Jeu horizontal : improvisez facilement SANS PENSER aux accords

Vous trouvez cela trop beau pour être vrai ? Écoutez cette phrase de Clifford Brown, dans son solo sur September Song :

À vue de nez, on dirait que Clifford Brown improvise globalement en Si bémol pendant 4 mesures, avec une petite touche bluesy.
Voici maintenant cette même phrase, dans son contexte harmonique :

Quelle surprise ! La grille est en fait très riche, elle comprend beaucoup d’accords, beaucoup de couleurs différentes… Cela ne s’entend pas du tout dans le jeu de Clifford, on dirait qu’il improvise sans se soucier des accords…

Serait-on devant un flagrant délit de filouterie !? Se pourrait-il qu’un grand jazzmen comme Clifford Brown, admiré pour son jeu si riche et sophistiqué, truande la grille sans que personne ne s’en rende compte ??

Je vous le confirme, et il n’est pas le seul à le faire. Si vous êtes abonnés à la chaîne Youtube de Jazzcomposer.fr, vous connaissez déjà cet exemple de Joey Di Francesco qui improvise sur la moitié de Fly Me To The Moon en n’utilisant que 2 gammes !

https://www.youtube.com/shorts/6-t_61KZEM4

Mais quelle est donc cette technique ? Comment la reproduire à notre tour, sans faire complètement n’importe quoi ?

Toutes les réponses sont dans cet article. Commençons avec…

… Un peu de théorie !

La majorité des standards de jazz sont écrits selon un cadre tonal. En résumé, pour construire la tonalité majeure, on sélectionne une note qui sera le centre tonal (aussi appelée « tonique »), et on utilise la gamme majeure en partant de cette note pour composer des mélodies :

On peut aussi harmoniser la gamme pour créer des accords (les « degrés« ), qui seront joués par la section rythmique :

Un petit détail très important pour la suite : pour constituer ces accords, on utilise seulement des notes de la gamme majeure de départ. On dit que les notes (et les accords) sont diatoniques, elles appartiennent à la tonalité, elles sont toutes issues de la même gamme.

Ensuite, ces accords s’alternent, tendent, détendent l’harmonie selon les notes qu’ils contiennent…

C’est l’harmonie tonale, empreinte d’une sonorité et d’un caractère propre, se distinguant d’autres systèmes d’harmonisation comme l’harmonie modale, ou atonale…

(Consultez cet article pour en savoir plus sur la construction de l’harmonie tonale)

La manière basique d’improviser, le jeu « vertical »

Parmi l’harmonisation de la gamme de Do majeure présentée ci-dessus, j’ai pioché 4 accords pour créer une progression tonale, que voici :

Prenez votre instrument et improvisez sur ces accords.

Alors ?

Je suis sûr que vous avez procédé ainsi :

  • vous avez étudié chaque accord séparément,
  • vous vous êtes demandé quelles sont ses notes, quelles gammes vous avez le droit d’employer dessus,
  • et vous vous êtes lancé dans une impro endiablée !

Cela devait donner quelque chose du style :

Vous ne vous en êtes pas rendus compte, mais vous avez appréhendé la progression d’accords d’une manière bien particulière. J’appelle cela le jeu « vertical », vous avez utilisé un outil harmonique (gamme, arpège) pour chaque accord.

C’est la manière de « penser » l’harmonie par défaut, elle a pour avantage de vous connecter à la section rythmique (vous jouez exactement le même contenu harmonique au même moment), et elle donne un jeu plutôt virtuose car vous multipliez les éléments harmoniques dans votre phrase.
Autant de pirouettes et galipettes harmoniques qui vous permettent de briller en société : « Et toc, vous avez vu comment je maîtrise bien mes gammes et mes arpèges ? »

Bien sûr, ce mode d’improvisation n’est pas sans inconvénients ! En effet, si, vous n’avez pas vos gammes et arpèges sous les doigts… Bonjour les dégâts. Également, à la longue, improviser seulement en jeu vertical peut paraître scolaire et mécanique.

Ce qu’on ne vous a sans doute jamais dit… C’est que ce n’est pas la seule manière d’aborder une progression d’accords !

La 2de manière de penser l’harmonie : le jeu « horizontal »

1. L’analyse de grille

Prenons un peu de recul par rapport à la progression d’accords, et interrogeons-nous : « Comment le compositeur s’y est-il pris pour créer sa grille ? ».
A-t’il mis de jolies couleurs un peu au hasard les unes après les autres, ou y a t’il une logique ?

Bien souvent, il y a une logique, et cette logique, c’est celle de l’harmonie tonale. Dans notre exemple, vous m’avez vu faire…

… J’ai sélectionné les Ier, vie, iid, et Ve degrés de la tonalité.

Dans la vraie vie, vous ne pourrez pas passer un coup de fil au compositeur de chaque morceau que vous jouerez, alors comment repérer par vous même le parcours tonal d’une grille que vous ne connaissez pas ?

En réalité, il n’y a pas 36 manières d’harmoniser un morceau. Certaines alternances sont trèèèès fréquentes (on les appelle les « cadences »). Plus vous vous intéresserez au fonctionnement de l’harmonie tonale, plus vous analyserez des grilles différentes, et plus vous trouverez votre chemin facilement et rapidement.
Je vous enseigne comment faire dans mon cours complet Harmonie Jazz : de la Théorie à l’Improvisation.

2. L’improvisation avec le jeu horizontal

En quoi cette analyse de grille nous facilite la vie ? Une fois cette petite étape franchie :

  • si les accords n’appartiennent pas à une seule et même tonalité —> jeu vertical (= selon chaque accord) ;
  • si les accords appartiennent à une seule et même tonalité, alors vous pouvez improviser de manière horizontale.

En quoi consiste le mode de jeu horizontal ? Comme les accords sont issus d’une même tonalité, ils ont été créés à partir du même réservoir de notes : la gamme majeure de la tonalité.
On peut donc tout à fait utiliser cette gamme pour improviser sur ces accords, on jouera forcément les « bonnes » notes ! Autrement dit, pas de risque de « fausses » notes.

Vous n’avez donc qu’à improviser, en utilisant seulement la gamme majeure… Sans vous soucier des accords !

Voici ce que ça donne :

Les avantages du jeu horizontal

Vous l’aurez deviné, improviser ainsi est diablement plus facile que le jeu vertical ! Votre esprit n’est plus encombré par tout un calcul des arpèges et modes afférents aux accords… Vous pouvez vous concentrer pleinement sur votre musicalité.

Comme vous utilisez une seule et même gamme, le son que vous obtenez est moins sinueux et vallonné que si vous utilisiez une gamme ou arpège différent pour chaque accord. Vos phrases ont un caractère plus mélodique qu’avec un mode de jeu vertical.

Ça paraît trop facile… Même si ça l’est, vous avez raison de vous méfier.

Les inconvénients du jeu horizontal

Vous l’aurez peut-être deviné, utiliser une seule gamme pour exprimer plusieurs accords est problématique.

Il y a une raison pour laquelle les différents accords de la tonalité sonnent différemment. Certes, nous partons d’une même gamme majeure pour les constituer, mais, pour chaque accord, nous ne prenons pas TOUTES les notes de la gamme pour les créer ! Les notes des accords sont les plus importantes, ce sont elles qu’on doit mettre en valeur dans notre impro, afin qu’on perçoive bien le rôle harmonique de l’accord (autrement dit sa « fonction », tendre ou détendre l’harmonie).

Ainsi, en jouant une seule gamme pour plusieurs accords, vous prenez le risque de jouer des notes étrangères aux accords spécifiques, ne plus faire sonner la progression et vous déconnecter de l’histoire harmonique qu’a voulu raconter le compositeur.

Également, vous vous désolidarisez de la section rythmique, ce qui n’est pas du plus bel effet.
Autre écueil, si vous abusez de ce mode de jeu, votre impro paraîtra monotone et plate.
Sans mentionner qu’il est beaucoup plus facile de se perdre sans être concentré à 100% sur les accords qui défilent !

Mais pourquoi le jeu horizontal fonctionne-t’il alors ?

Malgré tous ses défauts, malgré qu’on fasse parfois sonner les « mauvaises » notes sur certains accords, le jeu horizontal reste incroyablement efficace et convaincant, comme le montre l’exemple de Clifford Brown :

2e mesure, 3e et 4e temps, remarquez les notes : Fa#, Sol, Si b sur l’accord F7… Pas du tout les « bonnes » notes !

Pourquoi ? Car le son de la gamme de la tonalité du morceau est bien particulier, il est ancré dans notre oreille. Si votre phrase sonne, si elle utilise du vocabulaire simple et basique, sa puissance mélodique primera sur ses défauts harmoniques.

Et ce, particulièrement si vous ajoutez ce petit ingrédient en plus…

Utilisez les gammes blues pour donner un caractère explosif à votre jeu horizontal

Voici de nouveau la phrase de Clifford Brown :

Vous l’aurez sans doute remarqué, Clifford Brown n’utilise pas exactement la gamme majeure pour improviser horizontalement… Il utilise un vocabulaire blues.

Pourtant, la grille est tonale, à priori sans rapport avec le blues… Comment cela peut-il fonctionner ?

Revenons aux basiques :

Les deux gammes blues

Il existe deux gammes blues :

  • la gamme blues majeure ;
  • la gamme blues mineure.

On construit une gamme blues en partant d’une gamme pentatonique, à laquelle on ajoute une « blue note », note épicée, extrêmement dissonante qui donne tout son caractère plaintif au jeu blues.

Précisément, pour créer les gammes blues, on part des gammes :

  • pentatonique majeure pour la gamme blues majeure ;
  • pentatonique mineure pour la gamme blues mineure.

Pour créer ces gammes pentatoniques :

  • on part de la gamme majeure dont on enlève les notes dissonantes, la 4te et la 7e pour la gamme pentatonique majeure ;
  • on part de la gamme mineure naturelle dont on enlève les notes dissonantes, la 2de et la 6te pour la gamme pentatonique mineure.

Vous ne l’avez peut-être pas remarqué, mais la clé est ici. Pour créer une gamme blues, on part de la pentatonique correspondante elle-même issue d’une gamme parente, gamme servant à établir la tonalité et son harmonie.

On passe de la gamme majeure… :

… À la gamme pentatonique majeure… :

… À la gamme blues majeure :

Si on peut improviser de manière horizontale avec la gamme de la tonalité, on peut tout à fait le faire avec les gammes en découlant (pentatonique et blues).

Et c’est comme ça qu’on en arrive à ce genre de phrases, pensées simplement sur des progressions pourtant fournies :

Résumons :

  • Pour improviser ou composer des phrases sur une grille d’accords, on peut « penser » l’harmonie de deux manières :
    • verticalement, en utilisant un outil harmonique (gamme, arpège) pour chaque accord ;
    • horizontalement, en prenant la gamme de la tonalité de laquelle est issue la progression d’accords.
  • Ces deux pensées offrent deux sonorités différentes à exploiter dans vos impros :
    • plus virtuose et sinueuse en jeu vertical ;
    • plus mélodique et linéaire en jeu horizontal.
  • Pour improviser horizontalement, il est mieux d’avoir analysé sommairement la grille, pour ne pas utiliser la mauvaise gamme sur un bout de progression qui ne ferait pas partie de la tonalité.
  • N’abusez pas du jeu horizontal pour ne pas paraître déconnecté de la grille, ne pas vous perdre…
  • Utilisez les gammes pentatonique et blues pour varier de la gamme de la tonalité.

Si vous n’en avez jamais entendu parler, il y a des chances pour que cet article révolutionne votre manière d’appréhender les grilles d’accords, et vous ouvre de nouveaux horizons pour vos solos !
Partagez-le donc à vos collègues jazzwomen et jazzmen, pour qu’ils bénéficient également de ces conseils.

Pour intégrer cette modes de jeu à vos impros, je vous recommande de pratiquer les exercices que je donne dans mon cours complet : Harmonie Jazz, de la Théorie à l’Improvisation.
Dans ce cours, vous retrouverez le contenu de cet article en vidéo et sous forme de fiche récap’ pdf, et beaucoup d’autres notions comme celles-ci, indispensables pour improviser sur les grilles de jazz.

Cet article vous a été utile ? Ne manquez aucun nouvel article ou vidéo de ce type en vous inscrivant à la newsletter hebdomadaire de jazzcomposer.fr :

Une question, une remarque ? Je vous réponds avec plaisir en commentaires :

Bix Beiderbecke : biographie, 3 transcriptions de solos à travailler

J’ai rédigé cet article pour TROMPETTISTE(S) MAGAZINE, la revue 100% trompette traitant aussi bien de classique que de jazz. Si vous êtes trompettiste et cherchez à vous cultiver sur votre instrument, découvrir ses virtuoses d’hier et d’aujourd’hui, abonnez-vous en suivant ce lien :

https://www.uniondestrompettistes.fr/

Cet article est le premier d’une série consacrée aux trompettistes de l’école « cool », courant stylistique encore bien en vogue aujourd’hui et s’opposant au jazz « hot ». La différence ? L’un est plus intimiste, réservé (on peut parfois le qualifier de « jazz de chambre »), l’autre explosif, exubérant, festif.

J’ai espoir que la plongée dans cet univers pourra vous inspirer, mener à la découverte de belles oeuvres musicales, et vous aider à façonner votre discours d’improvisateur grâce à l’étude de ceux des maîtres.

Commençons avec un trompettiste injustement méconnu, ayant pourtant une influence considérable sur ceux qui l’ont écouté et suivi : Bix Beiderbecke.

Bix Beiderbecke : Biographie

Débuts

Bix Beiderbecke, né le 10 mars 1903 à Davenport, Iowa, est un trompettiste et pianiste de jazz autodidacte. Issu d’une famille de la classe moyenne, son père, Bismark Herman Beiderbecke, dirige une entreprise prospère de combustibles et de bois de construction, tandis que sa mère, Agnes Jane Hilton, est une pianiste talentueuse. Dès son plus jeune âge, Bix démontre une oreille musicale exceptionnelle, apprenant à jouer du piano sans lire la musique.

En 1919, le frère de Bix acquiert une platine Victrola, et Bix est vite captivé par les enregistrements de jazz de l’époque, notamment par le son de la trompette, au sein de groupes phares tels que l’Original Dixieland Jass Band. Il reproduit ce qu’il entend au piano mais se procure rapidement un cornet, apprenant l’instrument sans professeur.

En 1921, il forme son premier orchestre, le Bix Beiderbecke Five. Son passage à l’Académie Militaire de Lake Forest en 1921 est écourté en raison de performances académiques insatisfaisantes et de démêlés dans des bars locaux.

1923-1927

Les années 1923 à 1927 marquent la période d’ascension de Bix dans le monde du jazz. En 1923, il rejoint le groupe des « Wolverines », dans lequel il joue principalement du cornet mais aussi parfois du piano, avec qui il enregistre ses premiers disques pour le label Gennett Records. C’est à cette époque qu’il fait la connaissance de Frankie Trumbauer, spécialiste du saxophone en ut, avec qui il grave ses plus beaux sillons. À la même époque, il enregistre avec d’autres petites formations dont les « Sioux City Six », puis rejoint en 1925 l’orchestre de danse de Jean Goldkette (un pianiste classique reconverti en imprésario, qui en fait ne joue dans aucun des groupes portant son nom !).

Frankie Trumbauer et son saxophone en Ut.

En parallèle de son engagement avec Goldkette, il enregistre avec Frankie Trumbauer et son orchestre des morceaux mythiques tels que Singin’ the Blues en 1927, qui établissent sa réputation parmi les musiciens de jazz. Également en 1927, Bix intègre l’orchestre le plus connu de l’époque, celui de Paul Whiteman, surnommé alors le « Roi du Jazz » (Paul Whiteman a notamment commandé la Rhapsody in Blue à George Gershwin). Malgré des tensions liées au style musical, un jazz symphonique maniéré et enfermant, il continue d’enregistrer des solos mémorables (Barnacle Bill, Mississippi Mud…).

La dissolution de l’orchestre Goldkette en 1927 le conduit à jouer avec Adrian Rollini et les New Yorkers avant de rejoindre définitivement l’orchestre de Paul Whiteman. Une version romancée de l’histoire du trompettiste le décrira en artiste maudit, rongé par l’alcool et profondément affligé par cet engagement commercial le bridant dans sa créativité, mais à la vérité, Bix n’aurait pas été si mécontent de cet emploi fixe et bien payé !

1928 – 1931

Les années 1928 et 1929 sont marquées par une intense activité musicale, avec des enregistrements mémorables tels que Changes, San, et I’m Coming Virginia. Cependant, la santé de Bix commence à décliner en raison d’une consommation excessive d’alcool. En 1930, il enregistre des compositions originales, dont I’ll Be a Friend with Pleasure.
Les dernières années de Bix, de 1929 à 1931, sont assombries par une détérioration rapide de sa santé. Il décède le 6 août 1931 à l’âge de 28 ans des suites d’une pneumonie, résultat de son mode de vie autodestructeur.

Sa contribution au jazz, en tant que génie et pionnier, est indéniable. Il est un des premiers jazzmen à ouvrir la porte vers la musique impressionniste, comme le montrent ses pièces pour piano, Candlelights, In The Dark, Flashes, et sa plus célèbre In A Mist qu’il enregistre au piano en 1927. On ne peut qu’imaginer comment aurait évolué sa personnalité musicale au cours des années 30, et au delà…

Parenthèse sur le matériel

L’instrument de prédilection de Bix Beiderbecke était un cornet long Conn Victor 80A (un cuivre à la perce très large), qu’il jouait sans doute avec une embouchure Bach 7C. Ce cornet a la particularité de pouvoir être converti rapidement de la tonalité de Si bémol à La : on tire au maximum la coulisse d’accord qui est reliée à un mécanisme automatique permettant l’allongement simultané des 3 coulisses des pistons pour éviter les problèmes d’intonation. Il dispose également du mécanisme “opera-glass”, une deuxième coulisse d’accord verticale à vis sans fin placée à l’entrée du pavillon, vraisemblablement pensée comme le mécanisme d’ajustement d’accordage principal de l’instrument. 
Bix a aussi joué deux cornets Bach Stradivarius, avec son nom gravé sur le pavillon. Il est également photographié avec un cornet long Holton Clarke en main, l’orchestre de Paul Whiteman dans lequel il se produisait étant alors sponsorisé par cette marque, rien n’indique qu’il l’ait effectivement adopté.

Le cornet Conn Victor 80A restauré par Fabrice Wambergue de l’atelier W.

Vue de côté révélant une tige pour maintenir la coulisse d’accord et une meilleure vue du mécanisme entraînant les autres coulisses

Zoom sur le mécanisme d’accordage des coulisses des pistons et la coulisse d’accord opera-glass (avant restauration)

Pour zoomer sur les images, cliquez ici. Merci à Fabrice Wambergue de l’Atelier W à Montreuil pour ces images d’un cornet Conn Victor 80A de 1923 dont il a effectué une restauration en 2019 (plus d’infos sur son site internet).

3 relevés de solo et analyse de son jeu

Les premiers enregistrements de Bix Beiderbecke sont précieux, on y découvre un jeune artiste en recherche de son propre style. En écoutant Jazz Me Blues et Davenport Blues (1925), malgré un phrasé rythmique un peu gauche et une articulation et justesse perfectibles, on devine déjà une certaine sophistication qui va caractériser son jeu.

En 1927, pas de doute, le discours de Bix Beiderbecke est arrivé à maturation, comme le prouve son assurance et la classe qui imprègne ce qui est sans doute son plus beau solo sur Singin’ The Blues. J’aime aussi particulièrement ses solos sur Riverboat Shuffle et Way Down Yonder In New Orleans. Vous trouverez les transcriptions de ces 3 solos en fin d’article ↓ (clic droit sur l’image et « enregistrer sous » pour les télécharger).

Écoute des solos

Écoutez attentivement ces 3 solos, et prêtez attention au son de Bix, son articulation, et son sens du rythme :

Way Down Yonder In New Orleans :

Riverboat Shuffle :

Singin’ The Blues :

En écoutant attentivement ces 3 solos, on est d’abord frappé par le son du cornet, doux et velouté, un point commun à tous les trompettistes de l’école cool. Puis, c’est l’articulation du cornettiste qui force l’admiration, chaque phrase est rendue dynamique par un accent, une note piquée, ou une série de liaisons.

Enfin c’est seulement par l’écoute qu’on peut réellement saisir son aplomb rythmique. Bix est solidement ancré dans le tempo et ne manque pas de souligner les temps pour affermir la cohésion avec ses accompagnants, comme l’illustre un élément de langage récurrent de son vocabulaire, 3 noires jouées à la suite (voir Singin’ The Blues mesures 17 et 19, Way Down In New Orleans mesures 1 et 9, Riverboat Shuffle mesures 18 et 20) :

En outre, il n’hésite pas à employer le rythme du triolet de croches, chose peu répandue à l’époque. Un plan récurrent qu’il utilise à cet effet met en scène les 3 premières notes d’un accord de 7e montées avec un triolet (Way Down In New Orleans mesure 19, joué deux fois de suite dans Riverboat Shuffle à la mesure 17) :

La science harmonique de Bix Beiderbecke

Les transcriptions sont particulièrement utiles pour se rendre compte de sa maîtrise harmonique. On y découvre entre autres que Bix connaît sur le bout des doigts les arpèges des accords et les gammes afférentes, qu’il aime agrémenter de quelques chromatismes.

Sur un accord majeur, ses outils préférés sont les gamme pentatonique majeure et gamme blues majeure. Il alterne occasionnellement avec la gamme majeure, faisant ressortir des notes plus sophistiquées comme la 7e majeure ou la 2nde majeure (voir Way Down Yonder In New Orleans à la 3e mesure du solo ou Riverboat Shuffle sur tous les accords de Bb) :

(Nous sommes en La majeur, 3 dièses à la clé (Fa#, Do#, Sol#)

De manière générale, ses choix de notes correspondent principalement aux tétrades basiques des accords : fondamentale, 3ce, 5te, avec pour les accords majeurs la 6te et pour les accords « 7 » la 7e. Mais il s’aventure souvent du côté des extensions d’accord (9e, 11e, 13e*), ce qui est précoce pour l’époque. J’ai décrit ci-dessus son goût pour les 7e et 9e sur les accords majeurs, pour les accords « 7 », un bon exemple est la 3e mesure du solo de Singin’ The Blues où il fait sonner sur un C7 les 9e (Ré) et 13e (La puis La bémol) :

*
La 9e d’un accord correspond à la 2nde de la gamme, la 11e à la 4te, la 13e à la 6te.

Autre chose marquante, il n’hésite pas à isoler une note et la répéter, quitte à l’ancrer sur de longues plages comme avec la note Do des mesures 13 à 20 dans son solo sur Riverboat Shuffle. Il aime également alterner entre deux notes, prises au sein d’un accord (Way Down Yonder In New Orleans mesures 3 et 18, Riverboat Shuffle mesures 25 et 27-28), ou prendre une note grave (souvent Do ou Do dièse) qu’on entend parfois à peine et qui n’est souvent même pas notée sur les transcriptions (voir l’exemple ci-dessus sur l’accord A6 ou Singin’ the Blues mesures 7, 9 et 25, Riverboat Shuffle intro, mesures 12 et 23, Way Down Yonder In New Orleans mesures 4 et 26).

Ces éléments sont ceux qui m’ont le plus marqué, mais ces 3 solos sont des mines d’or de vocabulaire à vous approprier en les jouant encore, et encore ! Je remercie particulièrement l’excellent trompettiste et spécialiste de Bix Beiderbecke Malo Mazurié qui a mis à disposition les relevés de Singin’ The Blues et Riverboat Shuffle. Si vous souhaitez le remercier, faites un don sur son site internet et téléchargez d’autres transcriptions de Bix, Wynton Marsalis, Roy Hargrove… en plus de retrouver des informations sur sa musique (son nouvel album Takin’ the Plunge paraît ce mois-ci !). Malo m’a également conseillé la lecture de la biographie par Jean-Pierre Lion « Bix Beiderbecke, une biographie », et l’écoute d’Andy Schumm et Mike Davis qui perpétuent l’héritage de ce cornettiste outre-atlantique.

Bix Beiderbecke : 3 solos retranscrits

Clic droit sur l’image et « Enregistrer sous » pour la télécharger. Ces transcriptions sont présentées un ton en dessous de la hauteur réelle des notes, en tonalité de transposition Bb. Si vous désirez les transcriptions en Ut, en Eb, en clé de Fa… cliquez sur les liens ci-dessous :

Pour la partition en Ut, clé de Fa… Contactez Malo Mazurié ici.

Un lecteur averti me souligne que le Singin’ The Blues de Bix est composé par J. Russel Robinson et Con Conrad ! Le Singin’ The Blues de Melvin Endsley est un autre morceau…

Pour la partition en Ut, clé de Fa… Contactez Malo Mazurié ici.

Conclusion

Je remercie également Fabrice Wambergue de l’Atelier W à Montreuil pour les images du cornet Conn Victor 80A de 1923 comprises dans cet article, dont il a effectué une restauration en 2019 (plus d’infos sur son site internet : atelierwparis.com/restauration-cornet-conn-victor-1923).

Si Bix Beiderbecke vous intéresse, creusez mes autres sources : les relevés de Jacques Gilbert, bixography.com, et sa page française sur Wikipedia.

Pour ne manquer aucun article comme celui-ci, rejoignez la communauté jazzcomposer.fr riche de plus de 1500 membres en vous abonnant à la newsletter :

Partagez cet article à l’aide des boutons ci-dessous pour en faire profiter au plus de jazzmen possible !

people performing on stage

Jazz : les meilleures ressources en ligne pour progresser

Bonjour à vous cher(è) lectrice ou lecteur ! Si vous lisez cet article, vous voulez progresser dans votre pratique du jazz. Dans cette publication, j’ai voulu recenser les meilleures ressources en ligne à explorer pour vous aider dans ce but.

⚠️ Cet article est collaboratif : si une ressource vous a particulièrement aidé dans votre apprentissage et que vous aimeriez la partager avec le reste de la communauté, indiquez-la en commentaire, je l’ajouterai au corps de la publication ! ⚠️

Ces ressources sont classées par notion, puis par instrument, avec en premier lieu les sites francophones, puis anglophones.

Ressources générales

Commençons par le plus important, votre immersion dans l’univers du jazz. Plus vous en écouterez, de préférence en live, et mieux vous en jouerez ! Pour vous y aider :

Festival Jazz 360

Le site Festival Jazz 360 a pour but de recenser tous les festivals de jazz, en France et à travers le globe, avec la programmation, des infos pratiques sur chaque festival…
En prime, retrouvez des articles sur l’histoire du jazz, ses instruments, ses sous-styles…

Smalls Live

Et si vous pouviez vous connecter chaque soir à un des plus célèbres jazzclub au monde pour assister à des concerts d’artistes d’envergure internationale, se produisant à New York ? C’est ce que propose le club Smalls/Mezzrow, grâce à des retransmissions en direct de sa programmation sur Youtube ou sur le site. Accédez également à des centaines de concerts en archive sur Youtube.

Radio France

La programmation Jazz de Radio France est pleine de podcasts comme Open Jazz, Club Jazzafip
Pour rester à l’affût des dernières nouveautés, ou revivre des concerts incontournables.

Web Radios

Immergez-vous dans un océan de jazz grâce aux web radios TSF Jazz, Couleurs Jazz Radio, Art District Radio.

Progresser en Improvisation

En premier lieu, je ne saurai que vous recommander les nombreux articles et vidéos disponibles sur Jazzcomposer.fr ! Ceci étant dit, voici une sélection des ressources qui ont été les plus précieuses aux membres de la communauté :

Les exercices d’improvisation Eduardo Kohan

Plus de 100 exercices publiés depuis 2007 dans le mensuel Viva la Música de l’AMR (Association pour l’encouragement de la musique improvisée) à Genève.

La chaîne de Stan Laferrière & Docteur Jazz

« Chaîne officielle de Stan Laferrière, compositeur, arrangeur et chef d’orchestre & du blog pédagogique Docteur Jazz »

La chaîne de David Sauzay

« Une chaîne pour partager des vidéos de live, de studio et beaucoup de cours pédagogiques pour découvrir ma philosophie ! »

CNP Music

Contient de nombreux cursus d’improvisation, entre autres cours (théorie, composition, analyses de standards…)

En anglais :

Progresser en Théorie

Jazzcomposer.fr

Jazzcomposer.fr est la 1ère ressource francophone dédiée à l’apprentissage de la théorie du Jazz. Épluchez la catégorie d’articles dédiée intitulée « Théorie » pour y trouver votre bonheur, ou pour un apprentissage approfondi, considérez les cours en lignes et méthodes.

Composer sa musique

Ces site et chaîne Youtube menées avec brio par Alex Koutso relèvent le défi de rendre l’apprentissage du solfège accessible et ludique !

Mamie-Note

Malheureusement, ce qui pourrait passer pour le meilleur site de vulgarisation de la théorie musicale n’est plus mis à jour par son créateur, n’ayant pas rencontré le succès escompté. Pourtant… Ça vaut le détour, particulièrement pour la bonne dose d’humour contenue dans les publications !

Aidez-moi à compléter cette section !

Entrez en commentaire les ressources en ligne qui vous ont le plus aidé pour progresser en théorie.

En anglais :

Progresser en connaissance du Répertoire

Repassez-moi le standard

La superbe émission de Laurent Valero Repassez moi le standard revient à l’origine des standards en nous faisant découvrir de nombreuses versions, à travers les âges.

Be’swing

Be’swing est un groupe de jazz événementiel ayant eu la bonne idée d’ajouter à leur site un menu « Principe du jazz » comportant une section théorique avec accords, gammes…, mais surtout une section reprenant l’histoire du jazz condensée, et une autre avec des suggestions de groupes incontournables à écouter.

iReal Pro

Plus un outil qu’une ressource, l’appli iReal Pro est un allier de taille pour vous aider à progresser ! Outre son répertoire de grilles sans cesse alimenté, la possibilité d’écouter les accompagnements et de les varier (style/instrumentation), on apprécie l’outil de visualisation d’accords/gammes du morceau..

Aidez-moi à compléter cette section !

Entrez en commentaire les ressources en ligne qui vous ont le plus aidé pour progresser en connaissance du répertoire.

En anglais :

Progresser en Oreille/Rythme

Jazzcomposer.fr

Jazzcomposer.fr vous propose un programme de relevé de lignes de basse, pour entraîner votre oreille à entendre cet instrument particulier ; et également un cours de Rythme.

EarMaster

La célèbre appli de reconnaissance de sons propose aussi des cours rythmiques.

Meludia

Meludia repose sur la méthode d’écoute SEMA – Sensations Emotions Mémoire Analyse – créée par Vincent Chaintrier. Fruit de 25 ans d’enseignement auprès de 3000 musiciens, meludia a reçu la médaille d’or du prestigieux concours Lépine en 2014.

Aidez-moi à compléter cette section !

Entrez en commentaire les ressources en ligne qui vous ont le plus aidé pour progresser en connaissance du répertoire.

Progresser sur son Intrument

Ne jouant pas de tous les instruments, je ne peux pas inclure des ressources que je ne connais pas ! À vous de partager en commentaire les pédagogues qui vous font progresser, selon votre instrument. Merci d’avance !
(Si votre instrument ne figure pas à la liste, mentionnez-le, je l’ajouterai !)

Piano

En anglais :

Guitare

En anglais :

Saxophone – Clarinette

En anglais :

Trompette

En anglais :

Basse

Chant

En anglais :

Violon

Trombone

En anglais :

Batterie

En anglais :

Accordéon

En anglais :

Comme d’habitude, si cet article vous a appris des choses, partagez-le à vos collègues jazzwomen et jazzmen ! Pour ne manquer aucune publication de Jazzcomposer.fr, abonnez-vous à la newsletter hebdomadaire :

Si vous avez une interrogation particulière concernant cet article, indiquez-la en commentaire. Je serai ravi de vous répondre.

3 ERREURS que tout le monde fait sur ces standards : All Of Me, Bye Bye Blackbird, Take The A Train

Comme tout langage, le Jazz évolue avec le temps. On peut le constater en étudiant son harmonie, qui s’est progressivement colorée notamment grâce à l’utilisation des modes. Mais, comme nous allons le voir dans cet article, elle s’est également appauvrie au niveau de la variété des progressions d’accords. C’est particulièrement notable sur les grilles de ces 3 standards que vous connaissez à coup sûr : All Of Me, Bye Bye Blackbird, Take The A Train.
Sans le savoir, vous jouez sans doute des versions éloignées des compositions originelles, comportant peut-être des erreurs au niveau des accords ou carrément de la mélodie !

All Of Me (1931) – Gerald Marks & Seymour Simmons

All Of Me est un des standards de jazz les plus joués par les grands jazzmen, il a connu beaucoup d’harmonisations différentes selon les arrangeurs. Selon mes recherches, l’harmonisation originelle a tenu pendant environ deux décennies pour progressivement disparaître, entraînant carrément la modification d’une note du thème !

Seule la phrase de conclusion est concernée, la mesure 29 précisément. Prenons la tonalité de Do majeur, il est certain que vous jouiez cette phrase comme ceci :

Cela ne correspond pas à la version originale et celles qui ont suivi (notamment de Louis Armstrong, Dean Martin, Peggy Lee…). Au fil du temps, une note a changé, le La, qui de base était… bémol !

Remarquez que l’accord D-7 est modifié, il n’est plus adapté pour harmoniser la note La bémol. À la place, les compositeurs ont privilégié un D-7b5, qui peut être analysé en tant que iind degré, mais en Do mineur. Cette cadence est donc plus expressive qu’un simple ii V I en Do majeur, on esquisse un début de résolution en mineur en assombrissant l’harmonie, pour finalement résoudre de manière éclatante en majeur. C’est la même cadence qui conclue le standard Stella By Starlight.

Écoutez donc (D-7b5 – G7 – C6) :

Par rapport à la version communément jouée (D-7 – G7 – C6) :

Au final, je ne pense pas qu’on puisse considérer que jouer La bécarre soit une erreur, mais c’est certainement un appauvrissement, ce que je trouve dommage. Militons pour la réhabilitation du La bémol !

Take The A Train (1939) – Billy Strayhorn & Duke Ellington

Autre standard incontournable, Take The A Train a dès ses premières années d’existence été joué avec une erreur au sein de sa mélodie, que vous interprétez sans doute ainsi :

Au lieu de :

Duke Ellington maintient cette dernière version tout au long de sa carrière, malgré que d’illustres jazzmen jouent un Ré bécarre, Ella Fitzgerald en tête.

Le Ré bémol étant un chromatisme, il est plus délicat à faire sonner, et donne un caractère plus sinueux et imprévisible à la mélodie. Cela sied bien à l’histoire que raconte le thème, la description d’un trajet mouvementé en métro.

Faites-y attention la prochaine fois que vous jouerez ce thème !

Bye Bye Blackbird (1926) – Ray Henderson & Mort Dixon

Bye Bye Blackbird est l’exemple typique du standard de jazz composé dans les années 20 ayant traversé les âges et les styles, notamment grâce à des actualisations d’harmonisation.
On pourrait lui dédier un article entier, mais je ne vais vous parler ici que des 4 premières mesures.
Voici la mélodie et l’harmonisation originelle :

Faisons un bond dans le temps, voici la version communément jouée aujourd’hui, voyez-vous ce qui cloche ?

La deuxième mesure est harmonisée avec les iind et Ve degrés de la tonalité, la note Mi sonne maintenant comme la 13e de l’accord G7, ce qui est un véritable enrichissement. Le problème se trouve au niveau de la 4e mesure qui comprend la note Do, tonique, note de résolution à l’échelle de la tonalité, avec pour harmonisation un G7, le Ve degré de la tonalité, l’accord le plus tendu !
Cela ne fonctionne pas harmoniquement parlant.

Je pense que cette harmonisation est dérivée de celles de Miles Davis et John Coltrane, qui jouaient souvent ce thème avec pour ces 4 mesures seulement un Ier degré :

On comprend cette version en considérant leurs expérimentations du côté du jazz modal, notamment les morceaux de l’album Kind Of Blue comme So What ou Flamenco Sketches qui comprennent de longues plages d’un même accord.

Si vous accompagnez et tenez à jouer cette grille avec cette harmonisation, prenez garde à la mélodie et teintez le Ve degré de la 4e mesure d’une couleur 7sus4, cela résoudra le conflit harmonique.

Je vous conseille cependant de jouer et propager autour de vous l’harmonisation originelle, voire, si vous aimez l’aventure, de tester celle-ci issue d’enregistrements de Ben Webster ou Chet Baker :

Conclusion

De manière générale, si vous voulez vraiment maîtriser un morceau, il est nécessaire que vous soyez au fait de ses évolutions mélodiques et harmoniques pour pouvoir réagir dans diverses situations. Dans un contexte de jam, il n’est pas rare que les gens que vous côtoyez sur scène ne connaissent qu’une version précise du morceau. Si vous en jouez une différente, vous paraîtrez déconnecté·e du reste du groupe, à vous de vous adapter pour bien sonner.

Un bon réflexe à adopter est donc d’écouter de nombreuses versions des thèmes que vous souhaitez jouer, notamment la première enregistrée, et d’essayer de constater les changements d’harmonisations au fil du temps.
Vous apprendrez ainsi le langage à sa source et éviterez le prisme déformant des Realbooks ou d’Ireal Pro, outils bien pratiques mais truffés d’erreurs…

Bien sûr, cela nécessite que vous entraîniez votre oreille pour entendre ces changements de notes, voire d’harmonie. Ce n’est pas un travail facile, mais vous pouvez y arriver avec les bonnes méthodes et les bons outils. Si vous voulez progresser sur ce point, j’ai écrit un article complet sur le relevé de solo dont les conseils s’appliquent également à cet exercice. En prime, je vous donne le solo parfait à relever pour vous faire la main :

Comme d’habitude, si cet article vous a appris des choses, partagez-le à vos collègues jazzwomen et jazzmen ! Pour ne manquer aucune publication de Jazzcomposer.fr, abonnez-vous à la newsletter hebdomadaire :

Si vous avez une interrogation particulière concernant cet article, indiquez-la en commentaire. Je serai ravi de vous répondre.

Tout savoir sur le RELEVÉ de SOLO (astuces, outils, intérêt…)

J’ai rédigé cet article pour TROMPETTISTE(S) MAGAZINE, la revue 100% trompette traitant aussi bien de classique que de jazz. Si vous êtes trompettiste et cherchez à vous cultiver sur votre instrument, découvrir ses virtuoses d’hier et d’aujourd’hui, abonnez-vous en suivant ce lien :

https://www.uniondestrompettistes.fr/

En tant que jazzwoman ou jazzman, vous avez sans doute rencontré au cours de votre parcours un exercice délicat : le relevé de solo. Si jamais la difficulté de la tâche vous a découragé, ou que vous manquez de motivation pour vous y mettre sérieusement, cet article vous est destiné.
Et si jamais vous débutez en jazz et que vous n’avez jamais entendu parler de cet exercice, commençons par établir la base :

Qu’est-ce que le relevé de solo ?

Le relevé de solo est un exercice consistant à apprendre d’oreille un solo contenu dans un enregistrement, pour ensuite le jouer à notre tour le plus fidèlement possible. Au delà de la simple restitution des notes et des rythmes, vous devez incarner l’instrumentiste que vous relevez, en copiant toutes ses mimiques, ses erreurs, ses intentions de jeu, afin de vous en imprégner.

Vous pouvez aussi choisir d’écrire votre relevé sur une partition, on parlera alors de « transcription », cela peut être utile pour l’analyser dans le détail.

Rien ne vous oblige à relever un solo dans son entièreté. Vous pouvez cibler ce qui vous plaît le plus à l’intérieur, fût-ce une grille entière, une section, ou seulement une ou deux phrases… Également, rien ne vous oblige à relever exclusivement des solos de votre instrument. Comme je le précise ci-dessous, copier les grandes figures de votre instrument est essentiel pour s’inscrire dans sa tradition, mais de nombreux trompettistes ont innové en adaptant le vocabulaire de pianistes, de guitaristes, de saxophonistes…

Quel est l’intérêt du relevé de solo ?

Aux débuts du jazz, tous les outils pédagogiques dont nous disposons aujourd’hui (méthodes, écoles, vidéos sur internet…) n’existaient pas ! Pour apprendre, les musiciens devaient généralement écouter et répéter d’oreille les morceaux qu’ils voulaient jouer.
Ainsi, le grand trompettiste Louis Armstrong a commencé sa carrière avant de savoir lire une partition. Au sein des orchestres où il se produisait, il demandait à d’autres instrumentistes de lui jouer les mélodies qu’il retenait ensuite.

Le trompettiste et chanteur de jazz Louis Armstrong, 1953, Library of Congress Prints and Photographs Division

Cette tradition orale s’est étendue ensuite à l’improvisation, les jazzmen usant des 33 tours en repassant des passages en boucle afin de reproduire les phrases de Charlie Parker, Coleman Hawins… Ou bien sûr d’Armstrong, qui a été un des premiers à réserver une place centrale aux solos au sein de ses arrangements.

Le relevé est donc une manière d’apprendre à jouer du jazz alternative à la lecture d’une partition. Cette approche orale est beaucoup plus pratique que l’écrit pour apprécier toute l’étendue du jeu d’un instrumentiste : nuances, articulation, phrasé, intention… Elle est donc plus adaptée pour nous en imprégner à notre tour. Également, elle améliorera votre oreille, ce qui vous permettra de jouer plus facilement sans partition, d’entendre quand votre section rythmique réharmonise la grille, de jouer des riffs spontanés avec un autre soufflant…

Mais le relevé de solo est bien plus qu’une méthode d’apprentissage. Si vous écoutez beaucoup de jazz, vous avez pu remarquer qu’au fil du temps se forment de véritables lignées d’instrumentistes s’inscrivant dans le sillage les uns des autres. Par exemple, chez les trompettistes, Freddie Hubbard s’est inspiré de Lee Morgan, qui s’est lui-même inspiré de Clifford Brown, qui s’est lui même inspiré de Fats Navarro, etc…
Cette filiation s’entend d’emblée grâce aux timbres de leurs sons de trompettes, très riches et puissants. Mais en s’intéressant à leurs jeux, on remarque qu’ils contiennent des similitudes au niveau de la manière de phraser, d’articuler, d’ornementer… On remarque même de petits éléments de langage récurrents comme celui-ci :

Un exemple de Clifford Brown dans sa cadence à la fin de Once In A While.

Il s’agit d’un plan utilisant la gamme par tons qu’on peut même entendre chez des trompettistes plus modernes comme Wynton Marsalis. Ce fragment de langage traversant les âges est la preuve concrète que les plus grands jazzmen écoutent leurs aînés et leurs piquent des idées pour alimenter leur vocabulaire, et innover à partir de cette base.

En relevant vous aussi les solos des jazzmen que vous vénérez, vous vous forgerez un véritable style de jeu qui vous caractérisera en tant qu’instrumentiste.

Quels sont les difficultés du relevé de solo, et comment les surmonter ?

Si vous vous y êtes déjà essayé, vous savez que relever un solo est loin d’être une tâche facile ! J’ai sélectionné quelques problèmes que vous pourriez rencontrer en vous donnant à chaque fois des conseils pour les résoudre.

1. Relever des solos est difficile car les jazzmen sont virtuoses…

Certes, nous avons tous et toutes dans l’oreille des solos de Dizzie Gillespie ou Freddie Hubbard débitant des double-croches par centaines et stationnant des heures durant au-dessus du contre-ut… Cependant, plus que tout autre instrument ayant marqué le jazz, la trompette est également reconnue pour ses qualités mélodiques. Cet instrument possède donc un grand répertoire de solos accessibles, voici quelques exemples :

  • Le trompettiste Chet Baker est reconnu pour ses qualités de mélodiste. N’étant pas un grand technicien, ce qu’il a produit s’avère facile à jouer même quand on débute sur l’instrument. Je vous recommande tous les solos des albums Chet Baker Quartet featuring Russ Freeman, Chet Baker Sings, Chet.
  • Doté d’une meilleure technique, Miles Davis est également un poète de l’instrument. Ses solos sur Four, Solar, On Green Dolphin Street, So What, Freddie Freeloader… sont des incontournables.
  • Enfin, je vous suggère de relever un trompettiste beaucoup moins connu, mais tout aussi pertinent quand on débute : Harry « Sweets » Edison. Il s’est notamment illustré dans le pupitre de trompettes de l’orchestre de Count Basie, ou accompagnant Billie Holiday, il a rendu iconique le son de la sourdine harmon avec extension wah wah. Tous ses solos sont de véritables leçons de swing, écoutez et relevez tout l’album Patented By Edison.

Photo portrait of American jazz trumpeter Chet Baker, 1955, Distributed by Joe Glaser’s Associated Booking Corporation

Miles Davis à Antibes dans la nuit du 26 au 27 juillet 1963. À gauche, Ron Carter. À droite, Tony Williams, Own Work, Mallory1180, CC 4.0

American jazz trumpeter Harry « Sweets » Edison in Paris, France, 5 May 1980, Own work, Lionel Decoster, CC 3.0

2. Retrouver les notes nécessite une bonne oreille.

Sur ce point, il n’y a pas de raccourcis, il faut entraîner votre oreille pour reconnaître les notes jouées dans le solo. Bonne nouvelle : plus vous le ferez, plus ce sera facile !

Dans un premier temps, vous pouvez vous aider de votre instrument ou d’un piano et comparer les notes que vous jouez à celles qui sont jouées sur l’enregistrement. Mais à terme, votre objectif doit être, à partir de la première note jouée, de pouvoir déduire les autres sans aide extérieure, en reconnaissant les intervalles qui les séparent. Cette compétence s’appelle l’oreille relative, il existe de nombreux logiciels et applications conçus pour l’entraîner (je recommande Chet et Ella sur iOS, Complete Ear Trainer sur Android).

L’oreille absolue, soit la capacité de reconnaître la hauteur d’une note sans référence préalable, est un excellent outil qui vous aidera énormément pour relever plus facilement, mais vous pouvez très bien vous en sortir sans. Je vous encourage à la développer si vous êtes jeune et que vous entendez déjà quelques notes (par exemple le La ou le Do). Sinon, concentrez vos efforts sur le développement de votre oreille relative.

Laissez-moi vous donner un dernier conseil, basé sur mon expérience personnelle :

Au début de mon parcours, je m’étais mis en tête de relever un morceau de Bill Evans pour pouvoir le rejouer au piano. Mais, avec au moins 7 sons différents par accord, tout ce que je parvenais à entendre était un vaste brouillard sonore, très joli, mais complètement flou ! J’ai donc abandonné.
Quelques mois plus tard, j’ai lu par curiosité le Jazz Piano Book de Mark Levine (l’auteur du Jazz Theory Book). J’ai reproduit non sans mal mais avec grand plaisir les voicings sophistiqués, techniques d’harmonisation, modes alambiqués qu’il contenait. Par hasard, je suis ensuite revenu à mon relevé abandonné, pour me rendre compte avec stupeur que j’arrivais maintenant à distinguer avec précision ce que jouait Bill Evans.
Mais, plus puissant encore, partant de mes nouvelles connaissances théoriques et de ma mémoire des sonorités que je m’étais habitué à jouer, j’arrivais à déduire en avance les notes intermédiaires des voicings, ce qui s’avérait particulièrement utile quand elles n’étaient pas jouées très fortes.

Pour arriver à ce stade-là vous aussi, je vous conseille de chanter les thèmes, solos, gammes, modes, arpèges… que vous apprenez pour les ancrer dans votre oreille. Soyez curieux, plus vous jouerez de formes différentes, plus vous serez à même de les reconnaître dans le discours d’instrumentistes.

4. Relever les rythmes exacts est un vrai casse-tête !

À se focaliser sur les hauteurs de notes, on en oublie vite le rythme, discipline dans laquelle les jazzmen excellent particulièrement. Le même conseil énoncé ci-dessus s’applique : habituez-vous à jouer une multitude de figures rythmiques dans des débits variés.

Par exemple, si vous ne savez pas ce qu’est un triolet de noire et ne savez pas le noter sur une partition… vous ne pourrez pas l’entendre comme tel au cours d’un solo, et le confondrez avec un autre, proche, que vous avez dans l’oreille comme croche – noire – croche. Ce qui vous amènerait à penser, par dessus le marché, que l’instrumentiste n’est pas précis !

Également, les trompettistes et les saxophonistes ont tendance à se placer en arrière du temps, et donc à jouer des phrases qui vous paraîtront « en retard ». Sur une partition, notez le rythme tel qu’il a été pensé par l’instrumentiste même s’il a été exécuté avec un placement farfelu.

Généralement, tout ce que jouent les jazzmen est quantifiable, donc peut se noter avec des valeurs rythmiques traditionnelles… Même s’il faut parfois reconstituer ce qu’a « pensé » l’instrumentiste. Encore une fois, votre culture rythmique va vous y aider, c’est aussi à cet effet que j’ai créé le cours complet de rythme de Jazzcomposer.fr.

5. Le solo que je relève est particulièrement difficile. Existe-t’il des outils pour m’aider ?

Quand vous relèverez des virtuoses comme le trompettiste Clifford Brown ou le saxophoniste Charlie Parker, vous rencontrerez forcément une phrase trop rapide pour pouvoir être relevée. Je vous conseille de prendre comme source un morceau hébergé sur la plateforme Youtube et d’y ralentir l’audio en allant dans les paramètres du lecteur (la petite roue crantée) et « Vitesse de lecture ».

Si vous avez accès au fichier audio sur votre ordinateur ou téléphone, le logiciel open-source VLC vous donne encore plus de flexibilité pour ce faire, en allant dans le menu « Lecture » et en ajustant le paramètre « Vitesse de lecture ».

Si vous vous perdez dans un solo contenant de longues phrases alambiquées, vous pouvez vous aider d’un logiciel comme Audacity pour réaliser un marquage des mesures, et ainsi procéder étape par étape.

Importez votre fichier audio dans le logiciel, lancez la lecture et maintenez les touches « CTRL » et « MAJ » (ou « CMD » et « MAJ » si vous êtes sur Mac) appuyés. À chaque début de mesure, appuyez sur la touche « . ; » de votre clavier. Un marqueur apparaîtra sur une piste dédiée, vous pourrez même le renommer pour indiquer le numéro de la mesure par rapport à la grille.

Sélectionnez ensuite la ou les mesures qui vous intéressent en cliquant (sur la piste audio) à l’emplacement d’un marqueur et en déplaçant votre curseur jusqu’au marqueur suivant (en maintenant le clic appuyé). En lançant la lecture, vous n’entendrez que les mesures qui vous intéressent. Vous pouvez même faire tourner cette région en boucle en appuyant sur la touche « L » et en lançant la lecture.

Enfin, si vous avez jeté votre dévolu sur un enregistrement ancien ou mal mixé, vous peinerez à entendre distinctement l’instrumentiste que vous relevez (c’est particulièrement avec les contrebassistes). Malheureusement, on peut rarement faire des miracles pour améliorer la qualité d’un fichier audio. Je vous conseillerai donc de prime abord de relever des solos contenus dans des disques enregistrés en studio, à partir des années 50.

Mais… Ce n’est pas tout à fait vrai, il existe bien une solution qui tient du miracle pour extirper un instrument noyé dans un mauvais mix : l’intelligence artificielle ! Ainsi, il existe depuis peu des logiciels permettant d’isoler des instruments au sein d’un enregistrement, notamment l’application Moses.ai ou le site internet Lalal.ai.
Cela fonctionne particulièrement bien avec des morceaux récents et des instrumentations traditionnelles.

Soit dit en passant, vous pouvez également vous servir de ces applications pour créer des playbacks de rêve à partir d’enregistrements célèbres, en retirant du mix l’instrument soliste…

Faites-un essai en cliquant sur l’image ci-contre :

lalal

Tous les outils cités dans cette partie vont vous aider à relever plus facilement, mais attention à ne pas vous en servir comme béquilles ! Sauf cas exceptionnellement ardu, vous devez à terme être capable de relever comme les jazzmen qui vous ont précédé, uniquement avec l’enregistrement et du papier à musique.

Conclusion

J’espère que cet article a répondu à toutes vos questions concernant le relevé de solo, et a pu vous donner des pistes pour résoudre les problèmes que vous rencontrez en faisant cet exercice.

Pour conclure, j’aimerais vous donner une mission, en particulier si vous n’avez jamais relevé de solo de votre vie. J’ai déniché le solo parfait pour vous mettre le pied à l’étrier, il s’agit de 2 grilles de blues en Do jouées par le trompettiste Clark Terry lors d’une masterclass donnée à la RTS en 1969 :

Clark Terry fait la démonstration d’une improvisation sur le blues en n’utilisant qu’une seule note dans la 1ère grille, 2 notes dans la 2e, et 3 dans la 3e (mais elle est moins bien, arrêtez-vous à la 2e). Vous ne devriez donc pas avoir de soucis à entendre les hauteurs de notes, et pourrez pleinement vous concentrer sur le rythme. Précision : le morceau commence à 1’19, sachant que Clark Terry commence à jouer à la 5e mesure de la première grille.

Vous trouverez la transcription de ce solo à cette page :

https://jazzcomposer.fr/wp-content/uploads/2022/12/Clark_Terry_solo_rythmique.pdf

Comme d’habitude, si cet article vous a appris des choses, partagez-le à vos collègues jazzwomen et jazzmen ! Pour ne manquer aucune publication de Jazzcomposer.fr, abonnez-vous à la newsletter hebdomadaire :

Si vous avez une interrogation particulière concernant cet article, indiquez-la en commentaire. Je serai ravi de vous répondre.

Et vous, quel est votre niveau en rythme ?

Chère lectrice, cher lecteur, si vous me suivez depuis les débuts de Jazzcomposer.fr, vous savez que j’attache une importance particulière au RYTHME.

Tout jazzman pourra vous le confirmer, le rythme, en jazz, c’est important. Peut-être même plus que connaître l’harmonie des grilles, c’est dire !

Mais voilà : là où les ressources pour progresser en harmonie sont légion (on ne compte plus le nombre de livres d’harmonie qui vous mèneront de zéro à Brad Mehldau), côté rythme… ce n’est pas la même histoire.

Sans ouvrages ou méthodes de référence connus et répandus, comment vous auto-évaluer ? Comment savoir précisément quelles sont vos lacunes ? Quels points clés travailler pour vous améliorer ?

Pour répondre à ces questions, je vous propose dans cet article de passer en revue toutes les compétences (ou presque) que renferme la maîtrise du rythme, en jazz. J’en ai listé 6, que j’ai classé par ordre d’importance.

Après avoir lu tout cela, je vous garantis que vous saurez exactement quoi travailler pour progresser en rythme !

1. Connaître les différentes rythmiques

À la base de toute votre pratique du rythme se trouve… La musique. Chaque morceau que vous jouez s’inscrit dans une esthétique musicale, dont découle une rythmique particulière.

Vous conviendrez qu’un morceau de Louis Armstrong n’a rien à voir avec un morceau de Michael Jackson. Au-delà de l’époque et de l’instrumentation, la différence principale entre les deux esthétiques se trouve au niveau des rythmiques, et ce qui les caractérise :

  • Le tempo ;
  • La découpe du temps (binaire, ternaire, entre les deux ?)
  • La métrique ;
  • Des claves/vamps/riffs caractéristiques ;

Si je viens de vous perdre avec ces quelques mots de vocabulaire, ouvrez le lexique essentiel de la théorie du jazz de Jazzcomposer.fr (cliquer sur ce lien ouvrira l’article dans un nouvel onglet).

Cette première compétence fait donc appel à votre culture musicale. Le jazz est une musique métissée, née de fusions et ayant fait éclore une multitude de sous-styles. Si vous connaissez les caractéristiques de ces esthétiques, alors vous pouvez comprendre ce que joue la section rythmique de votre groupe, et ainsi jouer avec elle, sonner « en place », vous amuser avec elle…

Concrètement, en développant votre connaissance de ces différentes rythmiques, vous connaîtrez les différents canevas sur lesquels placer vos notes rythmiquement. C’est primordial, car comme vous pourrez le lire dans le point suivant, tout ce que vous jouez doit être « quantifiable », donc s’aligner avec le débit et le tempo que joue la rythmique.

Voici plusieurs paliers de maîtrise de cette compétence :

Niveau 1

Vous connaissez les rythmiques de base des styles les plus courants :

  • Le swing

Splanky, Count Basie Orchestra

  • La bossa-nova

Wave, A. C. Jobim

  • Les rythmiques binaires dérivées de la bossa et du rock (« even eights » en anglais, pour « croches binaires »)

Cold Duck Time, Eddie Harris

Niveau 2

Vous connaissez les rythmiques jouées moins fréquemment dans notre pratique du jazz :

  • Les rythmiques afro-cubaines

African Skies, Michael Brecker

  • Le rock/funk

Sex Machine, James Brown

  • La Samba

Som De Carnaval (Percussão E Batuque), Baden Powell

  • La musique cubaine

The Latin Trane, Arturo Sandoval

Niveau 3

Vous connaissez des rythmiques spéciales, spécifiques à un morceau ou un groupe :

  • La rythmique du morceau Pensativa

Pensativa, Art Blakey & The Jazz Messengers

  • Des rythmiques binaires dérivées de la bossa mais plus libres et ouvertes

Bright Size Life, Pat Metheny

  • Le Flamenco
  • Le Tango

Tango Magnifique, Lars Danielsson

Bien sûr, cette liste est non-exhaustive, mais le principal est là.

Pour maîtriser ces rythmiques, vous devez être en mesure de répondre à ces questions :

  • Quel est la métrique de base de cette rythmique ?
  • Quel est le tempo dans lequel elle est principalement jouée ?
  • En quel débit est découpé le temps, quel est le nombre de subdivisions ? (Si le temps est découpé en 2 croches ou 4 double-croches -> la rythmique est binaire. S’il est découpé en 3 croches -> la rythmique est ternaire)
  • Y a-t-il une clave à connaître ?

Une fois que ces différents paramètres seront clairs pour vous, il sera temps de pratiquer. Voici un exercice que j’apprécie :

Prenez un enregistrement connu et reconnu, caractéristique du style que vous souhaitez maîtriser. Entraînez-vous à jouer sur l’enregistrement des phrases dans le débit de base de la rythmique. Ici, l’essentiel n’est pas le choix de vos notes par rapport à la grille, concentrez-vous sur la sensation d’être « en place » avec les grands jazzmen qui vous accompagnent.

2. Savoir jouer dans tous les débits

Le débit de notes est le nombre de notes que vous jouez dans votre phrase. Plus il est grand, plus vous jouez de notes.
En musique, « les débits » sont les unités de mesure de la durée de vos notes.

Voici les principaux :

Si vous avez besoin de précisions pour maîtriser ces différents débits, indiquez-le en commentaire de cet article ! J’en écrirai un dédié si le besoin est partagé.

Pour « jouer en place », toutes vos notes doivent être quantifiées. Ce mot doit vous parler si utilisez logiciels de MAO, sinon, laissez moi vous expliquer en d’autres termes :

Chaque note que vous jouez doit correspondre précisément à une subdivision du temps. Si ce que vous jouez flotte entre différents débits sans jamais se raccrocher à un précisément, alors vous ne serez pas précis·e rythmiquement.

Quand vous relevez les grands jazzmen, il n’y a jamais de doute quant au débit de leurs notes. Par exemple, vous pouvez toujours dire qu’ils jouent ce segment de phrase en triolets de noire, puis en croches, en double-croches, etc…

Pour maîtriser cette compétence, voici différents paliers :

Niveau 1

Vous jouez et pouvez alterner différents débits de base :

  • Noires

Twenty – Forty, Harry « Sweets » Edison

  • Croches

So What, Miles Davis

  • Blanches
  • Rondes
  • Noires pointées

Niveau 2

Vous jouez des débits avancés, plus rapides et virtuoses :

  • Triolets de croches

Delilah, Clifford Brown

  • Double-croches*

Sandu, Clifford Brown

*J’ai choisi exprès un extrait commençant avec une majorité de débit de triolet de croche, pour que vous entendiez bien la différence avec les double-croches qui viennent ensuite

  • Sextolets
  • Triples croches

Niveau 3

Vous pouvez superposer des débits ternaires sur une rythmique binaire et inversement :

  • Croches binaires et Double-croches sur une rythmique swing :
    (Voir exemple précédent)
  • Triolets de noire sur une rythmique binaire*

Girl From Ipanema, Big Band MDK Sokolov

*Cet extrait commence par 4 mesures de noires et croches binaires. Écoutez bien la différence avec le débit ternaire des triolets de noire qui vient ensuite.

  • Duolets/Quartolets de croches/noires sur une rythmique ternaire :

Footprints, Bobby Matos and his Afro-Cuban Jazz Ensemble

4. Être à l’aise dans tous les Tempos…

Le tempo est la vitesse du morceau, il se calcule en bpm (battements par minute) et correspond à un débit particulier. Par exemple :

Noire = 120 signifie que 120 noires se succéderont en 1 minute.

Il faut absolument vous entraîner à jouer à tous les tempos, car nous sommes naturellement à l’aise sur certains, et d’autres, beaucoup moins.
Sur des tempos que nous ne maîtrisons pas, nous avons tendance à presser ou ralentir, donc à se raccrocher à un tempo sur lequel nous sommes plus confortables… Si vous ne jouez pas dans le même tempo que le reste du groupe, vous n’allez pas sonner « en place ».

Voici différents paliers de maîtrise :

Niveau 1

Vous pouvez jouer des tempos Medium compris entre 100 – 150 bpm

Niveau 2

Vous pouvez jouer des tempos extrêmes : Medium-Up (150 – 200), Up (200 – ??), et Ballad (60 – 100)

Niveau 3

Vous réussissez à changer de tempo en cours de morceau. L’exemple le plus courant est de doubler le tempo quand on joue une balade, voici un exemple (écoutez à partir de 2’35) :

Également, il est important de savoir jouer en tempo sans rythmique (un bon exemple du saxophoniste Chris Potter ici).
Comme pour la maîtrise des débits, si vous voulez caler votre horloge interne sur celle des autres, encore faut-il qu’elle soit stable, et régulière. Il vous faut donc travailler sans l’aide d’un play-back pour consolider ce tempo intérieur (un exercice privilégié des jazzmen est d’utiliser un métronome en le faisant sonner seulement sur le 1er temps de la mesure).

5. … Et toutes les Métriques

La métrique est le nombre de temps dans une mesure. Une métrique impaire ne va pas donner les mêmes sensations qu’une rythmique paire, on y est souvent moins confortable, et on risque plus facilement de se perdre dans la mesure !

Niveau 1

Vous maîtrisez le 4 temps, autant ternaire (swing, afro-cubain) que binaire (bossa-nova, funk…)

Niveau 2

Vous jouez sans vous perdre en 3 temps (par exemple : Someday My Prince Will Come) et en 5 temps (comme l’emblématique Take Five).

Niveau 3

Vous jouez des métriques impaires complexes : 7 temps, 9 temps…

5. Bien gérer son Placement

Cette compétence est un peu la cerise sur le gâteau. Travaillez-la quand vous maîtriserez les précédentes, au moins jusqu’au niveau 2 pour chaque.

Le placement rejoint la compétence n° 3 du tempo, mais à une échelle plus réduite. Il va déterminer si vous placez vos notes soit précisément sur le temps, soit en arrière du temps (laid-back), ou en avant du temps.

Par exemple, le saxophoniste Dexter Gordon a un des placements les plus laid-back qu’on puisse entendre dans un disque de jazz, il est à la limite de ne plus sonner en place :

Pour bien entendre la différence avec un placement moins laid-back, écoutez la version de Charlie Parker du même morceau :

Entendre et arriver à appliquer ces différents placements prend du temps et de l’entraînement.
Par chance, j’ai écrit un article complet sur le sujet !

6. Inscrire son discours dans un Langage

Enfin, la maîtrise de cette dernière compétence sépare l’apprenti jazzman du maître.
Elle fait de nouveau appel à votre culture musicale pour développer votre vocabulaire rythmique, et enrichir votre jeu d’éléments de langage d’une esthétique en particulier.

Ces éléments de langage vous permettront de raconter votre histoire d’une manière élégante, avec des mots justes, et des phrases bien rythmées. C’est comparable à l’apprentissage d’une langue, comme l’anglais, quel plaisir d’employer les élégantes formules « Good Morning » ou « Good Evening » en substitution du traditionnel et fade « Hello ».

Voici différents paliers, avec des exemples :

Niveau 1

Vous maîtrisez les placements rythmiques de base. Par exemple, en swing :

  • Commencer et terminer ses phrases en sur les contretemps (« en l’air »).
  • Commencer et terminer ses phrases sur le 4e temps de la mesure.

Écoutez ce solo de Charlie Parker sur Au Privave. Toutes ses phrases suivent les deux paramètres ci-dessus ! (écoutez à partir de 0’29)

Également, à ce niveau, vous connaissez les claves principales et arrivez à les utiliser dans vos solos :

  • Le pattern basique de bossa nova
  • les claves son cubaines :
  • Ce pattern caractéristique du be-bop :

Billie’s Bounce, Charlie Parker

Niveau 2

Vous jouez des clichés rythmiques plus virtuoses, comme les Ornements, qui vous permettront d’insérer des triolets de croche ou des double-croches au sein d’une phrase en croches.

Pour apprendre à ornementer vos phrases, regardez cette vidéo complète :

Niveau 3

À ce stade, vous connaissez de spectaculaires groupes rythmiques et équivalences, et pouvez les utiliser dans vos solos ! (Suivez les liens pour ouvrir les articles correspondants)

Et maintenant ? Que devez-vous travailler pour progresser en rythme ?

Alors, quel est votre niveau en rythme ? À quels paliers de ces 6 compétences vous situez-vous ?

  1. Connaître les différentes Rythmiques
  2. Savoir jouer dans tous les Débits
  3. Être à l’aise dans tous les Tempos…
  4. … Et toutes les Métriques
  5. Bien gérer son Placement
  6. Inscrire son discours dans un Langage

Selon votre profil de musicien ou musicienne, vous pouvez approcher votre pratique du rythme de différentes manières :

  • Si vous êtes amené·e à jouer beaucoup d’esthétiques différentes, consolidez les 1ère et 2e compétences pour chacune d’elle avant de passer aux autres ;
  • Si vous ne jouez qu’une ou deux esthétiques, alors vous pouvez avancer plus vite et vous renforcer sur des tempos extrêmes, des métriques impaires, votre placement et votre langage.

Quoi qu’il en soit, je vous encourage vivement à vous mettre à travailler le rythme si vous ne le faites pas déjà ! Vous sonnerez mieux et plus en phase avec le reste du groupe.

Si cet article vous a éclairé et que vous ne voulez en manquer aucun de ce type, abonnez-vous à la newsletter hebdomadaire de Jazzcomposer.fr :

Si vous avez une interrogation particulière concernant cet article, indiquez-la en commentaire, je vous répondrai avec plaisir.

Crédit photo : Portrait_of_Max_Roach,Three_Deuces,_New_York,_N.Y.,_ca._Oct._1947, William P. Gottlieb, Domaine Public

7 Plans Blues à voler aux grands jazzmen pour mieux jouer le Blues

Si vous lisez assidûment les articles de ce site, vous devez mieux connaître la Théorie qui se cache derrière les gammes et les accords utilisés en Jazz.
Mais si vous voulez vraiment « sonner jazz », il va falloir mettre la main à la pâte et étudier le Langage des grands jazzmen. Pour ce faire, il faut relever des solos, apprendre des plans, les transposer dans les 12 tonalités…

Pour démarrer la machine, nous allons nous intéresser à une grille basique, sans doute la plus jouée en jazz : la grille de Blues. Je vais vous donner 7 plans issus de solos de grands jazzmen qui vont enrichir votre jeu du langage à utiliser sur cette grille précise.

Petit Rappel : Les 6 points cruciaux de la grille de Blues

Dans cet article, je vais partir du principe que vous êtes à l’aise avec les concepts de :

  • Grille de Blues « Jazz » (La grille de blues avec les changements d’accords Be-Bop, voir cet article) ;
  • Gammes Blues Majeure et mineure (Les gammes pentatoniques Majeures et mineures enrichies de Blue Note, j’en parle en détail dans mon cours complet sur l’Harmonie Jazz) ;
  • Gamme Be-Bop (voir cet article) ;

Également, je vais faire référence à de multiples reprises aux 6 points cruciaux de la grille de Blues. Il est impératif que vous compreniez l’harmonie de la grille de Blues Jazz et ses différentes cadences pour saisir les enjeux qui se cachent derrière le vocabulaire harmonie des différents plans.

Par chance, j’ai dédié un article complet sur le sujet. Si vous ne l’avez pas encore lu, ouvrez le lien dans un nouvel onglet et revenez à cet article ensuite.

Remarque : Vous pouvez tout de même suivre cet article sans avoir tous ces pré-requis en tête, et travailler les 7 plans que je vais vous présenter sans vous soucier de mon analyse !

Je vous indique ci-dessous les conclusions de l’analyse, où nous avons divisé les 12 mesures de la grille de Blues en 6 blocs :

Ne prêtez pas attention à l’armure, c’est un oubli de ma part… Il aurait fallu mettre un dièse à la place !
  1. Mesures 1-3 : I7 IV7 -> I7. Une cadence plagale vers le Ier degré de couleur 7, « bluesifié » ;
  2. Mesures 4-5 : ii/IV V/IV -> IV7. Sous-dominante et dominante secondaires du degré IV avec résolution sur le IV7;
  3. Mesures 5-6 : IV, #IV°. Stationnement sur le IVe degré et retour sur le I7 avec un #IV° ;
  4. Mesures 7-8 : I ii ii7b5/ii V7b9/ii -> ii. Mouvement diatonique et atterrissage sur le iind degré grâce aux sous-dominantes et dominantes secondaires ;
  5. Mesures 9-11 : ii V -> I. C’est le moment où vous pouvez caser vos plus beaux plans sur le ii V I !
  6. Mesures 11-12 : I V/ii ii V. Un Anatole enrichi de la dominante secondaire du iind degré.

Voyons maintenant comment les grands jazzmen s’en sortent pour faire sonner ces 6 passage clés.

Plans blues N°1 et N°2 : Harry Sweets Edison sur Sweetcakes

Nous commençons par étudier le jeu d’un de mes trompettistes favoris : Harry « Sweets » Edison (il fait sonner la grille de blues comme personne !).
Voici le plan que j’ai sélectionné, il se trouve au début d’une grille de blues en Ab majeur :

Arrivez-vous à deviner quelle(s) gamme(s) « Sweets » utilise ici ?

En fait, la seule gamme utilisée pour ces trois phrases est la gamme blues majeure de La bémol. La voici :

« Sweets » éclipse ici la 3ce majeure et la 2nde majeure et accentue la Blue note pour relier le début de sa phrase à la Tonique. Observez comment il varie son motif la 3e fois en remplaçant la Sixte par la Tonique et la 5te par la 6te :

C’est un beau plan à se mettre sous les doigts, qui pourra se jouer à tous les tempos.

« Sweets » utilise le même genre de phrase un peu plus tard dans le même morceau, cette fois-ci dans un mouvement ascendant :

Plan N°2

Nous retrouvons la gamme blues au début de la phrase, cette fois-ci avec la 3ce majeure incluse. Mais ce n’est pas le seul matériau harmonique utilisé.

Observez le chromatisme du 3e temps de la 3e mesure (4e mesure si on compte la levée).
Tonique, puis 7e Majeure, puis 7e mineure, cela ne vous dit rien de spécial ?

Oui, c’est bien la gamme Be-Bop dominante de Ab, gamme qui vous est familière si vous avez lu cet article. La voici :

Pour analyser le reste de la phrase, je ne vais pas tenir compte de l’accord de Eb-7, je ne pense pas que « Sweets » l’inclue dans sa phrase.

Pourquoi ?

Ma théorie est ici que le changement de matériau harmonique correspond au changement de point crucial de la grille. En effet, la phrase de « Sweets » fait la jonction entre les points 1 et 2, la cadence plagale du début et le ii V vers le IV.

Pour souligner le ii V, il change de vocabulaire, au lieu de rester « bluesy » comme sur le 1er point, il utilise ici du langage be-bop pour mieux faire entendre les mouvements de tension et résolution du ii V I.

Observez le 4e temps de la mesure 4 (sans compter la levée), la note Sol bémol y est jouée. Elle correspond à la 4te Juste par rapport à Db majeur, notre point d’arrivée. Cette note est caractéristique de la fonction sous-dominante de la tonalité de Db majeur.
Or, en passant sur l’accord de Db7, il utilise cette note en la faisant résoudre vers la note Fa, qui caractérise la fonction tonique de la tonalité de Ré bémol. Ces deux notes induisent le mouvement de cadence parfaite entre Ab7 et Dbmaj7 comme indiqué sur le schéma ci-contre.


Sauf que « Sweets » annonce le Sol bémol dès la fin de la troisième mesure, il prépare donc son arrivée sur le Db7 dès cet instant. En outre, cela correspond clairement à l’endroit où il emploie la gamme Be-Bop de La bémol.

Je pense donc qu’il éclipse le Eb7 et pivote du Ab7 Ier degré de blues au Ab7 Ve degré de Db majeur, en l’anticipant. Comme ceci :

« Sweets » change donc de vocabulaire pour passer du premier au second point crucial de la grille. Ce procédé est très courant, et nous en aurons un autre exemple avec le plan N°5.

Plan blues N°3 Charlie Parker sur Now’s the Time

Avançons et intéressons nous au 3e point crucial, le IVe degré. J’ai sélectionné pour ce faire un plan très court utilisé à de nombreuses reprises par Charlie Parker dans ses solos sur le Blues.
Nous allons voir que sa simplicité apparente renferme quelques surprises. Le voici, dans le cadre d’un Blues en Fa :

Devinez quel est le matériau utilisé par Parker. Bb Blues, Bb mixolydien ? En fait, pas vraiment. À mon avis, son plan est découpé de trois manières :

  1. Fa blues mineur : Au début, les notes Fa Lab Fa sont Tonique et tierce mineure potentielles de la gamme de Fa blues mineure, Fa étant la tonalité de notre blues. Gardez cela dans un coin de votre tête, le plan suivant utilise la même technique, en développant la phrase.
  2. Bb Blues majeur : Si vous suivez bien, vous l’avez reconnu. C’est le même plan que le premier de « Sweets » Edison !
  3. Fa blues majeur : Fa Sol La bémol : Tonique 2nde 2nde aug. Cela pourrait aussi être Bb mixolydien.

Ce qu’on peut retenir de ce plan, c’est qu’il est simple, et efficace. Les trois premières notes, accentuées comme il le fait sonnent vraiment blues, à utiliser sans modération.
J’aime aussi la possibilité de jouer Bb blues majeur à cet endroit. Cela donne des idées : on pourrait imaginer jouer une phrase blues sur les Ier degré des mesures 1 et 3, et jouer cette même phrase sur cette mesure, transposée d’une 4te ascendante…

Plan Blues N°4 Wynton Kelly sur Freddie Freeloader

Regardons de plus près le procédé évoqué dans la partie précédente, à savoir jouer la gamme blues mineure du premier degré sur le IVe degré. Nous allons jeter un oeil sur cette superbe phrase de Wynton Kelly sur Freddie Freeloader, un blues en Si bémol :

Jetez un oeil à la gamme blues mineur de Si bémol. Que remarquez-vous ?

En effet, malgré que l’accord soit un Eb7, Wynton Kelly joue tout le début de sa phrase sur la gamme blues mineure de Si bémol, la tonalité de notre blues.
Pourquoi est-ce que cela fonctionne ? Regardez donc une analyse de la gamme blues par rapport aux accords Eb7 et E° (le #iv° dans un blues en Bb majeur) :

Beaucoup de notes sont donc communes à la gamme et aux deux accords.

En fait, penser sa phrase à partir de la tonalité de notre morceau ou de la cadence dans laquelle on se trouve correspond à une pensée horizontale de l’harmonie.
Cela s’oppose à la pensée verticale, qui consiste à jouer chaque accord en montant ou descendant sa gamme ou son arpège.
Je ne m’étends pas sur le sujet, j’y ai dédié une séquence entière dans mon cours Harmonie Jazz : de la Théorie à l’Improvisation.

Terminons notre plan. Wynton Kelly revient sur le Ier degré, Bb7 en faisant s’alterner Bb blues mineur et Bb blues majeur :

Remarque : Freddie Freeloader est un morceau avec une grille simple qui ne contient pas les mouvements IV #iv° I et I ii ii/ii V/ii. Avec cette harmonie derrière, le plan fonctionne un peu moins bien, mais la puissance du son blues est telle que cela va quand même marcher, cf. la dernière partie)

Une astuce pour les instruments polyphoniques :

Dans le plan ci-dessus, Wynton Kelly harmonise sa phrase basée sur la gamme blues mineure avec la tonique en note supérieure :

Le son de cette harmonisation est très Bluesy car la tonique et la Blue note de la gamme blues mineure sont situées à un triton d’écart, un intervalle hautement dissonant qui définit le son du blues.

Il se sert aussi de cette note pour enrichir le reste de sa phrase qui utilise la gamme blues majeure. Même si cela fonctionne, il pourrait utiliser une autre note pour ce faire, et c’est ce qu’Oscar Peterson va nous montrer.

Plan Blues N°5 Oscar Peterson sur Now’s the Time

Regardez le début de cette phrase d’Oscar Peterson (début d’un blues en Fa) :

Nous retrouvons une harmonisation similaire à celle proposée précédemment par Wynton Kelly. Sauf qu’ici, deux choses changent :

  • La gamme employée est la gamme blues majeure (de Fa ici) ;
  • La note qui harmonise en note supérieure est la Sixte Majeure de cette gamme.

En effet, dans la gamme blues majeure, la note située à un triton de la Blue note est bien… la Sixte :

Donc, si vous improvisez sur la gamme blues mineure, vous pouvez harmoniser avec la Tonique en top note.
Par contre, si vous improvisez avec la gamme blues majeure, privilégiez la Sixte.

D’ailleurs, reprenons la fin du plan de Wynton Kelly avec cette idée en tête :

(Ici joué en Sol au lieu de la tonalité originelle Si bémol)

Ça sonne super aussi, non ?

Jetons un oeil à la fin de la phrase de Peterson. Nous pouvons la découper en 4 segments, que voici :

  1. (Le début basé sur la Gamme Blues majeure de Fa) ;
  2. Une phrase basée sur la gamme blues mineure avec la 3ce majeure incorporée qui fait référence à la gamme blues majeure ;
  3. Un cliché be-bop qui fait penser au début du thème Donna Lee ;
  4. La continuité de la phrase be-bop, utilisant gamme be-bop de Fa sur les premier et deuxième temps, puis le même tracé mélodique chromatique mais à partir de la sixte de la gamme pour atterrir sur la fondamentale de l’accord suivant ;
  5. Fin de la phrase Be-bop avec le vocabulaire de Bb mixolydien et une appogiature Be-bop.

Là encore, le vocabulaire be-bop est utilisé pour passer d’un virage important de la grille à un autre, tel le second plan de « Sweets » Edison vu plus haut.

Plan Blues N°6 Wes Montgomery sur D Natural Blues

Nous sommes maintenant dans le cadre d’un blues en Ré. Observez comment Wes aborde la progression ii/ii V/ii -> ii, notre 4e point névralgique aux mesures 8 et 9 de notre grille de Blues :

J’ai une question pour vous. À votre avis, comment Wes Montgomery s’y prend-il pour réussir à jouer les notes des accords tout en sonnant « bluesy » ?

Eh oui, il utilise les gammes blues, en prenant soin de choisir ses notes en fonction de l’harmonie qui défile :

Analysons ces quatre segments :

  1. Encore une belle manière de manier la Gamme blues ;
  2. Trois notes notes (sans compter l’appogiature) empruntées à la gamme blues mineure ;
  3. Quatre notes de la gamme blues majeure ;
  4. Un mix entre mineur et majeur. Si vous avez bien suivi, c’est l’exact même petit morceau que ce que joue Wynton Kelly dans Freddie Freeloader (4e temps de la 2nde mesure (sans compter la levée)),

Wes Montgomery joue donc Ré blues sur F#-7b5 B7b9 -> E-7… Cette manière d’approcher ce point crucial de la grille correspond encore une fois à une pensée horizontale.

Observons Joe Pass faire de même avec la fin de la grille :

Plan Blues N°7 : Joe Pass sur Joe’s Blues

Nous sommes maintenant dans le cadre d’un blues en Sol, sur les 4 dernières mesures, ce qui correspond à la cadence ii V I. Voici ce que Joe Pass propose :

Encore… Du blues !

Analysons cette phrase en se référant aux gammes blues mineure et majeure de Sol :

  1. Le début de la phrase est certes un arpège de A-9, mais aussi et surtout les notes la gamme blues majeure de Sol ;
  2. Joe Pass descend la gamme blues mineure de Sol sur le D7. Il prend soin d’harmoniser la 4te (par rapport à la note Sol) avec une note triton descendant. Cela donne les notes Do et Fa#, qui correspondent avec les 3ce et 7e du D7. La #4 (par rapport à Sol) qui précède est aussi harmonisée avec un triton, ce qui par rapport à l’accord est une approche chromatique.
  3. Résolution sur la gamme blues majeure, avec le même type d’harmonisation eu triton qui donne les 3ce et 7e de l’accord.
  4. Petite relance avec les notes de la gamme blues mineure.

Jouer blues sur ce ii V fonctionne, car même si la majorité des notes sont communes aux accords et aux gammes blues, cela revient surtout à anticiper la résolution vers le Ier degré.
C’est encore du jeu horizontal : Joe Pass base sa phrase par rapport à la tonalité de la cadence plutôt que ses accords individuels.

Cela nécessite tout de même de bien retomber sur ses pattes, à travailler, donc !

Résumons ce que nous avons appris, et assemblons ces 7 plans blues

Eh bien, ces 7 plans à jouer sur la grille de Blues nous aurons appris beaucoup de choses :

  • On peut jouer blues majeur sur le début de la grille ;
  • On peut utiliser le vocabulaire be-bop (gamme be-bop) de notre tonalité pour aller sur le degré IV7 ;
  • Jouer la gamme blues mineure de notre tonalité sur le IV7 fonctionne, c’est jouer de manière horizontale (on peut en déduire que faire cela fonctionne aussi à la 2nde mesure) ;
  • Mais on peut aussi jouer la gamme blues majeure du IV7 à cet endroit ;
  • Mixer les gammes blues majeure et mineure de notre tonalité sur les 7e et 8e mesures fonctionne aussi (jeu horizontal là encore) ;
  • Même chose sur le ii V I final ;

Partant de ce constat, on dirait qu’on peut jouer blues sur presque toute notre grille !!
Regardez plutôt :

Et le dernier point crucial alors, les deux dernières mesures ? Peut-on jouer blues aussi à cet endroit ? C’est ce que nous allons voir.
Assemblons nos 7 plans de manière à façonner deux grilles complètes, en utilisant le second (celui de Sweets Edison qui utilise la gamme blues majeure) à l’endroit fatidique :

Verdict : ça fonctionne. Allez, à vous de jouer !

Travaillez ces plans pour incorporer le langage des grands jazzmen dans votre jeu. Vous gagnerez au passage les quelques subtilités harmoniques que j’ai analysées tout au long de cet article.

Tous les plans contenant des triolets (Le 4e de Wynton Kelly, le 6e de Wes Montgomery, le 7e de Joe Pass) seront assez difficiles à jouer au dessus de 120 bpm (le tempo auquel je joue mon exemple ci-dessus). Par chance, un paquet de blues se jouent à ce tempo là ou en-dessous : Sandu, Billie’s Bounce, Blue Monk, Freddie Freeloader

Si vous avez des questions, des remarques, laissez un commentaire, je vous répondrai avec plaisir.

Cet article vous a plu et vous souhaitez en voir d’autres de ce type ? Restez au fait des dernières publications en vous abonnant à la Newsletter :

Et n’oubliez pas de partager cet article si vous pensez qu’il peut aider un.une de vos camarades à apprendre le langage jazz ! Il vous suffit de cliquer sur les petits boutons en bas à droite.

Image de couverture : Oscar Peterson in 1977, Flickr, Tom Marcello (https://www.flickr.com/people/11447043@N00/) Webster, New York, USA. Licence

Comment la gamme Be-Bop règle le problème n°1 des gammes basiques

Vous rêvez de faire de longues phrases be-bop ? De jouer des tripotées de croches avec des chromatismes complexes et virtuoses ? De rendre Charlie Parker fier de l’héritage qu’il a laissé derrière lui ?

Super programme. Mais il faut que je vous prévienne, cela risque de ne pas se passer comme prévu si vous utilisez les gammes basiques : la gamme majeure, le mode mixolydien, etc…

En effet, ces gammes ont à leur essence même un problème majeur qui peut vous empêcher de sonner aussi bien que les plus grands boppeurs. Dans cet article, je vais vous expliquer pourquoi, et comment la gamme be-bop peut nous sauver la mise.

Croches : La hiérarchie des notes dans notre mesure

Prenons une mesure à 4/4, métrique dans laquelle se joue la quasi-totalité des standards.
Notre mesure comporte 4 noires, divisées en 2 croches, ce qui nous donne au total 8 croches.
Jetez un oeil à ce schéma :

La première croche tombe sur le 1er temps, la seconde, sur le « et » du 1er temps (en contretemps donc), la 3e croche tombe sur le 2nd temps, etc…

En fait, les croches qui vont tomber sur les temps vont sembler à l’oreille plus importantes que les croches placées en contretemps. Cette règle s’applique aussi bien aux croches swing qu’aux croches binaires. Laissez-moi vous donner un exemple.

Imaginons que je veuille improviser sur un premier degré majeur avec la gamme majeure correspondante. Ici, je vais prendre Cmaj7 et la gamme de Do majeur. Je vais la jouer avec un rythme de croches :

Voici maintenant la même phrase, mais décalée d’une croche :

Entendez-vous la différence ? La première phrase est bien placée, la seconde, non. Pourquoi ?

Analysons ce qui se passe. Dans mon premier exemple, les notes qui tombent sur le temps sont : Do, Mi, Sol, Si. C’est l’arpège de Do majeur 7, le degré que je cherche à jouer, parfait, donc.
Dans mon second exemple, les notes qui tombent sur les temps sont : Ré, Fa, La, Do. C’est l’arpège de mon second degré, D-7. Ce n’est pourtant pas l’accord sur lequel j’essaie d’improviser, mon premier degré, Cmaj7. Nous avons donc une sensation auditive désagréable, comme si le contenu de ma phrase était « décalé » par rapport à la normale.

Cette règle est aussi valable pour les phrases en double-croches. Les notes qui tombent sur les croches vont être plus importantes que celles qui sont « en l’air ».

Le Problème avec nos gammes classiques

Cette règle maintenant en tête, intéressons nous à la constitution de nos gammes « basiques » : la gamme majeure, la gamme mineure naturelle, le mode mixolydien…

Sans même les avoir sous les yeux, vous pouvez me lister une caractéristiques qu’elles ont en commun. Ce que je cherche à vous faire deviner, c’est qu’elles ont toutes 7 notes.

Cela peut sembler anecdotique, mais c’est pourtant ce qui pose problème lorsqu’on s’attelle à construire des phrases en croches. En effet, je vous disais tout à l’heure que notre mesure comporte huit croches. Si nous montons notre gamme dans un mouvement régulier et pair (conjointement, ou par tierces, ou par quartes…), au bout de 7 notes, nous allons nous retrouver à l’envers !

Regardez plutôt :

Je suis de nouveau en train d’improviser sur un Cmaj7 avec la gamme de Do majeur. Dans ma première mesure, ce sont les notes Do, Mi, Sol et Si qui tombent sur les temps et qui vont paraître les plus importantes. Mais dès que nous dépassons le quota des 7 notes, les notes qui tombent sur le temps sont Ré, Fa, La, et Do, exactement celles qu’on ne veut pas trouver à cette place !

Jamais nous ne pourrons sonner aussi bien que les boppeurs en utilisant nos pauvres gammes à 7 sons… Il faudrait rajouter une note pour que l’équilibre se fasse de nouveau et que nous puissions jouer plus de deux mesures « bien placé »…

La Gamme Be-Bop et son chromatisme ajouté

Nous sommes sauvés, voici la botte secrète des boppeurs, la Gamme Be-Bop. Pour la construire, il vous suffit de prendre la gamme majeure et d’ajouter un chromatisme, une note en plus non contenue dans notre tonalité, ici la 6te mineure par rapport à notre fondamentale :

Si je vous rejoue ma phrase de tout à l’heure, avec le chromatisme en plus :

Les notes qui tombent sur les temps ont légèrement changé par rapport à mon exemple précédent. Nous avons maintenant Do, Mi, Sol, La pour la première mesure et Do, Mi, Sol, La pour la seconde. C’est pour les deux mesures l’arpège de C6, accord tout à fait interchangeable avec l’accord de Cmaj7 (les jazzmen des années 30 jouaient presque exclusivement leurs premier degrés majeurs avec la couleur majeur 6).

La Gamme Be-Bop que je viens de vous présenter est la gamme Be-Bop « Majeure », à jouer sur les accords majeurs, donc. Il en existe deux autres vraiment essentielles à connaître :

Les deux autres Gammes Be-Bop essentielles : Mineure et Dominante

Voici la gamme Be-Bop à jouer sur les accords mineurs :

C’est en fait la gamme mineure mélodique (aussi appelé mode mineur-majeur, une gamme majeure dont la 3ce a été abaissée), avec le chromatisme de la 6te mineure en plus.

Attention, ne jouez pas cette gamme sur un accord mineur avec une 7e mineure (min7 donc).
En effet, ses altérations font entendre un accord -6, avec dans le mode une 7e majeure.
Cette gamme est donc plus appropriée pour jouer les premier degrés de tonalité mineure, qui ont par défaut une couleur min6 ou min-maj7. Si cela ne vous paraît pas clair, jetez donc un oeil à mes articles sur la tonalité mineure.

Je n’ai malheureusement pas trouvé d’exemples d’utilisation de cette gamme dans les improvisations des boppeurs (si vous en avez sous le coude, indiquez-les donc en commentaire !).
En effet, sur les premier degrés mineurs, ces derniers préfèrent jouer mineur mélodique, sans se soucier du chromatisme intégré.

Cependant, cette gamme est très utile pour accompagner les morceaux mineurs, car son harmonisation à quatre voix permet de créer un système bien rôdé où s’alternent accords mineurs 6 renversés et accords diminués (mais ce sera pour un autre article !).

Voici maintenant notre dernière gamme, la gamme be-bop dominante :

Comme son nom l’indique, elle est à jouer sur les accords 7, accords dits « de dominante », cela se vérifie à son échelle d’intervalle. Elle est en effet similaire à celle du mode mixolydien (le mode du Ve degré en tonalité majeure, de fonction dominante, et de couleur 7), avec en chromatisme ajouté une 7e majeure.

Quelques exemples de l’utilisation des gammes Be-bop

Voici un exemple de l’utilisation de la gamme Be-Bop majeure contenu dans la première phrase du thème de Miles Davis Donna Lee :

Voici maintenant une illustration de l’utilisation de la gamme be bop dominante dans le solo de Chet Baker sur Autumn Leaves :

Remarquez comme il utilise le vocabulaire de la gamme be bop du Ve degré dès le début du ii V I, en zappant le second degré. C’est une astuce que nous pouvons lui piquer volontiers.

À noter que dans mes deux exemples, les gammes be-bop sont jouées dans le sens descendant, c’est surtout de haut en bas que vous trouverez cette gamme dans les solos des grands jazzmen.

La Gamme Be-Bop : Résumons

Dans cet article nous avons vu que :

  • En jouant de longues phrases en croches, une hiérarchie s’installe entre les notes. Celles qui tombent sur le temps vont paraître plus importantes que celles en contretemps
  • Nos gammes à 7 sons ont donc un problème : jouées de manière conjointes, au bout de 7 notes, les bonnes notes ne tombent plus sur les temps
  • La gamme Be-Bop et son chromatisme intégré résout ce problème car le nombre de notes qu’elle contient correspond au nombre de croches dans la mesure
  • Les trois gammes Be-Bop essentielles sont : la gamme be-bop majeure (à jouer sur les accords majeurs), la gamme Be-Bop mineure (à jouer sur les accords mineurs), et la gamme Be-Bop dominante (à jouer sur les accords 7)
  • La gamme Be-Bop est surtout jouée de haut en bas, dans le sens descendant.

En plus de sauver les longues et virtuoses phrases de nos solos, la gamme Be-Bop a un son typé qui renvoie à l’âge d’or du Be-Bop. L’employer vous permettra donc de contribuer à perpétrer cet héritage. Longue vie au Be-Bop !

J’espère que cet article vous a été utile. Si vous avez des questions, des remarques, laissez un commentaire, je vous répondrai avec plaisir.

Cet article vous a plu et vous souhaitez en voir d’autres de ce type ? Restez au fait des dernières publications en vous abonnant à la Newsletter :

Et n’oubliez pas de partager cet article si vous pensez qu’il peut sauver les phrases d’un.une de vos camarades qui n’emploierait que les gammes classiques ! Il vous suffit de cliquer sur les petits boutons en bas à droite.

Image de couverture : Portrait of Charlie Parker, Tommy Potter, Miles Davis, Dizzy Gillespie and Max Roach, Three Deuces, New York, N.Y. Vers août 1947. Par William P. Gottlieb. Domaine public

Comment entendre plus facilement la basse ?

Vous n’entendez pas ce que joue le bassiste de votre groupe ? Vous n’arrivez pas à distinguer le hauteurs de note dans le registre grave, et échouez à repiquer des grilles ?
Ne cherchez pas plus loin : Votre oreille n’est pas assez entraînée pour entendre la basse.

Et pourtant, ce serait chouette de pouvoir comprendre ce qui se passe en bas du spectre sonore… Vous sauriez exactement où vous en êtes dans une grille, vous pourriez commencer à entendre les couleurs d’accord de votre pianiste en fonction de la basse, etc…
Bref, arrêter de vous perdre et entendre ce que vos camarades jouent afin de pouvoir réagir en conséquence.

Peut-être que tout cela vous semble insurmontable à accomplir, mais ne vous en faites pas, tout problème a sa solution.

Comme pour beaucoup de chose en matière de musique, pour affiner son oreille, il faut l’entraîner. Comme ça, elle peut mémoriser les bonnes sensations auditives et les relier ensuite à vos connaissances théoriques.

Avez-vous l’habitude de vous concentrer longtemps sur le jeu de votre contrebassiste quand vous jouez avec lui ? Relevez-vous des lignes de basse régulièrement ?

C’est pour vous mettre dans cette direction que j’ai écrit cet article.
Vous allez y (re)découvrir la basse sous toutes ses coutures, apprendre quel est son rôle dans la section rythmique, et certaines techniques récurrentes dans le jeu des bassistes qui peuvent nous aider à mieux comprendre ce qui se passe, et les repiquer plus facilement.

C’est parti !

Qu’est-ce qu’une contrebasse, et qu’est-ce qui la rend si difficile à entendre ?

*J’emploie le terme « basse » pour désigner l’instrument qui tient ce rôle dans un groupe de jazz. Mais l’instrument en lui-même peut être une contrebasse, une basse électrique, la main gauche d’un organiste…
Dans cet article, je me focaliserai sur le plus difficile à entendre : la contrebasse.

La contrebasse est un instrument à cordes, constitué de haut en bas d’une tête avec des chevilles d’accordage, de cordes qui descendent le long d’un manche au dessus de sa touche et ce jusqu’au chevalet.
Ce dernier est posé sur une caisse de résonance qui a pour but d’amplifier le son créé par la vibration des cordes de l’instrument.

Cette vibration est créée par la main droite du.de la bassiste (si il.elle est droitier) qui va pincer les cordes et les relâcher. Pour modifier la hauteur de la note jouée, sa main gauche va presser la corde en un point précis sur la touche, ce qui va avoir pour effet de modifier la longueur de corde qui vibre et donner une hauteur de note différente que celle de la corde à vide*.

Première information extrêmement importante : Les 4 cordes « à vide » (*en les attaquant sans les presser sur la touche avec la main gauche) sont accordées comme ceci : E1, A1, D2, G2.

Les chiffres après les lettres correspondent aux hauteurs par rapport aux touches de piano, dont le clavier débute avec le « la zéro » -> A0, Bb0, B0, puis C1, etc…

Remarquez le petit 8 en dessous de ma clé de Fa, qui

Comme vous pouvez le voir, le registre de la contrebasse commence dans l’extrême grave du piano, région que nous n’avons pas vraiment l’habitude d’écouter attentivement.

De plus, la manière de jouer d’un bassiste de jazz (qu’on pourrait qualifier de pizzicato pour un contrebassiste classique) donne un timbre sourd, rond, mat à l’instrument, ce qui veut dire qu’il est pauvre en harmoniques.

Il est donc plus compliqué de discerner la hauteur d’une note à la contrebasse qu’au piano par exemple (son timbre étant plus riche en harmoniques).

Voilà pourquoi entendre la basse n’est pas si évident. Maintenant, intéressons-nous à sa fonction, et voyons si nous pouvons en tirer quelque chose d’utile pour nos repiquages.

Quel est le rôle de la basse dans la section rythmique ?

Traditionnellement, la basse connecte les fondamentales des accords d’une grille de jazz à l’aide d’une « ligne » ou d’un « riff« .

La ligne de basse a souvent un rythme régulier constitué de blanches ou de noires (on parle de Walking Bass), à la différence d’un riff dont la forme rythmique peut être plus complexe.

Une Walking Bass en noires.
Un extrait du riff de basse d’Equinox (John Coltrane)

C’est parce que la contrebasse est l’instrument avec la tessiture la plus grave du groupe qu’elle joue les fondamentales des accords (fondamentale : Note la plus grave d’un accord, à ne pas confondre avec « tonique » qui désigne seulement la note du premier degré de notre tonalité).

En swing, le.la bassiste joue ces fondamentales sur le premier temps de la mesure s’il n’y a qu’un accord dans celle-ci.

Si la mesure comporte deux accords, la basse joue la fondamentale du second accord sur le troisième temps de la mesure.

Donc, si vous connaissez bien votre grille, écoutez la basse et vous saurez où vous en êtes dans le morceau.

De même, connaître la grille d’un morceau dont vous relevez la ligne de basse vous donne un indice sur potentiellement la moitié des notes !

À noter : Les bassistes prennent un malin plaisir à avancer ou retarder la venue des accords, ou bien à jouer une autre note que la fondamentale de l’accord (et réharmoniser)…
Mais dans la majorité des cas, si le morceau est vraiment « standard », vous n’aurez pas de mauvaises surprises.

Trois éléments du jeu de contrebasse essentiels à connaître pour en repiquer plus efficacement

1. Les cordes à vides et leurs harmoniques

Voici de nouveau les cordes à vide de l’instrument : E1, A1, D2, G2.

En fait, ces cordes à vide sont un véritable atout pour le.la bassiste.
Le fait de pouvoir jouer une note sans devoir utiliser sa main gauche lui donne énormément de flexibilité.
En effet, les bassistes peuvent jouer une note dans le médium-aigu de leur instrument et revenir dans le grave aussitôt en jouant une corde à vide.

Ce qui est un avantage pour eux.elles peut être un inconvénient pour nous car cela donne parfois de grands intervalles difficiles à entendre dans leurs lignes.

Arrivé au Mi de la corde de Sol, je laisse le temps à ma main gauche de se replacer en haut du manche en jouant la corde à vide de Mi, créant un intervalle de deux octaves dans ma ligne !

De la même manière, les harmoniques des cordes de Ré et de Sol sont souvent utilisés et créent parfois de grands intervalles dans les lignes.

Petit point terminologie : Que sont les « harmoniques » d’une corde ?

Tout son est composé d’une fréquence fondamentale qui détermine sa hauteur, à laquelle s’ajoute d’autres sons : les harmoniques. Ces sons sont des multiples de la fréquence fondamentale, ils peuvent être plus ou moins nombreux, ce qui détermine entre autres le timbre du son.

Sur un instrument à cordes, ce terme peut aussi désigner plusieurs points de résonance situés à des endroits clés de la corde. Effleurer ces points avec la main gauche (sans presser la corde contre la touche) tout en attaquant la corde avec la main droite va faire résonner un harmonique précis contenu dans le timbre de la corde.

Dans le cas de la contrebasse, un harmonique en particulier nous intéresse, celui de l’octave de la corde à vide, situé pile-poil au milieu de la corde (cela correspond à la 12e frette d’une basse électrique ou d’une guitare).

Mon dernier intervalle est une octave utilisant l’harmonique de la corde de Sol.

Utiliser cet outil permet au.à la bassiste de faire résonner deux notes en particulier sans avoir à maintenir la main gauche appuyée sur la touche (comme pour les cordes à vide). Ces notes sont les octaves de D2 et G2 : D3 et G3.

Ainsi, si vous entendez de grands intervalles dans le jeu de votre bassiste, il utilise à coup sûr les cordes à vide et ses harmoniques, soit les notes E1, A1, D2, G2, D3, G3.

2. Les Ghost Notes

Les Ghost Notes sont littéralement des notes « fantômes », qui sont là sans vraiment l’être…

En fait, ce terme désigne une note sans hauteur définie, présente dans le jeu du bassiste pour lui donner du relief en l’enrichissant rythmiquement.

Pour ce faire, le.la bassiste attaque la note à la main droite et l’étouffe à la main gauche, comme ceci :

Ces notes n’ayant pas d’importance harmoniquement parlant, il est donc possible de les omettre dans nos relevés. Cependant, c’est une des techniques préférées des bassistes pour faire groover leur ligne de basse, rythmiquement parlant, elles sont essentielles.

Donc, si vous désirez les noter, utilisez cette écriture :

Quand on connaît l’instrument, on peut écrire une ghost note à la hauteur de la corde à vide sur laquelle elle est jouée par le.la bassiste.
Si vous n’êtes pas familier avec le fonctionnement de la basse, notez la comme une note d’approche à la note suivante de votre relevé, juste au-dessus ou en-dessous.

Pour résumer, si vous entendez une petite pique rythmique sans hauteur apparente, pas besoin de vous casser la tête, vous êtes face à une ghost note.

3. Les Fills

Voici un point plus problématique. Un fill est une ponctuation dans le jeu du bassiste, quelques notes jouées rapidement généralement à la fin d’une carrure de 4 mesures.

Les 4 dernières mesures d’un Blues en Do, avec un fill pour relancer à la fin (je le rejoue ensuite au ralenti pour que vous puissiez en saisir tous les détails)

Les bassistes utilisent des fills pour enrichir leur jeu, leur donner du relief rythmique, répondre au soliste…

Sauf que je ne vous l’ai pas encore indiqué, mais la contrebasse est un instrument délicat à maîtriser, son ergonomie fait qu’il est difficile d’en jouer rapidement

Pourquoi ce détail est-il important ? Parce que cela va nous aider dans nos relevés : Les bassistes vont au plus simple et au plus pratique pour jouer leurs fills, en utilisant… des cordes à vide !

Comme l’attaque de la contrebasse se fait naturellement de l’aigu vers le grave, les fills ont en majorité une direction descendante.

Une autre astuce utilisée par les bassistes pour jouer rapidement est la technique du pull-off, qui désigne seulement une attaque de la corde en la pinçant tout en relâchant la note précédente à la main gauche (ce qui économise une attaque de main droite). Dans la vidéo plus haut, mon fill commence par un pull-off.

Les fills que vous entendrez utilisent donc à coup sûr cordes à vide, parfois des harmoniques, et des pull-offs.

Résumons ensemble :

Dans cet article, nous avons vu que :

  1. La basse joue les fondamentales des accords sur les 1er temps des mesures (1er et 3e temps s’il y a deux accords par mesure) ;
  2. Les cordes à vide (E1, A1, D2, G2) et les harmoniques D3 et G3 permettent aux bassistes d’insérer des grands intervalles dans leurs lignes ;
  3. Les ghost notes sont des notes purement rythmiques sans hauteur, qu’il n’est pas indispensable de noter ;
  4. Les fills contiennent toujours les cordes à vides ou leurs harmoniques et sont joués de l’aigu vers le grave (souvent grâce à un pull-off).

J’espère que cet article vous aidera à mieux entendre le jeu de votre bassiste, et à repiquer de la basse plus facilement.

Vous voulez voir d’autres articles de ce type ? Abonnez-vous à la newsletter (presque !) hebdomadaire de Jazzcomposer.fr. Vous ne manquerez aucune publication de ce type et pourrez progresser en toute tranquillité :

Vous voulez voir d’autres articles de ce type ? Abonnez-vous à la newsletter (presque !) hebdomadaire de Jazzcomposer.fr. Vous ne manquerez aucune publication de ce type et pourrez progresser en toute tranquillité :

Image de couverture : Slam Stewart at Keystone Korner, San Francisco CA 4/28/81. Playing with Illinois Jacquet.
© Brian McMillen / brianmcmillen@hotmail.com

Groupes rythmiques (groupings) : Augmentez votre vocabulaire rythmique

J’ai une devinette pour vous :
Comment se distinguer dans un groupe où tout le monde joue de belles notes ? … En les jouant bien en place !
Plus sérieusement, le rythme est Le paramètre qui rend votre jeu intéressant. Après tout, une note bien rythmée dans un solo vaut mieux qu’une longue suite de croches maladroites.

Si vous avez atterri sur cet article, c’est que vous trouvez que vos solos manquent de pêche côté rythmique. Que toutes vos phrases se ressemblent un peu, et que sur la longueur, vos idées se répètent.

Devant ce constat, beaucoup de solutions s’offrent à vous. Vous pouvez jouer avec différents placements comme je l’explique dans cet article, varier vos débuts et fins de phrases, jongler entre différents débits

Mais aujourd’hui, nous allons nous intéresser à un procédé assez simple, popularisé dans les années 60 par des instrumentistes comme Wynton Marsalis ou Kenny Garrett : Les groupes rythmiques (aussi appelés « groupes de notes » ou « groupings »).

Si vous avez lu mon article sur les équivalences, sachez que c’est un type de groupe rythmique, nous allons aller plus loin dans cet article. Et si vous êtes vraiment assidu·e, vous allez reconnaître ici certains exemples tirés de mon article sur Kenny Garrett et son utilisation des motifs. Commençons.

Qu’est-ce qu’un groupe rythmique ?

Le premier exemple est celui de Kenny Garrett sur Mack the Knife. Écoutez et constatez que son débit rythmique change à 1’40 :

Voici maintenant un second exemple, cette fois-ci de Wynton Marsalis. Écoutez la figure rythmique qu’il développe :

Comme vous pouvez le voir dans ces deux exemples :

Un groupe rythmique est une polyrythmie consistant à faire se superposer les appuis normaux d’une mesure et un groupement spécifique de ses subdivisions.
Pour que la polyrythmie soit intéressante, lorsque la décomposition du temps est paire, le groupe doit être impair. Inversement, lorsque la décomposition du temps est impaire, le groupe doit être pair.

Quelques petites précisions pour m’assurer que vous avez bien compris :

  • Polyrythmie : Superposition de différents rythmes entre eux.
  • Groupe impair : groupe de 3, 5, 7, … subdivisions
  • Groupe pair : groupe de 2, 4, 6, … subdivisions

Autrement dit, jouer un grouping consiste à répéter une figure rythmique dont les appuis se décalent par rapport à ceux de la mesure initiale.

Il est possible de ne jouer que la première subdivision de chaque groupe comme Kenny Garrett, ou plusieurs voire toutes les subdivisions internes du grouping comme dans l’exemple de Wynton Marsalis.

Créons ensemble un groupe de 3

C’est parti, apprenons à utiliser cet outil. Pour ce faire, voici de nouveau quelques rapides notions de base :

  • Temps de la mesure : Différentes pulsations à l’intérieur d’une mesure. Dans une mesure à 4/4, le temps est habituellement la noire.
    4/4 = 4 noires par mesure, donc 4 temps par mesure.
  • Subdivisions du temps : Décompositions du temps
    Un temps d’une mesure à 4/4 peut être découpé en de plus ou moins gros morceaux, qui sont nos subdivisions (croches, double-croches…)

Prenons maintenant une mesure à 4/4 binaire, dont le temps (la noire) est divisé en 4 double-croches.

Mon exemple audio dure 4 mesures, la voix du haut est jouée par un métronome avec un son aigu sur chaque 1er temps. La voix du bas est assurée par une caisse claire qui accentue les débuts de groupe.

Groupons maintenant ces subdivisions par 3 :

C’est super, mais avez-vous remarqué qu’un nouveau groupe démarre sur la dernière double-croche de la mesure, et est par conséquent incomplet ?

En effet, il manque la seconde et la troisième subdivision de ce dernier groupe. Ajoutons deux mesures afin que le début d’un groupe tombe sur le 1er temps d’une mesure :

Le cycle de notre groupe de trois est ainsi terminé. Constatez qu’il faut 3 mesures pour que le début d’un groupe coïncide avec un 1er temps. 3 mesures pour un groupe de 3, c’est plutôt pratique pour s’en souvenir, non ?

Cette loi est valable pour tout groupe rythmique : Le cycle d’un groupe de X dure X mesures (quelle que soit la métrique).

Maintenant, gardons seulement la première subdivision de chaque groupe :

Nous voilà avec 3 mesures de groupes de 3.

Le stade ultime de cette manipulation rythmique est, comme le fait Tony Williams avec les équivalences, de créer une sensation de nouveau tempo en se servant des débuts de groupes comme de « nouveaux temps ».

En voici une illustration avec 4 mesures d’un groove binaire basique suivies de 3 mesures du même groove, mais calé sur les appuis du groupe de 3 :

Prudence si vous utilisez cet outil en tant que soliste ! C’est plutôt rare, mais la rythmique peut vous rejoindre et créer cette sensation de tempo différent. Si jamais vous perdez le fil de la métrique de base, bon courage pour retomber en place !

Les autres groupes courants

Le groupe de 3 est le grouping le plus répandu. Cependant, il en existe d’autres. Nous allons dans cet article rester dans le cas d’une mesure binaire, découvrons donc les autres groupes impairs courants, les groupes de 5 et 7.

Pour des raisons autant pratiques que musicales, les groupes de 5 et 7 ont des divisions intérieures, et comportent donc plusieurs appuis.
La formule la plus fréquente pour les constituer est la suivante :

  • Groupe de 5 : un groupe de 2 + un groupe de 3 ;
  • Groupe de 7 : Deux groupes de 2 + un groupe de 3.

Si vous voulez constituer un groupe de 9, il suffit de rajouter un groupe de 2 au début : 2 + 2 + 2 + 3 = 9. Un groupe de 11 ? 4 groupes de 2, puis un groupe de 3. C’est aussi simple que cela !

Pour illustrer ces exemples, voici un extrait d’un solo du saxophoniste Stéphane Guillaume où il utilise de manière rapide le groupe de 5, en ne marquant que ses deux appuis internes :

Cela se passe exactement de 7’57 à 7’58, soyez à l’écoute :

Écoutez comme il retombe sur le temps avec la rythmique, c’est ce genre d’effet que vous visez en utilisant un groupe rythmique.

Pour un exemple plus accessible, consultez cette courte vidéo (moins d’une minute) sur la chaîne Youtube de Jazzcomposer.fr :

https://www.youtube.com/shorts/T2w9Er_hw58

Les groupes rythmiques et le swing

Si vous êtes toujours avec moi, vous vous dites peut-être :

« C’est super toutes ces mathématiques, mais comment je l’applique à mes bons vieux standards ?? »

À l’instar de Marsalis et Garrett, il suffit de grouper les croches swing.

En swing, un temps est divisé en 2 croches inégales. La première se rapproche de deux croches de triolet rassemblées, et la seconde, la troisième croche de ce triolet. Comme ceci :

Groupons maintenant ces croches par 3 (sur le schéma, la « grosse » note correspond à la première note du grouping) :

Et voilà le travail. Je ne vous cache pas que l’intégration de groupings dans votre jeu demande un peu d’entraînement pour être bien en place, et surtout pour ne pas se perdre !

Voici quelques pistes pour travailler les groupes rythmiques :

(Commencez par le groupe de 3 en 4/4 binaire, c’est le plus facile).

  1. Commencez par poser votre instrument ! Même sans les contraintes des bonnes notes, de la technique, de vos pistons, tampons ou autres touches, il vous faudra un peu d’entraînement pour arriver à exécuter un grouping (en faisant en sorte que ça groove !), donc ne vous rajoutez pas de difficultés inutiles.
  2. Prenez un métronome et mettez le à un tempo raisonnable. C’est fait ? … Baissez encore d’une vingtaine de points, et là vous serez vraiment à un tempo raisonnable !
  3. Vos pieds vont maintenant marquer les 4 temps de la mesure, l’un après l’autre (commencez avec celui qui vous plaît le plus).
  4. Chantez toutes les subdivisions avec les onomatopées de votre choix. Si cela vous aide, vous pouvez utiliser des onomatopées comme « Takatiki » ou « Takadimi », mais je vous encourage à rapidement délaisser ces formules scolaires peu musicales pour des syllabes improvisées, ou même l’imitation de percussions.
    Cette étape est sans doute la plus importante, quoi que vous fassiez, n’oubliez jamais d’intégrer la découpe dans votre phrasé ! De cette façon et seulement de cette façon, vous serez parfaitement en place.
  5. Commencez par accentuer une subdivision sur trois, sur seulement une mesure, en alternant par exemple avec une ou deux mesures de découpe non-accentuée. Vous chantez un groupe de 3 !
    Si cela vous aide, vous pouvez aussi marquer cet accent en frappant des mains.
  6. Quand vous maîtrisez la 5e étape, et que ça groove vraiment, ajoutez une mesure.
  7. Répétez la 6e étape autant de fois que vous voudrez, allez au moins jusqu’à 4 mesures.
  8. Enlevez les pieds ! Attention car cette étape est clairement la plus compliquée, et va vous demander un peu de persévérance. Vous allez perdre le fil de la métrique de base et votre sensation du tempo va se synchroniser sur les groupings, mais tenez bon ! Commencez par une mesure sans les pieds, alternée par une ou deux mesures de découpe non-groupée avec les pieds tapant les 4 temps. Puis ajoutez une mesure sans les pieds, etc…
    Vous pouvez aussi partir de l’étape 7, et enlever progressivement des temps tapés au pied. Ne tapez plus que les 1er, 2nd et 3ème temps, puis seulement 1er et 2nd, puis le 1er… Et vous serez arrivés à destination !
  9. Une fois que c’est à votre portée, prenez votre instrument et appliquez votre groupe de 3 sur une grille standard, en prenant pour subdivision la croche swing. Alternez entre des mesures de silence et des mesures de grouping, d’abord sur une ou deux notes qui traversent la grillent sans dissonances, puis avec les notes que vous voulez.
  10. Recommencez avec les groupes de 5 et 7 !

Conclusion

Voilà, vous savez tout sur les groupes rythmiques.

Même en les exécutant basiquement sur une seule note, les groupings vont attirer l’oreille des gens qui jouent avec vous et du public, sans vous demander trop d’effort. C’est donc un outil parfait à avoir dans les doigts pour augmenter son vocabulaire et rendre vos solos plus intéressants !

Dans cet article, nous avons vu qu’un groupe rythmique est une polyrythmie consistant à faire se superposer les appuis normaux d’une mesure et un groupement spécifique de ses subdivisions.

Nous avons créé ensemble un des groupes les plus fréquents, le groupe de 3, ainsi que ceux de 5 et 7.

Puis, nous avons vu comment le transposer au swing en choisissant la bonne subdivision à grouper. Et nous avons conclu sur une méthode pour les implémenter dans votre jeu, en faisant en sorte de groover le plus possible.

Cet article vous a plu et vous souhaitez en voir d’autres de ce type ? Restez au fait des dernières publications en vous abonnant à la Newsletter :

Et n’oubliez pas de partager cet article si vous pensez qu’il peut aider un.e de vos camarades jazzmen.women à gagner en vocabulaire rythmique !
Il vous suffit de cliquer sur les petits boutons en bas à droite.

Image de couverture : Wynton Marsalis at the Oskar Schindler Performing Arts Center (OSPAC) Seventh Annual Jazz Festival in West Orange, NJ. 13 September 2009. Par Eric Delmar. Domaine Public.