5 étapes pour transformer une mélodie en un morceau

Composer un morceau n’est pas chose aisée quand on débute, et il est fréquent de se heurter à plusieurs obstacles. Ce, en particulier quand le point de départ est une petite mélodie qui tourne dans notre tête.
Je suis sur qu’il vous est déjà arrivé de vous mettre au piano pour tenter de lui trouver une harmonie et passer 10 min à marteler maladroitement les touches du clavier sans aucun résultat !
Pire, la plupart du temps, après avoir pianoté quelques secondes, la mélodie qui trottait inlassablement dans vos oreilles a tout simplement… disparu !

Nous sommes d’accord, tous les articles sur la composition que vous pourrez trouver ne vous seront d’aucune utilité si vous n’êtes pas capables de recréer vos propres morceaux à cause de ce blocage !
Je vous propose de remédier à cela avec ma méthode en 5 étapes pour transformer un début de mélodie en un morceau complet. 

Étape 0 – S’enregistrer

Cette étape fait plus figure de chauffe qu’autre chose, et je suis sûr que vous avez déjà ce réflexe simple. Dès que possible, enregistrez votre idée sur votre téléphone ou votre enregistreur. Ça permet de la retrouver en toutes circonstances, en particulier après que notre oreille ait été distraite par les accords que nous allons poser au piano lors de l’étape suivante. 
Je vais me prêter au jeu et vous mettre ci-dessous un audio d’une idée qui m’est venue aujourd’hui, enregistrée avec mon portable : 

Étape 1 – Trouver la tonalité de la mélodie

Cette étape va nous servir à poser la base de l’harmonie du morceau, afin de déterminer les accords qui vont coller avec notre mélodie.

Premièrement, demandez-vous si votre idée est constituée d’une ou plusieurs phrases. Puis, essayez de déterminer si ces phrases font plutôt office de questions, ou de réponses.
Ce point est très subjectif, et dépend du contexte que vous entendez dans votre oreille. 
Une question aura tendance à se dérouler sur un Ve degré, et une réponse sur un Ier
Dans mon exemple, il n’y a qu’une seule phrase, et elle a l’air d’être conclusive, d’être une réponse, donc.

Trouvons ses notes (à l’aide d’un piano par exemple) et écrivons les sur une partition : 

Notre dernière note, Si bémol, a l’air d’être l’endroit où on peut entendre un Ier degré, c’est là où nous avons l’impression d’être le plus stable.

Pour trouver notre tonalité, il suffit de lister les accords à 3 sons qui contiennent notre note stable, puis plaquer chaque accord sous cette note après avoir chanté notre phrase.
Il suffit ensuite de garder celui qui colle le plus avec ce que l’on a dans l’oreille.

Quelle possibilité vous semble bonne parmi ces 3 que j’ai pris au hasard ?

Essai avec la triade de Gb
Même chose avec la triade de Bb
Idem, avec la triade de Bbmin

Sans grande surprise, notre Ier degré semble être Si bémol majeur
Nous allons maintenant pouvoir commencer à écrire la grille.

Étape 2 : Déterminer le squelette du morceau

Un morceau, c’est une mélodie et une harmonie, mais pas que ! Pour commencer à écrire notre grille et poursuivre notre mélodie, je recommande de savoir où notre morceau se dirige, grâce à 3 points fondamentaux : 

  • Le Style
  • La Métrique 
  • Le Tempo

Le Style va nous donner une idée du contexte global au niveau harmonique, rythmique et structurel.
Par exemple, dans un morceau de pop, on aura une harmonie à 3 sons, une rythmique binaire, et une structure qui s’organise autour des parties couplet – refrain – pont. En jazz, et plus particulier en swing, notre rythmique sera ternaire (swing) et notre structure pourra être AABA, ABAC, ABCA… 

La métrique nous donne une idée de la danse intérieure et des temps forts du morceau. Notre mélodie va s’écrire bien différemment entre le 3/4 et le 4/4, et encore plus si l’on a quelque chose d’impair comme du 5/8 par exemple.

Le tempo, enfin, nous donne une idée de ce que l’on peut faire ou pas au niveau rythmique dans notre mélodie ou notre harmonie.
Si nous écrivons une mélodie avec des doubles croches sur un up tempo, l’interprète va passer un sale quart d’heure à moins de s’appeler John Coltrane. De la même manière, une ballade aura généralement un rythme harmonique plus rapide qu’un morceau médium car nous avons plus de temps à notre disposition pour faire varier l’harmonie.

Pour notre exemple, choisissons la valeur sûre du swing medium en 4/4 AABA, cela ira bien avec notre mélodie.

Étape 3 : Écrire partiellement la grille

Si nous analysons les grilles de la plupart des standards AABA, nous pouvons nous rendre compte de plusieurs choses. Le premier A pose une question, à laquelle on répond avec le 2nd. Le B sert de pont, et introduit une variation quelconque avant le retour au dernier A, très souvent similaire au 2nd. 
Ces conventions structurelles affectent directement la grille. La fin du 1er A comporte souvent une demi-cadence et la fin du 2nd une cadence parfaite.

Je vais prendre un morceau au hasard pour vous le montrer, On the Sunny Side of the Street par exemple : 

(Précision concernant la demi-cadence mesure 8 : même si le Ier degré de la tonalité suit le Ve (à la mesure 9), comme le Ve est placé en fin de cycle de 4 mesure, l’oreille perçoit une sensation de suspension caractéristique de la demi-cadence. On pourrait mettre n’importe quel accord ensuite, l’effet serait le même. Quand vous improvisez ou composez votre thème, vous pouvez forcer la résolution en faisant en sorte que votre phrase chevauche le cycle.)

Savoir ce genre de choses va nous permettre d’avoir un cadre quand nous allons écrire notre grille. Je vous recommande d’analyser de cette manière les morceaux stylistiquement similaires à celui que vous voulez composer, pour en dégager les codes. De cette manière, vous pouvez vous faciliter la vie en les utilisant et/ou jouer avec.

Nous savons que les premiers accords des parties A seront des Ier degrés, donc un Bbmaj7, car notre première phrase est conclusive, comme vu plus haut.
Nous pouvons en déduire que les derniers accords du 1er A vont être une demi-cadence, donc V : F7, que nous pouvons précéder du second degré comme souvent en jazz : C-7.
Les derniers accords du 2nd A seront ii : C-7, V : F7 et I : Bbmaj7. 

Pour déterminer le reste de la grille, nous pouvons nous aider du schéma de l’harmonie tonale, vu dans cet article. Il va nous donner les différents degrés de la tonalité de Bb majeur, les accords qui vont bien sonner, donc.
Nous pouvons amener ces accords avec leur dominantes secondaires, c’est pourquoi elles sont indiquées sur le schéma :

Nous avons maintenant tous les outils pour expérimenter, voir où l’oreille nous mène, ce qui nous plaît. Le plus beau dans tout cela, c’est que nous avons presque éliminé le risque de se perdre et écrire une grille qui ne sonne pas en définissant une carrure bien précise. 

Pour ma part je préfère passer à l’étape suivante :

Étape 4 : Continuer la mélodie

Notre première idée est plutôt stable, sortons de ce petit confort en créant un deuxième segment qui pose une question.
J’ai un peu cherché et ai fini par trouver cela : 

Voilà, il ne reste plus qu’à revenir à l’étape 3 pour harmoniser notre nouveau passage. En répétant les étapes 3 et 4, nous allons finir par écrire un morceau entier !

Étape 5 : Répéter les étapes 3 et 4

Le nouveau segment pose une question, il faut donc l’harmoniser avec un Ve degré : 

Plusieurs possibilités d’harmonisation s’offrent à moi pour la mesure 3. La note Mi bémol est importante, car c’est la quarte de notre gamme de Si bémol majeur. Cette note tend l’harmonie et est caractéristique de la fonction sous-dominante (cf mon article sur l’harmonie tonale)
Nous pouvons donc harmoniser ce passage avec le ii, C-7, ce qui, avec le F7 de la mesure suivante nous donnerait un ii V, une demi-cadence. Mais je vais plutôt choisir l’autre accord de sous dominante, le IV, Ebmaj7. Je trouve très joli d’amener ce IVe degré avec sa dominante secondaire, Bb7, qui s’insérerait juste après le Ier degré, Bbmaj7. 

(Petit oubli de ma part, il y a une demi-cadence entre le IV et le V)

Sympa non ? Les dominantes secondaires sont des outils formidables pour enrichir les grilles que l’on compose.

Ensuite, notre Ve degré veut résoudre sur un Ier degré, ce que je souhaite éviter, ce serait redondant.
Nous allons rediriger notre harmonie en choisissant d’atterrir sur un autre degré de notre tonalité, que nous allons amener encore une fois à l’aide de sa dominante secondaire.

Regardons à nouveau notre schéma et les possibilités qui nous sont offertes. Que préférez vous ? 

V/ii -> ii | G7b9 -> C-7
V/iii -> iii | A7b9 -> D-7
V/IV -> IV | Bb7 -> Ebmaj7
V/V -> V | C7 -> F7
V/vi -> vi | D7b9 -> G-7

Personnellement, j’aime bien aller sur le II, le IV, ou le vi. Aller sur le vi m’inspire plus, et j’ai même une idée mélodique qui pourrait aller pour la suite :

Il ne nous reste plus beaucoup de chemin à parcourir pour terminer notre morceau.
Je pourrais continuer en suivant ma méthode, mais je pense que vous avez compris comment je résonne.
J’entends pour la fin du 1er A des choses plus sophistiquées qui n’ont pas leur place ici. Et il faut que l’on trouve un B, en sachant que ces parties spécifiques méritent un article tout entier !

Voilà quand même un aperçu de ce que nous avons réussi à écrire durant l’article :

Conclusion

Il ne vous reste plus qu’à suivre ces 5 étapes la prochaine fois que vous voudriez transformer une mélodie qui vous trotterait dans la tête en un morceau entier.

Vous souhaitez voir plus d’articles de ce genre, et même faire en sorte que je termine cette ébauche de morceau ? Commentez et partagez l’article ! C’est le meilleur moyen pour moi de voir si ce que je fais vous aide et vous plaît, et donc de continuer sur cette voie.

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Gagnez en connaissance des grilles et en vocabulaire grâce aux Dominantes Secondaires

[Cette publication fait partie d’une suite d’article sur la théorie, je vais donc faire référence à des outils que j’ai introduit précédemment. Pour ne pas être perdu, voici la première étape : https://jazzcomposer.fr/une-nouvelle-approche-de-l-harmonie-tonale/]

J’ai mis longtemps avant de comprendre les grilles des standards que je jouais tous les jours, et je peux vous dire que cela a eu son lot de handicaps. À chaque fois que je m’enregistrais, je me demandais pourquoi je n’arrivais pas à sonner comme les grands jazzmen que j’écoutais et adorais. Ils semblaient raconter des histoires bien plus riches que les miennes, et je n’arrivais pas à comprendre pourquoi. 

C’était encore plus frappant quand je composais des morceaux, et que je devais écrire des grilles. Mes progressions d’accords étaient juste NULLES par rapport aux morceaux des compositeurs que j’admirais.
Cependant, je ne me suis pas découragé et ai finit par déceler un des éléments qu’il me manquait. Ce qui m’a été le plus utile a été d’analyser les grilles de mes standards favoris, de repérer les progressions d’accords qui me plaisaient, les histoires racontées à travers les différentes cadences, etc…

Dans cet article, nous allons apprendre à reconnaître les dominantes secondaires en analysant un standard de jazz. Et, en bonus, je vais vous donner un exemple de leur utilisation afin d’élargir vos possibilités de jeu en improvisation ou accompagnement !

Qu’est-ce qu’une Dominante Secondaire ?

Petit rappel de notions indispensables (vues en détail dans les articles précédents) :

  • Le contexte : Nous nous trouvons dans le cadre d’un morceau tonal, où l’harmonie navigue entre différents degrés qui forment des cadences.
  • L’alternance entre le Ve degré et le Ier degré est appelé cadence parfaite, ex : En Do majeur : G7 -> Cmaj7. C’est un chemin harmonique très fort qui fait entendre une tension, puis une résolution au sein d’une tonalité.
  • Le Ve degré d’une tonalité majeure est un accord 7 (accord à 4 sons, majeur avec une 7ème mineure)
  • Le Ve degré d’une tonalité mineure est un accord 7b9 (idem, mais à 5 sons, avec une 9ème mineure)
  • Le Ve degré est appelé accord de dominante en musique savante

Maintenant que nous avons reposé les bases, passons au vif du sujet.
Avez-vous déjà été « bloqué » en analysant une grille ?
Était-ce en rencontrant un accord de dominante qui n’était pas le Ve degré de votre tonalité?

Par exemple, il est possible de trouver un E7b9 dans une progression d’accords en Do majeur. Pourtant, le seul accord de dominante de cette tonalité devrait être son Ve degré, G7

Je me suis moi-même longtemps demandé d’où venaient ces accords. Après quelques recherches, j’ai fini par trouver l’explication :
Ces accords sont les dominantes des autres degrés de notre tonalité.

Ainsi, au sein d’une tonalité, on peut considérer brièvement les IInd, IIIe, IVe, Ve et VIe degrés comme des Ier degrés et les amener par des cadences parfaites, en les précédant par leurs Ve degrés respectifs.
Ce point est crucial, et je veux vraiment que vous le compreniez : 

Au sein d’une tonalité, on peut considérer brièvement les IInd, IIIe, IVe, Ve et VIe degrés comme des Ier degrés et les amener par des cadences parfaites, en les précédant par leurs Ve degrés respectifs.

« Mais pour quelle raison ? » Eh bien, cela a pour effet de casser la monotonie des progressions tonales et de faire entendre d’autres couleurs. En effet, ces nouveaux accords contiennent des notes étrangères à notre tonalité, cela enrichit notre harmonie.

Prenons un exemple :
Dans une progression en Do majeur, on peut renforcer harmoniquement le second degré (D-7) en l’amenant par sa dominante, A7b9.
Cela nous fait sortir de notre tonalité, car A7b9 contient un Do dièse et un Si bémol, deux notes qui ne font pas partie de Do majeur. 

Attention, autre point hyper important : ces sorties de route ne durent que le temps du Ve degré, on revient dans notre tonalité de départ avec notre résolution.
Si la résolution se vait sur un Ier degré différend de celui de notre tonalité, il s’agit d’une modulation.

Autre exemple :
En Do majeur, nous pouvons brièvement considérer G7 comme un Ier degré et l’amener par une cadence parfaite grâce à son Ve degré, D7. Cela nous donne obligatoirement D7 -> G7, et pas D7 -> Gmaj7 (dans le deuxième cas, il y a modulation puisque nous résolvons sur un Ier degré extérieur à la tonalité de Do majeur).

Ces dominantes qui ne sont pas le Ve degré de notre centre tonal, et qui renvoient sur les autres degrés sont appelées dominantes secondaires

Les Dominantes Secondaires de Do majeur

Nous allons faire un petit jeu pour voir si vous avez bien compris le concept ! Vous allez trouver les cinq dominantes secondaires de la tonalité de Do majeur. Pour ce faire, 3 étapes : 

  1. Lister les degrés de la tonalité, sans prendre en compte le VIIe et le Ier
  2. Regarder leurs couleurs, à 3 sons (majeurs ou mineurs ?)
  3. Chercher le Ve degré de chaque accord (qui va être 7 pour les accords majeurs, 7b9 pour les accords mineurs)

Comme on considère les degrés qu’on vient de lister comme des Ier degrés, on peut déduire leurs Ve degrés respectifs en leur ajoutant à chaque fois un intervalle d’une quinte ascendante.

Pour vous aider, voici le Schéma de l’harmonie tonale en Do majeur, (déjà vu dans cet article). 
Prenez un crayon et de quoi écrire, et trouvez les dominantes secondaires

Voici les résultats : 

  • ii : D-. +quinte -> A7b9
  • iii : E-. +quinte -> B7b9
  • IV : F. +quinte -> C7
  • V : G. +quinte -> D7
  • vi : A-. +quinte -> E7b9

Bravo à celles et ceux qui ont tout juste ! Vous pouvez vous entraîner avec une autre tonalité, Fa par exemple. 
Complétons notre schéma de l’harmonie tonale en y ajoutant ces dominantes secondaires :

Avez-vous remarqué que j’ai indiqué les degrés dans un petit rectangle jaune en dessous des accords ? Si oui, la notation V/ii doit vous intriguer… 
Dans ce cas précis, elle signifie que l’accord est le Ve degré du iind degré, désignant forcément une dominante secondaire.
Par exemple, si on rencontre dans une grille la dominante secondaire du sixième degré de notre tonalité, on la notera : V/vi.

Analyse de la grille d’All of Me

Après avoir lu cet article, quand vous regardez une grille, plus de raisons de se dire :
« Mais d’où sort cet accord 7 ? Ce n’est pas le Ve degré… Au secours !!« 

Pour en être sûr, nous allons en analyser une ensemble. Pour ce faire, il faut :

  1. Trouver la tonalité du morceau (voir cet article)
  2. En déduire les 7 degrés de la tonalité, et les organiser sur un schéma.
  3. Chiffrer les accords de notre grille à l’aide de notre schéma
  4. Si jamais vous décelez un accord 7 suspect -> référez-vous aux dominantes secondaires des degrés de la tonalité

Analysons maintenant ensemble un morceau super connu : All of Me

Déterminons en premier lieu sa tonalité. Nous cherchons le centre tonal, donc un accord majeur ou mineur, se trouvant dans les fins ou débuts de parties…

Aux premières mesures des A, on a un accord de Cmaj7. Nous pourrions dire que notre tonalité est Do majeur, mais pour autant, ne tirons pas de conclusions hâtives. Dans le cas du standard Just Friends, nous nous retrouvons devant le même constat, mais le morceau est en Sol majeur !
Regardons la fin de notre grille. On voit très clairement une cadence parfaite en Do majeur, un ii -> V -> I : D-7 -> G7 -> Cmaj7. Là, il n’y a plus trop de doutes à avoir, notre tonalité est Do majeur

Donc, reprenons notre schéma de l’harmonie tonale adapté à notre tonalité, et voyons de quoi notre grille est faite : 

(Je vous remets la grille ci-dessous)

Plusieurs accords correspondent, l’harmonie navigue entre le Ier, le iind, le IVe, le Ve degré… Mais plusieurs accords ne sont pas sur le schéma ! Analysons ensemble le premier A.

Première et deuxième mesures, Cmaj7 est notre Ier degré, nous ne sommes donc pas perdus.
À la troisième mesure, le E7b9 ne fait pas partie de notre tonalité. Je vous le donne dans le mille, c’est une dominante secondaire. De quel degré ? Référons nous à notre schéma : 

E7b9 est le V/vi, le cinquième degré du sixième degré. L’harmonie est tendue, l’élastique demande à être relâché avec une résolution sur le sixième degré. 

Est-ce que cette résolution arrive ? Et c’est là où beaucoup de gens vont se tromper, regardez la grille : 

L’accord de la 5e mesure est un A7b9. Si on avait résolu la tension du E7b9, on aurait atterri sur A-7 (reportez vous au schéma). D’où sort ce A7b9 dans ce cas ? ENCORE UNE DOMINANTE SECONDAIRE. De quel degré ?

Si vous avez répondu le second, c’est gagné. En enchaînant ce deux tensions, le compositeur tend une nouvelle fois l’élastique. Résout-il pour autant cette tension ? 

Oui ! On arrive sur notre second degré, tout va bien, la cadence est parfaite.
Enfin, ne nous méprenons pas, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant d’arriver à l’apaisement total, l’endroit où nous sommes stationnés n’est pas le Ier degré de notre tonalité…

Comprendre la subtilité des dominantes secondaires permet d’enrichir considérablement les progressions d’accord, de diriger l’auditeur vers un véritable voyage harmonique, avec des péripéties, des étapes plus stables…
Prendre conscience de tout cela permet d’organiser un solo ou de composer une ligne mélodique cohérente par rapport à l’harmonie, c’est donc indispensable pour tout jazzman. 

Je vous laisse analyser le reste de la grille en ayant cela en tête, vous verrez, c’est assez similaire. 

Bonus : Un exemple de réharmonisation utilisant les Dominantes Secondaires

Insérer artificiellement des dominantes secondaires aux endroits où elles ne devraient pas se trouver est un procédé courant chez les grands jazzmen. Je vais vous en donner un exemple qui va enrichir cotre vocabulaire sur un standard en particulier : Autumn Leaves

Prenons les 4 premières mesures. Pour les besoins de l’exercice, on va considérer que ces mesures sont dans une tonalité de Si bémol majeur.

Prenons notre schéma, en Si bémol majeur : 

Analysons maintenant nos 4 mesures. Je vous laisse le faire avant de regarder ma propre analyse, c’est très rapide et pas compliqué.

Maintenant vous avez sans doute remarqué qu’on passe du Ier au IVe degré sans aucune cadence. Et si on utilisait une dominante secondaire pour annoncer ce IVe degré ?
De quel accord s’agirait-il ? 

Il s’agirait de Bb7. Voici donc notre grille, réharmonisée avec l’ajout de cette dominante secondaire : 

En plus de créer un joli mouvement de voix entre les accords Bbmaj7 et Bb7, cette réharmonisation tonicise le IVe degré et donne une sensation de résolution agréable. Nous n’enchaînons plus bêtement le Ier et le IVe degré, nous avons l’impression de les lier entre eux. 

Je ne sors pas cet exemple de nulle part, je l’ai entendu joué par de grands jazzmen. En voici quelques preuves :

À exactement 0’44
À exactement 3’00
À exactement 1’11 et 1’22. Barron choisit même de jouer le V/IV sur toute la troisième mesure du A.

Conclusion

Vous savez maintenant reconnaître les dominantes secondaires dans les grilles de vos standards préférés et avez même une idée de vocabulaire en plus sur la troisième mesure d’Autumn Leaves
À partir de maintenant, à chaque fois que vous aurez la grille d’un standard sous les yeux, prenez un petit temps pour la comprendre, et même trouver des endroits où l’enrichir, en approchant le IVe degré comme pour Autumn Leaves par exemple… (Petit tip : ça marche très bien sur All The Things You Are).

Mais il vous reste encore beaucoup à apprendre des grilles de jazz. Par exemple, saviez-vous qu’on peut précéder une dominante secondaire d’une sous-dominante secondaire ? Pour en apprendre plus sur cet outil (et beaucoup d’autres) et obtenir des exercices pour les intégrer directement à votre jeu, procurez-vous mon cours complet Harmonie Jazz : de la Théorie à lmprovisation. Toutes les infos sont sur cette page :

Comme d’habitude, partagez un maximum mes articles sur les réseaux sociaux, ça m’aide considérablement et me montre que le site vous a été utile. 

Une nouvelle approche de l’Harmonie tonale

Il y a deux façon d’aborder le jazz : La première ? En faisant tout d’oreille. La seconde ? En utilisant des partitions et des grilles.
Dans cet article, nous allons nous concentrer sur la deuxième possibilité en nous focalisant sur un point spécifique : l’analyse de grille. En effet, il ne suffit pas de savoir déchiffrer les accords écrits sur une partition pour bien jouer. Il faut aussi comprendre les relations qu’ils entretiennent les uns par rapport aux autres. Et cela nécessite un petit travail d’analyse.

Beaucoup de musiciens voient l’analyse de grille comme quelque chose de compliqué et d’abstrait, qui pourrait « tuer » la créativité et la spontanéité… Au contraire ! Cela multiplie les capacités de jeu. L’analyse permet notamment de :

  • Bien comprendre la trame harmonique du morceau
  • Visualiser les différentes cadences contenues dans les carrures
  • Savoir quels modes jouer sur les accords qui se succèdent

Autrement dit :

Analyser une grille permet de saisir l’histoire que raconte l’harmonie du morceau, ses différents rebondissements à travers les tensions et les relâchements définis par l’alternance des accords.
Cette analyse permet de choisir les bons modes à jouer, avec les bonnes altérations, voire même de les substituer par d’autres, plus ou moins sophistiqués.
Incontournable, donc, quand on veut réharmoniser des passages d’un morceau.

Pour jouer du jazz comme les plus grands, c’est un passage obligé ! Mais, promis, ce n’est pas aussi compliqué qu’il n’y paraît… Je vais même vous présenter un outil qui clarifie les choses. Commençons par découvrir le fonctionnement de l’harmonie grâce à quelques notions théoriques sur la tonalité.

L’Harmonie tonale

Nous allons nous intéresser dans un premier temps aux morceaux à tonalités majeures (l’harmonie mineure sera traitée dans un prochain article). 

Qu’est-ce qu’un morceau tonal ? 

Un contexte tonal se définit par la succession de différents accords dans notre harmonie. Cette succession va créer de la tension ou du relâchement harmonique par rapport à une référence que l’on appelle le centre tonal. Cette suite d’accord suit une série de règles, de codes, et forme ce qu’on appelle des cadences.

Concrètement, prenons un morceau dont le centre tonal serait Do majeur. Des accords vont se succéder, et vont sonner de façon plus ou moins tendus harmoniquement par rapport à notre centre tonal, Do. L’accord de Do majeur sera le plus stable, et tout ce qui gravitera autour créera plus ou moins de tension harmonique qui voudra se résoudre en retombant sur cet accord.

Imaginez que l’harmonie est comme un élastique, si on le tend, il devient instable et veut absolument revenir à son état normal.

La Gamme Majeure et ses Degrés

Les accords que l’on trouve dans une progression ne sont pas pris au hasard, ils sont construits à partir des différents degrés d’une gamme. 
Ce n’est pas n’importe quelle gamme non plus ! Elle part d’un centre tonal, et sera soit majeure, soit mineure. On parle alors de morceaux majeurs, ou mineurs

Clarifions cela à l’aide d’un exemple :
Gardons comme tonalité Do majeur. On part de notre centre tonal, soit Do, et on écrit une gamme majeure. Il suffit maintenant d’assigner un degré à chacune de ses notes : 

Pour trouver les accords de notre morceau, on empile des tierces sur ces degrés. On ne choisit pas les notes à empiler au hasard, il faut utiliser uniquement les notes de notre gamme majeure !

Les accords induis sont soit majeurs (avec une tierce majeure), soit mineurs (tierce mineure), soit diminués (tierce mineure et quinte diminuée). 

Petit point notation : J’utilise la notation américaine dans cet article, donc tous les degrés majeurs (avec une tierce majeure dans leur accord) seront écrits en chiffres romains, et les degrés mineurs (avec une tierce mineure dans leur accord en lettres minuscules, suivant la logique des chiffres romains. Ex : le Quatrième degré majeur se notera IV, et le sixième degré mineur vi.

Mais avant d’aller plus loin, arrêtons nous sur deux notes particulières et qui peuvent poser problème :

  • La septième. Elle est située à un demi ton de la tonique de la gamme majeure, donc de la note la plus stable dans notre tonalité. Cette note est donc extrêmement instable et tout accord à trois sons qui l’utilisent créent de la tension harmonique (elle tend l’élastique !).
  • La quarte. Elle est entre la tierce et la quinte, deux notes très stables par rapport à la tonique. Elle est moins instable que la septième, mais les accords qui l’utilisent créent tout de même de la tension harmonique.

Tout cela va nous permettre de classer nos accords par familles, selon qu’ils tendent ou pas l’élastique et à l’aide de quelle note instable (la septième ou la quarte?).

Cela nous donne ce schéma : 

Les trois Fonctions

Le schéma ci-dessus nous présente trois familles, qui vont déterminer trois fonctions harmoniques.

Fonction d’un accord : Ce à quoi il sert par rapport à la tension harmonique. Tend-il l’élastique ? Ou le détend-il ?

Remarquez que le 3e degré est ambigu : Il contient deux notes stables par rapport au centre tonal, et une note instable ! En Do majeur, il contient Mi et Sol. Elles sont toutes les deux dans notre accord de premier degré, et donc sont par conséquent très stables. La 3e note est le Si, la septième de la gamme de do majeur, une de nos notes instables… C’est pour cela que ce 3e degré chevauche la fonction tonique et la fonction dominante dans mon schéma.

Le 7e degré est lui aussi spécial : il contient la septième, et la quarte de notre gamme majeure (en Do le Fa et le Si) ! Ce sont les deux notes qui posent problème, l’élastique est ici tendu à son maximum est veut à tout prix qu’on le relâche.

Pour pouvoir le transposer plus facilement, voici ce même schéma avec seulement les degrés des accords :

Bien, maintenant que les bases théoriques sont posées, découvrons à quoi cela va nous servir concrètement !

Une approche nouvelle de l’harmonie tonale

Les Cadences

Si je me suis amusé à réaliser un joli schéma, c’est que le côté visuel nous intéresse. Des américains ont d’ailleurs basé une application là-dessus, qui s’appelle Mapping Tonal Harmony. Ce schéma (ou cette carte comme dans l’appli) nous permet de visualiser concrètement les relations entre les différentes fonctions à l’intérieur de la tonalité.

Reprenons notre schéma précédent en liant cette fois, les différentes fonctions entre elles.
On appelle cela des cadences :

Dans cet article on va se concentrer sur seulement trois cadences, les 3 principales : 

  • La cadence parfaite, V ou viib5 -> I (fonction dominante -> fonction tonique)
  • La cadence plagale, IV ou ii -> I (fonction sous-dominante -> fonction tonique)
  • La demi-cadence, V -> ?(fonction dominante qui ne résout pas vers le Ier degré)

Au sein de la cadence parfaite, il est possible de préparer la tension du Ve degré avec un accord de fonction sous-dominante, souvent le iind degré. On a alors ii -> V -> I, le ii V I tant utilisé en jazz !

Les Modes

Nos degrés et nos cadences sont désormais inscrits sur notre schéma. Ainsi, lorsque nous analyserons une grille, nous pourrons visualiser le chemin harmonique à emprunter. Par exemple, terminer ses phrases à la fin des cadences parfaites…
Reste à savoir quelles notes utiliser pour notre improvisation !

Pour ce faire, il suffit de relier notre grille aux modes, la base des phrases et des voicings dans le jazz. 
Ici, nos degrés sont issus de la gamme majeure. Et quelle chance, vous connaissez les modes issus de la gamme majeure (mais si rappelez vous, vous avez lu mon article sur le sujet!!). 

Ce qui veut dire que nous n’avons pas besoin de nous casser la tête. Il suffit d’assigner à chaque degré de notre schéma le mode qui lui convient :

Maintenant, quand nous rencontrerons une nouvelle grille, nous saurons instantanément quel est le bon mode à jouer. Pratique, non ?

Outre le fait de mieux visualiser les cadences et les modes, l’intérêt d’un schéma comme celui-ci est, en le complexifiant un peu comme on le verra dans les prochains articles, de pouvoir visualiser toutes les possibilités de réharmonisation qui s’offrent à nous.
Pratique quand on compose, mais aussi beaucoup quand on joue et accompagne. Tous les pros réharmonisent les progressions d’accord, même de manière très légère… Je vais vous en donner un exemple à la fin de l’article.

Exemple d’une Analyse de grille

Petit aparté sur la méthode pour trouver la tonalité d’un morceau

Partons du principe que vous avez la grille sous les yeux. 
La plupart des gens vous diront : « Regarde les altérations à la clé« , ou « Regarde le premier accord de ta grille« , ou « Regarde le dernier accord du morceau« . Ce n’est pas faux, mais ça ne marche pas à tout les coups.

Ce qui marche, c’est de combiner plusieurs astuces, et, surtout, de savoir ce que l’on recherche.

La tonalité du morceau va être donnée par notre premier degré, majeur ou mineur. Donc pas d’accords 7, mineur 7, mineur 7 bémol 5… Ce que l’on cherche, c’est uniquement pour les premiers degrés majeurs : des accords majeurs à trois sons basiques, ou des accords 6, ou maj7.
Pour les premiers degrés mineurs : des accords mineurs à trois sons basiques, ou min 6, ou min-maj7.

Dans notre grille, il y a des endroits clés où on est quasiment sûrs de trouver ce premier degré. Ces endroits sont :

  • La toute fin du morceau, le dernier accord que l’on va plaquer avant les applaudissements du public
  • Les fins de parties, qui généralement comportent des cadences qui évoluent vers le premier degré.
    Ex : Dans un morceau AABA, les deux dernières mesures des 2e et dernier A contiennent très probablement le 1er degré.

Faites confiance à votre oreille, et à l’accord qui vous semble le plus stable, c’est généralement notre premier degré.

Analyse de Down by the Riverside

Pour notre exemple d’analyse, on va prendre un morceau peu complexe harmoniquement, comme un negro spiritual ou un morceau gospel.

Prenons Down by the Riverside.

En voici la grille. En ne prêtant attention qu’à la grille, arriverez-vous à trouver la tonalité du morceau ?
(Si vous ne savez pas comment vous y prendre, consultez cet article après celui-ci !)

Ce morceau est ici en Do majeur. Analysons sa grille maintenant, pour ce faire, voici de nouveau mon schéma de l’harmonie tonale, adapté à la tonalité de Do majeur :

En comparant avec notre schéma, nous pouvons constater que nous restons dans notre tonalité de Do majeur, et que les accords qui se succèdent sont les Ier, IVe et Ve degrés de notre tonalité. Inscrivons les cadences, et les modes à jouer sur chaque accord.

Nous voilà déjà plus avancés qu’auparavant ! On a une meilleure idée de l’endroit où chaque accord veut nous emmener, et on peut organiser notre solo par rapport à cela, c’est à dire démarrer et finir nos phrases en fonction des cadences.
Rapide exemple avec le premier A : 

Voici le même exemple avec l’analyse en surlignage :

Petit aparté : Les plus attentifs auront remarqué une petite approche chromatique sur le « et » du 4e temps de la 4e mesure, le La # qui va vers le Si de la mesure suivante. Cette note ne fait en effet ni partie du mode ionien, ni du mode mixolydien, elle est en fait issue du blues.

Si vous avez lu mon EBOOK « Les Fiches d’Identité des Modes« , vous avez sans doute remarqué que ma seconde phrase est celle que j’ai repiquée de Louis Armstrong dans Cheek to Cheek. Elle sert d’exemple pour le mode Ionien dans le livre, qui comporte encore beaucoup d’autres phrases et voicings de ce type pour 14 modes importants dans le jazz.

Si certains d’entre vous ne vous êtes toujours par procuré cette ressource que je mets à disposition gratuitement, je vous invite à le télécharger en cliquant ci dessous :

Exemple de Réharmonisation

Souvenez-vous, au début de l’article, je mentionnais la possibilité de réharmonisation d’une grille. Peut-être vous êtes-vous dit que cela devait être quelque chose de compliqué ? Un truc de pianiste ? Qu’il fallait avoir lu 3 bouquins de théorie pour pouvoir le faire ?
Et pourtant… si je vous dis que l’on peut réharmoniser Down to the Riverside, juste pour le plaisir, dès maintenant, grâce à notre schéma ?

Je ne vais pas tenir compte de la mélodie pour cet exemple, mais quand vous faites une réharmonisation d’un morceau, PRENEZ TOUJOURS EN COMPTE LA MÉLODIE !
(Ça permet d’éviter les clashs harmoniques…)

Je vais vous donner deux petites recettes qui marchent bien : 

  • On peut préparer une cadence parfaite avec un accord de sous-dominante.
    Pour une progression : V -> I, insérer un ii (ou un IV) avant le V ce qui donne  : ii V -> I
  • On peut mettre une cadence plagale ou une cadence parfaite entre deux fonctions toniques, s’il n’y en a pas déjà. Par exemple, si on a une longue plage d’un Ier degré, on peut insérer des IVe degrés ou Ve degrés à l’intérieur, du moment qu’on revient sur le Ier degré à la fin

Sachant cela, revenez en arrière et regardez à nouveau notre grille. Voyez-vous des longues plages de Ier degré ou des cadences parfaites qui ne seraient pas préparées de sous-dominantes ?

Personnellement… J’en vois ! 
Je vous donne un exemple de réharmonisation :

Bon mais à quoi cela peut-il nous servir, à part nous compliquer la vie ?
Eh bien, vous pourriez improviser ou accompagner sur cette grille de manière simple, basique, sans utiliser notre réharmonisation. Ou vous pourriez utiliser nos changements et faire entendre de nouvelles couleurs… Je vous donne un exemple : 

Avec l’analyse en surlignage :

Ce qui marche particulièrement bien, de mon point de vue, c’est de préparer les cadences parfaites à l’aide d’accords de sous-dominante. Cela fait entendre d’autres notes que les Tonique, Tierce et Quinte… On s’éloigne de l’esthétique New Orleans pour arriver vers le Be-Bop, où ce genre de réharmonisations est monnaie courante. 

Conclusion

Dans cet article, vous avez eu l’occasion d’en apprendre plus sur :

  • La tonalité et son fonctionnement ;
  • Mon schéma de l’harmonie tonale, un outil pratique qui permet de visualiser tout ce dont on a besoin pour analyser une grille ;
  • L’analyse de grille, comment faire et à quoi ça sert concrètement ;
  • La réharmonisation et quelques astuces pour faire entendre de nouvelles couleurs sur une grille.

Maintenant, c’est à vous de jouer. Reproduisez la carte sur un papier chez vous (ou procurez-vous l’appli dont je me suis inspiré), et analysez un negro spiritual ou un morceau de New Orleans, quelque chose de peu complexe harmoniquement pour commencer. Ensuite, essayez de le réharmoniser, pour faire entendre de nouvelles couleurs.
Je suis curieux d’entendre le résultat, partagez-le avec moi en m’envoyant un mail à l’adresse : louis@jazzcomposer.fr, ou laissez un commentaire en bas de cette publication.

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MODES : La BONNE approche du pilier de la Théorie Jazz

Tous les musiciens de Jazz sont amenés à un moment à un autre à se confronter aux modes. Qu’on soit compositeur, improvisateur, accompagnateur… C’est un moment crucial de l’apprentissage de l’Harmonie. Travailler ses modes ouvre la porte vers des possibilités de jeu extraordinaires, et presque tous les grands jazzmen l’ont fait à un moment donné de leur apprentissage.

Mais, quand j’ai cherché moi-même des informations sur le sujet, j’ai été frappé par la quantité de contenus proposés et le manque de clarté général sur la question. Tel article sur tel site est trop vague, telle vidéo Youtube explique à peine ce à quoi sert un mode, et presque tous les supports manquent la base, ce qui constitue de mon point de vue l’essence du mode, et la manière dont cela devrait être abordé en premier lieu. 

Dans cet article, je tiens à vous présenter la BONNE approche de ce pilier de l’harmonie Jazz, et ça commence par cette simple question :

Qu’est-ce qu’un Mode ?

La définition que je trouve quand je tape cette question sur Google est que le mode est une échelle d’intervalles, définie à partir d’une tonique. C’est pas mal, mais le mot « échelle » me dérange. Il envoie directement l’image de quelque chose de linéaire, et donc d’une gamme.
Et c’est là où est le problème, un mode, à la base ce n’est pas vraiment une gamme.

Eh oui, un mode, c’est ça :

C’est aussi ça :

Et enfin, oui, c’est également ça :

Je vous propose une autre définition, à mon sens plus complète : 

Un mode c’est un ensemble de notes définies intervalliquement par rapport à une tonique.
Chaque mode a une couleur particulière, et les notes qui le composent peuvent être organisées pour former des lignes mélodiques (des phrases qui constituent un solo ou un thème) ou combinées pour former des accords.

Cette définition met l’accent sur ce qui devrait être le plus important car directement lié à la musique, la couleur du mode.

Ce que j’appelle couleur du mode, c’est une sensation auditive propre à chacun qui fait qu’on trouve un son plutôt tendu, ou joyeux, ou qui nous évoque l’automne, etc…Tout le monde peut distinguer la différence entre les couleurs rouge et orange (l’une est un peu plus claire, un peu moins sombre que l’autre…), et les musiciens avec une oreille bien entraînée peuvent distinguer de la même manière un mode Phrygien d’un mode Locrien.

En musique modale, ce paramètre est le plus important, car c’est sur les contrastes entre les différents modes qui se succèdent qu’il faut jouer.
C’est donc vers l’apprentissage et la reconnaissance de cette couleur spécifique qu’on doit se concentrer lorsqu’on travaille les modes.

Reprenons la définition ci-dessus, voici un schéma pour vous aider à mieux la visualiser : 

Ce schéma met en valeur qu’un mode donne des lignes mélodiques et des accords, suivant qu’on organise les notes les unes sur les autres ou bien les unes après les autres. Donc, on peut en tirer directement la conclusion que pour savoir jouer un mode, il faut trouver des accords/phrases qui définissent la couleur de ce mode.

Et où trouve-t-on ces phrases ou ces accords?

Réponse : Dans les disques! 
Transcrire des solos ou des accompagnements sert à amasser du vocabulaire afin de parler couramment le langage Jazz, et les modes définissent les notes qui constituent les phrases/accords qu’on relève.
Donc si vous n’aviez pas encore pris l’habitude de repiquer des solos, je vous encourage vivement à le faire, c’est justement comme ça que j’ai trouvé des jolies phrases à jouer pour bien faire entendre différentes couleurs.

À quoi servent les modes?

On a vu dans la partie précédente qu’on tirait directement des modes les notes des lignes mélodiques et des accords. Ce qui veut dire que derrière une grille, une phrase dans un solo, un accord joué par un pianiste, se cachent en fait des modes :

Si on est trompettiste, qu’on rencontre un accord -7b5 dans une grille et qu’on doit improviser dessus, il est très utile de savoir de quel mode vient cet accord, afin de savoir quelles notes jouer dessus.
Il est encore plus utile de savoir que Miles Davis a joué un jour telle phrase dessus qui sonnait terrible, et qu’on peut s’en inspirer pour faire quelque chose de super à notre tour.

Connaître les notes qui composent les modes permet de mieux improviser/accompagner sur les morceaux qu’on doit jouer. C’est donc pour moi une des premières choses à travailler lorsqu’on s’intéresse à la théorie du Jazz. 

J’anticipe votre question suivante : « De quels modes a-t-on besoin exactement?« 

Le bon point de départ, c’est : 

Les modes de la gamme majeure

La gamme majeure est la base de la musique tonale, c’est à partir d’elle qu’on peut tirer les 7 modes à connaître absolument quand on veut faire du Jazz.
Cette gamme est un mode à part entière, qu’on appelle ionien. Voici son échelle d’intervalles :

  • La tonique
  • Une seconde majeure (par rapport à la tonique)
  • Une tierce majeure (par rapport à la tonique)
  • Une quarte juste (par rapport… vous avez compris)
  • Une quinte juste
  • Une sixte majeure
  • Une septième majeure

On peut assigner une note à la tonique, Do par exemple. Les 7 notes déduites intervalliquement par rapport à Do formeront la gamme de Do majeur ou Do Ionien.

Oups ! L’intervalle qui sépare les notes Do et Ré est bien entendu une seconde Majeure

On peut se représenter ce mode facilement à l’aide d’un clavier de piano, c’est toutes les touches blanches :

Si on garde la même échelle d’intervalles, mais qu’on choisit que notre tonique est Mi bémol, les six autres notes qu’on obtient à l’aide de notre échelle donnent le mode de Mi bémol ionien.

On peut facilement obtenir 6 autres modes à partir de la gamme majeure. La manip exige qu’on choisisse une tonique, restons donc en Do majeur.

À partir de la tonique, on obtient nos 6 autres notes du mode grâce à notre échelle d’intervalles : Ré, Mi, Fa, Sol, La, Si. On va garder ces 7 notes et construire 6 nouvelles gammes en considérant que Ré, Mi, etc… vont être nos nouvelles toniques. On appellera la gamme construite à partir de Ré le mode de Ré, avec Mi le mode de Mi, etc…

Comme on a gardé les mêmes notes que le mode de do ionien, notre mode de ré par exemple n’a pas la même échelle d’intervalles. Ça nous donne 6 autres modes, qu’on utilise très souvent en Jazz : 

  • Le Mode de Ré : Dorien
  • Le Mode de Mi : Phrygien 
  • Le Mode de Fa : Lydien
  • Le Mode de Sol : Mixolydien
  • Le Mode de La : Aeolien
  • Le Mode de Si : Locrien

Les voilà sous forme de gammes :

Je tiens à garder cet article concis, c’est pourquoi je ne vous présente que la version en forme de gammes de ces modes. Si vous voulez aller plus loin, j’ai écrit un E-Book gratuit : Les Fiches d’Identité des Modes.

Cliquez sur l’image pour l’obtenir !
  • 14 Modes indispensables pour le Jazz
  • Des gammes et des accords
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Les Fiches d’Identité des Modes est un Ebook gratuit qui vous donnera toutes les clés pour maîtriser les modes et leur utilisation.

Voilà pour les modes de la gamme majeure, ça nous en fait déjà 7, avec autant de couleurs aussi différentes les unes que les autres.Une autre gamme nous donne 7 modes très intéressants qu’on utilise très souvent en jazz, la gamme mineure mélodique.

Les modes de la gamme mineure mélodique

Si vous avez fait du solfège, vous devez savoir qu’il existe 3 gammes mineures, plus ou moins altérées par rapport à la gamme majeure. 

La première, c’est la gamme mineure mélodique (« ascendante » en musique savante), qui a une altération par rapport à la gamme majeure, la tierce, qui est minorisée. 
La seconde, c’est la gamme mineure harmonique, qui a deux altérations, la tierce et la sixte sont minorisées.
La troisième, c’est la gamme mineure naturelle, ou le mode Aeolien, qui a trois altérations par rapport à la gamme majeure, la tierce, la sixte, et la septième sont minorisées.

En jazz, on se sert bien sur du mode Aeolien, mais on ne peut pas déterminer de modes à partir car cela nous redonnerait les modes de la gamme majeure, pas très intéressant donc.
La gamme mineure harmonique sert surtout à expliquer l’harmonie et les cadences mineures (plus là-dessus dans un prochain article), ses modes ne sont pas beaucoup utilisés, ou bien dans un contexte avancé. 
C’est donc vers la gamme mineure mélodique que les musiciens de Jazz des années 50-60 se sont tournés pour donner un peu de piquant à l’harmonie.

Le premier mode de la gamme mineure mélodique est le mode Mineur-majeur. C’est pour ça qu’on appelle communément la gamme mineure mélodique gamme mineure majeure (les anglophones sont fans de cette appellation).
Si vous avez bien suivi, vous devez déjà connaître son échelle d’intervalles : 

  • La tonique
  • Une seconde majeure (par rapport à la tonique)
  • Une tierce mineure 
  • Une quarte juste
  • Une quinte juste
  • Une sixte majeure
  • Une septième majeure

La tierce mineure est la seule différence entre l’échelle de la gamme majeure et celle de la gamme mineure.

Déterminons ses autres modes : On prend Do comme tonique, ce qui nous donne les notes : Ré, Mi bémol, Fa, Sol, La, Si.
On obtient donc 6 autres modes :

  • Le Mode de Ré : Phrygien bécarre 6  
  • Le Mode de Mi (bémol) : Lydien Augmenté
  • Le Mode de Fa : Lydien Dominant
  • Le Mode de Sol : Mixolydien bémol 6
  • Le Mode de La : Locrien bécarre 2
  • Le Mode de Si : Super Locrien/Altéré

Ces modes ont des noms qui peuvent faire peur au premier abord, mais c’est moins complexe qu’il n’y paraît. Je clarifie la notation dans mon E-book Les Fiches d’Identité des Modes, en plus comme je vous disais plus haut de donner les échelles d’intervalles, les accords…

Les voici sous forme de gammes : 

Avec ceux de la gamme majeure, ça nous fait 14 modes, dont vous pouvez dès maintenant explorer les couleurs en vous mettant au piano, en maintenant la tonique avec la pédale de sustain et en assemblant les notes comme bon vous semble. C’est un bon point de départ de l’apprentissage de ces modes, et en plus, c’est plutôt fun!

Conclusion

J’espère que vous avez aimé mon approche sur les modes et avez trouvé cet article clair et utile, faites le moi savoir en commentaire.
Si cet article vous a donné envie de vous intéresser aux modes, téléchargez mon E-Book gratuit Les Fiches d’Identité des Modes et vous aurez toutes les clés en main pour commencer à vous les approprier.

Si vous souhaitez soutenir mon initiative de rendre la théorie du jazz plus claire et abordable, partagez cet article à d’autres jazzmen en cliquant sur les petits boutons de réseaux sociaux en bas de l’article. Ça m’est d’une aide considérable !

Michel on my mind de Laurent Coulondre Couverture

Michel on my Mind de Laurent Coulondre -Petrucciani dans tous ses états

Vous visualisez la Newsletter Jazzcomposer.fr #12, envoyée aux abonnés Jazzcomposer.fr le 04/09/2019. Pour recevoir la Newsletter Jazzcomposer.fr dans votre boîte mail, abonnez vous en cliquant ici.

Cette semaine, après avoir parlé de Jon Batiste, Chick Corea et Fred Hersch, la newsletter mettra une nouvelle fois à l’honneur un pianiste.
Et deux pour le prix d’un en plus ! En effet, cette fois-ci, on rend hommage à Michel Petrucciani, disparu le 6 janvier 1999. L’empreinte de géant qu’il a laissé dans le Jazz n’a pas finit pas d’inspirer les générations futures…

Le pianiste qui vient de lui dédier son dernier disque n’est pas n’importe qui, il commence à bien se faire connaître tant en France qu’à l’international (il a été élu en 2017 « Artiste le plus programmé à l’étranger » par le Bureau Export). Outre les distinctions qu’il accumule, il suffit d’écouter sa musique, en particulier cet album pour se rendre compte de toute l’étendue de son talent.

Sans plus attendre, voilà MICHEL ON MY MIND de Laurent Coulondre.

Michel on my mind de Laurent Coulondre Couverture

L’artiste et l’album

Laurent Coulondre est un pianiste Nîmois né en 1989, qui commence par apprendre la batterie avant de s’attaquer au piano. Cela se ressent énormément dans son style, il est très précis rythmiquement et adepte de complexité rythmique, utilisant notamment beaucoup de groupings dans sa musique.
Comme je l’écrivais plus haut, il accumule prix et distinctions : lauréat des tremplins Didier Lockwood (2010), Jazz à Costello (2011), Jazz en Baie (2012), du concours Jazz à la Défense (2014), élu génération Spedidam (2014/2017) et talent Adami (2015/2016), et enfin une Victoire du Jazz dans la catégorie « Révélation de l’année » (2016).

Après son album Opus I (2010) avec lequel il se lance sur la route des tremplins, Opus II (2013) lui ouvre les portes du cercle restreint des grands jazzmen parisiens (Stéphane Huchard, Nicolas Folmer…) et il commence à se faire un nom dans le milieu.

En plus d’être un excellent pianiste, il est aussi un innovateur né, avec son concept de « trio réversible » : il alterne entre piano – basse – batterie et orgue – basse – batterie. Dans la seconde formation, il joue les basses à l’orgue avec un pédalier, ce qui permet à la basse électrique de jouer dans l’aigu et prendre la place d’une guitare. Cette nouveauté dans l’utilisation de l’instrumentarium le propulse sur les grandes scènes nationales et internationales, avec la sortie de l’album Schizophrenia en 2015.

Il s’entoure pour Michel on my Mind de Jeremy Bruyère (contrebasse et basse électrique) et André Ceccarelli (batterie), deux musiciens au talent indiscutable, l’un ayant fait ses preuves aux côtés de Thomas Enhco ou Cyrille Aimée et l’autre de Chick Corea, Dee Dee Bridgewater ou encore Sylvain Luc.

Équipe de choc, donc, comme nous le verrons tout au long de l’album, qui comportera bien sûr des morceaux de Petrucciani avec une ou deux compositions de Coulondre, pour un hommage à la fois audacieux et respectueux de l’oeuvre de l’artiste.

Piste par Piste

La première piste de Michel on my Mind, Memories of Paris, est sans doute un des plus beaux thèmes de Petrucciani, qu’il écrit aux USA dans un élan mélancolique alors qu’il a le mal du pays. Fidèle à l’original, la patte de Coulondre transparaît tout de suite. On sent un élan de nouveauté et de fraîcheur, ainsi qu’une maîtrise extraordinaire de l’art du trio. Son jeu tranche avec celui de Petrucciani, il utilise la pédale douce, se veut moins percussif que son aîné, tout en jouant plus aventureusement avec différents débits.

La deuxième piste est une bonne occasion d’entendre toute l’étendue des talents de Ceccarelli sur des rythmiques brésiliennes. Brazilian Like est un thème comme Petrucciani savait bien en faire : une mélodie entêtante, des mises en place qui la soulignent de manière subtile et efficace… Les solos de Coulondre et Bruyère sont magnifiques, et le son du trio d’une cohérence magistrale.

Cette piste est aussi l’occasion pour Coulondre d’ajouter une couche sonore supplémentaire, avec l’orgue. Plus tard, dans Les Grelots, composition d’Eddy Louiss, il pousse son utilisation au maximum en jouant en duo avec lui-même au piano. Bel hommage aux très bons albums du duo Louiss-Petrucciani (Conférence de presse I et II).

Avant cela, le troisième morceau She Did It Again nous éblouit avec son tempo up et son célèbre ostinato de main gauche qui finit par se tuiler avec la grille de Take the A Train. Outre les performances du pianiste, je saluerai aussi le sang-froid de la rythmique qui déroule un tapis élégant et sobre faisant ressortir le côté fou et créatif de l’improvisateur.

La piste suivante, Michel on my Mind, est une composition originale de Coulondre. Sa vamp rêveuse faisant alterner les modes ionien et aeolien nous transporte dans l’esprit habité du pianiste. On sent la présence de Petrucciani dans les pensées de l’artiste, car si le morceau n’est pas de lui, il en reprend néanmoins les codes : mises en place, mélodie simple et efficace, harmonie surfant entre tonalité et modalité…

Vient ensuite le tube de Petrucciani, Looking Up. Coulondre lui fait un lifting plus moderne, avec l’ajout de fills de main gauche, une réharmonisation mineure sur certains passages, un passage en 7/4 pour les chorus…On découvre Bruyère à la basse électrique, qui joue le thème comme avec le trio réversible du pianiste.
Cette piste est pour moi une réussite, la réappropriation est totale et fonctionne très bien.

September Second, l’autre grand tube de Petrucciani est traité de la même manière plus tard dans l’album, mais je suis moins emballé par l’arrangement, qui paraît plus dépouillé à l’oreille par rapport à l’original et sa production plus chargée…

Michel on My Mind, se distingue également grâce à la variation de l’instrumentarium au fil des pistes.
On a vu que l’ajout de l’orgue apporte une touche de nouveauté supplémentaire par rapport au son du trio, mais Coulondre va plus loin et joue en solo le très joli Hidden Joy. Il se sépare aussi de la batterie pour Rachid et laisse s’exprimer Bruyère, qui se révèle hallucinant sur ce groove qui tourne en rond.

Bite, comme Rachid est un morceau avec une grille assez courte, sans doute le plus proche esthétiquement des derniers disque de Coulondre. Amateurs de groupings en tout genre, ce morceau est fait pour vous !

Les quatre autres morceaux de l’album se partagent aussi entre tradition avec le rhythm changes Little Peace in C, modernité avec le morceau modal binaire Colors, et influence de la musique latine avec Guadeloupe et Choriniño.
La musique de Petrucciani fait converger tous ces courants en un seul style, et Michel on my Mind illustre bien cette diversité d’influences tout en parvenant à proposer une musique cohérente et bien ficelée.

Conclusion

Michel on my Mind de Laurent Coulondre est un hommage réussi au grand Michel Petrucciani.
Coulondre y affirme son statut de jeune pianiste de premier plan sur la scène jazz internationale, en nous livrant une musique à la fois ancrée dans la tradition et emprunte d’actualité.

À écouter de toute urgence !

Pour l’écouter :
Youtube
Spotify
Deezer
Site Web de Laurent Coulondre : http://laurent.coulondre.fr

LE BLUES – COMMENT EN COMPOSER (partie 2)

Cet article est la 2e partie d’une série sur la composition du Blues. Si vous ne l’avez pas encore lue, consultez la 1ère partie traitant de la structure et de l’harmonie de la grille de Blues :

Dans l’article précédent, nous avions vu les différentes formes que peut prendre la mélodie d’un thème de blues, ainsi que les différentes déclinaisons de la grille, de la « basique » à 3 accords à l’actuelle plus sophistiquée, dérivée de la version des boppers.

Dans cet article, nous allons aller encore plus loin et analyser en profondeur des mélodies de blues incontournables. Commençons par découvrir les gammes à partir desquelles écrire notre thème.

LES 3 GAMMES LES PLUS IMPORTANTES

Pour commencer à écrire notre thème, il est crucial de déterminer les notes qui vont constituer notre mélodie. Pour ce faire, nous allons utiliser des gammes spécifiques. Pourquoi ? Les jazzmen aiment se restreindre à quelques notes sonnant bien entre elles pour renforcer la cohérence de leur mélodie.

Comme pour les grilles, il existe plusieurs niveaux de sophistication de gammes. Pour composer notre blues, la première gamme à utiliser sera bien sûr…

La gamme blues (mineure)

La gamme blues « originelle » correspond à une gamme pentatonique mineure à laquelle on rajoute une dissonance, la #4 ou #11 (aussi orthographiée b5) :

On appelle cette fameuse note blue note.

Tout jazzman voulant donner un côté bluesy à son discours utilise la gamme blues, c’est un élément de langage emblématique, en quelque sorte l’essence du blues. 

Le thème de Blues for Miles, vu dans l’article précédent, comporte cette gamme :

Sonny Rollins l’utilise presque exclusivement dans Sonnymoon For Two

Le thème Bag’s Groove de Milt Jackson est aussi un bon exemple de son utilisation.

La gamme blues mineure nous donne déjà une piste, mais que peut-on utiliser d’autre?
Qui dit gamme blues mineure, dit gamme blues… majeure

La Gamme Blues Majeure

La gamme blues majeure est similaire à la gamme blues mineure, on choisit seulement une autre note de départ.
Partons de la gamme blues mineure, en La :

Prenons ces mêmes notes, dans le même ordre, mais en commençant par la 2e, Do :

Voici maintenant la gamme blues de Do majeure. Les notes contenues dans cette gamme sont la 2de majeure, la 3ce majeure, la 5te juste et la 6te majeure.

La blue note devient la seconde augmentée (Ré dièse), notée #2, ou plus couramment #9 car souvent jouée à l’octave supérieure (dans des accords par exemple). C’est une notation enharmonique de la 3ce mineure, appréciée par les instruments accompagnateurs. En effet, en enrichissant les accords 7 de la #9 (accords 7#9), on obtient naturellement une couleur bluesy.
Noter cet accord en considérant cette note comme une 3ce mineure serait moins pratique (« 7b10 » ??).

Paradoxalement, la gamme blues majeure est moins connue que la gamme blues mineure, est-ce que les jazzmen l’utilisent ?
Et bien mille fois oui, écoutez Miles Davis avec Down :

Autre exemple de Clifford Brown, Sandu 

Ou encore Herbie Hancock avec Watermelon Man :

Herbie fait même preuve d’une créativité hors du commun ! Tout son Watermelon Man est basé seulement sur la gamme blues majeure.
J’aurais aussi pu mentionner Tenor Madness étudié dans la partie précédente, ainsi que beaucoup d’autres blues encore. Mais ce serait vous gâcher le plaisir de les découvrir à votre tour!

J’aimerais maintenant vous parler d’une dernière gamme issue du vocabulaire des boppers, Sonny Rollins ou Thelonious Monk en tête. Cette influence va nous apporter un degré supérieur dans la richesse harmonique, grâce à l’ajout de chromatismes

La gamme Be-Bop

La Gamme Be-Bop est une gamme construite à partir du mode Myxolydien. C’est le 5e mode de la gamme majeure, donnant une couleur d’accord à 4 sons « 7 ». C’est la couleur des 3 degrés principaux du Blues, pratique !

Pour obtenir une gamme Be-bop, on ajoute au mode une note étrangère : la 7e majeure (j’explique en détail pourquoi dans cet article).
Cette gamme est appelée Be-Bop « dominante » car elle est traditionnellement jouée sur un accord 7, impliquant généralement un Ve degré, de fonction dominante en harmonie tonale.

La voici, utilisée par Thelonious Monk dans son célèbre Blue Monk : 

Monk utilise ici la gamme be-bop de Fa, dans le contexte d’un blues en Si bémol, c’est donc la gamme be-bop du Ve degré de la tonalité.

La logique voudrait qu’on utilise la gamme be-bop de Fa sur un accord de F7, ce que Monk fait aux mesures 9 et 10. Mais il utilise aussi cette gamme sur les accords de Bb7, ce qui est étrange car induit une couleur d’accord différente. En fait, Monk fait entendre l’alternance F7 -> Bb, V -> I à l’échelle de la tonalité.
C’est un enrichissement, au moment de composer votre propre mélodie, utilisez simplement la gamme correspondant à l’accord.

Ces trois gammes nous ouvrent déjà beaucoup de possibilités, mais ce ne sont pas les seules qu’on peut utiliser. Je vous encourage à expérimenter de votre côté, même avec des gammes étranges comme la gamme par tons (écoutez donc une démonstration de Lee Morgan et son blues Our Man Higgins).

Forme mélodique, grille d’accords, et maintenant gammes… Nous avons tout ce qu’il nous faut pour composer notre Blues, ou presque…?

LA PIÈCE MANQUANTE : LE RYTHME

Le rythme tient une place prépondérante dans le jazz. Comme le dit cette citation attribuée aussi bien à Leonard Bernstein qu’à Bill Evans :

« Il n’y a que 3 choses d’importantes en musique : le rythme, le rythme, et le rythme. »

Pour que notre composition sonne il faut y attacher autant d’importance (voire plus) qu’à l’harmonie.
Intéressons-nous aux différentes choses qui font qu’une phrase sonne bien, rythmiquement parlant.

1. Mettre les notes cibles des accords sur les temps en écrivant des croches.

Il faut mettre nos notes cibles (les 4 notes de la tétrade de l’accord sur lequel on se trouve) aux bons endroits par rapport aux temps/contretemps.
Ce, spécialement quand on écrit des croches, car des notes tombent aussi bien sur les temps que les contretemps, et il est facile de tout écrire « à l’envers ».

Démonstration avec une phrase tirée d’un solo de John Coltrane, utilisant la gamme Be-Bop de Do :

(Prenez votre instrument et jouez la phrase, ce sera plus parlant !)

Sur un accord de C7, les notes cibles sont donc : Do, Mi, Sol, Si b. Dans cette phrase, Coltrane joue la gamme Be-Bop de Do en commençant sur le 1er temps, les notes cibles se trouvent sur les temps.
Tout va bien, ça sonne. Et si on décalait la phrase d’un demi-temps ?  

En jouant la phrase, vous devriez vous rendre compte que quelque chose cloche. Les notes cibles (entourées en bleu) sont maintenant sur les contretemps, et à les écouter, elles ne semblent pas à leurs places.

Attachez une importance capitale à ce paramètre, sans quoi votre écriture rythmique ne sonnera pas, ce qui serait fâcheux.

2. Syncoper le rythme.

Il est très important de créer de la surprise rythmique en anticipant ou retardant des parties de nos phrases, en deux mots : syncoper le rythme.

Cela implique de placer des notes cibles… sur les contretemps.
Allons bon, je viens de vous dire qu’il ne faut pas le faire !

Rassurez-vous, de manière générale, les notes cibles doivent être placées sur les temps. Mais jouer systématiquement un rythme de croches en partant et finissant sur le temps est plus ou moins… Monotone

Accentuer une note cible n’étant pas « à sa place » créé un effet de surprise rythmique bienvenu.

Sandu nous en apprend plus sur ces syncopes, car Clifford Brown parvient à mixer à merveille notes des accords sur les temps (entourées en bleu) et syncopées (entourées en rouge) :

Zoomons sur les mesures 6 et 8. Brown écrit deux fois la même phrase, qui est composée d’une gamme pentatonique mineure de Mi b descendante.

Dans la gamme pentatonique mineure, les notes les plus importantes sont la tonique, la quinte et la tierce. En Mi bémol : Mi b, Si b et Sol b. Dans ces deux phrases, ces notes tombent précisément sur les temps. Enfin, presque, car Brown anticipe le premier Mi b en le faisant commencer sur le « et » du premier temps, syncopant et créant de la surprise dans son phrasé.

3. Les temps forts, points de repères et d’ancrage de notre thème

En jazz, les temps « forts » sont… les 1er et 3e, comme en musique « classique ». Cependant, la plus grande caractéristique du jazz swing est l’accentuation des temps faibles, les 2e et 4e. Ce sont ceux sur lesquels on tape des mains et sur lesquels un élément de la batterie, le Charleston, se concentre. Les accentuer créer une danse agréable et énergique, caractéristique de cette musique.

Écrire une pêche sur un 2 ou un 4 (autrement dit accentuer ces temps dans une mélodie) est donc bienvenu.

Démonstration avec Sandu

  • Au niveau des 5e et 7e mesures, rythmiquement similaires, les segments de phrases se terminent sur le 4e temps.
  • Sur les 9e et 10e mesures du thème, la rythmique arrête son accompagnement pour ne marquer que les 2e et 4e temps.

J’espère vous avoir convaincu d’attacher une importance particulière au rythme de votre mélodie de Blues. D’ailleurs, on pourrait imaginer complètement négliger les notes de la mélodie, n’en jouer qu’une seule et s’en sortir avec brio… à condition de soigner son rythme (la célèbre One Note Samba en est la preuve).

Nous avons maintenant toutes les clés en mains pour écrire un chouette thème qui sonne.
Mais n’avez-vous pas l’impression d’avoir oublié quelque chose?

Au moment de jouer notre thème, nous allons avoir besoin d’une section rythmique. Bien sûr, leur partie pourrait être jouée de façon tout à fait basique mais, comme nous l’avons vu avec l’exemple de Sandu, la rythmique peut interagir avec des éléments du thème pour les mettre en valeur.

Étudions plus en détail l’art de la « mise en place » rythmique.

LA CERISE SUR LE GÂTEAU : LES INTERVENTIONS DE LA RYTHMIQUE

Avant toutes choses, déterminons le style de notre morceau. C’est d’ailleurs une des premières choses à faire, cela influe énormément sur le rythme de notre mélodie.

En effet, le tempo, la métrique et la décomposition (ou découpe) du temps vont varier selon le style.

Si je viens de vous perdre avec ces quelques mots de vocabulaire, ouvrez le lexique essentiel de la théorie du jazz de Jazzcomposer.fr (cliquer sur ce lien ouvrira l’article dans un nouvel onglet).

Par exemple :

  • Un blues typé Afro-Cubain aura une métrique en 12/8 et une décomposition du temps en 3 croches égales (voir le Blues mineur Footprints de Wayne Shorter). 
  • Un « Binaire » (ex : Watermelon Man ou Sidewinder) aura une métrique en 4/4 et un temps divisé en deux croches égales
  • Un Swing aura une métrique à 4/4 et une décomposition du temps en deux croches… inégales.

Si vous voulez creuser le sujet du rythme, poursuivez votre lecture avec cet article (qui s’ouvrira dans un nouvel onglet de votre navigateur).

Cet article étant déjà long, focalisons-nous sur le dernier point : le Swing.

Pour vous résumer brièvement ce que je détaille dans cet article, en Swing, le temps est découpé en deux croches, la première étant plus longue que la seconde. Il est possible de quantifier cette inégalité en indiquant en haut de partition ce symbole : 

La première croche étant un peu plus longue que la deuxième, le débit est chaloupé.
« To swing » signifie en anglais « se balancer », ce n’est pas un hasard !

Quand vous écrivez une mélodie dans le style swing, et que votre rythme est constitué de croches, notez ces croches normalement (à gauche sur le schéma), même si elles seront interprétées avec le balancement indiqué à droite sur le schéma.

Avec cela en tête, intéressons-nous maintenant à ce que va jouer notre rythmique.
Il existe deux manières de la faire interagir avec le reste du groupe : 

  1. en soutenant le thème (voire même en jouant certains passages avec le soliste) ;
  2. en lui répondant.

1. La rythmique en soutien du thème

Dans ce premier cas, la rythmique joue tout ou partie du thème.
Voici un exemple chez Rollins avec Sonnymoon for two

Je suis sûr que vous avez déjà joué un morceau dans lequel la rythmique est amenée à soutenir une partie du thème.

Le thème de Charlie Parker Billie’s Bounce en est un bon exemple, écoutez donc la version de Red Garland :

Les parties entourées en bleu sont celles où la rythmique soutient la mélodie. Cette notation (thème en haut, rythmique sur une portée en-dessous) est bien pratique, je vous encourage à l’utiliser si votre partie rythmique est fournie.

Qu’en est-il de la deuxième option ?

2. La rythmique en réponse au thème

Le meilleur exemple que j’ai pu trouver d’une partie de section rythmique répondant à la mélodie d’un Blues est la fin de Watermelon Man :

Les parties en bleu correspondent à des marquages qui ne sont pas homorythmique avec la mélodie.

Avez-vous remarqué ? J’ai entouré en rouge un endroit où la rythmique s’arrête complètement.

C’est un autre exemple d’écriture intéressante, qu’on appelle stop time. Wes Montgomery l’exploite pleinement dans son D Natural Blues :

Ces stops time ont pour effet de mettre en lumière tout un pan du thème, pour créer un contraste avec le reste où l’accompagnement est plus traditionnel.

Pour en finir avec ce point, écoutez le début de Blues on Sunday de Joshua Redman :

Joshua Redman laisse ici un silence rempli par la contrebasse qui improvise un Fill (littéralement « remplissage »). Réserver un espace à des endroits stratégiques de son thème est très efficace.
Insérer des Fills de basse, batterie ou piano par exemple donne une sensation de dialogue entre la rythmique et les solistes.

CONCLUSION, APPLICATION DES PROCÉDÉS

En résumé, en composant un blues, vous explorez en profondeur de nombreux éléments fondamentaux du jazz :

  • la forme ou structure du morceau ;
  • L’harmonie de la mélodie et de la grille ;
  • les différents placements rythmiques ;
  • sans oublier l’interaction avec la rythmique.

En m’appuyant sur les conseils que je vous ai donné, j’ai moi-même composé un Blues :

Amusez-vous à lister tous les procédés mélodiques et rythmiques issus de l’article !

Voici une analyse :

  • Forme de la mélodie : ce Blues est un Question Question Réponse basique, sans changements au niveau des deux questions.
  • Harmonie de la grille : la grille est une basée sur la version « bop ». Certains accords sont anticipés à cause des mises en places, et on a une petite approche chromatique sur la pêche de début de grille (A7 -> Bb7).
  • Harmonie de la mélodie : J’utilise les deux gammes blues dans les Questions : au début la mineure puis la majeure en fin de phrase.
    Pour la réponse j’utilise la gamme Be-Bop dominante de F7 (le Ve degré de Bb).
  • Rythme de la mélodie : Les fins des phrases sont souvent anticipées, et les débuts souvent sur le « et » du 4e temps (notes entourées en rouge).
    Les deux premières notes de mes Questions sont syncopées.
  • Partie de la section rythmique : J’ai ajouté des mises en places et stops.

Voilà, c’est déjà la fin de cet article. J’espère que vous l’avez aimé, et l’avez trouvé utile.

Maintenant c’est à vous d’agir, de réutiliser ce que vous avez appris ou revu dans ces deux articles pour composer à votre tour ou améliorer vos compositions déjà existantes.

Une question ? Écrivez-la ci-dessous dans les commentaires.

N’hésitez pas à m’envoyer vos thèmes composés suite à l’étude de cet article, je suis curieux d’entendre le résultat ! Écrivez à louis@jazzcomposer.fr.

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Image de couverture : Sonny Rollins 2009, 17 July 2009, 22:41, Bengt Nyman (https://www.flickr.com/people/97469566@N00). CC BY 2.0

LE BLUES DANS LE JAZZ – COMMENT COMPOSER UN BLUES (partie 1)

Bag’s Groove, Blue Monk, Tenor Madness… Ces noms vous disent sans doute quelque chose. Et pour cause, ces incontournables du répertoire de standards font partie de la forme de thème la plus jouée et enregistrée de toute l’histoire du jazz. J’ai nommé : le Blues.

Si vous savez jouer sur un blues, pouvez-vous pour autant en composer un?
Qui sonne « comme un vrai » ou qui pourrait devenir aussi emblématique?

Pour ma part, je pensais en être capable avant de me lancer dans l’écriture de cet article. J’en avais même déjà composé quelques un, vous aussi, peut-être.
Mais j’avais l’impression que le résultat n’était pas à la hauteur. Qu’il manquait quelque-chose

Je me suis donc mis à écouter beaucoup de blues, à en analyser, afin de comprendre ce qui me manquait.

Ce qui ressort de mes recherches, je souhaite aujourd’hui le partager avec vous dans cet article. J’espère que ce que vous y trouverez enrichira vos propres connaissances et vous donnera (comme à moi) de nouveaux éléments dans votre approche de la composition.

Et commençons par…

LE PLUS IMPORTANT : LA MÉLODIE.

Question Question Réponse

La première chose que beaucoup de jazzmen font quand on leur parle d’un blues, c’est chanter son thème, peu importe sa complexité. Mais quelles formes peut-elle prendre ?

Partition Blues For Miles avec annotations Questions et Réponse

Blues for Miles, un morceau de Freddie Hubbard enregistré en 1992 sur l’album éponyme est un bon exemple de ce qu’on peut appeler une forme Question Question Réponse, la plus commune pour un Blues.
J’appelle les 1re et 2e phrases les Questions car elles sont similaires. La 3e phrase peut être qualifiée de Réponse car elle diffère des précédentes tout en reprenant certains de leurs éléments mélodiques.

Généralement, les blues de forme Question Question Réponse ont une variation au niveau de la 2e phrase, ce qui donne deux Questions légèrement différentes comme ici dans Tenor Madness, un blues de Sonny Rollins :

Partition Tenor Madness avec annotations Questions et Réponse et variation sur 2 Question

Dans cet exemple, Rollins choisit de changer la première note de sa deuxième Question, pour que la phrase colle avec l’harmonie (on évite une dissonance avec l’accord sous-jacent, Eb7 (mesure 5) qui comporte un Ré bémol).

  • Première Question : Ré bécarre (entouré en bleu) pour le Bb7 qui suit.
  • Deuxième Question : Ré bémol (entouré en rouge) pour le Eb7 qui suit.

Par ailleurs, avez-vous remarqué que la fin de la Réponse est la même que la fin des Questions?
C’est une astuce fréquente, elle contribue à rendre le thème reconnaissable, iconique.

2e Question Transposée

Ainsi, pour correspondre à l’harmonie, Sonny Rollins conserve les hauteurs de notes de sa Question en modifiant seulement celle(s) qui pose(nt) problème. Il peut en être autrement, exemple avec Blues By Five de Red Garland : 

Blues By Five avec Segment de Question transposé

Ici, les deux Questions sont à nouveau similaires, mais Red Garland fait le choix de transposer les deux premières mesures de la 2e pour correspondre à l’accord. La première Question est en Si bémol, la deuxième, en Mi bémol. C’est un enrichissement, on pose la même question mais d’une manière légèrement différente.

Autres formes

Pour clore cette partie sur la mélodie, je tiens à souligner que la « règle » de la forme Question Question Réponse n’est pas un obligé dans le blues.

C’est extrêmement commun, mais certains blues célèbres parviennent à l’esquiver, par exemple en adoptant une forme Question Question Question. Voici le célèbre C Jam Blues de Duke Ellington :

Partition C Jam Blues de Duke Ellington

On peut également citer Sonnymoon for Two, de Sonny Rollins :

Partition Sonnymoon For Two Sonny Rollins

Avec l’avènement du Be-Bop, les notions de Questions ou Réponses sont même amenées à disparaître, écoutez donc les blues de Charlie Parker Au Privave ou Blues For Alice :

Maintenant, à vous de choisir. Si vous débutez, privilégiez une forme simple comme Question Question Question ou Question Question Réponse.

Rien ne vous empêche d’en composer d’autres plus sophistiqués ensuite !

LA TOILE DE FOND : LA GRILLE DE BLUES

Grille de Blues basique

Je ne sais pas vous, mais même en écoutant Blues For Alice, j’ai toujours une sensation de forme Question Question Réponse.
Pourtant, les phrases n’ont pas été écrites explicitement suivant ce procédé.
Je pense que c’est dû au point que nous allons aborder lors de cette nouvelle partie, la grille, et son harmonie.

Le blues est la star de la jam-session, en grande partie grâce à sa grille très simple : seulement trois accords, pour 12 mesures.

Une grille de Blues En Do avec Les accords

Ici, une grille de Blues en Do. Ci-dessous les degrés correspondants à chaque accord.
(Je préfère avec les degrés de la tonalité, adopter cette bonne habitude aide pour transposer les grilles et permet de prendre conscience de la fonction des accords)

Une grille de Blues avec les degrés

En visualisant la grille ainsi, on comprend mieux notre sensation de Question Question Réponse, même sans mélodie :

  • la grille s’ouvre sur 4 mesures de premier degré (permet de faire une proposition) ;
  • suivent 4 mesures où le IVe degré résout vers le Ier degré (résolution « douce » permettant de renchérir sur la première proposition) ;
  • puis 4 mesures font entendre une conclusion ferme vers le Ier degré après une grande tension harmonique élevée par le Ve degré.

Grille de Blues Bop

Les grilles ont beaucoup évolué au fil du temps. Dans les années 30 s’est développée une grille « swing » moins courante aujourd’hui, passons la.

La variante jouée actuellement est la grille « bop » qui a été introduite notamment par Charlie Parker :  

En Do :

Grille Blus Bop en Do avec accords

On remarque que par rapport à la grille de blues basique, c’est beaucoup plus complexe !
D’un autre côté, les changements d’accords sont moins abrupts. Les accords rajoutés ou substitués servent principalement à mieux amener les degrés importants, le « squelette » du Blues, quasiment inchangé.

Listons les modifications par rapport à la grille originelle :

  • II V mesure 4 amenant le IVe degré mesure 5 (soit G-7 C7 -> F7 en Do) ;
  • #IVe degré diminué mesure 6 qui conduit la voix de basse vers la quinte du premier degré (en Do : F7 F#° -> C7/G) ;
  • mesure 8, IIIe degré suivi du bIII menant vers le IInd degré de la mesure 9. Ces mouvements sont chromatiques et font entendre les mêmes couleurs d’accords de manière parallèle (en Do : E-7 Eb-7 -> D-7) ;
  • mesure 9 – 12, cadence II V I enchaînant avec un anatole (I VI II V). Ce sont des cadences incontournables des grilles de jazz.

À noter, il est également très courant de jouer la dominante secondaire du IInd degré (V/II) à la place du degré bIII à la mesure 8. Cela donne une progression plus classique, en Do E-7 A7 -> D-7.
Il est également fréquent de rajouter un IVe degré à la mesure 7 pour accompagner le mouvement de basse (en Do : C6/G F7 E-7 A7 D7).

Le blues étant une grille basique, c’est un formidable terrain d’expérimentation pour les compositeurs. Ainsi, de nombreuses autres variantes existent, formées par exemple :

  • en rajoutant des accords (on peut citer le célèbre blues suédois de Charlie Parker (voir Blues For Alice plus haut) ;
  • ou utilisant les modes (voir ces quelques exemples de Michael Brecker ou Brad Mehldau).

CONCLUSION

Dans cet article, nous avons vu les fondamentaux de la grille de blues, sa structure et son harmonie.
Vous avez maintenant un bon canevas sur lequel broder votre mélodie. Pour découvrir dans le détail quelles gammes utiliser, les erreurs rythmiques à ne pas faire et comment inclure votre section rythmique, consultez la 2e partie de cette série :

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Si vous avez une interrogation particulière, n’hésitez pas à l’indiquer en commentaire.

Image de couverture : Thelonious Monk, Minton’s Playhouse, New York, ca. September 1947. Photograph by William P. Gottlieb. Domaine Public.