D’après Mastery, le livre culte de l’américain Robert Greene, pour devenir un expert dans une activité quelconque, il faut y consacrer pas moins de 10000 heures ! Si on applique cette règle à la pratique d’un instrument, en y passant 2h tous les jours, on peut espérer le maîtriser en… 13 ans et demi ! Évidemment, ce résultat est assez absurde, il est possible de devenir un bon musicien en moins d’une douzaine d’années. En fait, ce chiffre nous informe du temps qu’il faut prendre pour maîtriser complètement un champ d’activité. Mais l’amalgame entre « bon » et « expert » est vite fait, et dans l’imaginaire collectif, ces 10000 heures peuvent vite devenir inatteignables. Travailler le jazz devient un fardeau, qui mène au découragement toute personne étant un peu trop exigeante avec elle-même.

En musique plus que dans toute autre discipline, un certain esprit de compétition peut nous pousser à vouloir travailler toujours plus.
Ce genre de mentalité peut s’avérer très dangereuse. Pourquoi ?

En passant beaucoup d’heures à pratiquer ce qui, au départ, est une passion, nous y investissons une des ressources les plus chères à nos yeux : notre temps.
J’ai ainsi été témoin de deux ou trois histoires de musiciens qui avaient beaucoup (trop) travaillé et investi de temps dans leur pratique. À la suite d’une déconvenue (échec à un examen, concert important sur lequel ils jugent ne pas avoir été à la hauteur, mésentente avec un professeur…) ils ont tout simplement mis un terme à leur pratique !

Un véritable Burn-out.

Qui puise son origine première (entre autres) dans la fausse croyance que pour devenir bon, nous devrions travailler à longueur de journée…
Les légendes urbaines du jazz renforcent d’autant plus ce mythe. Qui n’a jamais entendu parler du rythme de travail de John Coltrane, qui pouvait bosser son sax jusqu’à 12h par jour !?

Trop travailler peut donc s’avérer néfaste, mais, d’un autre côté, ne pas travailler assez ne permet pas de progresser…
Comment faire la part des choses ? Combien d’heures par jour consacrer à travailler le jazz ? Comment ne pas être submergé par la quantité de boulot ? Comment progresser plus efficacement ?

Je vais essayer de répondre à toutes ces questions dans les deux parties de cette série d’articles. Commençons par définir :

Les choses indispensables à travailler

Abraham Lincoln a dit un jour :

Si j’avais 6 heures pour abattre un arbre, je passerai les 4 premières à affûter ma hache.

Abraham Lincoln

Quel rapport avec le jazz, me direz vous ?

J’y viens. 
Avez vous déjà été dans une école de jazz ? Si oui, vous avez une petite idée de ce qu’on y enseigne. Voici une liste non-exhaustive :

  • L’harmonie
  • Le rythme
  • Le déchiffrage
  • L’improvisation
  • L’interprétation
  • La culture
  • L’oreille
  • Le jeu en groupe
  • L’accompagnement
  • Le répertoire

On peut organiser ces différentes disciplines de cette manière :

Schéma différentes matières en jazz

Bien sûr, on peut être un très bon musicien sans avoir travaillé les fondamentaux (les musiciens de jazz manouche, qui ne déchiffrent pas, en sont un bon exemple).
Je connais des gens qui jouent des phrases très sophistiquées grâce à leurs relevés de solo, mais qui n’ont pour autant jamais étudié l’harmonie ou le rythme en profondeur.

La combinaison des fondamentaux, de la théorie, et des matières purement rattachées au jazz forme en fait l’idéal du musicien polyvalent.
Un jazzman capable de braver toutes les situations, d’improviser sur les grilles les plus compliquées, d’être toujours précis rythmiquement et de jouer tout ce qu’il entend.

Pour en revenir à Lincoln, s’il avait fait du sax, il nous aurait peut-être dit : 

Si on me donne 6h pour enregistrer une version de Cherokee, je passerai les 4 premières à écouter des versions, bosser la grille, ses accords et ses modes, répéter le morceau en session, m’entraîner à jouer 100 points en dessous… »

Abraham Lincoln (enfin presque)

Bref, vous m’avez compris, Lincoln nous apprend que nous sommes plus efficace en passant du temps à préparer ses outils, plutôt qu’en s’attelant tout de suite à la tâche, sans réfléchir.

Afin d’être bien préparé pour faire face aux situations les plus compliquées, il faut donc travailler le jazz de manière complète, pour devenir bon dans toutes les disciplines. Et cela pose un problème de taille…

Comment faire pour tout travailler ?!

Travailler le jazz en combinant différentes approches

Les différentes matières sont nombreuses, et, comme indiqué dans le titre, nous avons envie de passer moins de 8h par jour à travailler le jazz !

Il y a quelques années, j’ai personnellement résolu le problème en faisant l’impasse sur les matières qui me plaisaient le moins, le rythme et le déchiffrage.
Mais, comme vous pouvez vous en douter, je me suis retrouvé très vite face à mes faiblesses, et cela a été problématique dans la suite de mon apprentissage. J’aurais bien aimé qu’on me montre une solution alternative, plus intelligente…

En fait, il est possible, de travailler plusieurs disciplines en même temps. Je vais vous donner un exemple :
Imaginons que vous travailliez All of Me cette semaine. 

  • Vous choisissez de trouver sa grille en repiquant la ligne de basse. Vous mêlez donc l’apprentissage du répertoire et l’oreille
  • L’écoute d’une vingtaine de versions vous aide à vous familiariser avec le standard. Supposons que pour chacune, vous notez les noms des musiciens, des albums, labels et années d’enregistrements… Vous alliez maintenant répertoire et culture.
  • La manière qu’a le saxophoniste Lester Young d’interpréter le thème vous plaît, en particulier au niveau rythmique. Vous repiquez donc le thème, le travaillez sur votre instrument, prenez le rythme à part et en faites un exercice (pieds sur les 2e et 4e temps, mains avec la clave du chabada, texte à la voix par exemple). Répertoire + Oreille + Interprétation + Rythme !
  • Vous vous intéressez à la grille du standard, voyez que la partie C comporte une subtilité, et vous décidez de vous renseigner. Vous découvrez une nouvelle progression d’accords, la cadence plagale mineure, et la travaillez dans tous les tons, en utilisant un voicing précis au piano. Répertoire + Harmonie + Accompagnement.
  • Vous choisissez d’amener le standard en session, en vous rendant compte qu’avec tout ça, vous n’avez pas appris le thème (du moins pas sa version basique) ! Répertoire + Jeu en groupe + Déchiffrage.

Et voilà comment à partir du choix d’un standard, on peut réussir (à peu près !) à tout travailler. La combinaison des différentes disciplines renforce même l’apprentissage.

Dans mon exemple, je peux vous garantir qu’après une semaine à varier les approches, All of Me n’a plus de secrets pour vous ! Et les progrès que vous avez accompli dans vos compétences fondamentales vont vous servir à accélérer votre apprentissage d’autres morceaux. 

Objection !

Évidemment, tout ne fonctionne pas aussi bien en pratique. Optimiser au mieux sa méthodologie en mixant un maximum d’approches n’est pas une chose évidente à faire.

Il est difficile de choisir le bon standard par rapport à notre niveau, de trouver les bons exercices, transcrire un solo peut prendre un temps fou…

Heureusement, il existe des solutions.

  • Pour éviter d’y passer des heures et des heures, réduisez la charge de travail (Repiquez 4 mesures au lieu de 8, ou 16, diminuez le tempo final…). Travailler régulièrement en petites quantité est beaucoup plus efficace que travailler ponctuellement en grande quantité.
  • Faites appel à un prof pour vous conseiller. Il s’est déjà posé toutes les questions que vous vous posez, son aide sera indispensable pour que vous ne perdiez pas de temps. 
  • Allez chercher de l’information dans des méthodes de jazz ou sur internet, à l’aide de blogs comme Jazzcomposer.fr ou de chaînes Youtube.

De cette manière, vous passerez moins de temps à travailler le jazz, tout en progressant plus.

Conclusion

J’ai peut-être enfoncé des portes ouvertes, mais si on m’avait dit tout cela quelques années auparavant, j’aurais progressé beaucoup plus vite !
Si un article de ce genre aurait pu m’aider, il y a de grandes chances pour que cela aide certains d’entre vous.

Donc, jetez de nouveau un oeil sur le schéma vous présentant les différentes disciplines, et cherchez comment les combiner dans votre pratique.
Votre apprentissage n’en sera que plus profond et durable.

Consultez ici la deuxième partie de cette série d’articles.

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3 commentaires

frigerio · 2 janvier 2023 à 00:26

très interessant , mais l’on sait que le travail de musicien est trés long , et change aussi selon l’instrument pratiqué.

    Louis · 3 janvier 2023 à 11:02

    Bonjour Franck, merci pour votre commentaire. En effet, le niveau que l’on souhaite atteindre et notre niveau d’exigences peut nous amener à passer de longues heures sur notre instrument, ou à améliorer notre oreille, notre sens du rythme, notre culture, ou notre connaissance de la théorie…

    Cela dit, on peut commencer à se faire plaisir rapidement en travaillant les bonnes choses ! Par exemple, on peut improviser sur des grilles basiques avec des techniques comme le jeu horizontal* et déjà jouer de super solos et vivre un bon moment en groupe.

    *Le jeu horizontal est une manière d’improviser qui consiste à utiliser la gamme de la tonalité du morceau, sans se soucier des accords qui défilent. Voici un bon exemple avec ce solo de Clark Terry sur le blues en Si bémol, sur ses trois grilles, il n’utilise que la gamme de Si bémol mineur blues pour jouer ses phrases.

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