela induit forcément un chamboulement d’emploi du temps et d’espace de travail, mais j’y fais face en me fixant des objectifs dès le premier jour, en me dégageant un espace confortable pour travailler ma trompette et poser mon ordinateur afin de réaliser des enregistrements, mixer, composer, etc…

Cependant, au bout de la première semaine, je me rends compte que je n’ai pas touché à ma guitare, je n’ai pas joué une seule note, ce qui pour moi est carrément inhabituel. Il faut dire que j’ai eu moins de temps à lui consacrer que d’habitude, et puis, j’ai perdu de vue ce que je voulais accomplir pendant ces vacances sur cet instrument… Comble de tristesse, l’instrument est resté dans sa housse, à l’autre bout de la maison, et une ou deux araignées y ont même élu domicile !

Ni une, ni deux, je m’en empare, saisis un pied, un vieil ampli qui traînait par là (qui au final fait parfaitement l’affaire !), et installe le tout à côté de mon bureau, en gratouillant un peu au passage. Je vais même jusqu’à déposer un bout de papier et un crayon sur l’ampli, afin de me noter ce que je veux faire le lendemain pour avancer dans mes objectifs.
Résultat des courses la semaine suivante : J’ai travaillé ma guitare tous les jours, progresse de manière efficace dans mes objectifs et ai toujours du temps pour faire tout le reste, alors que mes journées n’ont pas rallongé par miracle. »

Pour moi, ce que je viens de vous dire est la preuve concrète que l’espace que vous vous créez pour travailler est presque aussi important que ce que vous travaillez.

Pour conclure ce point je terminerai avec un conseil de Joe Pass que m’a transmis un de ses élèves (qui est maintenant un de mes profs), Frédéric Loiseau : « Veille à ce que ta guitare soit toujours sortie de sa housse à la maison ».

C’est évident, mais terriblement juste !

Conclusion

Voilà, vous êtes parés pour faire face aux vacances et réussir à progresser envers et contre tout. Ou du moins… À ne pas régresser !

  • Dès à présent, si possible, planifiez vos vacances et dégagez des plages dédiées à votre pratique musicale. Rappelez-vous, 10 minutes de travail efficaces valent mieux qu’une heure à travailler n’importe comment (cf cet article). Même si votre emploi du temps est surchargé, vous avez bien 10 minutes de libre…
  • Ensuite, fixez vous un gros ou plusieurs petits objectifs. Le ou les morceller rendra la tâche plus claire et abordable.
  • Enfin, réfléchissez à un endroit où vous vous sentirez bien pour travailler convenablement.
  • N’oubliez pas de travailler !

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10 bonnes raisons de relever (repiquer, retranscrire…) des solos de jazz

C’est un véritable passage obligé pour un jazzman, les plus grands s’accordent à le dire : Relever des solos de jazz est un travail essentiel. Malgré cela, il y a des bonnes raisons pour que cet exercice vous lasse, voir qu’il vous insupporte !
Après tout, c’est normal d’en avoir marre de passer des heures à distinguer un Ré bécarre d’un Ré bémol, de ne pas entendre cette fichue contrebasse, de ne pas savoir sur quel temps tombe cette satanée mise en place, de recoller note après note les morceaux inintelligibles de cette phrase en double-croches…

Ainsi, il est possible que vous ayez lâché l’affaire, et concentré vos efforts sur un autre exercice moins exigeant !

Dans ma pratique personnelle, il m’est arrivé de ne plus retranscrire de solo pendant des mois ! La première chose que je retiens de cette période, c’est une impression de stagnation. Une désagrable sensation de ne pas avoir progressé, en tout cas pas autant que les moments où ma pratique était organisée autour de la transcription.

C’est pourquoi je vous présente 10 bonnes raisons de relever des solos de jazz, autant de raisons qui vous feront voir l’exercice autrement, et vous convaincront de vous y atteler de nouveau (ou de ne pas arrêter !).

1. Relever des solos nous fait absorber la tradition

J’ai une petite question pour vous :

Avez vous déjà écouté un jazzman d’aujourd’hui qui vous a fait penser à un jazzman d’hier ?

Les exemples sont multiples :

  • Christian Scott ressemble à Miles Davis comme deux gouttes d’eau ;
  • Il y a du Bud Powell et du Art Tatum chez Pasquale Grasso ;
  • Le style icônique de Thelonious Monk est copié par tous les grands pianistes de Chick Corea à Kenny Barron en passant par Fred Hersch…

Tous ces jazzmen ont relevé leurs aînés et rejoué des heures durant leurs tics, tocs, gimmicks et autres licks. Tels des éponges, ils ont absorbé leurs manières de phraser, articuler, nuancer…

Personnellement, quand je me réécoute, j’arrive à relier tous les éléments de mon jeu aux solos que j’ai relevé, ou aux jazzmen/disques précis que j’ai écouté en boucle.

Le mot « tradition » en jazz désigne tout l’héritage qu’ont en commun les plus grands et auquel il faut emprunter pour devenir bon à son tour.
Quoi de plus puissant pour s’en imprégner que la transcription ?

2. Relever des solos nous fait jouer du jazz de la « bonne » manière

Ce second point est dans la directe continuité du premier.

Bien sûr, il existe beaucoup de façons de jouer du jazz, selon le style, l’époque, les jazzmen ou groupes que l’on adore… Mais, pour la plupart, les millions de solos gravés sur micro-sillon sont autant de points de référence quant à comment « bien » jouer le jazz.

Relever Miles Davis par exemple nous informe sur les « bonnes » notes à utiliser, la « bonne » manière de se placer, une certaine « bonne » façon d’organiser ces notes pour arriver à jouer de « belles » phrases.

Le jeu de Sonny Rollins est bien différent de celui de Miles, mais sa manière de phraser et les notes qu’il utilise sont tout aussi « bonnes ».

Toutes ces heures passées à reproduire le jeu des grands jazzmen est autant de temps dédié à « bien » jouer du jazz. À se placer correctement, à articuler de la bonne manière, à jouer de belles phrases, et donc à bien sonner à notre tour.

3. Relever des solos étend notre vocabulaire

Ce troisième point va vous paraître plus évident, vous y avez sans doute pensé dès la lecture du titre de cet article ! Et pour cause, pour étendre son vocabulaire, avoir plus d’idées et d’histoires à raconter sur les grilles de jazz, la transcription est une excellente solution.

Votre travail peut être centré sur une phrase en particulier, à transposer dans les douze tons et à jouer sur une cadence précise. Mais il peut être aussi plus chirurgical et concerner une articulation, une manière d’approcher une note guide, un timbre spécifique, une technique particulière…

En jam, j’ai même surpris plusieurs fois des phrases de solos que je n’avais même pas travaillé spécifiquement jaillir de ma trompette !

Si vous avez la bonne méthode, retranscrire des solos de jazz va étendre très rapidement vos capacités de jeu, et vous rendre confortable dans beaucoup de situations différentes.

4. Relever des solos fait travailler notre oreille et notre rythme

Restons pragmatique ! L’oreille et le sens du rythme sont deux compétences clé chez un jazzman, aussi utiles pour se repérer dans un morceau que pour être à l’aise en le jouant.

« Dépourvu » d’oreille, vous ne pouvez pas jouer sans grille, et si vous vous perdez, aïe aïe aïe. Peu précis rythmiquement, votre jeu va paraître maladroit, et si la rythmique se complexifie…

Quel rapport avec le relevé de solo ? Eh bien, le repiquage vous fait compter les temps et vous force à reconnaître des intervalles et des figures rythmiques pendant des heures et des heures.
Cela ne peut être que bénéfique pour développer vos compétences.

5. Relever des solos nous pousse à nous dépasser

Si vous vous attelez au repiquage d’un virtuose, vous allez forcément arriver à un point où vous n’avez pas la technique nécessaire pour exécuter un passage. Devant ce constat, deux choix s’offrent à vous :

  • Le passage est vraiment trop complexe, vous l’esquivez donc (ou vous le simplifiez) pour pouvoir vous concentrer sur ce qui vous paraît à votre niveau.
  • Ou bien vous sentez que la difficulté peut être surmontée, et vous entreprenez un travail technique pour en venir à bout.

La seconde solution peut vous prendre beaucoup de temps (j’ai récemment relevé un morceau qui a nécessité plus de deux mois de boulot !).
Mais le travail technique fourni en vaut la peine, car il élève votre niveau et vous fait progresser.

De plus, les choses qui vous paraissaient complexes jusqu’alors ne semblent plus aussi difficiles…

6. Relever des solos nous connecte aux autres

Laissez-moi vous raconter une anecdote pour expliquer ce point.

Je me trouve sur la scène d’un club, en bonne compagnie, à monter l’après-midi pour le soir même un répertoire dédié à la musique de Duke Ellington. Nous jouons ce soir là en Septet, avec dans la formation deux trompettistes (moi y-compris).

Au cours de la répétition, nous déchiffrons un morceau au tempo médium et qui a pour tonalité Ré bémol. Un des deux trompettistes doit faire un solo. Nous nous essayons alors à jouer sur la grille, l’un après l’autre. Je ne sais plus qui a commence, mais après que le premier ait terminé, l’autre lui lance un regard amusé signifiant : « J’ai compris ce que tu viens de faire ! ».

Et pour cause, le premier trompettiste avait cité (plus ou moins consciemment) le début d’un chorus de Clifford Brown qui collait avec la grille. Le second l’avait manifestement aussi travaillé, et vous pouvez être sûrs qu’il l’a cité par la suite !

Ce petit moment amusant a eu pour effet d’apaiser l’ambiance, de faire retomber le stress, et a montré de manière évidente les points communs entre nous deux.

De la même manière, lorsqu’en jam, vous citez de manière évidente un gimmick connu (La Cool Blues Lick, des groupings, etc…), ou tout autre partie incontournable du répertoire que vous avez relevé, les autres membres du groupe vont forcément réagir !

Ce genre de connexion est bénéfique, et uniquement faisable si vous repiquez du langage jazz régulièrement.

7. Relever des solos permet de mieux jouer les différents styles de jazz

Je pars du principe qu’il est mieux d’adapter son jeu aux différentes situations que nous rencontrons en tant que jazzman.

En effet, il est possible dans la même semaine de jouer dans les styles New Orleans, Be-bop, Swing, Jazz contemporain, Jazz-Pop, etc…

Comment réagissez-vous pour être le plus cohérent possible au sein de chaque groupe ? À chaque style appartient un vocabulaire différent.

Relever des solos afin de s’imprégner de ce vocabulaire est donc indispensable !

8. Relever des solos donne les réponses à toutes les questions

Vous avez bien lu ! Vous pouvez trouver toutes les réponses aux questions que vous vous posez dans un solo/morceau/accompagnement de jazz.

Comment jouer sur un ii V i mineur ? Repiquez Bill Evans ou Clifford Brown.
Je n’arrive pas à bien utiliser la gamme blues ? Le thème Sandu commence par un plan blues !
Comment jouer moderne ? Écoutez/Repiquez Chris Potter, Brad Mehldau, Michael Brecker, Ben Wendel et tant d’autres !
Comment composer un morceau comme Dave Holland ? À moins de lui demander ou de prendre un cours avec lui, la seule solution et de… Repiquer ses compositions !

Bien sûr, il est parfois difficile de savoir où chercher les réponses…
C’est pourquoi la culture d’un prof qui s’est déjà posé ces questions avant vous est indispensable.

Vous pouvez aussi lire des articles comme celui-ci… À bon entendeur !

9. Relever des solos nous fait penser différemment

De la même manière qu’il étend notre vocabulaire, le relevé peut ouvrir nos possibilités de réflexion en nous confrontant à des instruments différents du notre.

En tant que trompettiste, j’ai bien sûr relevé énormément de trompette, afin de m’imprégner de la tradition de l’instrument. Mais j’ai aussi relevé du sax, de la guitare, du trombone, du piano, de la batterie… (pour ensuite les rejouer à la trompette). Ce, dans le but de comprendre comment les autres instrumentistes pensent en fonction de leurs instruments respectifs.

En effet, l’ergonomie de notre instrument a vite fait de nous cantonner à une manière précise de jouer. Par exemple, un pianiste joue beaucoup plus horizontalement (avec des arpèges…) qu’un contrebassiste car ses mains se sont habituées aux empreintes des accords.
Relever des solos de pianistes permet donc à un contrebassiste de penser son instrument différemment.

Un bon exemple de jazzman repoussant les limites de son instrument est le guitariste Pasquale Grasso :

Il a réussi à se rendre unique en adaptant le langage du pianiste Bud Powell (entre autres) à la guitare. Et personne n’avait rien entendu de tel jusqu’alors (je n’invente rien, c’est Pat Metheny qui le dit…) !

Sa guitare sonne vraiment comme un piano, si vous voulez savoir pourquoi… Repiquez-le !

10. Relever des solos est un travail gratifiant

Quel bonheur d’enfin arriver à bout de cette phrase qui nous a donné du mal pendant des heures et des heures !
Quel sentiment jouissif de prendre la place de Miles Davis en étant accompagné par sa rythmique légendaire !
Que c’est agréable d’entendre intégré à notre jeu un plan que nous travaillions d’arrache-pied !

Ce point est sans doute le plus important. Si vous n’aimez pas repiquer des solos, n’en retirez aucun plaisir, alors ne le faites pas !

Mais ça m’étonnerait…

Conclusion

Voilà donc 10 bonnes raisons de repiquer des solos de jazz.
En bref, relever des solos :

  1. Nous fait absorber la tradition
  2. Nous fait jouer du jazz de la « bonne » manière
  3. Agrandit notre vocabulaire
  4. Fait travailler notre oreille et notre rythme
  5. Nous pousse à nous dépasser
  6. Nous lie aux autres
  7. Permet de mieux jouer les différents styles de jazz
  8. Donne des réponses à toutes nos questions
  9. Nous fait penser différemment
  10. Est un travail gratifiant

Je suis sûr que cet article vous a donné envie de reprendre cet exercice si vous l’aviez abandonné ! Pour autant, si vous ne savez pas par où commencer et qu’il faut que vous bossiez votre swing, cliquez ici.

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Image de couverture : Billy Strayhorn, New York, N.Y., between 1946 and 1948. William P. Gottlieb. Domaine public. Restauration : Adam Cuerden

La Substitution Tritonique : un bon point de départ pour sonner « out »

Le ii V I n’a plus de secrets pour vous ? Malgré tout, vos idées ne ressemblent pas aux phrases sophistiquées que jouent les grands jazzmen sur cette cadence ? Comme eux, vous voudriez varier votre vocabulaire harmonique, sonner « moderne » mais vous ne savez pas par où commencer ? Cet article est fait pour vous. Aujourd’hui, je vous présente un outil simple et efficace pour ajouter un peu de piquant à vos ii V I : la Substitution Tritonique. 

Qu’est-ce que la Substitution Tritonique ? 

La substitution tritonique est un type de substitution harmonique utilisé très couramment en jazz.
Il s’agit de remplacer (ou « substituer ») l’accord de Ve degré d’une cadence V -> I par un autre accord de Ve degré, dont la fondamentale est située à un intervalle d’un triton de celle de l’accord substitué.

D’emblée, quelques petites précisions :

  • Le Ve degré a toujours dans le cas des accords à 4 sons une couleur 7. Ses notes sont, par rapport à la fondamentale : (Fondamentale), Tierce majeure, Quinte juste, et 7e mineure.
    La substitution tritonique est aussi un Ve degré, elle a pour conséquent une couleur 7.
  • Le mot « triton » est l’autre nom de l’intervalle de 4te augmentée ou quinte diminuée, composé de tout pile 3 tons (d’où le surnom !)

Voici un exemple pour plus de clareté :

Prenons une cadence V -> I en Do majeur : G7 -> Cmaj7.
Il suffit de trouver la 4te augmentée ou quinte diminuée de la fondamentale de G7, Sol. C’est la note Ré bémol (ou Do dièse).

La substitution tritonique de G7 est donc Db7, et notre cadence G7 -> Cmaj7 devient Db7 -> Cmaj7.

Voici le son de ces deux cadences, l’une après l’autre : 

Ça sonne super non ? 

Mais je sens que j’ai éveillé plusieurs questionnements en vous !

Comment fonctionne la substitution tritonique ? Pourquoi peut-on l’utiliser ?

Je ne vous cache pas qu’il y a une astuce !

Prenons les notes de G7 : Sol, Si, Ré, Fa.
Laissons de côté la quinte, Ré, car elle n’est au final pas aussi essentielle que la tonique (Sol), la tierce (Si), et la septième (Fa) de l’accord. 

G7 tend à résoudre vers Cmaj car il contient les sensibles de la tonalité de Do majeur, Fa et Si (si vous vous demandez pourquoi, un petit détour par ici s’impose).
Le Fa de G7 résout sur le Mi de Cmaj, et de la même manière le Si résout sur le Do (ou reste sur un Si, si notre accord de résolution est un Cmaj7 a 4 sons).

Comme ceci : 

Cette conduite de voix est l’essence de l’harmonie tonale. Ce phénomène d’attirance du Ve degré pour le Ier degré est ensuite malaxé et enrichi par les compositeurs pour donner nos grilles de jazz.
Mais quel rapport avec la substitution tritonique ? 

Eh bien, si G7 tend à résoudre sur Cmaj7 parce qu’il contient les notes Fa et Si, tout accord contenant les notes Fa et Si tendra à résoudre vers Cmaj7. Pouvez vous penser à un autre accord contenant les notes Fa et Si (ou leurs enharmonies Mi dièse et Do bémol) ? 

Exactement… Db7 ou C#7

De plus, dans la cadence Db7 -> Cmaj7, le mouvement des toniques est lui aussi acteur de l’effet de tension/résolution. Dans la tonalité de Do majeur, la note Ré bémol est hautement explosive, extrêmement dissonante, elle se détend donc volontiers sur le Do situé juste un demi-ton au dessous d’elle.

Dans ces exemples, j’utilise Db7
mais pouvons-nous aussi noter C#7 ?

Très bonne question !

En fait, les deux accords sont enharmoniquement similaires.
C’est à dire qu’à l’oreille, ils sont identiques, alors que sur une partition, ils ne sont pas constitués des mêmes notes :

  • Db7 = Db F Ab Cb
  • C#7 = C# E# G# B. 

Dans mon exemple avec la cadence parfaite en Do majeur, je substitue le G7 par Db7, la note Ré bémol étant située à une quarte augmentée descendante (ou quinte diminuée ascendante) par rapport à la note Sol.
Mais j’aurais tout aussi bien pu prendre C#7, la note Do dièse étant quant à elle située à un intervalle d’une quinte diminuée descendante (ou quarte augmentée ascendante) par rapport à Sol.

Je vous rappelle que tous ces intervalles, ascendants ou descendants, font au final trois tons = des tritons !

Sauf que C#7 pose un léger problème avec notre point d’arrivée, le Ier degré, Cmaj7. En effet, la note Do dièse est située à un intervalle d’un unisson augmenté par rapport à Do, alors que la note Ré bémol est située à une seconde mineure de Do.

À mon sens, il est plus facile de penser « seconde mineure » que « unisson augmenté », je préfère donc choisir : Db7 -> Cmaj7. 

Et concrètement, à quoi sert la Substitution Tritonique ? 

Comme je le disais dans mon introduction, si vous avez envie d’ajouter un peu de sophistication à votre jeu et pimenter un peu l’harmonie, La substitution tritonique est un des moyens les plus simples, élégants et communs de le faire. C’est à dire ?

  • Dans votre improvisation : Au lieu de jouer tout le temps la même chose sur vos Ve degrés (mode mixolydien, arpège de l’accord, gamme be-bop…), vous pouvez utiliser cet outil et sortir brièvement de l’harmonie (« jouer out« ). Vos auditeurs et vos collègues jazzmen tendront l’oreille, à coup sûr !
  • Dans votre accompagnement : Idem, au lieu d’utiliser tout le temps les mêmes accords dans vos cadences, réharmonisez à l’aide de cet outil, et secouez un peu le soliste !
  • Dans vos compositions/arrangements : Si vous voulez avoir une écriture un peu plus moderne et moins monotone, insérez une substitution tritonique là où une cadence V -> I paraît redondante. C’est un moyen élégant d’arriver au même endroit sans passer par le même chemin, harmoniquement parlant.
    (La musique de Monk contient de nombreux exemples !)

Super ! Et comment doit-on s’y prendre exactement ? 

Le moyen le plus facile d’utiliser la substitution tritonique est d’utiliser les 4 notes de l’accord. C’est certes basique, mais utilisé par les grands jazzmen.

Laissez-moi vous donner un exemple :

Au lieu de jouer ceci :

Je peux utiliser la substitution tritonique et jouer cela :

Puissant non ? Jouer out est plus simple qu’il n’y paraît !

Si vous voulez aller plus loin et utiliser plus de notes, il va falloir que je mette les mains dans le cambouis et vous parle de modes.

Db7 a une couleur 7, le mode à jouer sur ce type d’accord est donc… Le mode mixolydien.

C’est une option valable, elle permet de jouer des phrases qui vont sonner vraiment hors de notre tonalité de départ.
Comme cette phrase de Wes Montgomery sur D Natural Blues

(Oups, ne tenez pas compte de la dernière note de ma transcription qui n’existe pas !)

Mais cette option n’est pas la plus commune.

Avant de vous dévoiler le mode privilégié par les jazzmen, laissez-moi vous révéler une chose : la substitution tritonique s’applique aussi aux cadences V -> i (cadence parfaite en tonalité mineure).

Si vous êtes un lecteur assidu de mes articles, vous savez déjà quel est le mode le plus utilisé pour jouer le Ve degré dans la cadence V -> i. 
Je vous laisse réfléchir…

Il s’agit du mode Altéré (Si vous avez besoin d’un autre rappel, par ici). 

Bon, mais quel rapport avec notre substitution tritonique ?? 
En fait, la clé est dans ce mode Altéré. Prenons G7alt, qui résoud vers C- : 

Voici son mode, ne remarquez-vous pas quelque chose ?

Le mode de Sol Altéré contient un Ré bémol !

Il contient aussi les notes Fa, et Do bémol (ou Si bécarre), ce qui veut dire que nous avons tous les ingrédients pour confectionner un Db7 ! (qui est pour rappel la substitution tritonique de G7)

Ainsi, si nous démarrons la gamme de Sol altéré par Ré bémol, nous obtiendrons un super mode (en l’occurrence, le mode lydien bémol 7) pour notre substitution tritonique !

Le voici :

Le voici en action : 

Il peut aussi être utilisé dans la cadence V -> I (majeure donc) :

Le mode lydien b7 apporte un son plus « soft » à la substitution tritonique, et paraît ainsi moins out que le mode mixolydien. C’est sans doute pour ces raisons que les jazzmen l’aiment tant.

Y a-t-il d’autres choses à savoir avant  d’aller travailler ce formidable nouvel outil ? 

Oui, j’ai encore deux ou trois petits détails importants à ajouter. 

1. La notation. 

Si on veut chiffrer la substitution tritonique quand on analyse une grille, il faut utiliser la notation subV.
Ainsi, la cadence majeure V -> I avec substitution tritonique se note simplement subV -> I.

2. Le ii V substitué

Si vous avez révisé votre harmonie tonale, vous savez qu’il est commun d’ajouter un accord de sous-dominante avant un accord de dominante dans une cadence parfaite.
Traduit en langage jazz : Il n’est pas rare d’avoir un iind degré avant le Ve degré pour aller sur le Ier degré. Ça nous donne notre cadence fétiche en jazz, le ii V -> I

Comme vous le savez maintenant, la substitution tritonique est un Ve degré. Cependant, elle est le Ve degré d’une autre tonalité que le Ier degré sur lequel elle résout (en tant que substitution tritonique).

C’est-à-dire, en Do majeur : V -> I = G7 -> Cmaj7.
Substituons tritoniquement le G7 qui devient Db7.

De quelle tonalité Db7 est-il normalement le Ve degré ?
Réponse : La tonalité de Gb Majeur.

Pourquoi ce cheminement ? Car si Db7 est le Ve degré de Gbmaj7, on peut le faire précéder par son iind degré correspondant, en l’occurrence Ab-7 (Le ii V -> I en Gbmaj est Ab-7 Db7 -> Gbmaj7). Et ce, même si Db7 est utilisé en tant que substitution tritonique.

Il est donc possible de substituer la cadence V -> I d’origine (G7 -> Cmaj7) par Ab-7 Db7 -> Cmaj7. 

Voici ce que ça donne en musique :

Ajouter un iind degré avant la substitution tritonique a pour effet d’emmener l’oreille loin de notre tonalité de départ. Le ii V substitué trace une route claire vers le Ier degré de la tonalité d’où est tirée la subV.
Par conséquent, la résolution vers notre « vrai » Ier degré a pour effet un virage harmonique très serré.

3. La substitution tritonique au sein du ii V -> I

Il n’est peut-être pas utile de le préciser, mais la substitution tritonique peut se glisser au sein du ii V -> I « classique », en conservant le iind degré de notre tonalité de départ. Cela donne la progression ii subV -> I, qui sera sans doute celle que vous rencontrerez le plus souvent dans vos grilles.

Conclusion 

Voilà, vous avez maintenant tout ce qu’il vous faut pour comprendre et utiliser la Substitution Tritonique

Dans cet article, vous avez appris pourquoi elle fonctionne, son utilité, comment l’utiliser et même comment la chiffrer sur une grille !

Vous pouvez dès maintenant chercher dans votre Realbook si vos grilles favorites en contiennent (Par exemple, ‘Round Midnight à la 7e mesure du A), et même la tester sur des standards « faciles » comme All of Me ou Autumn Leaves

Si vous avez des questions, des points que vous ne trouvez pas clairs, laissez un petit commentaire en bas de l’article, j’y répondrai avec plaisir. 

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Image de couverture : Photo portrait of American jazz guitarist, posed with a Gibson L-5, from a 1967 print advertisement for Gibson guitars. Photo first published by Gibson. According to NPR, the photo was taken by Chuck Stewart. Domaine Public.

3 manières d’intégrer des motifs dans vos solos (merci Kenny Garrett !)

Marre de jouer les mêmes phrases dans tous vos chorus ? D’improviser tout le temps avec les mêmes idées ? Le public et la section rythmique s’endorment pendant vos solos…? Un radical changement dans votre vocabulaire s’impose. 

Si vous êtes comme moi, vous n’avez pas envie de passer pour quelqu’un qui fait du remplissage, qui ressort pour la millième fois ses clichés be-bop qu’on a entendu (en mieux) partout ailleurs. Au contraire, vous voulez que vos chorus racontent une histoire, que votre jeu soit connecté à la section rythmique, et au final captiver les gens qui vous écoutent

Une façon très commune, facile, et puissante d’y parvenir est d’utiliser des motifs dans votre improvisation. Prendre une de vos idées et la répéter au moins une fois, tout en la développant.

Cela peut paraître facile et évident, mais bien souvent, nous n’y pensons pas, ou bien une fois sur deux nous essayons mais sans être très clairs, ou alors nous le faisons constamment de la même manière

Car oui, il y a plusieurs façons de faire apparaître un motif au cours de votre improvisation, et si vous faites toujours la même chose… Vous allez paraître ennuyeux, scolaire et peu inspiré.e…

Alors, comment font les grands jazzmen pour créer des motifs ?

Pour répondre à cette question, j’ai réécouté quelques solos d’une référence en la matière : Kenny Garrett. Vous connaissez sans doute cette légende du sax alto, qui a absorbé TOUT le langage be bop, pour ensuite innover en l’utilisant de manière inconventionnelle et sonner « out ». Eh bien, il utilise des motifs dans chaque solo qu’il prend, c’est vraiment une part essentielle de son jeu.

Garrett crée ses motifs de 3 manières différentes, que je vais vous présenter dans cet article.

Remarque : Je vais me concentrer sur la création et non le développement des motifs dans l’improvisation. Si ce dernier point vous intéresse, voici une vidéo très intéressante (en anglais) qui analyse un solo de Paul Desmond.

1ère manière de créer un motif : Reprendre une fin de phrase

C’est la plus évidente, donc j’en parle en premier. Il s’agit simplement de reprendre la fin de notre phrase précédente, et de la répéter. Cela a pour effet de renforcer notre message, et construire notre discours en insistant sur ce que nous venons de dire. 

Garrett crée ce genre de motifs très souvent. Par exemple, dans son solo sur Ornithology, il l’utilise dès le stop chorus, en reprenant les deux notes de la fin de la mélodie : 

Même si j’avais dit que je n’en parlais pas (considérons cela comme un petit bonus !), le développement de son motif est intéressant : il octavie ces deux notes un peu au hasard, donnant un effet accidenté singulier, et réussi.

Ce type de motif réapparaît dans le même chorus, de manière plus évidente :

À un autre endroit, il joue avec le dernier segment d’une de ses phrases, le répète deux fois, puis le re-cite une troisième fois un peu plus loin. Ça raconte tout de suite une histoire :

Vers la fin de son chorus, il enchaîne sur une citation du thème de Charlie Parker Cool Blues, un grand cliché d’improvisation be bop. Il l’utilise comme à son habitude de manière inconventionnelle en reprenant la petite trille de fin pour la décliner 6 fois :

Vous pouvez travailler cette première manière de créer un motif dès maintenant. Jouez une phrase sur un standard, et au moment de la terminer pour en débuter une autre, mémorisez ce que vous êtes en train de jouer. Répétez ensuite cette fin de phrase, en la développant au besoin selon l’harmonie. 

Travaillez ceci dans un premier temps de façon systématique, sur toute une grille. Ensuite, parsemez plus ponctuellement vos improvisations de ce type de motifs. 

Remarque importante !

Attention à ne pas tomber dans le piège classique de l’improvisation motivique, qui a vite fait de nous faire sonner scolaire et cliché dès lors qu’on l’utilise trop souvent.

Dans un autre solo de Garrett sur Mack the Knife, je trouve qu’il répète la fin de ses phrases un peu trop fréquemment, comme « par défaut ». 

Il l’utilise une première fois de 1’11 à 1’21 (mesures 43 à 46 de la vidéo), et recommence avec la phrase qui commence à 1’50 (mesure 63), développant une autre super idée sur 4 mesures.
Il aurait pu s’arrêter là, mais pour terminer sa phrase, il réutilise la fin du motif qu’il vient de décliner et la répète (à partir de 2’02, mesures 70-72), ce qui est à mon goût « le motif de trop » !

À utiliser avec parcimonie…

2nde manière de créer un motif : Répéter un segment entier, ou carrément toute une phrase

Cette seconde manière est la plus basique (mais curieusement pas la plus utilisée) de faire apparaître un motif dans notre solo.
Il s’agit simplement de jouer une ou deux notes, ou un segment mélodique un peu plus long, ou bien une phrase entière, puis de la/le répéter.
(Il ne s’agit plus de reprendre la fin d’une phrase mais bien la phrase dans son intégralité).

Garett l’utilise de manière significative au début de son solo sur Mack the Knife de 0’56 à 1’18 (mesure 33-44) :

Sa phrase de départ est une réinterprétation de la mélodie. Il la répète deux fois, en la développant différemment, d’abord en changeant la fin, puis en la transposant.

Voici un autre exemple sur le morceau Not You Again (une démarcation de There Will Never Be), où Garrett transpose une petite phrase d’une mesure :

Ou encore ici, sur le début d’une grille de Giant Steps, avec comme motif de départ seulement trois notes (une triade descendante) :

Il n’y a pas de grande différence entre cette manière de créer un motif et la première que je vous ai exposée, mais en variant les deux, et la longueur du motif (une ou deux notes, une petite phrase d’une mesure, une phrase plus longue…) on évite le piège du « motif de trop » !

3e manière de créer un motif : Jouer avec un motif rythmique 

La troisième manière de jouer avec ces motifs est un peu à part, car elle repose à 100% sur un seul paramètre : le rythmeIl s’agit de jouer sur une note ou deux, et de la/les répéter suivant un débit précis ou bien une clave.

De cette façon, vous parlez le langage de la section rythmique, et vous pouvez vous attendre à ce qu’elle réagisse et vous rejoigne !

Garett l’utilise de manière concise sur Not You Again

Ou sur une plage beaucoup plus longue dans Giant Steps :

Il fait varier plusieurs notes sur un débit de noires pointées dans Mack the Knife à 1’39 (mesures 57-62) : 

Cette manière de rassembler les notes est très commune, on appelle cela un « groupe de trois » (ici groupe de trois croches, parfois notées sur le relevé avec un débit de noire pointée, ou une noire liée à une croche, ou une croche et un soupir…).

Un petit mot sur les Groupings

Les groupings désignent le fait de répéter un débit précis sur une durée conséquente. C’est à dire faire le choix de n’utiliser qu’un seul débit (un groupe de X croches, noires, croches pointées, etc…) sur plusieurs mesures.

Leur utilisation devient intéressante en groupant des débits impairs sur une métrique paire, comme dans l’exemple ci-dessus où Garrett répète un groupe de 3 croches sur une métrique 4/4 qui en contient 2 par temps. Les points d’appuis se retrouvent déplacés, créant un fort contraste rythmique.

L’utilisation des groupings est un sujet très vaste, mais j’ajouterai juste une autre démonstration avec un autre groupe impair très commun, le groupe de 5 :

Vous avez sans doute remarqué que nous avons changé d’instrumentiste ! À vrai dire, j’avais sous le coude ce chorus de Wynton Marsalis sur Giant Steps qui montre une utilisation d’un grouping en tant que motif. Dans l’extrait, il utilise le groupe de 5 croches en en jouant 4 et en laissant la dernière silencieuse.

À ce tempo, c’est assez délirant, et sur ce type de grille encore plus !!!

Conclusion

Vous savez désormais comment Kenny Garrett fait apparaître des motifs dans ses improvisations.
Comme lui, vous pouvez maintenant :

  • Reprendre la fin de votre phrase précédente
  • Créer un segment de phrase ou une phrase entière puis le/la répéter
  • Ou encore utiliser une cellule rythmique, comme une clave ou un groupe de notes.

Utiliser des motifs dans votre improvisation va varier votre vocabulaire, provoquer la rythmique, et au final enrichir votre discours et faire de vous un meilleur improvisateur.

Travaillez ces trois manières distinctes dès maintenant sur n’importe quelle grille de votre choix, d’abord à un tempo modéré et en gardant le motif sur toute une grille. Puis improvisez librement, et surprenez-vous à en créer au milieu d’un de vos solos !

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Image de couverture : Kenny Garrett mit seinem Quintett im Stadttheater Rüsselsheim Hinterbühne am 29. Oktober 2013. 29 October 2013. Jens Vajen. CC BY-SA 4.0

3 solos (faciles à relever) pour travailler le SWING (Phrasé/Placement)

Il y a quelques jours, on m’a demandé d’enregistrer le thème du morceau Driftin’, le célèbre hymne Hard Bop composé par Herbie Hancock. Le but était de « reconstituer » la superbe version de Christian McBride en trio avec le guitariste Mark Whitfield et le trompettiste Nicholas Payton. J’ai donc relevé l’interprétation du thème de Payton, dans le détail, et ai enregistré ma trompette seule, le casque sur les oreilles avec le trio pour m’accompagner. Au bout de quelques essais, je parviens à me faire une version correcte, je réécoute, et là… c’est le drame ! Ma partie (seule) ne swingue pas !

Je suis sûr que vous arrivez sans peine à vous identifier dans ce que je raconte. Quand nous sommes dans le jus, en train de jouer, toutes nos notes semblent tomber au bon moment, avec la bonne intention. Mais, au moment de s’écouter sur un enregistrement, c’est la désillusion ! C’est mou, plat. Le côté léger, rebondi, dansant du swing n’est plus qu’une lointaine impression.

Comme si Fred Astaire avait troqué ses claquettes, fines et précises, pour des charentaises, lourdes, qui font traîner le pied. 

(Ça n’a pas l’air de trop le perturber…!)

Il y a quelques années, une histoire similaire m’est arrivée. J’étais en session avec des super musiciens, et j’étais objectivement le moins bon de l’équipe. Néanmoins, l’énergie et le niveau des autres me propulsaient, j’avais l’impression d’être bien meilleur qu’en temps normal. C’était sans compter sur le fait que, comme à mon habitude, j’avais sorti mon portable pour enregistrer… Vous devinez la suite. En réécoutant, j’étais en fait placé beaucoup trop en arrière du temps, et mon phrasé était trop lisse…

Sur le coup, j’étais un peu démoralisé. Mais j’ai réagi, je ne me suis pas laissé faire, et j’ai essayé de corriger mes erreurs.

Une des choses qui m’a le plus aidé dans cette démarche a été de repiquer des jazzmen en traquant les petits détails, les petits riens qui changent tout, qui font qu’ils swinguent comme des bêtes !

Dans cet article, je vais vous présenter 3 solos qui ont changé ma vision du swing. Ils sont plutôt simples à jouer, ce qui permet de se concentrer au maximum sur 3 paramètres cruciaux que vous n’avez peut-être pas encore intégrés dans votre jeu.

Commençons avec :

Les 3 solos, et le paramètre n°1 :
le Débit

La trompette sera mise a l’honneur tout au long de cet article, puisque les 3 solos que j’ai sélectionnés sont respectivement de Miles Davis, Chet Baker, et Nat Adderley
Écoutez-les en vous focalisant sur le débit de croches de chaque trompettiste, et plus précisément sur la balance entre le binaire et le ternaire. 

Nat Adderley sur Never Say Yes :

Miles Davis sur Freddie Freeloader :

Chet Baker sur Nardis :

Le premier paramètre à prendre en compte pour améliorer son swing, c’est le débit de nos croches. Sont-elles majoritairement binaires, ou ternaires ?
Ce schéma va vous aider à mieux visualiser ceci :

  • À gauche, les croches binaires, chacune d’une durée égale. Elles sont le débit de base de la bossa-nova, de la funk ou du rock.
  • À droite, les croches swinguées (à 100%), la première est plus longue que la seconde. « À 100% » car l’écart entre la première et la seconde croche se rapproche du rapport entre les 1ère et 3e croches d’un triolet de croches, d’où le schéma : 

En réalité, ce type de swing très balancé se trouve peu dans le jazz que l’on écoute, et encore moins dans le jeu des instruments solistes.
Ce débit n’est pour autant pas impossible à croiser, il est à la base du shuffle par exemple.

Pour résumer TRÈS grossièrement, en Cool Jazz, on va avoir tendance à jouer un débit de croches plus égal, et en Hard Bop, plus inégal (pour ne citer que ces deux styles).

Chet, Miles, et Nat nous démontrent cela parfaitement. Réécoutez leurs chorus en prêtant encore une fois attention à ce détail, vous verrez que : 

  • Nat (plus Hard Bop) swingue ses croches (dans la globalité) presque au maximum. C’est presque trop à mon goût, parfois !
  • Miles (entre le Cool et le Hard Bop) pioche des deux côtés de la courbe, certaines de ses phrases ont des croches très balancées, et d’autres très égales, ce qui contribue à rendre son jeu expressif
  • Chet (plus Cool) a des croches bien plus binaires que ses deux camarades !

Toutes ces variations de débit sonnent, à vous de faire votre choix en fonction de ce qui vous plaît, du style de jazz que vous pratiquez, de ce que vous voulez exprimer sur le moment… 

Le paramètre n°2 : l’Accentuation

Les trois trompettistes ont beau avoir une conception du débit différente, ils ont en commun une chose fondamentale : l’accentuation du phrasé

Toutes leurs notes ne sont pas jouées avec la même nuance, la même intensité, la même intention. Et ce paramètre a énormément d’influence sur la manière dont nous percevons leurs messages respectifs.

Si je prends une phrase de Chet Baker au hasard :

Et que je trace un schéma avec l’intensité de chacune de ses notes :

Vous remarquerez sans peine que tout n’est pas joué au même niveau. Globalement, sa phrase a une forme de crescendo, puis decrescendo, et une croche sur deux est accentuée.

Je me risque à une analogie ! Ce tracé me rappelle les sismogrammes, ces schémas qui représentent l’intensité des ondes sismiques, qui déterminent la magnitude des séismes.

Sur l’échelle de Richter, une petite secousse que l’on sent à peine, de niveau 2 par exemple ressemblera à ceci :


Alors qu’une onde dévastatrice donnant un séisme de niveau 6 ou 7 aura ce tracé :

Vous l’aurez compris, nous avons tendance à avoir un tracé de phrasé proche d’une petite secousse, alors le swing des grands jazzmen est un séisme de magnitude d’au moins à 5 ou 6 sur l’échelle de Richter !

Il faut donc accentuer de manière plus marquée nos différentes notes.
Mais pas n’importe comment ! La bonne façon nous a été montrée par Chet ci-dessus, il accentue toutes les croches en l’air (celles qui ne tombent pas sur le temps) :

Et pour les noires ? Miles Davis nous donne la réponse :

Les 2e et 4e temps sont donc les temps qui dansent le plus.

Pour résumer simplement, en accentuant les 2e et 4e temps de la mesure et les croches en l’air, vous améliorerez grandement votre swing. 

Le paramètre n°3 : le Placement

Enfin, le meilleur pour la fin, le placement. Si vous n’avez jamais entendu parler de ce paramètre, cela correspond à la position de nos notes par rapport au temps. Il est possible de se placer parfaitement sur le temps, en arrière, ou en avant.

Mais quelle option choisir pour le swing ? La meilleure image que l’on m’ait montré pour m’expliquer le secret du bon placement, c’est celle d’un train en marche

Dans la locomotive se trouvent la contrebasse, avec la cymbale ride de la batterie. Puis, en première classe, le piano et la guitare*. Puis, enfin, encore derrière (dans le wagon bar !), les solistes/Soufflants/Chant

*La place de la guitare peut varier selon le type de comping adopté…

La Ride et la Contrebasse « drivent », elles tirent les autres instruments, et à aucun moment un wagon ne doit dépasser la locomotive ! 

Encore une fois, cette image est une simplification, mais à l’écoute des trois solos, cela se révèle correct. C’est flagrant chez Miles : 

Chez Nat Adderley, le pianiste et lui-même ont tendance à jouer très proche du temps, pas étonnant que le rendu final déborde d’énergie.

Le cas de Chet est assez représentatif de ce que l’on peut trouver chez les soufflants, en général. Il a tendance à varier son placement pour créer de la tension rythmique. Par endroits, il est dangereusement derrière, mais il se « rattrape » juste avant d’aller trop loin et se replace plus près du temps.

Ce placement un peu « flottant », (mais quand même majoritairement derrière !) est très commun, si vous réécoutez Miles, vous verrez qu’il joue de la même manière.

Pour autant, il est possible de trouver des instrumentistes qui jouent absolument toutes leurs notes en arrière du temps, le saxophoniste Dexter Gordon en est un bon exemple. 

Mais alors, comment bien se placer ?

Personnellement, un de mes professeurs m’a dit que j’avais tendance à être devant, puis un autre que je jouais trop derrière…

Je pense avoir trouvé une explication à cette divergence d’opinions. Pour un instrument à vent comme la trompette, ou le sax, il peut y avoir une mini-latence entre le moment où nous décidons de jouer une note et le moment où le son sort pleinement. C’est comme si ces instruments jouaient derrière, de base !

Même chose pour la contrebasse, l’attaque se fait en deux temps, on tire d’abord la corde pour la mettre en tension, puis on la relâche pour qu’elle entre en vibration. Cela créé forcément de la latence entre le moment où nous commandons à nos muscles d’effectuer l’attaque, et le moment où le son se fait entendre.

Par contre, le piano ou la batterie ont une latence beaucoup plus réduite, comme pour la majorité des instruments percussifs.

Si j’avais un conseil à donner :

  • Instrument à vent/Chant : Pensez « sur le temps », la nature de votre instrument vous placeront naturellement derrière, avec le bon dosage
  • Contrebasse : Pour pouvoir assurer votre rôle de locomotive, pensez très devant !
  • Batterie/ Piano : Si vous voulez être derrière, il faut se « freiner » intentionnellement, à travailler donc. Mais si vous voulez être sur le temps, jouez naturellement.

Une dernière chose sur ce 3e paramètre :

Une grande partie du fait que mon placement laissait à désirer et semblait trop en avant du temps venait en réalité d’un problème de technique.
J’étais en dessous des capacités requises pour jouer à la vitesse que je voulais, menant à une perte de contrôle du débit et à un stress qui nuisait à la qualité de mon exécution.
Au fur et à mesure que je progresse, ce stress a tendance à disparaître, mais je le sens parfois revenir, par exemple quand je travaille les tempos up.

Faites attention à ce petit détail, dès que vous sortez de votre zone de confort, votre placement (donc votre swing) peut en pâtir.

Conclusion

3 solos, 3 piliers fondamentaux du swing à maîtriser !

Si vous sentez que vous pouvez swinguer un peu plus, cet article vous a, je l’espère, donné les clés pour avancer.

Commencez par repiquer un des chorus dont je viens de vous parler, en essayant de coller au plus près des phrasé, placement, et débit du soliste.

Pour vérifier si vous êtes dans la bonne démarche, faites comme moi ! Enregistrez votre instrument seul, avec le solo au casque. Vous serez surpris du résultat, d’abord dans le mauvais sens, puis je l’espère, dans le bon.

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Image de couverture : Andre Hunter

5 Questions à Michaël Vigneron sur son nouvel album NEBULA

Aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir pu échanger avec le pianiste Michaël Vigneron. Son album NEBULA sorti le 20 mars dernier vient tout juste d’être sacré « Révélation ! » par Jazz magazine. Cet article sera donc l’occasion pour nous d’en apprendre plus sur le début de carrière d’un jazzman, de découvrir le projet de Michaël, ainsi que la méthode avec laquelle il a conçu son disque, et ses astuces pour composer des morceaux liés à un concept.

Téléchargez gratuitement NEBULA en format digital ici (offre uniquement valable pendant le confinement)

Jazzcomposer.fr : Tu sors tout juste de l’école (Conservatoire de Rennes, CMDL…), et ton premier album sous ton nom résonne déjà dans nos oreilles. En plus d’être salué par la critique, tu fais ta release party au Sunside*, ton groupe a joué en première partie de Kellylee Evans au New Morning plus tôt dans l’année, on parle de NEBULA dans les radios spécialisées (Couleurs Jazz Radio, Art District Radio…).
Peux-tu nous parler de ton parcours et des étapes clés qui t’ont mené des études à ce début de carrière fulgurant ?

Michaël Vigneron : Je viens du classique, donc à la base, j’avais une vision très introspective de la musique. En parallèle, j’ai toujours composé, expérimenté, essayé de reproduire les choses que j’entendais sur les vinyles de mes parents, et ce depuis que je suis tout petit ! Je ne savais pas encore ce que je jouais exactement comme style(s), j’étais enfant, je ne me posais pas ces questions là. Plus tard, j’ai dû arrêter ma pratique pour me concentrer sur les études, ce qui m’a permis de prendre du recul sur mon rapport à la musique. Ça m’a fait redécouvrir les différents styles, notamment les musiques actuelles, mais aussi les jams sessions… J’avais autour de la vingtaine, c’est à ce moment là que j’ai commencé à sortir, à aller explorer, m’imprégner de la liberté que j’ai découverte dans le rock et l’électro.
J’ai débarqué en Bretagne en suivant ma compagne que j’avais rencontrée à Dijon, et c’est là que j’ai complètement craqué pour le jazz, en rencontrant des musiciens et en intégrant le conservatoire de Rennes pour passer un DEM. J’ai commencé vraiment à expérimenter cette musique avec Benjamin Clément et Simon Prudhomme (les bassiste et batteur de NEBULA).
À partir de 2017, on a la chance d’être programmés en première partie de Tigran Hamasyan au festival de Jazz à l’étage. Dans la foulée, on enregistre un EP et on gagne en 2018 le tremplin du festival de Jazz à St Germain des Prés.
À partir de ce moment là, les choses s’accélèrent, je rentre au Centre des Musiques Didier Lockwood, où je continue à rencontrer des gens et à me perfectionner, notamment auprès de Benoît Sourisse, André Charlier, Laurent Coulondre… J’avais déjà rencontré Laurent lors de notre première à Jazz à St Germain des Prés, et il m’avait envoyé un message pour m’encourager. C’est lui qui a fait l’intermédiaire avec Maude Favennec de l’agence de développement et communication pour artiste Into the Mood. C’est une ressource très importante, Maude participe à mon développement en trouvant des partenaires, en organisant la sortie du disque en fonction des différents contenus et médias que je pourrais approcher… 
Le Studio des Variétés m’a aussi beaucoup aidé, en particulier la personne qui a été mon directeur musical et qui a fait le mix de NEBULA, Jean-Paul Gonnod. Le Studio des Variétés est un lieu ressource, qui permet de mettre en contact différents acteurs du monde du spectacle et différents artistes entre eux, c’est aussi un lieu de formation. J’ai pu y discuter de mon projet, et j’ai été mis en relation avec Isabelle Rodier, qui m’a aidé à réaliser les premiers rétro-plannings pour concrétiser la réalisation du disque. 

Ce qu’il y a à retenir, c’est qu’il ne faut pas rester seul. C’est impossible de tout faire soi-même sans aller chercher le conseil ou l’expérience d’autres personnes, au début, on ne peut pas être son propre label, son propre agent presse, etc…

JC.fr : NEBULA est ton premier album, est-ce une étape importante pour toi ? Quelle histoire raconte-t-il ?

MV : Oui, et c’est valable pour tous les artistes, c’est vraiment une étape importante, elle pose les jalons de quelque chose. Contrairement à un EP, un album est long en terme de durée, cela nécessite une cohérence, il faut que cela raconte quelque chose, qu’il y ait un récit. Ce récit raconte mon histoire, mais il est aussi universel. Si en tant qu’artiste on se pose et on commence à réfléchir à des questions existentielles (Qui sommes nous ? Quelle place occupons nous ? Quel est notre rapport aux autres ?), cela nous ramène forcément en arrière, loin, jusqu’à l’enfance.
De cette méditation naît une « vision », cela correspond au début de l’album. De cette vision arrive des milliards de choses, qui explosent à la figure, c’est le Big Bang, et il faut faire le tri. On ferme les yeux et on visualise sa propre vie, sa propre expérience, cela m’a fait penser à une Nébuleuse, comme si on contemplait l’univers sans savoir où aller. C’est un peu comme un nuage créatif rempli de notre expériences, de nos envies, c’est l’infini des possibilités. Ensuite, c’est la Résurgence, les souvenirs reviennent un à un, t’envahissent puis s’envolent. La Berceuse, par rapport à tout ce moment de réflexion enflammé est un moment de détente, composé de toutes les choses qui nous calment qui permettent de nous sentir apaisés. C’est un clin d’œil à une étape très importante de ma vie, la naissance de mon fils. Cette Berceuse a d’ailleurs été composée par ma compagne, et je l’ai ensuite arrangée.
Les yeux fermés, au calme, c’est la Lévitation. Mais à un moment donné, vient le retour à la réalité, symbolisé par la piste Thunderbolt. Elle a été inspiré par la mythologie greco-romaine, les 3 coups de tonnerre de Jupiter… C’est toutes les épreuves difficiles qui constituent le moment présent, avec la piste suivante Hard Walk. Enfin, Black Hole nous ramène à notre méditation, à notre nébuleuse, au début de l’album. 

JC.fr : Ton album a donc un « script » comme pour un film. L’as tu écrit dans le détail ? Comment cela a t il influencé la composition des titres, les arrangements, les sonorités ?

MV : Bien entendu je n’ai pas écrit tout dans les moindres détails. Le cheminement dans les grandes lignes était clair, j’ai vraiment voulu scénariser. J’ai écrit sur une feuille toute ma réflexion philosophique, hors musicale, tout ce qui me passe par la tête, pour pouvoir ensuite le transcrire dans la musique. Musicalement parlant, je sais donc qu’il faut que je symbolise l’image de ma « vision », que l’état d’esprit propre à la difficulté, que les coups d’éclairs qui nous ramènent au présent doivent correspondre à un morceau à part entière…
C’est un peu le même travail à faire en musique à l’image, avec NEBULA, il fallait interpréter ce « film » que j’avais dans la tête. 
Ce récit, et sa cohérence passent avant les détails purement techniques. J’ai préféré être dans l’intention plutôt que d’être dans un discours musical « académique », quitte à avoir un résultat « imparfait ». Par exemple, beaucoup de morceaux ont leur fin en forme de crescendo, ce qui n’est pas vraiment optimal. Mais c’est cohérent dans le cadre de mon récit, c’est un parti-pris. 
Cela ne m’empêchera pas bien sur de continuer à faire vivre cette musique en live, je ne m’interdirai pas de la restructurer. 

JC.fr : D’un point de vue purement musical, ton album est construit en deux parties. Qu’est-ce qui les caractérise et comment les différentes pistes font ressortir ces caractéristiques ? 

MV : La première partie correspond à l’immersion, le nuage qui nous ramène à soi, l’enfant, l’être primitif. La seconde partie est le retour à la réalité, les épreuves, tout ce qui nous construit dans le présent. Cela se traduit par un premier morceau qui émerge d’un brouillard sonore, en piano solo, qui synthétise toutes mes influences héritées de la musique savante (Rachmaninov, les impressionnistes français…). La deuxième partie attache beaucoup plus d’importance au rythme, tes pieds et ton cœur marchent et battent à vitesse constante, mais accélèrent ou ralentissent en même temps grâce aux polyrythmies…
Au niveau de l’harmonie, comme la première partie fait référence à l’enfance, elle est plutôt simple, imprégnée de l’esprit pop (c’est très fort dans Résurgence). C’est pour cela qu’il y a beaucoup d’alternance d’homonymes majeurs et mineurs dans les grilles d’accords, des accords majeurs add9 avec la 3ce à la basse… C’est vraiment caractéristique de la pop, de ce que j’en ai retenu en tout cas.
Dans la seconde partie, c’est beaucoup plus complexe, Hard Walk par exemple a une mélodie plutôt simple mais sa grille frôle l’impossible ! Je me retrouve un peu en difficulté mais c’est voulu, cela fait partie du morceau. Ce serait étrange si j’étais vraiment confortable avec la grille dans mon improvisation, vis à vis de l’histoire que j’y raconte. 

JC.fr : Des choses prévues pour la suite ? 

MV : J’ai envie de faire intervenir la voix dans mes futurs projets. Le piano est un instrument aux possibilités quasi-illimitées, mais un pianiste ne peut pas traiter le son dans la durée, quand il appuie sur une touche, la note meurt avant d’avoir pu s’épanouir complètement. Alors que la voix, le souffle, c’est l’expression la plus pure du son d’un individu… C’est pour cela que je chante sur la Berceuse et Black Hole, et que je ressens le besoin de travailler en quartet avec un saxophone pour mon nouveau projet Elementia à venir…

J’espère que cette interview vous a donné envie de découvrir NEBULA et la musique de Michaël Vigneron plus en détails.
L’album en format digital est disponible en téléchargement gratuitement pour toute la durée du confinement à cette adresse :

https://michaelvigneron.bandcamp.com

(Un format physique est également disponible à l’achat)

Pour écouter NEBULA sur une autre plateforme (Spotify, Deezer, Qobuz…) : https://Wiseband.lnk.to/Michael-Vigneron-NEBULA

Pour en savoir plus sur Michaël : michaelvigneron.com

Pour en savoir plus sur son label Hostel Records : hostelrecordslabel.com

*Sous réserve de prolongation du confinement, les Release Party de NEBULA se dérouleront à Paris le 30 avril au Sunset Sunside et à Rennes le 26 mai à l’Hôtel Dieu, avec comme invité le pianiste Laurent Coulondre.

Merci de votre lecture, partagez l’article s’il vous a plu !

La pub What’s App qui ne GROOVE PAS

Un jour ordinaire, je suis tranquillement en train de regarder deux ou trois vidéos sur Youtube. Soudain, je suis interrompu par une pub pour l’application What’s App. Sa musique est plutôt entraînante, c’est du swing, ce qui est plutôt rare, et j’en écoute un petit bout. Assez pour me rendre compte qu’au niveau basse/batterie… ça ne marche pas. Quelque chose me dérange, me met mal à l’aise, et je me rends compte que ça ne groove pas. La pub passe, je reprends mon visionnage, et j’oublie rapidement sa bande-son pas terrible. 

Cette anecdote semble à priori sans importance, sauf que cette satanée pub passe et repasse dans mes oreilles, jour après jour. Je l’ai bien entendue une cinquantaine de fois, en quelque mois ! Si bien que j’en connais maintenant les moindres détails, ce qui est plutôt inquiétant…

Vous n’avez peut-être pas cette musique en tête, en voici un extrait que j’ai pu enregistrer :

Avez-vous remarqué que quelque chose ne fonctionne pas ? Pas de panique, nous y viendrons bien assez vite.

Vous faites peut-être partie des chanceux qui ont été épargnés par le matraquage répété de cette pub sur les réseaux sociaux… Malheureusement, vous avez quand même toutes vos raisons d’être inquiet, car votre esprit a lui-aussi été marqué au fer rouge par des jingles publicitaires.

Si je vous demande de penser à la marque McDonalds, vous entendrez à coup sûr 5 petites notes résonner dans votre tête. Pour ma part, je me rappelle très bien des phrases catchy qui ponctuaient les réclames de certaines marques comme Findus, Eau écaralte, Calgon, William Saurin… Je m’arrête ici. 

Pourquoi je vous raconte tout cela ? 

En jazz, tout le monde s’accorde à dire que la première étape pour apprendre à jouer cette musique, c’est de s’en imprégner. Notamment en écoutant jusqu’à plus soif !
De cette manière, on peut en apprendre inconsciemment les moindres subtilités rythmiques, mélodiques, émotionnelles…

De plus, l’environnement musical qui nous entoure a une influence sur la manière dont nous concevons la musique. Si nous sommes immergés dans du « bon » son, nos exigences et ce que nous allons vouloir jouer vont se calibrer là-dessus.
Mais si nous passons notre temps dans un univers musical qui ne groove pas… Il y a peu de chances que le talent nous tombe dessus, par miracle.

De plus, l’apprentissage via la répétition est à coup sûr une part importante de toute pratique musicale, il est conseillé, quand on apprend un standard, d’en écouter une cinquantaine de versions pour bien l’avoir dans l’oreille, par exemple.

Ce qui me mène à ma fameuse pub qui ne groove pas. En envahissant notre univers musical, et via son matraquage répété, cette pub nous laisse peu à peu une empreinte néfaste sur la manière dont nous percevons le groove, inconsciemment…

D’où ma démarche ! Apprenons à apprécier les bonnes choses, et à repousser les mauvaises ! Pour ce faire, nous allons faire en sorte dans cet article de rendre à la rythmique ses lettres de noblesses. Intéressons nous à cette pub de plus près.

La reconstitution de l’arme du crime

Cette pub est malheureusement introuvable sur le net, j’ai enregistré le fragment que je vous ai montré ci-dessus avec mon téléphone… Impossible donc d’avoir un audio de qualité. Cependant, en tendant l’oreille, on peut tout de même entendre ce qui ne va pas lorsque la basse et la batterie se retrouvent seules :

J’ai reproduit la boucle à l’identique sur Ableton, écoutez plutôt :

Cette reconstitution va nous permettre de mieux comprendre ce qui se passe, et surtout de pouvoir modifier différents paramètres, comme le placement des rythmes, et la vélocité (ou nuance) des impacts.

Concentrons nous maintenant sur un point crucial de cette rythmique : son style et sa provenance.

D’où vient l’arme du crime

Ce type de rythme de batterie et de riff de basse m’a directement fait penser au groove Jungle de Gene Krupa sur son Sing Sing Sing, ici avec l’orchestre de Benny Goodman : 

Je ne serais pas étonné d’apprendre que le compositeur de cette pub se soit inspiré de ce type de rythmique. À la seule différence que Sing Sing Sing, ça groove !
Faisons un petit travail d’analyse, afin de savoir pourquoi. 

Premièrement, que pouvez-vous me dire sur la subdivision du temps ? C’est plutôt Swing non ? J’explique dans cet article ce qu’est le swing et les différentes formes que l’on peut rencontrer. 

Que pouvez-vous me dire des temps forts ? Vous savez, les temps accentués d’une mesure, ces points d’appui qui font avancer et danser le rythme.
Ici, Gene Krupa accentue et avance sur les 2e et 4e temps de la mesure : 

Enfin, Krupa joue-t-il tous ses impacts de la même manière ? Non, certains ressortent légèrement plus que d’autres, selon les mesures. Ces micro-variations de vélocité entre deux mêmes coups distinguent l’homme de la machine et donnent vie au groove.

Toutes ces informations vont nous permettre de comprendre l’ADN de ce type de rythmique.
Comparons maintenant avec la musique de la pub What’s App. 

Pourquoi la pub ne groove pas

Réécoutons la pub, en nous concentrant sur les 3 critères que nous avons définis : 

  • Les croches sont-elles swinguées ?
  • Quels temps forts sont accentués ? Les 2e et 4e ou d’autres moins dansants ? 
  • Les impacts ont-ils tous la même valeur ?

Comme vous pouvez l’entendre, aucun des critères ne sont vraiment respectés. 

Premièrement, les croches swinguent, sauf sur le 4e temps. La seconde croche est tellement rapprochée du 1er temps de la mesure suivante qu’elle en devient une double-croche

Cela concerne surtout la partie de grosse caisse, qui ressort d’avantage car elle est doublée homo-rythmiquement par la contrebasse.

Ensuite, même si une caisse claire en rimshot marque les 2e et 4e temps de la mesure, ils ne sont pour autant pas vraiment accentués, et par endroits, c’est le premier temps de la mesure qui prédomine !

Enfin, les autres coups sont joués avec le même son et la même vélocité, ce qui renforce le côté mécanique ou « figé » du groove.

Rectifions tout cela 

Premièrement, replaçons la 2nde croche du 4e temps à sa place : 

Ensuite, enlevons l’accent des 1er temps des mesures, et renforçons un peu les 2 et 4 : 

Puis, donnons un peu de vie à l’intérieur du groove, en accentuant de manière aléatoire les 2nde croche du 3e temps et du 4e temps : 

(Excusez la notation des accents qui n’est pas la bonne, c’est simplement pour mieux illustrer mon exemple !)

Voilà, comparons ce dernier audio avec le premier : 

(Avant : )

(Après : )

Ça groove quand même plus non ? 

Conclusion

Victoire ! Nous avons réussi à faire groover (un peu plus…!) cette satanée pub.

Vous aussi, dorénavant, posez-vous ces questions quand une rythmique croise votre oreille :

  • Si je ne l’ai jamais entendue, quelles sont ses racines ?
  • Quelle est la subdivision du temps ? Le temps est-il binaire, ternaire, entre les deux ?
  • Quels sont les points d’appuis de ce rythme, ses temps forts ?
  • Y a t il une variation dans les impacts ? Une clave particulière ?

Et encore, je ne vous ai pas parlé du placement, point essentiel là encore…

En tout cas, partagez cet article en masse pour que le monde de la publicité arrête de polluer notre environnement musical !

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Image de couverture : Logo de la messagerie What’s App. 30 décembre 2014. Юкатан, WhatsApp Media. Domaine Public