Un jour ordinaire, je suis tranquillement en train de regarder deux ou trois vidéos sur Youtube. Soudain, je suis interrompu par une pub pour l’application What’s App. Sa musique est plutôt entraînante, c’est du swing, ce qui est plutôt rare, et j’en écoute un petit bout. Assez pour me rendre compte qu’au niveau basse/batterie… ça ne marche pas. Quelque chose me dérange, me met mal à l’aise, et je me rends compte que ça ne groove pas. La pub passe, je reprends mon visionnage, et j’oublie rapidement sa bande-son pas terrible.
Cette anecdote semble à priori sans importance, sauf que cette satanée pub passe et repasse dans mes oreilles, jour après jour. Je l’ai bien entendue une cinquantaine de fois, en quelque mois ! Si bien que j’en connais maintenant les moindres détails, ce qui est plutôt inquiétant…
Vous n’avez peut-être pas cette musique en tête, en voici un extrait que j’ai pu enregistrer :
Avez-vous remarqué que quelque chose ne fonctionne pas ? Pas de panique, nous y viendrons bien assez vite.
Vous faites peut-être partie des chanceux qui ont été épargnés par le matraquage répété de cette pub sur les réseaux sociaux… Malheureusement, vous avez quand même toutes vos raisons d’être inquiet, car votre esprit a lui-aussi été marqué au fer rouge par des jingles publicitaires.
Si je vous demande de penser à la marque McDonalds, vous entendrez à coup sûr 5 petites notes résonner dans votre tête. Pour ma part, je me rappelle très bien des phrases catchy qui ponctuaient les réclames de certaines marques comme Findus, Eau écaralte, Calgon, William Saurin… Je m’arrête ici.
Pourquoi je vous raconte tout cela ?
En jazz, tout le monde s’accorde à dire que la première étape pour apprendre à jouer cette musique, c’est de s’en imprégner. Notamment en écoutant jusqu’à plus soif ! De cette manière, on peut en apprendre inconsciemment les moindres subtilités rythmiques, mélodiques, émotionnelles…
De plus, l’environnement musical qui nous entoure a une influence sur la manière dont nous concevons la musique. Si nous sommes immergés dans du « bon » son, nos exigences et ce que nous allons vouloir jouer vont se calibrer là-dessus. Mais si nous passons notre temps dans un univers musical qui ne groove pas… Il y a peu de chances que le talent nous tombe dessus, par miracle.
De plus, l’apprentissage via la répétition est à coup sûr une part importante de toute pratique musicale, il est conseillé, quand on apprend un standard, d’en écouter une cinquantaine de versions pour bien l’avoir dans l’oreille, par exemple.
Ce qui me mène à ma fameuse pub qui ne groove pas. En envahissant notre univers musical, et via son matraquage répété, cette pub nous laisse peu à peu une empreinte néfaste sur la manière dont nous percevons le groove, inconsciemment…
D’où ma démarche ! Apprenons à apprécier les bonnes choses, et à repousser les mauvaises ! Pour ce faire, nous allons faire en sorte dans cet article de rendre à la rythmique ses lettres de noblesses. Intéressons nous à cette pub de plus près.
La reconstitution de l’arme du crime
Cette pub est malheureusement introuvable sur le net, j’ai enregistré le fragment que je vous ai montré ci-dessus avec mon téléphone… Impossible donc d’avoir un audio de qualité. Cependant, en tendant l’oreille, on peut tout de même entendre ce qui ne va pas lorsque la basse et la batterie se retrouvent seules :
J’ai reproduit la boucle à l’identique sur Ableton, écoutez plutôt :
Cette reconstitution va nous permettre de mieux comprendre ce qui se passe, et surtout de pouvoir modifier différents paramètres, comme le placement des rythmes, et la vélocité (ou nuance) des impacts.
Concentrons nous maintenant sur un point crucial de cette rythmique : son style et sa provenance.
D’où vient l’arme du crime
Ce type de rythme de batterie et de riff de basse m’a directement fait penser au groove Jungle de Gene Krupa sur son Sing Sing Sing, ici avec l’orchestre de Benny Goodman :
Je ne serais pas étonné d’apprendre que le compositeur de cette pub se soit inspiré de ce type de rythmique. À la seule différence que Sing Sing Sing, ça groove ! Faisons un petit travail d’analyse, afin de savoir pourquoi.
Premièrement, que pouvez-vous me dire sur la subdivision du temps ? C’est plutôt Swing non ? J’explique dans cet article ce qu’est le swing et les différentes formes que l’on peut rencontrer.
Que pouvez-vous me dire des temps forts ? Vous savez, les temps accentués d’une mesure, ces points d’appui qui font avancer et danser le rythme. Ici, Gene Krupa accentue et avance sur les 2e et 4e temps de la mesure :
Enfin, Krupa joue-t-il tous ses impacts de la même manière ? Non, certains ressortent légèrement plus que d’autres, selon les mesures. Ces micro-variations de vélocité entre deux mêmes coups distinguent l’homme de la machine et donnent vie au groove.
Toutes ces informations vont nous permettre de comprendre l’ADN de ce type de rythmique. Comparons maintenant avec la musique de la pub What’s App.
Pourquoi la pub ne groove pas
Réécoutons la pub, en nous concentrant sur les 3 critères que nous avons définis :
Les croches sont-elles swinguées ?
Quels temps forts sont accentués ? Les 2e et 4e ou d’autres moins dansants ?
Les impacts ont-ils tous la même valeur ?
Comme vous pouvez l’entendre, aucun des critères ne sont vraiment respectés.
Premièrement, les croches swinguent, sauf sur le 4e temps. La seconde croche est tellement rapprochée du 1er temps de la mesure suivante qu’elle en devient une double-croche :
Cela concerne surtout la partie de grosse caisse, qui ressort d’avantage car elle est doublée homo-rythmiquement par la contrebasse.
Ensuite, même si une caisse claire en rimshot marque les 2e et 4e temps de la mesure, ils ne sont pour autant pas vraiment accentués, et par endroits, c’est le premier temps de la mesure qui prédomine !
Enfin, les autres coups sont joués avec le même son et la même vélocité, ce qui renforce le côté mécanique ou « figé » du groove.
Rectifions tout cela
Premièrement, replaçons la 2nde croche du 4e temps à sa place :
Ensuite, enlevons l’accent des 1er temps des mesures, et renforçons un peu les 2 et 4 :
Puis, donnons un peu de vie à l’intérieur du groove, en accentuant de manière aléatoire les 2nde croche du 3e temps et du 4e temps :
(Excusez la notation des accents qui n’est pas la bonne, c’est simplement pour mieux illustrer mon exemple !)
Voilà, comparons ce dernier audio avec le premier :
(Avant : )
(Après : )
Ça groove quand même plus non ?
Conclusion
Victoire ! Nous avons réussi à faire groover (un peu plus…!) cette satanée pub.
Vous aussi, dorénavant, posez-vous ces questions quand une rythmique croise votre oreille :
Si je ne l’ai jamais entendue, quelles sont ses racines ?
Quelle est la subdivision du temps ? Le temps est-il binaire, ternaire, entre les deux ?
Quels sont les points d’appuis de ce rythme, ses temps forts ?
Y a t il une variation dans les impacts ? Une clave particulière ?
Et encore, je ne vous ai pas parlé du placement, point essentiel là encore…
En tout cas, partagez cet article en masse pour que le monde de la publicité arrête de polluer notre environnement musical !
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Dans la première partie de cette série d’articles sur la tonalité mineure, je vous présentais tout ce dont vous aviez besoin pour comprendre la théorie qui se cache derrière ce type de morceaux. En conclusion, je vous indiquais la manière dont le ii V I mineur est le plus communément joué sur les disques de jazz les plus célèbres. Aujourd’hui, je vais me concentrer sur le Ve degré de la tonalité mineure. « Pour quelle raison ? » me direz-vous…
Eh bien ce Ve degré m’a donné du fil à retordre. Comme vous allez le découvrir, sa couleur d’accord n’est pas du tout la même que celle du Ve degré de la tonalité majeure. Ensuite, le mode à utilisé sur cet accord est aussi très compliqué, il a beaucoup d’altérations et une échelle d’intervalle plutôt bizarre… Enfin, nous verrons que ce Ve degré n’est pas joué de la même manière selon que l’on improvise ou que l’on accompagne !!
J’ai donc mis un temps fou à comprendre ces spécificités en me documentant, repiquant, analysant, jouant tout ce qu’il faut pour maîtriser cette infime partie de la théorie du jazz…
Ne vous découragez pas devant l’ampleur de la tâche à accomplir…au contraire ! La lecture de cet article va vous éviter de passer des heures et des heures à éplucher des bouquins de théorie ou à visionner des vidéos de jazzmen anglophones obscurs… Ainsi, à la fin de votre lecture, vous n’aurez plus qu’à appliquer les conseils que je vous donne, et je vous promets que vous sonnerez (au moins !) aussi bien que Clifford Brown, ou Bill Evans… !
Pourquoi un mode si alambiqué pour le Ve degré de la tonalité mineure ?
Reposons le cadre. Nous sommes dans un morceau en Do mineur. Lors de ma première partie, je vous présentait le ii V i mineur « basique » :
ii V i -> D-7b5 G7b9 C-6
Avec :
ii : D-7b5 : mode locrien
V : G7b9 : mode mixolydien b9b13
i : C-6 : mode mineur-majeur
« Mixolydien bémol neuf bémol quoi ?? » Le mode Mixolydien b9b13 (mixo b9b13 pour les intimes) nous cause bien des soucis… Ce mode est issu de la gamme mineure harmonique (cf article précédent). Ainsi, il ne tombe pas aisément sous les doigts, principalement à causes de ses altérations de 9e et 13e, mais aussi de l’intervalle de seconde augmentée entre la b2 (ou b9) et la 3ce Maj :
Mais pourquoi utiliser un mode si compliqué pour notre Ve degré ? Un simple mixolydien ne fait pas l’affaire, comme pour les Ve degré de la tonalité majeure ? Les tétrades des deux modes sont pourtant similaires (G7 : Sol Si Ré Fa), et fonctionnent dans un ii V i mineur :
Le mode mixolydien pose problème dès que l’on ajoute ses extensions. Dès que sa neuvième majeure (La) et sa treizième majeure (Mi) sont empilées sur sa tétrade G7, voici ce que ça donne :
Cela vous paraît il bizarre ? À moi, oui… !
En fait, il faut considérer les deux notes que l’on vient d’ajouter dans le contexte de la tonalité dans laquelle on se trouve, Do mineur. Les notes qui colorent le plus cette tonalité sont les 3ce et 6te mineures de la gamme (Mi bémol et La bémol), qu’on peut retrouver dans les gammes mineures harmonique et naturelle. Or, ajouter au Ve degré des extensions venant du mode mixolydien fait apparaître dans la cadence les 3ce et 6te majeures de la tonalité, La et Mi. Ces notes sont caractéristiques d’une couleur majeure, les ajouter au Ve degré sous forme d’extensions revient donc à annoncer une résolution vers un premier degré… majeur.
Cela explique donc pourquoi le mode mixolydien semble aussi déplacé dans une cadence mineure.
L’intérêt du mode mixo b9b13, c’est que, comme son nom l’indique, on ajoute les b9 et b13 à la tétrade de base :
C’est beaucoup mieux pour le Ve degré de la tonalité mineure… Mais, malheureusement, ces explications n’enlèvent rien à la difficulté du mode ! Pas de panique, comme je vous le disais plus haut, le célèbre trompettiste Clifford Brown va nous montrer une astuce pour simplifier les choses…
La substitution maline qu’utilise Clifford Brown pour se simplifier la vie sur le Ve degré de la tonalité mineure
Chose promise, chose due, voici trois phrases de Brown jouées sur des ii V i mineurs. Saurez-vous trouver leur point commun ? :
Il se fond parfaitement dans les phrases, mais il est pourtant bien là : Brown utilise un arpège diminué pour faire sonner le mode mixo b9 b13.
L’utilisation de cette couleur diminuée a une explication théorique logique.
Rappelez vous, dans le précédent article, nous avions dressé la liste des degrés de la gamme mineure harmonique (d’où est tiré notre mode mixo b9b13). Le viie degré de la gamme, qui était, comme le Ve, de fonction dominante, a une couleur d’accord… Diminuée !
En Do mineur, le Ve degré G7(b9) peut donc être substitué par le viie degré, B°. Cela se voit beaucoup en musique savante. Et, en jazz, cela permet très facilement d’arrêter de se prendre les pieds dans le tapis au moment de jouer notre Ve degré de la tonalité mineure.
Est-ce facile pour autant ? Eh bien, pas besoin de faire 3 équations à double inconnues pour trouver comment jouer cette substitution à partir de notre Ve degré :
L’accord diminué du viie degré démarre sur la 3ce Majeure du Ve degré, et ses 3 autres notes sont situées à des intervalles de 3ce mineures
Démonstration avec G7b9 :
Essayez de chanter les 4 notes de B° en jouant un Sol grave au piano. Vous n’avez plus qu’à terminer votre début de phrase par une résolution sur le ier degré (C-), et vous aurez compris la puissance mélodique de cet outil.
Les pianistes et guitaristes utilisent-ils aussi cette technique dans leurs accompagnements ? Après tout, c’est possible et plutôt facile de le faire :
Pourtant, dans la réalité, c’est tout autre chose qui se produit. Cette option semble délaissée par les accompagnateurs qui préfèrent faire appel à un tout autre mode pour jouer le Ve degré de la tonalité mineure : le mode Altéré.
La star des couleurs d’accord du Ve degré de la tonalité mineure : 7alt
Rappelez-vous, j’avais conclu mon précédent article en vous annonçant que la gamme mineure mélodique nous réservait bien des surprises… Son premier degré nous avait apporté la couleur -6, qui est la plus prisée par les jazzmen. Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est le mode donné par son septième degré, le mode super-locrien, plus communément appelé mode Altéré :
Si vous voulez en savoir plus sur ce mode, téléchargez mon Ebook gratuit Les Fiches d’Identité des Modes. Vous y trouverez quelques informations supplémentaires, comme des exemples de morceaux qui l’utilisent, son échelle d’intervalles, et aussi un voicing et une phrase de jazzman que j’ai retranscrit spécialement pour l’occasion.
Le mode Altéré est similaire à un mode locrien dont on a diminué la quarte. La 4te dim est en fait enharmoniquement similaire à une 3ce majeure, ce qui rend le mode terriblement instable, car il contient déjà une 3ce… mineure !
L’oreille se fiche des noms des notes et l’illusion de la 3ce majeure l’emporte contre la « vraie » 3ce mineure. Cette dernière est perçue comme étant une extension, enharmoniquement la #2 (ou #9) !
Voici donc le « vrai » mode altéré et le mode altéré « perçu » par l’oreille :
Si je vous raconte tout cela, c’est bien entendu parce que les jazzmen utilisent la seconde version, qui donne un accord pour le moins… explosif :
Les jazzmen ne jouent pas toutes les extensions, et préfèrent garder la #11 (ou b5) pour une autre occasion, que je vous présenterai sans doute dans un autre article. Cela nous laisse avec 6 notes qui forment un accord 7b9#9b13 (sans la quinte), que l’on simplifie avec cette écriture : 7alt.
Vous pouvez entendre un exemple de l’utilisation du mode altéré sur le Ve degré de la tonalité mineure dès les premières minutes de l’album Chet Baker Sings :
En voici un autre exemple, cette fois-ci de Bill Evans, avec les premières secondes du morceau Gloria’s Steps :
Le son de la #9 est reconnaissable entre mille dans ce type d’accords (en top-note dans les deux exemples, ce qui accentue son importance). C’est une des notes caractéristiques du mode altéré, avec la b9 et la b13. (Les plus attentifs auront d’ailleurs remarqué que je l’ai écrite avec la note de la 3ce mineure, son enharmonie, ce qui est mélodiquement plus pratique à lire.)
Vous devez donc être préparé à faire face au mode Altéré ! Miles Davis, par exemple, a du travailler ses ii V i mineurs avec cette idée en tête :
Michel Petrucciani aussi :
Et je pourrais vous citer encore et encore des centaines de choses que j’entends quotidiennement !
Et voilà !
Dans cet article vous avez appris à slalomer entre les pièges du Ve degré de la tonalité mineure.
Grâce à Clifford Brown, vous savez comment une simple substitution permet de simplifier considérablement le mode mixo b9b13. Vous savez aussi comment sonner comme tous les pianistes et guitaristes qui sévissent à partir des années 50 grâce à un mode à première vue obscur, le mode Altéré.
Deux pistes de travail peuvent maintenant enrichir votre jeu. Il ne vous reste plus qu’à sortir votre instrument de sa housse et votre play-back de ii V i mineur, et travailler ces deux choses. Même si lire cet article vous a fait gagner tout le temps de recherche et d’analyse, vous ne pourrez vous améliorer qu’en appliquant mes découvertes dans votre pratique.
Alors au boulot !
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Image de couverture : Photo of jazz trumpeter Clifford Brown, September 15, 1956 Published in The News Journal, page 39, Associated Booking Corporation (management). Domaine Public.
Si vous êtes un lecteur assidu de Jazzcomposer.fr, vous savez comment fonctionne un morceau à tonalité majeure. En effet, dans un précédent article, nous avons étudié la gamme majeure, listé ses degrés, analysé leurs couleurs, et même dessiné un superbe schéma qui les organise visuellement. Ce travail a pour but de vous aider à mieux comprendre les morceaux que vous jouez. Ainsi, vous les interpréterez d’une meilleure manière, vous pourrez les réarranger, ou en composer de semblables. Cependant, il faut que nous parlions ensemble des morceaux à tonalité mineure.
En effet, si vous avez déjà joué un morceau de ce type, vous savez que l’exercice est plus complexe que pour les morceaux à tonalité majeure. Les accords sont hérissés d’altérations, les progressions comportent des degrés qui ne sont pas dans la gamme mineure, l’harmonie a l’air de moduler constamment ..
Afin de pouvoir improviser comme Charlie Parker, Bill Evans, ou n’importe quel autre grand jazzman sur ces progressions, il faut d’abord comprendre d’où en proviennent les accords. C’est pourquoi nous allons faire la même manipulation que dans mon article sur la tonalité majeure : prendre une gamme mineure, en tirer des degrés, leur assigner des fonctions… Même si tout ne va pas se dérouler comme prévu !
La gamme mineure naturelle
Dans cet article, je vais considérer que notre tonalité est Do mineur. Notre centre tonal est donc Do, tous mes exemples seront dans cet tonalité, sauf contre-indication.
Si je vous demande de me chanter une gamme mineure, vous allez sans aucun doute choisir ces notes :
Il s’agit de la gamme mineure naturelle, c’est la première que l’on nous montre en cours de solfège, celle que nous avons le mieux dans l’oreille.
Voici son échelle d’intervalles :
2nde Maj
3ce min
4te juste
5te juste
6te min
7e min
Si vous avez lu mon Ebook Les Fiches d’Identité des Modes, vous avez remarqué que cette échelle est similaire à celle du 6e mode de la gamme majeure, le mode aeolien.
Le mode aeolien est le mode de La, pour se souvenir de son échelle d’intervalle, il vous suffit de visualiser les touches blanches du piano en commençant par cette note. Les notes de cette gamme mineure peuvent donc être réorganisées pour former une gamme majeure, qu’on appellera son relatif majeur.
Ce schéma me permet de justifier l’assignation de leurs modes aux différents degrés de la gamme mineure naturelle, puisqu’ils correspondent à ceux du relatif majeur que vous connaissez déjà.
Les degrés de la gamme mineure naturelle et leurs différentes fonctions
Voici donc les différents degrés de notre gamme harmonisés à 4 voix :
Assignons maintenant à ces degrés les 3 fonctions tonales, à savoir :
Tonique
Sous-dominante
Dominante
Nous allons classer nos degrés dans ces catégories selon qu’ils créent ou non une instabilité harmonique par rapport à notre ier degré. Les accords de fonction tonique ne comportent aucune note dissonante, ceux de fonction sous-dominante comporte la Sixte mineure* et ceux de fonction dominante, la Sensible (ou 7e maj).
*Dans le cadre de la tonalité majeure, la note caractéristique de la fonction sous-dominante était la Quarte juste. Elle créait une instabilité car elle était très proche de la tierce majeure. La tierce a été minorisée pour la tonalité mineure, le conflit avec la quarte est donc apaisé. Par contre, la Sixte a aussi été abaissée d’un demi-ton, créant à nouveau des tensions, cette fois-ci avec la quinte juste. Tout accord la comportant est donc de fonction sous dominante.
Assignons donc aux degrés de la gamme mineure naturelle leurs fonctions :
Fonction Tonique : i, bIII
Sous-Dominante : ii-7b5, iv-7, bVI, bVII
Dominante : /
Comme vous pouvez le voir, il y a un problème de taille avec la gamme mineure naturelle… Elle ne contient pas de sensible, sa Septième est mineure au lieu de majeure ! Cette note est aussi la 3ce du Ve degré, qui se retrouve avec une couleur -7. Or, le Ve degré est sensé être instable harmoniquement, à cause de l’intervalle de 5te diminuée entre sa 7e et sa 3ceMaj. Sans cette dissonance, la cadence V -> I n’est plus satisfaisante, écoutez plutôt :
G-7 -> C-G7 -> C-
Laquelle de ces deux cadences vous paraît la plus conclusive ?
Si tout va bien… la seconde !
Il faut donc remplacer la 7e mineure de la gamme mineure naturelle par une 7e Majeure. Cela nous donne une nouvelle gamme :
La gamme mineure harmonique
Pas si vite ! Avant de regarder sur la partition située ci-dessous, essayez de trouver les notes de Do mineur harmonique. Je vous rappelle que la seule différence entre les gammes mineures harmonique et naturelle est la 7e, réhaussée d’un demi-ton.
Harmonisons ses degrés :
Comme vous pouvez le voir, l’apparition de la sensible change beaucoup de choses au niveau des couleurs des accords. Les Ve et viie degrés peuvent maintenant rejoindre la fonction dominante, ce qui va nous permettre de créer nos premières cadences mineures.
Voici une liste des degrés principaux que nous allons utiliser dans nos progressions mineures (avec leurs fonctions) :
Le ii V i mineur
Regardons à nouveau nos degrés, et visualisons les sur le schéma de l’harmonie tonale, vu dans cet article :
Maintenant que nous y voyons plus clair, intéressons nous à la cadence ii V i.
ii – V -> i = ii-7b5 – V7b9 -> i-7
C’est plus alambiqué qu’en tonalité majeure. Les modes de base pour ces degrés sont donc le mode locrienpour le iind degré (2nd mode de la gamme mineure naturelle) et le mode mixolydien b9 b13 pour le Ve degré (5e mode de la gamme mineure harmonique).
Pour bien distinguer les Ve degrés majeurs des Ve degrés mineurs, on note V7b9 pour indiquer l’appartenance à une tonalité mineure. Comprendre ceci m’a ouvert les yeux sur beaucoup de choses :
« Ah mais c’est pour ça que dans le Realbook, certains Ve degrés sont notés V7b9…«
Écoutons donc le son du ii V I mineur :
Sur le papier, c’est bon, mais en pratique… Personne ne joue cette cadence comme cela ! En fait, la résolution sur le I-7 est un peu… molassonne. Et ça, c’est à cause de la 7e mineure de la gamme mineure naturelle. Elle adoucit un peu la couleur mineure.
La gamme mineure harmonique nous avait donné une autre possibilité de couleur pour le Ier degré, la couleur -maj7. Écoutez plutôt :
C’est carrément dissonant, un peu trop torturé ! Existe t’il une autre option ? Oui, nous pouvons nous cantonner à jouer un premier degré mineur à seulement 3 sons :
C’est correct, mais les jazzmen ont trouvé une 4e option, plus riche harmoniquement. Pour ce faire, nous devons faire appel à une 3e gamme mineure.
La Gamme mineure mélodique
En réhaussant la 7e de la gamme mineure naturelle pour créer l’harmonique, nous avions créé un intervalle de seconde augmentée entre cette 7e min et la 6te min. Ce « dommage collatéral » se révèle malheureusement difficile à faire sonner. Pour résoudre ce problème, il faut majoriser la sixte. Cette opération crée une nouvelle gamme mineure, dite « mélodique » :
La toute nouvelle 6te Maj va nous permettre de résoudre nos problèmes de couleur de ier degré. Dans l’accord, on la substitue à la 7e Maj, ce qui nous donne un compromis entre douceur et dissonance :
La gamme mineure mélodique vient donc de nous sauver la mise, mais nous verrons lors de la 2nde partie que l’apparition de la 6te Maj va faire bien plus que cela.
Voici donc notre ii V i mineur :
ii – V -> i = ii-7b5 – V7b9 -> i-6
Conclusion
Comme vous avez pu le voir, tout ne s’est pas déroulé comme prévu dans notre découverte de la tonalité mineure !
Afin de créer notre première cadence mineure, un ii V i basique, j’ai dû faire appel à pas moins de trois gammes différentes :
La Gamme mineure naturelle (qui nous donne le ii-7b5)
La Gamme mineure harmonique (qui nous donne le V7b9)
Et la Gamme mineure mélodique (qui nous donne le i-6)
Qu’à cela ne tienne, cette complexité que j’ai tenté de vous simplifier dans cet article est le prix à payer pour jouer comme les plus grands.
La gamme blues ? Vous l’avez sur le bout des doigts. La grille de blues ? 3 accords, un ii V I, facile. Le blues, vous connaissez, donc. Mais comment se fait-il qu’au bout d’une demi-douzaine de grilles vous avez le sentiment d’avoir tout dit ? Que vous n’avez plus d’inspiration ?
Personnellement, je me souviens avoir ressenti cette impression désagréable lors d’une jam :
«Deux saxs me précèdent, la rythmique est un peu à bout et je fais tout mon possible pour trouver des idées. Je me rends vite compte que je réutilise des phrases que j’ai jouées quelques minutes plus tôt, et que les musiciens de la rythmique se lassent et aimeraient bien que je termine mon chorus pour aller boire une bière ! »
Si nous n’arrivons pas à renouveler nos idées, c’est souvent parce que nous sommes limités dans notre vocabulaire. Et cela transparaît d’autant plus sur un format court comme la grille de blues.
Devant ce constat, mon premier réflexe a été de puiser de l’inspiration dans les disques des grands jazzmen, qui maîtrisent si bien le blues.
Aujourd’hui, je vous partage une de mes découvertes, tirée de mes analyses du jeu de Wynton Kelly :
Celui de Wes Montgomery :
Ou encore d’Oscar Peterson :
Le point commun entre les phrases ci-dessus ? Elles font appel à la Sixte (ou 13e) de l’accord 7 du blues.
La Sixte dans la Gamme blues majeure
La Sixte est la note située à 4 tons du centre tonal. Dans un blues en Do, c’est la note La.
C’est une note pleine de couleur, qui n’est pas aussi évidente à entendre que la tonique, la tierce, ou la quinte par exemple.
Il existe une manière simple de la faire entendre dans le contexte du blues, il suffit d’utiliser la gamme blues majeure, qui la contient :
La gamme blues « majeure » est construite à partir de la gamme pentatonique majeure, à laquelle on rajoute une blue note, la #9 (en Do : Ré#). Je vous en avais déjà parlé dans cet articlesur la composition du blues.
Voici la phrase d’Oscar Peterson que je vous ai montrée ci-dessus :
Cette phrase montre bien la puissance de la Sixte, mise en valeur ici sur un temps fort, le 4e temps de la première mesure, en l’approchant par une phrase au mouvement ascendant, et en la gardant en top note pendant qu’une seconde voix poursuit la phrase dans la seconde mesure. Les notes de cette seconde mesure forment d’ailleurs un gimmick blues très utilisé par les plus grands… À piquer, donc.
L’opposition avec la Blue Note
Nous avons vu que la particularité de la gamme blues majeure est l’ajout d’une blue note, la seconde augmentée ou #9. Wes Montgomery nous montre une relation intéressante entre cette blue note et la Sixte dans cette phrase tirée de No Blues :
/!\ Nous sommes dans un blues en Fa, la blue note devrait être sol dièse, mais j’ai spontanément écrit un la bémol à la place. J’ai remplacé la seconde augmentée par la tierce mineure. Ces deux notes ont techniquement la même hauteur, mais sont notées différemment, on dit qu’elles sont enharmoniques. Dans ce contexte, La bémol me paraît plus facile à lire, donc ne paniquez pas, c’est bien la blue note !
Donc, l’intervalle entre la blue note et la Sixte est une 5te diminuée (dans l’ex: 4te aug). L’intervalle entre ces deux notes est de 3 tons, il est appelé le triton. C’est un intervalle très dissonant, qui incarne une opposition entre deux notes. Wes, dans l’exemple, ne cherche pas à adoucir cette tension et veut un clash harmonique. Il créé le contraste en jouant les deux notes l’une juste après l’autre, puis en finissant sur la tonique. Ce genre d’effets, jouant entre tension et relâchement contribue à rendre son jeu particulièrement riche au niveau harmonique.
Voilà donc deux exemples d’utilisation de la Sixte grâce la gamme blues majeure !
La Sixte dans le mode Mixolydien (accords sus4)
Toujours en écoutant Wes Montgomery, j’ai remarqué un procédé intéressant qu’il utilise dans plusieurs de ses chorus. En voici deux exemples, un dans No Blues et l’autre dans D Natural Blues :
Entendez vous la similarité entre les deux exemples ? En fait, Wes utilise une substitution commune des accords 7 qui composent les grilles de blues. Il leur donne une couleur 7sus4.
Petit rappel sur les accords 7sus4
Un accord suspendu est un accord majeur dont la quarte remplace la tierce :
Ce type d’accord est dérivé d’un mode, le cinquième mode de la gamme majeure, le mode mixolydien. Vous trouverez plus de détails là-dessus dans mon EBOOK gratuit « Les Fiches d’Identité des Modes« . Je pars du principe que vous parlez couramment le mixolydien, et passe donc les explications techniques.
Si on empile toutes les notes du mode mixolydien, en remplaçant la tierce par la quarte, cela donne un accord de couleur 13sus4.
Il existe une manière de simplifier ces accords 13sus4. Jetez à nouveau un oeil aux notes de l’accord ci-dessus, en particulier aux trois dernières notes.
Nous avons un F13sus4. Les trois dernières notes sont Mi bémol, Sol, et Ré. Si j’intercale la quarte, Si bémol, entre ces notes, cela donne : Mi bémol, Sol, Si bémol, Ré. Une tétrade de Mi bémol Majeur 7 !
Si on fait le chemin inverse, en prenant un accord de Ebmaj7 et en y ajoutant la basse Fa, nous avons un F13sus4 !
C’est très pratique pour s’en souvenir ! Quand on veut jouer un accord suspendu, on choisit une tonique, et on superpose l’accord maj7 qui se situe une seconde majeure en dessous de cette tonique.
Revenons à notre sujet, la Sixte. Dans notre exemple avec le F13sus4, c’est la note Ré. Si on pense le F13sus4 comme un Ebmaj7/F, la note Ré devient la septième majeure de Ebmaj7. Elle est contenue dans l’accord, ce qui la rend plus facile à entendre, et donc à jouer.
Et Wes semble raisonner de cette manière. Dans l’exemple que je vous remets ci-dessous, sur un F7, on peut remarquer qu’il attaque par la Sixte sur la première mesure. Il a ensuite l’idée de jouer l’arpège de Mi bémol majeur sur les 2e et 3e mesures, et faire apparaître la couleur suspendue :
La sixte est donc un « pivot » qui peut servir à jouer facilement de nouvelles couleurs, comme la couleur suspendue. L’utilisation de cette note est donc définitivement un atout quand on cherche de nouvelles idées dans un chorus de blues…
La Sixte dans le mode Lydien b7
Canonball Adderley va nous montrer une autre manière de se servir de la Sixte.
En réécoutant son chorus sur Freddie Freeloader, une de ses phrases m’a frappé :
C’est tendu non ? Mais, néanmoins, ça fonctionne ! En analysant on peut se rendre compte que Canonball joue un arpège de Abmaj7#5 sur le Bb7.
Abmaj7#5 = La bémol, Do, Mi bécarre, Sol.
Bb7 = mode Mixolydien = Si bémol, Do, Ré, Mi bémol, Fa, Sol, La bémol.
Le Abmaj7#5 apporte donc une nouvelle couleur sur le Bb7. Son Mi bécarre se substitue au Mi bémol du mode de Si bémol Mixolydien, ce qui le transforme en Si bémol Lydien bémol 7.
Petit rappel sur le mode Lydien bémol 7
Le mode Lydien bémol 7 est le 4e mode de la gamme mineure harmonique, il donne un accord 7#11 (ou 13#11 avec les extensions). Encore une fois, si vous voulez aller plus loin -> Les Fiches d’Identité des Modes.
Comme pour la couleur suspendue de tout à l’heure, il existe un moyen de simplifier les accords 13#11 pour pouvoir les jouer plus rapidement et facilement.
Prenons comme exemple le Bb7 de Canonball. Il joue les notes de Abmaj7#5, ce qui ne facilite pas franchement la réflexion. Par contre, si on laisse de côté la note La bémol, il nous reste les trois notes : Do, Mi, et Sol. Une belle triade de Do Majeur !
Penser les accords 13#11 comme un accord 7 auquel on a rajouté une triade majeure située une seconde majeure au dessus de la tonique est une bonne manière de se simplifier la vie !
Revenons à notre Sixte. La Sixte d’un Bb13#11 est la note Sol. C’est aussi la quinte de la triade de Do. Dans le contexte du blues, où nous jouerions cette note sur Bb7, il est très facile de « pivoter » vers la triade de Do et amener la couleur lydien bémol 7.
Et c’est ce que fait Canonball sur le 3e temps de la première mesure, il se sert de la note Sol, la sixte du Bb7, pour amener la couleur lydien bémol 7 grâce à la triade de Do :
Conclusion
Oscar Peterson, Wes Montgomery et Canonball Adderley nous ont montré dans cet article 3 manières d’utiliser la Sixte sur la grille de blues :
En jouant la gamme blues majeure, en particulier l’opposition 6te – Blue Note
Avec la substitution de l’accord 7 du blues avec un accord 13sus4, en considérant la sixte comme la 7e Majeure de l’accord Maj7 situé un ton en dessous de notre tonique
En substituant le mode mixolydien (l’accord 7) avec le mode lydien bémol 7 (l’accord 13#11), en considérant la Sixte comme la 5te de la Triade majeure située un ton au dessus de la tonique.
Ces différentes manières d’utiliser cette note nous donnent de nouvelles idées à tester sur le blues. Travaillez-les, et vous vous essoufflerez moins rapidement !
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Dans l’article précédent, nous nous sommes intéressés aux différentes disciplines à travailler pour devenir un jazzman sans lacunes. Partant du constat que tout travailler séparément prendrait une éternité, je vous donnais quelques pistes pour combiner les approches, et ainsi progresser de manière optimale.
Une fois que vous avez pris conscience de ce paramètre, vous avez parcouru la moitié du chemin. Pour arriver au bout du tunnel… eh bien il faut sortir son instrument de sa housse, brancher son micro, ouvrir le clapet du piano… autrement dit, travailler ! Et là, cela se complique, je vous parle en connaissance de cause. On a vite fait de passer des heures et des heures sur son instrument, tout en étant pas efficace, ou pire, en s’énervant… Ce qui mène irrémédiablement vers un travail sans progrès, avec très peu de résultats…
Avant de poursuivre cet article, j’aimerais que vous vous posiez la question suivante : « La dernière fois que j’ai travaillé mon instrument, ai-je été efficace ? Durant la totalité de mon temps de travail ? »
La fois où j’ai été efficace… 10% du temps
Voici le récit d’une de mes séances de travail type, avant que je me pose des questions sur ma méthode de travail et mon efficacité :
Je suis motivé pour travailler ma guitare, j’allume mon ampli, je m’accorde, règle mon son. J’ai un morceau particulier à travailler, donc je commence à le jouer pour me chauffer, et me rendre compte des points à renforcer.
Bien sûr, juste pour voir, je le prends au tempo auquel je dois le jouer, et j’ai du mal a exécuter quelques phrases. À chaque fois que je bloque, je reprends la phrase moins vite, une fois, deux fois, n’y arrive toujours pas, la joue encore moins vite, y arrive, continue le morceau. Le même schéma se reproduit approximativement… toutes les 10 secondes.
20 minutes plus tard, je suis arrivé tant bien que mal au bout du morceau, je sais maintenant de manière évidente quels sont les points à renforcer. Mais je me laisse distraire par une notification sur mon téléphone, et passe 10 minutes à gérer quelque chose de relativement important. Plus important que le travail de mon morceau, en tout cas.
Je me re-concentre, travaille trop vite le premier passage problématique et m’énerve car je n’y arrive toujours pas. Après quelques autres essais infructueux, je maudis le compositeur du morceau (et toute sa descendance), repose ma guitare et éteins mon ampli, plein de frustration.
Des choses vous semblent familières dans ce que je décris ? Peut-être devriez vous remettre en question votre méthode de travail ! Dans l’exemple que je viens de vous décrire, j’ai été très peu efficace (en tout et pour tout, peut-être… 10% du temps ?). Essayons ensemble de trouver des astuces pour remonter ce pourcentage.
Sans doute le résultat d’une séance de travail peu efficace.
Être efficace = ne plus être inefficace !
Afin d’atteindre les 100% du temps consacré à être efficace, il faut prendre le problème à l’envers. Voir le verre à moitié vide plutôt qu’à moitié plein.
Je ne pense pas qu’ajouter un exercice, ou 10 min de temps en plus à ma séance de travail va m’aider à avoir plus de résultats… Par contre, je vois très bien les comportements inefficaces qu’il faudrait que je supprime !
Avant même de penser à trouver des moyens d’être plus efficace, il faut commencer par éliminer toutes les petites choses qui nous mènent à l’inefficacité. Ça commence par…
Le Warm-Up
En premier lieu, se chauffer en filant ce que l’on travaille est quelque chose de profondément illogique… J’ai du mal à imaginer Usain Bolt se lancer dans le 100m sans s’être délié les muscles auparavant !
Il faut chauffer son corps et son esprit, afin d’être bien en capacité d’exécuter les tâches complexes que demande le travail de la musique. Cette première étape est, malheureusement, trop souvent ignorée…
Privilégiez un exercice conçu spécialement pour se chauffer, qui va vous réveiller, et non pas vous fatiguer comme le filage d’un morceau complexe, par exemple…
Maintenant que je suis chaud, je file le morceau ??
Eh non, toujours pas ! Comme je vous l’ai raconté, filer le morceau que l’on doit travailler mène à une série de blocages sur les passages problématiques (ce qui revient à être inefficace, voir la partie suivante).
Généralement, nous connaissons nos faiblesses. Si on y réfléchit un peu en regardant notre partition, nous savons quels endroits vont nous poser problème. Ce que nous devons travailler nous apparaît donc naturellement, sans avoir besoin de jouer quoi que ce soit, et échouer ce faisant.
Même en sachant cela, c’est très tentant quand on travaille un passage d’enchaîner directement le suivant (sans s’arrêter de jouer). Ainsi, je me suis souvent surpris à me dire, en travaillant : « C’est bon, j’en suis à ma troisième répétition à un tempo réduit, je peux enchaîner sans pause avec la partie suivante, je crois me souvenir qu’il fallait que je travaille cela comme ceci etc…« . Cela pose toute une série de problèmes, que je ne vais pas détailler ici (concentration, erreurs, etc…).
Si cela vous arrive aussi, faites comme moi ! Aux grands maux, les grands remèdes, je travaille toujours tout à l’envers, la fin d’un morceau avant le milieu, et en dernier lieu, le début. Essayez, vous allez voir, c’est radical !
Le travail (contre-productif) des passages problématiques
Vous rappelez vous, dans mon histoire, ce qui a finalement mené à l’arrêt de ma séance de travail ? C’était mon incapacité à réussir à exécuter un passage qui me posait problème. À cause du fait que… Je travaillais trop vite !
Alors oui, vous connaissez la chanson, tout le monde le répète à longueur de temps, il faut travailler lentement, bla bla bla. Dans cet article, j’aimerais aller un peu plus loin et m’intéresser aux raisons profondes qui m’amènent à penser que le travail (ultra) lent est la seule manière d’être vraiment efficace.
Quand on on travaille un passage complexe à un tempo trop rapide, notre cerveau ou nos muscles ont du mal à gérer tous les paramètres à prendre en compte (rythmes, notes, nuances, tempos, spécificités techniques…). Cela mène vers un blocage que vous devez bien connaître, et au final, on échoue à exécuter le passage.
Nous allons échouer une fois, deux fois, trois fois… Jusqu’au retrait d’un ou plusieurs paramètres (la contrainte du tempo rapide, des nuances…).
Que croyez vous que le cerveau enregistre devant tant d’échecs ? Je vous le donne dans le mille, que le passage est compliqué, et qu’il induit une impossibilité d’exécution.
Et ce, même si par miracle si ce que vous travaillez « passe » au bout du 4e essai. Vous comptabilisez 3 échecs d’exécution pour 1 réussite. Imaginons que vous bossez 7 jours avec cette cadence, vous avez échoué 21 fois réussi seulement 7 fois !
Mais pourtant, nous sommes d’accord travailler le morceau doit servir à préparer son exécution sans erreurs ou hésitations ? Nous préparerions cette réussite avec… Une majorité d’échecs ?
Je pense que vous commencez à saisir l’absurdité de ce comportement, et pourtant, regardez autour de vous, tout le monde travaille avec cette méthode. J’en ai moi-même fait les frais, par le passé.
La SEULE méthode pour privilégier la réussite par rapport à l’échec
La méthode miracle pour avoir 4 réussites et 0 échecs ? Prenez comme tempo de départ 40 ou 50 à la noire, en essayant de groover comme si vous étiez à 120, 140.
(Bien sûr, ces valeurs sont indicatives, et dépendent de ce que vous jouez. L’important est de travailler moins vite que ce que vous considérez comme étant lent !)
Cela demande énormément de rigueur et de concentration, mais au fur et à mesure, c’est comme une drogue. Personnellement, quand je constate les effets bénéfiques de ce travail hyper-lent, j’en redemande !
J’ai d’ailleurs partagé aux abonnés de la newsletter un article du pianiste Antoine Hervé sur le sujet, si cela vous intéresse, voici le lien :
Travailler lentement nous aide donc à préparer la réussite par la réussite, et donc à être efficace 100% du temps que l’on consacre à sa pratique. Après tout, si on s’habitue à échouer… autant ne pas travailler du tout, c’est plus productif !
Conclusion
Dans mon récit, où je n’étais efficace que 10% du temps, j’avais dû travailler environ 45 minutes. 10% de 45 min, c’est… 4 min 30 secondes. Si j’avais appliqué mes propres conseils, en étant totalement efficace, j’aurais progressé plus en travaillant seulement 5 min !
C’est pour cela que bosser 8h par jour, tout en étant peu efficace… C’est tout simplement un immense gâchis de temps.
On peut travailler moins, et progresser plus.
Maintenant, passez à l’action : Traquez et supprimez tous les petits moments d’inefficacité dans votre pratique. Tout le temps que vous allez gagner peut être réinvesti dans de précieuses minutes de travail efficace à 100%, vous menant vers une progression 2 ou 3 fois plus rapide ? Ou bien, vous pouvez utiliser ce temps gagné pour vous la couler douce en ayant la sensation du travail accompli… À vous de voir !
Si vous aussi, vous avez des astuces pour être plus efficace, je suis preneur ! Indiquez-les dans les commentaires.
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D’après Mastery, le livre culte de l’américain Robert Greene, pour devenir un expert dans une activité quelconque, il faut y consacrer pas moins de 10000 heures ! Si on applique cette règle à la pratique d’un instrument, en y passant 2h tous les jours, on peut espérer le maîtriser en… 13 ans et demi !Évidemment, ce résultat est assez absurde, il est possible de devenir un bon musicien en moins d’une douzaine d’années. En fait, ce chiffre nous informe du temps qu’il faut prendre pour maîtriser complètement un champ d’activité. Mais l’amalgame entre « bon » et « expert » est vite fait, et dans l’imaginaire collectif, ces 10000 heures peuvent vite devenir inatteignables. Travailler le jazz devient un fardeau, qui mène au découragement toute personne étant un peu trop exigeante avec elle-même.
En musique plus que dans toute autre discipline, un certain esprit de compétition peut nous pousser à vouloir travailler toujours plus. Ce genre de mentalité peut s’avérer très dangereuse. Pourquoi ?
En passant beaucoup d’heures à pratiquer ce qui, au départ, est une passion, nous y investissons une des ressources les plus chères à nos yeux : notre temps. J’ai ainsi été témoin de deux ou trois histoires de musiciens qui avaient beaucoup (trop) travaillé et investi de temps dans leur pratique. À la suite d’une déconvenue (échec à un examen, concert important sur lequel ils jugent ne pas avoir été à la hauteur, mésentente avec un professeur…) ils ont tout simplement mis un terme à leur pratique !
Un véritable Burn-out.
Qui puise son origine première (entre autres) dans la fausse croyance que pour devenir bon, nous devrions travailler à longueur de journée… Les légendes urbaines du jazz renforcent d’autant plus ce mythe. Qui n’a jamais entendu parler du rythme de travail de John Coltrane, qui pouvait bosser son sax jusqu’à 12h par jour !?
Trop travailler peut donc s’avérer néfaste, mais, d’un autre côté, ne pas travailler assez ne permet pas de progresser… Comment faire la part des choses ? Combien d’heures par jour consacrer à travailler le jazz ? Comment ne pas être submergé par la quantité de boulot ? Comment progresser plus efficacement ?
Je vais essayer de répondre à toutes ces questions dans les deux parties de cette série d’articles. Commençons par définir :
Les choses indispensables à travailler
Abraham Lincoln a dit un jour :
Si j’avais 6 heures pour abattre un arbre, je passerai les 4 premières à affûter ma hache.
Abraham Lincoln
Quel rapport avec le jazz, me direz vous ?
J’y viens. Avez vous déjà été dans une école de jazz ? Si oui, vous avez une petite idée de ce qu’on y enseigne. Voici une liste non-exhaustive :
L’harmonie
Le rythme
Le déchiffrage
L’improvisation
L’interprétation
La culture
L’oreille
Le jeu en groupe
L’accompagnement
Le répertoire
On peut organiser ces différentes disciplines de cette manière :
Bien sûr, on peut être un très bon musicien sans avoir travaillé les fondamentaux (les musiciens de jazz manouche, qui ne déchiffrent pas, en sont un bon exemple). Je connais des gens qui jouent des phrases très sophistiquées grâce à leurs relevés de solo, mais qui n’ont pour autant jamais étudié l’harmonie ou le rythme en profondeur.
La combinaison des fondamentaux, de la théorie, et des matières purement rattachées au jazz forme en fait l’idéal du musicien polyvalent. Un jazzman capable de braver toutes les situations, d’improviser sur les grilles les plus compliquées, d’être toujours précis rythmiquement et de jouer tout ce qu’il entend.
Pour en revenir à Lincoln, s’il avait fait du sax, il nous aurait peut-être dit :
Si on me donne 6h pour enregistrer une version de Cherokee, je passerai les 4 premières à écouter des versions, bosser la grille, ses accords et ses modes, répéter le morceau en session, m’entraîner à jouer 100 points en dessous… »
Abraham Lincoln (enfin presque)
Bref, vous m’avez compris, Lincoln nous apprend que nous sommes plus efficace en passant du temps à préparer ses outils, plutôt qu’en s’attelant tout de suite à la tâche, sans réfléchir.
Afin d’être bien préparé pour faire face aux situations les plus compliquées, il faut donc travailler le jazz de manière complète, pour devenir bon dans toutes les disciplines. Et cela pose un problème de taille…
Comment faire pour tout travailler ?!
Travailler le jazz en combinant différentes approches
Les différentes matières sont nombreuses, et, comme indiqué dans le titre, nous avons envie de passer moins de 8h par jour à travailler le jazz !
Il y a quelques années, j’ai personnellement résolu le problème en faisant l’impasse sur les matières qui me plaisaient le moins, le rythme et le déchiffrage. Mais, comme vous pouvez vous en douter, je me suis retrouvé très vite face à mes faiblesses, et cela a été problématique dans la suite de mon apprentissage. J’aurais bien aimé qu’on me montre une solution alternative, plus intelligente…
En fait, il est possible, de travailler plusieurs disciplines en même temps. Je vais vous donner un exemple : Imaginons que vous travailliez All of Me cette semaine.
Vous choisissez de trouver sa grille en repiquant la ligne de basse. Vous mêlez donc l’apprentissage du répertoire et l’oreille.
L’écoute d’une vingtaine de versions vous aide à vous familiariser avec le standard. Supposons que pour chacune, vous notez les noms des musiciens, des albums, labels et années d’enregistrements… Vous alliez maintenant répertoire et culture.
La manière qu’a le saxophoniste Lester Young d’interpréter le thème vous plaît, en particulier au niveau rythmique. Vous repiquez donc le thème, le travaillez sur votre instrument, prenez le rythme à part et en faites un exercice (pieds sur les 2e et 4e temps, mains avec la clave du chabada, texte à la voix par exemple). Répertoire + Oreille + Interprétation + Rythme !
Vous vous intéressez à la grille du standard, voyez que la partie C comporte une subtilité, et vous décidez de vous renseigner. Vous découvrez une nouvelle progression d’accords, la cadence plagale mineure, et la travaillez dans tous les tons, en utilisant un voicing précis au piano. Répertoire + Harmonie + Accompagnement.
Vous choisissez d’amener le standard en session, en vous rendant compte qu’avec tout ça, vous n’avez pas appris le thème (du moins pas sa version basique) ! Répertoire + Jeu en groupe + Déchiffrage.
Et voilà comment à partir du choix d’un standard, on peut réussir (à peu près !) à tout travailler. La combinaison des différentes disciplines renforce même l’apprentissage.
Dans mon exemple, je peux vous garantir qu’après une semaine à varier les approches, All of Me n’a plus de secrets pour vous ! Et les progrès que vous avez accompli dans vos compétences fondamentales vont vous servir à accélérer votre apprentissage d’autres morceaux.
Objection !
Évidemment, tout ne fonctionne pas aussi bien en pratique. Optimiser au mieux sa méthodologie en mixant un maximum d’approches n’est pas une chose évidente à faire.
Il est difficile de choisir le bon standard par rapport à notre niveau, de trouver les bons exercices, transcrire un solo peut prendre un temps fou…
Heureusement, il existe des solutions.
Pour éviter d’y passer des heures et des heures, réduisez la charge de travail (Repiquez 4 mesures au lieu de 8, ou 16, diminuez le tempo final…). Travailler régulièrement en petites quantité est beaucoup plus efficace que travailler ponctuellement en grande quantité.
Faites appel à un prof pour vous conseiller. Il s’est déjà posé toutes les questions que vous vous posez, son aide sera indispensable pour que vous ne perdiez pas de temps.
Allez chercher de l’information dans des méthodes de jazz ou sur internet, à l’aide de blogs comme Jazzcomposer.fr ou de chaînes Youtube.
De cette manière, vous passerez moins de temps à travailler le jazz, tout en progressant plus.
Conclusion
J’ai peut-être enfoncé des portes ouvertes, mais si on m’avait dit tout cela quelques années auparavant, j’aurais progressé beaucoup plus vite ! Si un article de ce genre aurait pu m’aider, il y a de grandes chances pour que cela aide certains d’entre vous.
Donc, jetez de nouveau un oeil sur le schéma vous présentant les différentes disciplines, et cherchez comment les combiner dans votre pratique. Votre apprentissage n’en sera que plus profond et durable.
Consultez ici la deuxième partie de cette série d’articles.
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Énigmatique, obscur, étrange, mystérieux… Autant de qualificatifs qui ne nous viendraient pas spontanément à l’esprit pour décrire un morceau de jazz. Pourtant, les musiques de compositeurs comme Wayne Shorter, Miles Davis, Herbie Hancock ont sans doute déjà pu vous évoquer des choses similaires… Pour ma part, j’ai écouté récemment deux morceaux de Dave Holland qui m’ont particulièrement intrigué !
Cette musique me fascine. Elle a cette capacité à me transporter hors du temps et de la réalité. Ce côté « mystique », je veux pouvoir le recréer dans mes propres compositions, et je ne pense pas être le seul ! C’est pourquoi je vais partager avec vous le résultat de mes recherches pour tenter de percer le mystère qui entoure la magie de ces morceaux.
Mais, en premier lieu, écoutez plutôt les premières secondes des deux morceaux de Dave Holland dont je vous parlais :
Lazy Snake
Ario
Alors ? Spécial comme ambiance non ? Entrons dans le cœur de ces morceaux et voyons ce qu’ils ont à nous apprendre.
1. L’aspect extra-musical
J’entends par « extra-musical » : qui n’est pas relié directement aux aspects techniques de la musique (les notes, les rythmes, le tempo, les nuances, etc…).
Premièrement, attardons-nous sur les titres des deux morceaux. Je ne sais pas vous, mais beaucoup d’images me viennent en pensant à un Lazy Snake (littéralement « serpent paresseux »). Le désert et son soleil accablant, la jungle sauvage et son climat moite et chaud, l’animal en lui-même et ses déplacements sinueux, ses yeux perçants et sa langue fourchue…
Même chose pour Ario, morceau dédié à la ville de Rio de Janeiro. Quand je pense à Rio, l’image qui me vient en tête est d’abord celle du carnaval, de la fête, du soleil… Alors quelle surprise que cette atmosphère quasi-mélancolique. Ce décalage force le questionnement.
Le choix d’un sujet évocateur semble jouer beaucoup dans l’instauration d’un climat mystérieux.
Autre élément, les formations de Holland ont quelque chose de spécial, en elles-même. Un quintet avec Vibraphone, Saxophone et Trombone, c’est surprenant ! Tout en sachant que le vibraphoniste joue aussi du marimba sur certains morceaux, instrument au son moins métallique que le vibraphone et qui apporte un côté « tribal » à la musique.
Et même avec une formation plus traditionnelle, rien ne nous empêche d’aller chercher des sons inusuels ! Pour vous donner quelques exemples: le jeu sans baguettes à la batterie, l’étouffement des cordes de piano avec la main ou carrément un piano « préparé », les effets de guitare qui changent complètement le son…
2. L’aspect structurel
Ce qui saute aux oreilles quand nous écoutons ces deux morceaux, c’est qu’ils sont tous les deux construits à partir et autour d’un riff de contrebasse, qui se transforme en une vamp.
Riff = motif mélodique Vamp = motif harmonique et rythmique
La vamp, répétée inlassablement, nous fait entrer dans une sorte de transe dont il est difficile de s’extraire… Après l’écoute de ce genre de morceau, nous avons souvent besoin d’un petit temps pour se reconnecter à la réalité.
J’ai une deuxième chose à souligner, qui est très importante, même si j’ai failli passer à côté dans mon analyse…Qu’avez-vous remarqué dans le déroulement du début du morceau ? Le thème rentre-t-il tout de suite ? Et quel effet cela a-t-il sur la musique ?
Dans Lazy Snake, Holland improvise seul avant l’entrée du reste du groupe et dans Ario, le vibraphoniste improvise longuement sur la vamp avant le thème. Holland casse les codes car habituellement le thème est joué tout de suite, ou après une introduction, mais pas après une improvisation (c’est plus rare).
3. L’aspect rythmique
Commençons par le tempo, qui se situe aux alentours de 90 – 100. C’est plutôt lent, pas assez pour être une ballade, et pas assez rapide pour avoir le sentiment que le temps défile vraiment. C’est un tempo propice pour nous plonger dans un état méditatif.
Ensuite, nous avons vu que l’ingrédient principal pour cuisiner un morceau mystérieux, c’était une bonne vamp. Que pouvez-vous me dire sur celles de Lazy Snake et Ario ?
Eh bien ces deux vamps sont totalement paradoxales ! Je m’explique. D’un côté, elles instaurent une régularité en tournant sur elles même, on en distingue bien le début et la fin. D’un autre côté, elles brisent cette régularité avec des mesures/carrures irrégulières.
La vamp de Lazy Snake est constituée de deux mesures à 6 temps, puis d’une mesure à 2 temps, puis cette combinaison, répétée une seconde fois. Holland est sans doute parti d’une ligne de basse en 6/4 puis y a rajouté deux temps, ce qui créé une sensation de déséquilibre. Cette sensation est encore plus forte quand arrivent les chorus, notre cerveau prédit les appuis rythmiques et harmoniques par rapport à ce qu’il connaît bien (le 6 ou le 4 temps) et est trompé par ces mesures irrégulières (écoutez l’entrée du chorus de trompette à 3’44…).
L’irrégularité de la vamp d’Ario est encore plus évidente, puisque sa longueur est de… 3 mesures ! Là où, évidemment, nous mourrons d’envie d’en rajouter une quatrième pour restaurer l’équilibre.
En fait, je pense avoir trouvé une bonne image pour qualifier ce type de vamps, qui malmènent les codes rythmiques habituels. Elles agissent comme des roues voilées, elles tournent sur elles-mêmes mais de manière irrégulière, bizarre… -> ce qui nous renvoie au caractère de notre morceau !
4. L’aspect harmonique
L’harmonie joue un grand rôle dans l’installation d’un climat mystérieux. Comparez les deux grilles des vamps :
La grille de Lazy Snake est plutôt simple, deux accords. Le premier est Bb-, il est joué soit dorien, soit mineur-majeur (seule différence entre ces deux modes : la septième, mineure en dorien, majeure en mineur-majeur. c.f. Mon ebook gratuit Les Fiches d’Identité des Modes). Le second accord, et c’est là où ça devient très intéressant, est un Asus4b2, un mode phrygien, donc. La particularité du mode phrygien est d’avoir une seconde mineure, et d’être joué en tant qu’accord sus4 (La tierce est remplacée par la 4te) avec cette seconde mineure.
Par exemple, Asus4b2 :
Cet accord est à la fois tendu, à la fois stable, et constitue un paradoxe en lui-même… Pas étonnant de le retrouver dans un morceau au caractère énigmatique, ou obscur !
La grille de Ario est plus simple encore, car elle est constituée de deux accords qui font entendre deux modes dorienparallèles.
C’est quelque chose de très courant dans ce type de morceau, et un procédé très puissant harmoniquement. L’alternance entre les deux implique une tension harmonique, car deux modes exactement similaires avec des toniques différentes impliquent obligatoirement une confusion auditive au niveau de la tonalité.
Ces deux grilles reposent donc sur l’alternance de deux couleurs, plus ou moins dissonantes, qui brouillent la piste tonale.
5. L’aspect mélodique
Ce qui est frappant avec les mélodies de ces morceaux, c’est qu’elles restent simples et belles malgré les irrégularités harmoniques et rythmiques sur lesquelles elles se basent.
Voici les liens Youtube commençant au moment des entrées de thèmes, pour pouvoir les réécouter :
Les phrases semblent s’étirer dans le temps et esquisser de belles couleurs par rapport à l’harmonie. Elles sont construites selon l’alternance entre valeurs longues et courtes, les blanches ou les rondes servant à mettre l’accent sur une couleur spécifique et les noires et les croches à souligner horizontalement les notes des accords. C’est particulièrement flagrant dans Lazy Snake :
Les valeurs longues sont vraiment des points de repos et participent à cadrer la mélodie, lui donner un sens, une régularité.
Le thème d’Ario est construit de la même manière. Il a lui aussi un caractère très aérien grâce à l’exploitation du registre aigu et l’utilisation massive d’un rythme en particulier : les triolets de noires. Par ailleurs, jetez un œil aux 3 valeurs longues mesures 3, 5 et 7 du thème, par rapport à l’harmonie :
Ces trois notes sont respectivement les 9e, 11e et 13e des accords. Des extensions, donc des notes qui enrichissent l’harmonie, que Holland n’hésite pas à accentuer en laissant sa mélodie s’y étirer.
La mélodie est donc au service de l’harmonie déjà ambiguë du morceau, renforçant son caractère mystérieux.
Conclusion
Résumons ce que nous ont appris nos analyses, et listons les procédés que Holland utilise pour créer le caractère mystérieux de ses morceaux :
Un sujet précis est choisi, il donne le titre des morceaux et induit une atmosphère particulière
L’instrumentation sort de l’ordinaire
Le tempo se situe autour de 90
Les morceaux sont construits à partir de vamps, faisant penser rythmiquement à l’image d’une roue voilé
Une improvisation précède le thème
L’harmonie de la vamp fait s’alterner deux couleurs modales, plus ou moins dissonantes
La mélodie est aérienne, comporte beaucoup de valeurs longues qui font ressortir les extensions des accords
La mélodie peut contenir des triolets de noires pour renforcer son côté libre
Tous ces outils nous donnent des pistes pour construire nous même le même genre de morceaux. Piochez quelques procédés de cette liste et mettez-vous au travail ! J’y vais moi-même de ce pas…
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Composer un morceau n’est pas chose aisée quand on débute, et il est fréquent de se heurter à plusieurs obstacles. Ce, en particulier quand le point de départ est une petite mélodie qui tourne dans notre tête. Je suis sur qu’il vous est déjà arrivé de vous mettre au piano pour tenter de lui trouver une harmonie et passer 10 min à marteler maladroitement les touches du clavier sans aucun résultat ! Pire, la plupart du temps, après avoir pianoté quelques secondes, la mélodie qui trottait inlassablement dans vos oreilles a tout simplement… disparu !
Nous sommes d’accord, tous les articles sur la composition que vous pourrez trouver ne vous seront d’aucune utilité si vous n’êtes pas capables de recréer vos propres morceaux à cause de ce blocage ! Je vous propose de remédier à cela avec ma méthode en 5 étapes pour transformer un début de mélodie en un morceau complet.
Étape 0 – S’enregistrer
Cette étape fait plus figure de chauffe qu’autre chose, et je suis sûr que vous avez déjà ce réflexe simple. Dès que possible, enregistrez votre idée sur votre téléphone ou votre enregistreur. Ça permet de la retrouver en toutes circonstances, en particulier après que notre oreille ait été distraite par les accords que nous allons poser au piano lors de l’étape suivante. Je vais me prêter au jeu et vous mettre ci-dessous un audio d’une idée qui m’est venue aujourd’hui, enregistrée avec mon portable :
Étape 1 – Trouver la tonalité de la mélodie
Cette étape va nous servir à poser la base de l’harmonie du morceau, afin de déterminer les accords qui vont coller avec notre mélodie.
Premièrement, demandez-vous si votre idée est constituée d’une ou plusieurs phrases. Puis, essayez de déterminer si ces phrases font plutôt office de questions, ou de réponses. Ce point est très subjectif, et dépend du contexte que vous entendez dans votre oreille. Une question aura tendance à se dérouler sur un Ve degré, et une réponse sur un Ier. Dans mon exemple, il n’y a qu’une seule phrase, et elle a l’air d’être conclusive, d’être une réponse, donc.
Trouvons ses notes (à l’aide d’un piano par exemple) et écrivons les sur une partition :
Notre dernière note, Si bémol, a l’air d’être l’endroit où on peut entendre un Ier degré, c’est là où nous avons l’impression d’être le plus stable.
Pour trouver notre tonalité, il suffit de lister les accords à 3 sons qui contiennent notre note stable, puis plaquer chaque accord sous cette note après avoir chanté notre phrase. Il suffit ensuite de garder celui qui colle le plus avec ce que l’on a dans l’oreille.
Quelle possibilité vous semble bonne parmi ces 3 que j’ai pris au hasard ?
Essai avec la triade de GbMême chose avec la triade de BbIdem, avec la triade de Bbmin
Sans grande surprise, notre Ier degré semble être Si bémol majeur. Nous allons maintenant pouvoir commencer à écrire la grille.
Étape 2 : Déterminer le squelette du morceau
Un morceau, c’est une mélodie et une harmonie, mais pas que ! Pour commencer à écrire notre grille et poursuivre notre mélodie, je recommande de savoir où notre morceau se dirige, grâce à 3 points fondamentaux :
Le Style
La Métrique
Le Tempo
Le Style va nous donner une idée du contexte global au niveau harmonique, rythmique et structurel. Par exemple, dans un morceau de pop, on aura une harmonie à 3 sons, une rythmique binaire, et une structure qui s’organise autour des parties couplet – refrain – pont. En jazz, et plus particulier en swing, notre rythmique sera ternaire (swing) et notre structure pourra être AABA, ABAC, ABCA…
La métrique nous donne une idée de la danse intérieure et des temps forts du morceau. Notre mélodie va s’écrire bien différemment entre le 3/4 et le 4/4, et encore plus si l’on a quelque chose d’impair comme du 5/8 par exemple.
Le tempo, enfin, nous donne une idée de ce que l’on peut faire ou pas au niveau rythmique dans notre mélodie ou notre harmonie. Si nous écrivons une mélodie avec des doubles croches sur un up tempo, l’interprète va passer un sale quart d’heure à moins de s’appeler John Coltrane. De la même manière, une ballade aura généralement un rythme harmonique plus rapide qu’un morceau médium car nous avons plus de temps à notre disposition pour faire varier l’harmonie.
Pour notre exemple, choisissons la valeur sûre du swing medium en 4/4 AABA, cela ira bien avec notre mélodie.
Étape 3 : Écrire partiellement la grille
Si nous analysons les grilles de la plupart des standards AABA, nous pouvons nous rendre compte de plusieurs choses. Le premier A pose une question, à laquelle on répond avec le 2nd. Le B sert de pont, et introduit une variation quelconque avant le retour au dernier A, très souvent similaire au 2nd. Ces conventions structurelles affectent directement la grille. La fin du 1er A comporte souvent une demi-cadence et la fin du 2nd une cadence parfaite.
Je vais prendre un morceau au hasard pour vous le montrer, On the Sunny Side of the Street par exemple :
(Précision concernant la demi-cadence mesure 8 : même si le Ier degré de la tonalité suit le Ve (à la mesure 9), comme le Ve est placé en fin de cycle de 4 mesure, l’oreille perçoit une sensation de suspension caractéristique de la demi-cadence. On pourrait mettre n’importe quel accord ensuite, l’effet serait le même. Quand vous improvisez ou composez votre thème, vous pouvez forcer la résolution en faisant en sorte que votre phrase chevauche le cycle.)
Savoir ce genre de choses va nous permettre d’avoir un cadre quand nous allons écrire notre grille. Je vous recommande d’analyser de cette manière les morceaux stylistiquement similaires à celui que vous voulez composer, pour en dégager les codes. De cette manière, vous pouvez vous faciliter la vie en les utilisant et/ou jouer avec.
Nous savons que les premiers accords des parties A seront des Ier degrés, donc un Bbmaj7, car notre première phrase est conclusive, comme vu plus haut. Nous pouvons en déduire que les derniers accords du 1er A vont être une demi-cadence, donc V : F7, que nous pouvons précéder du second degré comme souvent en jazz : C-7. Les derniers accords du 2nd A seront ii : C-7, V : F7 et I : Bbmaj7.
Pour déterminer le reste de la grille, nous pouvons nous aider du schéma de l’harmonie tonale, vu dans cet article. Il va nous donner les différents degrés de la tonalité de Bb majeur, les accords qui vont bien sonner, donc. Nous pouvons amener ces accords avec leur dominantes secondaires, c’est pourquoi elles sont indiquées sur le schéma :
Nous avons maintenant tous les outils pour expérimenter, voir où l’oreille nous mène, ce qui nous plaît. Le plus beau dans tout cela, c’est que nous avons presque éliminé le risque de se perdre et écrire une grille qui ne sonne pas en définissant une carrure bien précise.
Pour ma part je préfère passer à l’étape suivante :
Étape 4 : Continuer la mélodie
Notre première idée est plutôt stable, sortons de ce petit confort en créant un deuxième segment qui pose une question. J’ai un peu cherché et ai fini par trouver cela :
Voilà, il ne reste plus qu’à revenir à l’étape 3 pour harmoniser notre nouveau passage. En répétant les étapes 3 et 4, nous allons finir par écrire un morceau entier !
Étape 5 : Répéter les étapes 3 et 4
Le nouveau segment pose une question, il faut donc l’harmoniser avec un Ve degré :
Plusieurs possibilités d’harmonisation s’offrent à moi pour la mesure 3. La note Mi bémol est importante, car c’est la quarte de notre gamme de Si bémol majeur. Cette note tend l’harmonie et est caractéristique de la fonction sous-dominante (cf mon article sur l’harmonie tonale) Nous pouvons donc harmoniser ce passage avec le ii, C-7, ce qui, avec le F7 de la mesure suivante nous donnerait un ii V, une demi-cadence. Mais je vais plutôt choisir l’autre accord de sous dominante, le IV, Ebmaj7. Je trouve très joli d’amener ce IVe degré avec sa dominante secondaire, Bb7, qui s’insérerait juste après le Ier degré, Bbmaj7.
(Petit oubli de ma part, il y a une demi-cadence entre le IV et le V)
Sympa non ? Les dominantes secondaires sont des outils formidables pour enrichir les grilles que l’on compose.
Ensuite, notre Ve degré veut résoudre sur un Ier degré, ce que je souhaite éviter, ce serait redondant. Nous allons rediriger notre harmonie en choisissant d’atterrir sur un autre degré de notre tonalité, que nous allons amener encore une fois à l’aide de sa dominante secondaire.
Regardons à nouveau notre schéma et les possibilités qui nous sont offertes. Que préférez vous ?
V/ii -> ii | G7b9 -> C-7 V/iii -> iii | A7b9 -> D-7 V/IV -> IV | Bb7 -> Ebmaj7 V/V -> V | C7 -> F7 V/vi -> vi | D7b9 -> G-7
Personnellement, j’aime bien aller sur le II, le IV, ou le vi. Aller sur le vi m’inspire plus, et j’ai même une idée mélodique qui pourrait aller pour la suite :
Il ne nous reste plus beaucoup de chemin à parcourir pour terminer notre morceau. Je pourrais continuer en suivant ma méthode, mais je pense que vous avez compris comment je résonne. J’entends pour la fin du 1er A des choses plus sophistiquées qui n’ont pas leur place ici. Et il faut que l’on trouve un B, en sachant que ces parties spécifiques méritent un article tout entier !
Voilà quand même un aperçu de ce que nous avons réussi à écrire durant l’article :
Conclusion
Il ne vous reste plus qu’à suivre ces 5 étapes la prochaine fois que vous voudriez transformer une mélodie qui vous trotterait dans la tête en un morceau entier.
Vous souhaitez voir plus d’articles de ce genre, et même faire en sorte que je termine cette ébauche de morceau ? Commentez et partagez l’article ! C’est le meilleur moyen pour moi de voir si ce que je fais vous aide et vous plaît, et donc de continuer sur cette voie.
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J’ai mis longtemps avant de comprendre les grilles des standards que je jouais tous les jours, et je peux vous dire que cela a eu son lot de handicaps. À chaque fois que je m’enregistrais, je me demandais pourquoi je n’arrivais pas à sonner comme les grands jazzmen que j’écoutais et adorais. Ils semblaient raconter des histoires bien plus riches que les miennes, et je n’arrivais pas à comprendre pourquoi.
C’était encore plus frappant quand je composais des morceaux, et que je devais écrire des grilles. Mes progressions d’accords étaient juste NULLES par rapport aux morceaux des compositeurs que j’admirais. Cependant, je ne me suis pas découragé et ai finit par déceler un des éléments qu’il me manquait. Ce qui m’a été le plus utile a été d’analyser les grilles de mes standards favoris, de repérer les progressions d’accords qui me plaisaient, les histoires racontées à travers les différentes cadences, etc…
Dans cet article, nous allons apprendre à reconnaître les dominantes secondaires en analysant un standard de jazz. Et, en bonus, je vais vous donner un exemple de leur utilisation afin d’élargir vos possibilités de jeu en improvisation ou accompagnement !
Qu’est-ce qu’une Dominante Secondaire ?
Petit rappel de notions indispensables (vues en détail dans les articles précédents) :
Le contexte : Nous nous trouvons dans le cadre d’un morceau tonal, où l’harmonie navigue entre différents degrés qui forment des cadences.
L’alternance entre le Ve degré et le Ier degré est appelé cadence parfaite, ex : En Do majeur : G7 -> Cmaj7. C’est un chemin harmonique très fort qui fait entendre une tension, puis une résolution au sein d’une tonalité.
Le Ve degré d’une tonalité majeure est un accord 7 (accord à 4 sons, majeur avec une 7ème mineure)
Le Ve degré d’une tonalité mineure est un accord 7b9 (idem, mais à 5 sons, avec une 9ème mineure)
Le Ve degré est appelé accord de dominante en musique savante
Maintenant que nous avons reposé les bases, passons au vif du sujet. Avez-vous déjà été « bloqué » en analysant une grille ? Était-ce en rencontrant un accord de dominante qui n’était pas le Ve degré de votre tonalité?
Par exemple, il est possible de trouver un E7b9 dans une progression d’accords en Do majeur. Pourtant, le seul accord de dominante de cette tonalité devrait être son Ve degré, G7…
Je me suis moi-même longtemps demandé d’où venaient ces accords. Après quelques recherches, j’ai fini par trouver l’explication : Ces accords sont les dominantes des autres degrés de notre tonalité.
Ainsi, au sein d’une tonalité, on peut considérer brièvement les IInd, IIIe, IVe, Ve et VIe degrés comme des Ier degrés et les amener par des cadences parfaites, en les précédant par leurs Ve degrés respectifs. Ce point est crucial, et je veux vraiment que vous le compreniez :
Au sein d’une tonalité, on peut considérer brièvement les IInd, IIIe, IVe, Ve et VIe degrés comme des Ier degrés et les amener par des cadences parfaites, en les précédant par leurs Ve degrés respectifs.
« Mais pour quelle raison ? » Eh bien, cela a pour effet de casser la monotonie des progressions tonales et de faire entendre d’autres couleurs. En effet, ces nouveaux accords contiennent des notes étrangères à notre tonalité, cela enrichit notre harmonie.
Prenons un exemple : Dans une progression en Do majeur, on peut renforcer harmoniquement le second degré (D-7) en l’amenant par sa dominante, A7b9. Cela nous fait sortir de notre tonalité, car A7b9 contient un Do dièse et un Si bémol, deux notes qui ne font pas partie de Do majeur.
Attention, autre point hyper important : ces sorties de route ne durent que le temps du Ve degré, on revient dans notre tonalité de départ avec notre résolution. Si la résolution se vait sur un Ier degré différend de celui de notre tonalité, il s’agit d’une modulation.
Autre exemple : En Do majeur, nous pouvons brièvement considérer G7 comme un Ier degré et l’amener par une cadence parfaite grâce à son Ve degré, D7. Cela nous donne obligatoirement D7 -> G7, et pas D7 -> Gmaj7 (dans le deuxième cas, il y a modulation puisque nous résolvons sur un Ier degré extérieur à la tonalité de Do majeur).
Ces dominantes qui ne sont pas le Ve degré de notre centre tonal, et qui renvoient sur les autres degrés sont appelées dominantes secondaires.
Les Dominantes Secondaires de Do majeur
Nous allons faire un petit jeu pour voir si vous avez bien compris le concept ! Vous allez trouver les cinq dominantes secondaires de la tonalité de Do majeur. Pour ce faire, 3 étapes :
Lister les degrés de la tonalité, sans prendre en compte le VIIe et le Ier
Regarder leurs couleurs, à 3 sons (majeurs ou mineurs ?)
Chercher le Ve degré de chaque accord (qui va être 7 pour les accords majeurs, 7b9 pour les accords mineurs)
Comme on considère les degrés qu’on vient de lister comme des Ier degrés, on peut déduire leurs Ve degrés respectifs en leur ajoutant à chaque fois un intervalle d’une quinte ascendante.
Pour vous aider, voici le Schéma de l’harmonie tonale en Do majeur, (déjà vu dans cet article). Prenez un crayon et de quoi écrire, et trouvez les dominantes secondaires !
Voici les résultats :
ii : D-. +quinte -> A7b9
iii : E-. +quinte -> B7b9
IV : F. +quinte -> C7
V : G. +quinte -> D7
vi : A-. +quinte -> E7b9
Bravo à celles et ceux qui ont tout juste ! Vous pouvez vous entraîner avec une autre tonalité, Fa par exemple. Complétons notre schéma de l’harmonie tonale en y ajoutant ces dominantes secondaires :
Avez-vous remarqué que j’ai indiqué les degrés dans un petit rectangle jaune en dessous des accords ? Si oui, la notation V/ii doit vous intriguer… Dans ce cas précis, elle signifie que l’accord est le Ve degré du iind degré, désignant forcément une dominante secondaire. Par exemple, si on rencontre dans une grille la dominante secondaire du sixième degré de notre tonalité, on la notera : V/vi.
Analyse de la grille d’All of Me
Après avoir lu cet article, quand vous regardez une grille, plus de raisons de se dire : « Mais d’où sort cet accord 7 ? Ce n’est pas le Ve degré… Au secours !!«
Pour en être sûr, nous allons en analyser une ensemble. Pour ce faire, il faut :
En déduire les 7 degrés de la tonalité, et les organiser sur un schéma.
Chiffrer les accords de notre grille à l’aide de notre schéma
Si jamais vous décelez un accord 7 suspect -> référez-vous aux dominantes secondaires des degrés de la tonalité
Analysons maintenant ensemble un morceau super connu : All of Me
Déterminons en premier lieu sa tonalité. Nous cherchons le centre tonal, donc un accord majeur ou mineur, se trouvant dans les fins ou débuts de parties…
Aux premières mesures des A, on a un accord de Cmaj7. Nous pourrions dire que notre tonalité est Do majeur, mais pour autant, ne tirons pas de conclusions hâtives. Dans le cas du standard Just Friends, nous nous retrouvons devant le même constat, mais le morceau est en Sol majeur ! Regardons la fin de notre grille. On voit très clairement une cadence parfaite en Do majeur, un ii -> V -> I : D-7 -> G7 -> Cmaj7. Là, il n’y a plus trop de doutes à avoir, notre tonalité est Do majeur.
Donc, reprenons notre schéma de l’harmonie tonale adapté à notre tonalité, et voyons de quoi notre grille est faite :
(Je vous remets la grille ci-dessous)
Plusieurs accords correspondent, l’harmonie navigue entre le Ier, le iind, le IVe, le Ve degré… Mais plusieurs accords ne sont pas sur le schéma ! Analysons ensemble le premier A.
Première et deuxième mesures, Cmaj7 est notre Ier degré, nous ne sommes donc pas perdus. À la troisième mesure, le E7b9 ne fait pas partie de notre tonalité. Je vous le donne dans le mille, c’est une dominante secondaire. De quel degré ? Référons nous à notre schéma :
E7b9 est le V/vi, le cinquième degré du sixième degré. L’harmonie est tendue, l’élastique demande à être relâché avec une résolution sur le sixième degré.
Est-ce que cette résolution arrive ? Et c’est là où beaucoup de gens vont se tromper, regardez la grille :
L’accord de la 5e mesure est un A7b9. Si on avait résolu la tension du E7b9, on aurait atterri sur A-7 (reportez vous au schéma). D’où sort ce A7b9 dans ce cas ? ENCORE UNE DOMINANTE SECONDAIRE. De quel degré ?
Si vous avez répondu le second, c’est gagné. En enchaînant ce deux tensions, le compositeur tend une nouvelle fois l’élastique. Résout-il pour autant cette tension ?
Oui ! On arrive sur notre second degré, tout va bien, la cadence est parfaite. Enfin, ne nous méprenons pas, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant d’arriver à l’apaisement total, l’endroit où nous sommes stationnés n’est pas le Ier degré de notre tonalité…
Comprendre la subtilité des dominantes secondaires permet d’enrichir considérablement les progressions d’accord, de diriger l’auditeur vers un véritable voyage harmonique, avec des péripéties, des étapes plus stables… Prendre conscience de tout cela permet d’organiser un solo ou de composer une ligne mélodique cohérente par rapport à l’harmonie, c’est donc indispensable pour tout jazzman.
Je vous laisse analyser le reste de la grille en ayant cela en tête, vous verrez, c’est assez similaire.
Bonus : Un exemple de réharmonisation utilisant les Dominantes Secondaires
Insérer artificiellement des dominantes secondaires aux endroits où elles ne devraient pas se trouver est un procédé courant chez les grands jazzmen. Je vais vous en donner un exemple qui va enrichir cotre vocabulaire sur un standard en particulier : Autumn Leaves.
Prenons les 4 premières mesures. Pour les besoins de l’exercice, on va considérer que ces mesures sont dans une tonalité de Si bémol majeur.
Prenons notre schéma, en Si bémol majeur :
Analysons maintenant nos 4 mesures. Je vous laisse le faire avant de regarder ma propre analyse, c’est très rapide et pas compliqué.
Maintenant vous avez sans doute remarqué qu’on passe du Ier au IVe degré sans aucune cadence. Et si on utilisait une dominante secondaire pour annoncer ce IVe degré ? De quel accord s’agirait-il ?
Il s’agirait de Bb7. Voici donc notre grille, réharmonisée avec l’ajout de cette dominante secondaire :
En plus de créer un joli mouvement de voix entre les accords Bbmaj7 et Bb7, cette réharmonisation tonicise le IVe degré et donne une sensation de résolution agréable. Nous n’enchaînons plus bêtement le Ier et le IVe degré, nous avons l’impression de les lier entre eux.
Je ne sors pas cet exemple de nulle part, je l’ai entendu joué par de grands jazzmen. En voici quelques preuves :
À exactement 0’44
À exactement 3’00
À exactement 1’11 et 1’22. Barron choisit même de jouer le V/IV sur toute la troisième mesure du A.
Conclusion
Vous savez maintenant reconnaître les dominantes secondaires dans les grilles de vos standards préférés et avez même une idée de vocabulaire en plus sur la troisième mesure d’Autumn Leaves. À partir de maintenant, à chaque fois que vous aurez la grille d’un standard sous les yeux, prenez un petit temps pour la comprendre, et même trouver des endroits où l’enrichir, en approchant le IVe degré comme pour Autumn Leaves par exemple… (Petit tip : ça marche très bien sur All The Things You Are).
Mais il vous reste encore beaucoup à apprendre des grilles de jazz. Par exemple, saviez-vous qu’on peut précéder une dominante secondaire d’une sous-dominante secondaire ? Pour en apprendre plus sur cet outil (et beaucoup d’autres) et obtenir des exercices pour les intégrer directement à votre jeu, procurez-vous mon cours complet Harmonie Jazz : de la Théorie à lmprovisation. Toutes les infos sont sur cette page :
Il y a deux façon d’aborder le jazz : La première ? En faisant tout d’oreille. La seconde ? En utilisant des partitions et des grilles. Dans cet article, nous allons nous concentrer sur la deuxième possibilité en nous focalisant sur un point spécifique : l’analyse de grille. En effet, il ne suffit pas de savoir déchiffrer les accords écrits sur une partition pour bien jouer. Il faut aussi comprendre les relations qu’ils entretiennent les uns par rapport aux autres. Et cela nécessite un petit travail d’analyse.
Beaucoup de musiciens voient l’analyse de grille comme quelque chose de compliqué et d’abstrait, qui pourrait « tuer » la créativité et la spontanéité… Au contraire ! Cela multiplie les capacités de jeu. L’analyse permet notamment de :
Bien comprendre la trame harmonique du morceau
Visualiser les différentes cadences contenues dans les carrures
Savoir quels modes jouer sur les accords qui se succèdent
Autrement dit :
Analyser une grille permet de saisir l’histoire que raconte l’harmonie du morceau, ses différents rebondissements à travers les tensions et les relâchements définis par l’alternance des accords. Cette analyse permet de choisir les bons modes à jouer, avec les bonnes altérations, voire même de les substituer par d’autres, plus ou moins sophistiqués. Incontournable, donc, quand on veut réharmoniser des passages d’un morceau.
Pour jouer du jazz comme les plus grands, c’est un passage obligé ! Mais, promis, ce n’est pas aussi compliqué qu’il n’y paraît… Je vais même vous présenter un outil qui clarifie les choses. Commençons par découvrir le fonctionnement de l’harmonie grâce à quelques notions théoriques sur la tonalité.
L’Harmonie tonale
Nous allons nous intéresser dans un premier temps aux morceaux à tonalités majeures (l’harmonie mineure sera traitée dans un prochain article).
Qu’est-ce qu’un morceau tonal ?
Un contexte tonal se définit par la succession de différents accords dans notre harmonie. Cette succession va créer de la tension ou du relâchement harmonique par rapport à une référence que l’on appelle le centre tonal. Cette suite d’accord suit une série de règles, de codes, et forme ce qu’on appelle des cadences.
Concrètement, prenons un morceau dont le centre tonal serait Do majeur. Des accords vont se succéder, et vont sonner de façon plus ou moins tendus harmoniquement par rapport à notre centre tonal, Do. L’accord de Do majeur sera le plus stable, et tout ce qui gravitera autour créera plus ou moins de tension harmonique qui voudra se résoudre en retombant sur cet accord.
Imaginez que l’harmonie est comme un élastique, si on le tend, il devient instable et veut absolument revenir à son état normal.
La Gamme Majeure et ses Degrés
Les accords que l’on trouve dans une progression ne sont pas pris au hasard, ils sont construits à partir des différents degrés d’une gamme. Ce n’est pas n’importe quelle gamme non plus ! Elle part d’un centre tonal, et sera soit majeure, soit mineure. On parle alors de morceaux majeurs, ou mineurs.
Clarifions cela à l’aide d’un exemple : Gardons comme tonalité Do majeur. On part de notre centre tonal, soit Do, et on écrit une gamme majeure. Il suffit maintenant d’assigner un degré à chacune de ses notes :
Pour trouver les accords de notre morceau, on empile des tierces sur ces degrés. On ne choisit pas les notes à empiler au hasard, il faut utiliser uniquement les notes de notre gamme majeure !
Les accords induis sont soit majeurs (avec une tierce majeure), soit mineurs (tierce mineure), soit diminués (tierce mineure et quinte diminuée).
Petit point notation : J’utilise la notation américaine dans cet article, donc tous les degrés majeurs (avec une tierce majeure dans leur accord) seront écrits en chiffres romains, et les degrés mineurs (avec une tierce mineure dans leur accord en lettres minuscules, suivant la logique des chiffres romains. Ex : le Quatrième degré majeur se notera IV, et le sixième degré mineur vi.
Mais avant d’aller plus loin, arrêtons nous sur deux notes particulières et qui peuvent poser problème :
La septième. Elle est située à un demi ton de la tonique de la gamme majeure, donc de la note la plus stable dans notre tonalité. Cette note est donc extrêmement instable et tout accord à trois sons qui l’utilisent créent de la tension harmonique (elle tend l’élastique !).
La quarte. Elle est entre la tierce et la quinte, deux notes très stables par rapport à la tonique. Elle est moins instable que la septième, mais les accords qui l’utilisent créent tout de même de la tension harmonique.
Tout cela va nous permettre de classer nos accords par familles, selon qu’ils tendent ou pas l’élastique et à l’aide de quelle note instable (la septième ou la quarte?).
Cela nous donne ce schéma :
Les trois Fonctions
Le schéma ci-dessus nous présente trois familles, qui vont déterminer trois fonctions harmoniques.
Fonction d’un accord : Ce à quoi il sert par rapport à la tension harmonique. Tend-il l’élastique ? Ou le détend-il ?
Remarquez que le 3e degré est ambigu : Il contient deux notes stables par rapport au centre tonal, et une note instable ! En Do majeur, il contient Mi et Sol. Elles sont toutes les deux dans notre accord de premier degré, et donc sont par conséquent très stables. La 3e note est le Si, la septième de la gamme de do majeur, une de nos notes instables… C’est pour cela que ce 3e degré chevauche la fonction tonique et la fonction dominante dans mon schéma.
Le 7e degré est lui aussi spécial : il contient la septième, et la quarte de notre gamme majeure (en Do le Fa et le Si) ! Ce sont les deux notes qui posent problème, l’élastique est ici tendu à son maximum est veut à tout prix qu’on le relâche.
Pour pouvoir le transposer plus facilement, voici ce même schéma avec seulement les degrés des accords :
Bien, maintenant que les bases théoriques sont posées, découvrons à quoi cela va nous servir concrètement !
Une approche nouvelle de l’harmonie tonale
Les Cadences
Si je me suis amusé à réaliser un joli schéma, c’est que le côté visuel nous intéresse. Des américains ont d’ailleurs basé une application là-dessus, qui s’appelle Mapping Tonal Harmony. Ce schéma (ou cette carte comme dans l’appli) nous permet de visualiser concrètement les relations entre les différentes fonctions à l’intérieur de la tonalité.
Reprenons notre schéma précédent en liant cette fois, les différentes fonctions entre elles. On appelle cela des cadences :
Dans cet article on va se concentrer sur seulement trois cadences, les 3 principales :
La cadence parfaite, V ou viib5 -> I (fonction dominante -> fonction tonique)
La cadence plagale, IV ou ii -> I (fonction sous-dominante -> fonction tonique)
La demi-cadence, V -> ?(fonction dominante qui ne résout pas vers le Ier degré)
Au sein de la cadence parfaite, il est possible de préparer la tension du Ve degré avec un accord de fonction sous-dominante, souvent le iind degré. On a alors ii -> V -> I, le ii V I tant utilisé en jazz !
Les Modes
Nos degrés et nos cadences sont désormais inscrits sur notre schéma. Ainsi, lorsque nous analyserons une grille, nous pourrons visualiser le chemin harmonique à emprunter. Par exemple, terminer ses phrases à la fin des cadences parfaites… Reste à savoir quelles notes utiliser pour notre improvisation !
Pour ce faire, il suffit de relier notre grille aux modes, la base des phrases et des voicings dans le jazz. Ici, nos degrés sont issus de la gamme majeure. Et quelle chance, vous connaissez les modes issus de la gamme majeure (mais si rappelez vous, vous avez lu mon article sur le sujet!!).
Ce qui veut dire que nous n’avons pas besoin de nous casser la tête. Il suffit d’assigner à chaque degré de notre schéma le mode qui lui convient :
Maintenant, quand nous rencontrerons une nouvelle grille, nous saurons instantanément quel est le bon mode à jouer. Pratique, non ?
Outre le fait de mieux visualiser les cadences et les modes, l’intérêt d’un schéma comme celui-ci est, en le complexifiant un peu comme on le verra dans les prochains articles, de pouvoir visualiser toutes les possibilités de réharmonisation qui s’offrent à nous. Pratique quand on compose, mais aussi beaucoup quand on joue et accompagne. Tous les pros réharmonisent les progressions d’accord, même de manière très légère… Je vais vous en donner un exemple à la fin de l’article.
Exemple d’une Analyse de grille
Petit aparté sur la méthode pour trouver la tonalité d’un morceau
Partons du principe que vous avez la grille sous les yeux. La plupart des gens vous diront : « Regarde les altérations à la clé« , ou « Regarde le premier accord de ta grille« , ou « Regarde le dernier accord du morceau« . Ce n’est pas faux, mais ça ne marche pas à tout les coups.
Ce qui marche, c’est de combiner plusieurs astuces, et, surtout, de savoir ce que l’on recherche.
La tonalité du morceau va être donnée par notre premier degré, majeur ou mineur. Donc pas d’accords 7, mineur 7, mineur 7 bémol 5… Ce que l’on cherche, c’est uniquement pour les premiers degrés majeurs : des accords majeurs à trois sons basiques, ou des accords 6, ou maj7. Pour les premiers degrés mineurs : des accords mineurs à trois sons basiques, ou min 6, ou min-maj7.
Dans notre grille, il y a des endroits clés où on est quasiment sûrs de trouver ce premier degré. Ces endroits sont :
La toute fin du morceau, le dernier accord que l’on va plaquer avant les applaudissements du public
Les fins de parties, qui généralement comportent des cadences qui évoluent vers le premier degré. Ex : Dans un morceau AABA, les deux dernières mesures des 2e et dernier A contiennent très probablement le 1er degré.
Faites confiance à votre oreille, et à l’accord qui vous semble le plus stable, c’est généralement notre premier degré.
Analyse de Down by the Riverside
Pour notre exemple d’analyse, on va prendre un morceau peu complexe harmoniquement, comme un negro spiritual ou un morceau gospel.
Prenons Down by the Riverside.
En voici la grille. En ne prêtant attention qu’à la grille, arriverez-vous à trouver la tonalité du morceau ? (Si vous ne savez pas comment vous y prendre, consultez cet article après celui-ci !)
Ce morceau est ici en Do majeur. Analysons sa grille maintenant, pour ce faire, voici de nouveau mon schéma de l’harmonie tonale, adapté à la tonalité de Do majeur :
En comparant avec notre schéma, nous pouvons constater que nous restons dans notre tonalité de Do majeur, et que les accords qui se succèdent sont les Ier, IVe et Ve degrés de notre tonalité. Inscrivons les cadences, et les modes à jouer sur chaque accord.
Nous voilà déjà plus avancés qu’auparavant ! On a une meilleure idée de l’endroit où chaque accord veut nous emmener, et on peut organiser notre solo par rapport à cela, c’est à dire démarrer et finir nos phrases en fonction des cadences. Rapide exemple avec le premier A :
Voici le même exemple avec l’analyse en surlignage :
Petit aparté : Les plus attentifs auront remarqué une petite approche chromatique sur le « et » du 4e temps de la 4e mesure, le La # qui va vers le Si de la mesure suivante. Cette note ne fait en effet ni partie du mode ionien, ni du mode mixolydien, elle est en fait issue du blues.
Si vous avez lu mon EBOOK « Les Fiches d’Identité des Modes« , vous avez sans doute remarqué que ma seconde phrase est celle que j’ai repiquée de Louis Armstrong dans Cheek to Cheek. Elle sert d’exemple pour le mode Ionien dans le livre, qui comporte encore beaucoup d’autres phrases et voicings de ce type pour 14 modes importants dans le jazz.
Si certains d’entre vous ne vous êtes toujours par procuré cette ressource que je mets à disposition gratuitement, je vous invite à le télécharger en cliquant ci dessous :
Souvenez-vous, au début de l’article, je mentionnais la possibilité de réharmonisation d’une grille. Peut-être vous êtes-vous dit que cela devait être quelque chose de compliqué ? Un truc de pianiste ? Qu’il fallait avoir lu 3 bouquins de théorie pour pouvoir le faire ? Et pourtant… si je vous dis que l’on peut réharmoniser Down to the Riverside, juste pour le plaisir, dès maintenant, grâce à notre schéma ?
Je ne vais pas tenir compte de la mélodie pour cet exemple, mais quand vous faites une réharmonisation d’un morceau, PRENEZ TOUJOURS EN COMPTE LA MÉLODIE ! (Ça permet d’éviter les clashs harmoniques…)
Je vais vous donner deux petites recettes qui marchent bien :
On peut préparer une cadence parfaite avec un accord de sous-dominante. Pour une progression : V -> I, insérer un ii (ou un IV) avant le V ce qui donne : ii – V -> I
On peut mettre une cadence plagale ou une cadence parfaite entre deux fonctions toniques, s’il n’y en a pas déjà. Par exemple, si on a une longue plage d’un Ier degré, on peut insérer des IVe degrés ou Ve degrés à l’intérieur, du moment qu’on revient sur le Ier degré à la fin
Sachant cela, revenez en arrière et regardez à nouveau notre grille. Voyez-vous des longues plages de Ier degré ou des cadences parfaites qui ne seraient pas préparées de sous-dominantes ?
Personnellement… J’en vois ! Je vous donne un exemple de réharmonisation :
Bon mais à quoi cela peut-il nous servir, à part nous compliquer la vie ? Eh bien, vous pourriez improviser ou accompagner sur cette grille de manière simple, basique, sans utiliser notre réharmonisation. Ou vous pourriez utiliser nos changements et faire entendre de nouvelles couleurs… Je vous donne un exemple :
Avec l’analyse en surlignage :
Ce qui marche particulièrement bien, de mon point de vue, c’est de préparer les cadences parfaites à l’aide d’accords de sous-dominante. Cela fait entendre d’autres notes que les Tonique, Tierce et Quinte… On s’éloigne de l’esthétique New Orleans pour arriver vers le Be-Bop, où ce genre de réharmonisations est monnaie courante.
Conclusion
Dans cet article, vous avez eu l’occasion d’en apprendre plus sur :
La tonalité et son fonctionnement ;
Mon schéma de l’harmonie tonale, un outil pratique qui permet de visualiser tout ce dont on a besoin pour analyser une grille ;
L’analyse de grille, comment faire et à quoi ça sert concrètement ;
La réharmonisation et quelques astuces pour faire entendre de nouvelles couleurs sur une grille.
Maintenant, c’est à vous de jouer. Reproduisez la carte sur un papier chez vous (ou procurez-vous l’appli dont je me suis inspiré), et analysez un negro spiritual ou un morceau de New Orleans, quelque chose de peu complexe harmoniquement pour commencer. Ensuite, essayez de le réharmoniser, pour faire entendre de nouvelles couleurs. Je suis curieux d’entendre le résultat, partagez-le avec moi en m’envoyant un mail à l’adresse : louis@jazzcomposer.fr, ou laissez un commentaire en bas de cette publication.
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