C’est un véritable passage obligé pour un jazzman, les plus grands s’accordent à le dire : Relever des solos de jazz est un travail essentiel. Malgré cela, il y a des bonnes raisons pour que cet exercice vous lasse, voir qu’il vous insupporte !
Après tout, c’est normal d’en avoir marre de passer des heures à distinguer un Ré bécarre d’un Ré bémol, de ne pas entendre cette fichue contrebasse, de ne pas savoir sur quel temps tombe cette satanée mise en place, de recoller note après note les morceaux inintelligibles de cette phrase en double-croches…
Ainsi, il est possible que vous ayez lâché l’affaire, et concentré vos efforts sur un autre exercice moins exigeant !
Dans ma pratique personnelle, il m’est arrivé de ne plus retranscrire de solo pendant des mois ! La première chose que je retiens de cette période, c’est une impression de stagnation. Une désagrable sensation de ne pas avoir progressé, en tout cas pas autant que les moments où ma pratique était organisée autour de la transcription.
C’est pourquoi je vous présente 10 bonnes raisons de relever des solos de jazz, autant de raisons qui vous feront voir l’exercice autrement, et vous convaincront de vous y atteler de nouveau (ou de ne pas arrêter !).
1. Relever des solos nous fait absorber la tradition
J’ai une petite question pour vous :
Avez vous déjà écouté un jazzman d’aujourd’hui qui vous a fait penser à un jazzman d’hier ?
Les exemples sont multiples :
- Christian Scott ressemble à Miles Davis comme deux gouttes d’eau ;
- Il y a du Bud Powell et du Art Tatum chez Pasquale Grasso ;
- Le style icônique de Thelonious Monk est copié par tous les grands pianistes de Chick Corea à Kenny Barron en passant par Fred Hersch…
Tous ces jazzmen ont relevé leurs aînés et rejoué des heures durant leurs tics, tocs, gimmicks et autres licks. Tels des éponges, ils ont absorbé leurs manières de phraser, articuler, nuancer…
Personnellement, quand je me réécoute, j’arrive à relier tous les éléments de mon jeu aux solos que j’ai relevé, ou aux jazzmen/disques précis que j’ai écouté en boucle.
Le mot « tradition » en jazz désigne tout l’héritage qu’ont en commun les plus grands et auquel il faut emprunter pour devenir bon à son tour.
Quoi de plus puissant pour s’en imprégner que la transcription ?
2. Relever des solos nous fait jouer du jazz de la « bonne » manière
Ce second point est dans la directe continuité du premier.
Bien sûr, il existe beaucoup de façons de jouer du jazz, selon le style, l’époque, les jazzmen ou groupes que l’on adore… Mais, pour la plupart, les millions de solos gravés sur micro-sillon sont autant de points de référence quant à comment « bien » jouer le jazz.
Relever Miles Davis par exemple nous informe sur les « bonnes » notes à utiliser, la « bonne » manière de se placer, une certaine « bonne » façon d’organiser ces notes pour arriver à jouer de « belles » phrases.
Le jeu de Sonny Rollins est bien différent de celui de Miles, mais sa manière de phraser et les notes qu’il utilise sont tout aussi « bonnes ».
Toutes ces heures passées à reproduire le jeu des grands jazzmen est autant de temps dédié à « bien » jouer du jazz. À se placer correctement, à articuler de la bonne manière, à jouer de belles phrases, et donc à bien sonner à notre tour.
3. Relever des solos étend notre vocabulaire
Ce troisième point va vous paraître plus évident, vous y avez sans doute pensé dès la lecture du titre de cet article ! Et pour cause, pour étendre son vocabulaire, avoir plus d’idées et d’histoires à raconter sur les grilles de jazz, la transcription est une excellente solution.
Votre travail peut être centré sur une phrase en particulier, à transposer dans les douze tons et à jouer sur une cadence précise. Mais il peut être aussi plus chirurgical et concerner une articulation, une manière d’approcher une note guide, un timbre spécifique, une technique particulière…
En jam, j’ai même surpris plusieurs fois des phrases de solos que je n’avais même pas travaillé spécifiquement jaillir de ma trompette !
Si vous avez la bonne méthode, retranscrire des solos de jazz va étendre très rapidement vos capacités de jeu, et vous rendre confortable dans beaucoup de situations différentes.
4. Relever des solos fait travailler notre oreille et notre rythme
Restons pragmatique ! L’oreille et le sens du rythme sont deux compétences clé chez un jazzman, aussi utiles pour se repérer dans un morceau que pour être à l’aise en le jouant.
« Dépourvu » d’oreille, vous ne pouvez pas jouer sans grille, et si vous vous perdez, aïe aïe aïe. Peu précis rythmiquement, votre jeu va paraître maladroit, et si la rythmique se complexifie…
Quel rapport avec le relevé de solo ? Eh bien, le repiquage vous fait compter les temps et vous force à reconnaître des intervalles et des figures rythmiques pendant des heures et des heures.
Cela ne peut être que bénéfique pour développer vos compétences.
5. Relever des solos nous pousse à nous dépasser
Si vous vous attelez au repiquage d’un virtuose, vous allez forcément arriver à un point où vous n’avez pas la technique nécessaire pour exécuter un passage. Devant ce constat, deux choix s’offrent à vous :
- Le passage est vraiment trop complexe, vous l’esquivez donc (ou vous le simplifiez) pour pouvoir vous concentrer sur ce qui vous paraît à votre niveau.
- Ou bien vous sentez que la difficulté peut être surmontée, et vous entreprenez un travail technique pour en venir à bout.
La seconde solution peut vous prendre beaucoup de temps (j’ai récemment relevé un morceau qui a nécessité plus de deux mois de boulot !).
Mais le travail technique fourni en vaut la peine, car il élève votre niveau et vous fait progresser.
De plus, les choses qui vous paraissaient complexes jusqu’alors ne semblent plus aussi difficiles…
6. Relever des solos nous connecte aux autres
Laissez-moi vous raconter une anecdote pour expliquer ce point.
Je me trouve sur la scène d’un club, en bonne compagnie, à monter l’après-midi pour le soir même un répertoire dédié à la musique de Duke Ellington. Nous jouons ce soir là en Septet, avec dans la formation deux trompettistes (moi y-compris).
Au cours de la répétition, nous déchiffrons un morceau au tempo médium et qui a pour tonalité Ré bémol. Un des deux trompettistes doit faire un solo. Nous nous essayons alors à jouer sur la grille, l’un après l’autre. Je ne sais plus qui a commence, mais après que le premier ait terminé, l’autre lui lance un regard amusé signifiant : « J’ai compris ce que tu viens de faire ! ».
Et pour cause, le premier trompettiste avait cité (plus ou moins consciemment) le début d’un chorus de Clifford Brown qui collait avec la grille. Le second l’avait manifestement aussi travaillé, et vous pouvez être sûrs qu’il l’a cité par la suite !
Ce petit moment amusant a eu pour effet d’apaiser l’ambiance, de faire retomber le stress, et a montré de manière évidente les points communs entre nous deux.
De la même manière, lorsqu’en jam, vous citez de manière évidente un gimmick connu (La Cool Blues Lick, des groupings, etc…), ou tout autre partie incontournable du répertoire que vous avez relevé, les autres membres du groupe vont forcément réagir !
Ce genre de connexion est bénéfique, et uniquement faisable si vous repiquez du langage jazz régulièrement.
7. Relever des solos permet de mieux jouer les différents styles de jazz
Je pars du principe qu’il est mieux d’adapter son jeu aux différentes situations que nous rencontrons en tant que jazzman.
En effet, il est possible dans la même semaine de jouer dans les styles New Orleans, Be-bop, Swing, Jazz contemporain, Jazz-Pop, etc…
Comment réagissez-vous pour être le plus cohérent possible au sein de chaque groupe ? À chaque style appartient un vocabulaire différent.
Relever des solos afin de s’imprégner de ce vocabulaire est donc indispensable !
8. Relever des solos donne les réponses à toutes les questions
Vous avez bien lu ! Vous pouvez trouver toutes les réponses aux questions que vous vous posez dans un solo/morceau/accompagnement de jazz.
Comment jouer sur un ii V i mineur ? Repiquez Bill Evans ou Clifford Brown.
Je n’arrive pas à bien utiliser la gamme blues ? Le thème Sandu commence par un plan blues !
Comment jouer moderne ? Écoutez/Repiquez Chris Potter, Brad Mehldau, Michael Brecker, Ben Wendel et tant d’autres !
Comment composer un morceau comme Dave Holland ? À moins de lui demander ou de prendre un cours avec lui, la seule solution et de… Repiquer ses compositions !
Bien sûr, il est parfois difficile de savoir où chercher les réponses…
C’est pourquoi la culture d’un prof qui s’est déjà posé ces questions avant vous est indispensable.
Vous pouvez aussi lire des articles comme celui-ci… À bon entendeur !
9. Relever des solos nous fait penser différemment
De la même manière qu’il étend notre vocabulaire, le relevé peut ouvrir nos possibilités de réflexion en nous confrontant à des instruments différents du notre.
En tant que trompettiste, j’ai bien sûr relevé énormément de trompette, afin de m’imprégner de la tradition de l’instrument. Mais j’ai aussi relevé du sax, de la guitare, du trombone, du piano, de la batterie… (pour ensuite les rejouer à la trompette). Ce, dans le but de comprendre comment les autres instrumentistes pensent en fonction de leurs instruments respectifs.
En effet, l’ergonomie de notre instrument a vite fait de nous cantonner à une manière précise de jouer. Par exemple, un pianiste joue beaucoup plus horizontalement (avec des arpèges…) qu’un contrebassiste car ses mains se sont habituées aux empreintes des accords.
Relever des solos de pianistes permet donc à un contrebassiste de penser son instrument différemment.
Un bon exemple de jazzman repoussant les limites de son instrument est le guitariste Pasquale Grasso :
Il a réussi à se rendre unique en adaptant le langage du pianiste Bud Powell (entre autres) à la guitare. Et personne n’avait rien entendu de tel jusqu’alors (je n’invente rien, c’est Pat Metheny qui le dit…) !
Sa guitare sonne vraiment comme un piano, si vous voulez savoir pourquoi… Repiquez-le !
10. Relever des solos est un travail gratifiant
Quel bonheur d’enfin arriver à bout de cette phrase qui nous a donné du mal pendant des heures et des heures !
Quel sentiment jouissif de prendre la place de Miles Davis en étant accompagné par sa rythmique légendaire !
Que c’est agréable d’entendre intégré à notre jeu un plan que nous travaillions d’arrache-pied !
Ce point est sans doute le plus important. Si vous n’aimez pas repiquer des solos, n’en retirez aucun plaisir, alors ne le faites pas !
Mais ça m’étonnerait…
Conclusion
Voilà donc 10 bonnes raisons de repiquer des solos de jazz.
En bref, relever des solos :
- Nous fait absorber la tradition
- Nous fait jouer du jazz de la « bonne » manière
- Agrandit notre vocabulaire
- Fait travailler notre oreille et notre rythme
- Nous pousse à nous dépasser
- Nous lie aux autres
- Permet de mieux jouer les différents styles de jazz
- Donne des réponses à toutes nos questions
- Nous fait penser différemment
- Est un travail gratifiant
Je suis sûr que cet article vous a donné envie de reprendre cet exercice si vous l’aviez abandonné ! Pour autant, si vous ne savez pas par où commencer et qu’il faut que vous bossiez votre swing, cliquez ici.
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Image de couverture : Billy Strayhorn, New York, N.Y., between 1946 and 1948. William P. Gottlieb. Domaine public. Restauration : Adam Cuerden
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