Composer un morceau n’est pas chose aisée quand on débute, et il est fréquent de se heurter à plusieurs obstacles. Ce, en particulier quand le point de départ est une petite mélodie qui tourne dans notre tête.
Je suis sur qu’il vous est déjà arrivé de vous mettre au piano pour tenter de lui trouver une harmonie et passer 10 min à marteler maladroitement les touches du clavier sans aucun résultat !
Pire, la plupart du temps, après avoir pianoté quelques secondes, la mélodie qui trottait inlassablement dans vos oreilles a tout simplement… disparu !
Nous sommes d’accord, tous les articles sur la composition que vous pourrez trouver ne vous seront d’aucune utilité si vous n’êtes pas capables de recréer vos propres morceaux à cause de ce blocage !
Je vous propose de remédier à cela avec ma méthode en 5 étapes pour transformer un début de mélodie en un morceau complet.
Étape 0 – S’enregistrer
Cette étape fait plus figure de chauffe qu’autre chose, et je suis sûr que vous avez déjà ce réflexe simple. Dès que possible, enregistrez votre idée sur votre téléphone ou votre enregistreur. Ça permet de la retrouver en toutes circonstances, en particulier après que notre oreille ait été distraite par les accords que nous allons poser au piano lors de l’étape suivante.
Je vais me prêter au jeu et vous mettre ci-dessous un audio d’une idée qui m’est venue aujourd’hui, enregistrée avec mon portable :
Étape 1 – Trouver la tonalité de la mélodie
Cette étape va nous servir à poser la base de l’harmonie du morceau, afin de déterminer les accords qui vont coller avec notre mélodie.
Premièrement, demandez-vous si votre idée est constituée d’une ou plusieurs phrases. Puis, essayez de déterminer si ces phrases font plutôt office de questions, ou de réponses.
Ce point est très subjectif, et dépend du contexte que vous entendez dans votre oreille.
Une question aura tendance à se dérouler sur un Ve degré, et une réponse sur un Ier.
Dans mon exemple, il n’y a qu’une seule phrase, et elle a l’air d’être conclusive, d’être une réponse, donc.
Trouvons ses notes (à l’aide d’un piano par exemple) et écrivons les sur une partition :
Notre dernière note, Si bémol, a l’air d’être l’endroit où on peut entendre un Ier degré, c’est là où nous avons l’impression d’être le plus stable.
Pour trouver notre tonalité, il suffit de lister les accords à 3 sons qui contiennent notre note stable, puis plaquer chaque accord sous cette note après avoir chanté notre phrase.
Il suffit ensuite de garder celui qui colle le plus avec ce que l’on a dans l’oreille.
Quelle possibilité vous semble bonne parmi ces 3 que j’ai pris au hasard ?
Sans grande surprise, notre Ier degré semble être Si bémol majeur.
Nous allons maintenant pouvoir commencer à écrire la grille.
Étape 2 : Déterminer le squelette du morceau
Un morceau, c’est une mélodie et une harmonie, mais pas que ! Pour commencer à écrire notre grille et poursuivre notre mélodie, je recommande de savoir où notre morceau se dirige, grâce à 3 points fondamentaux :
- Le Style
- La Métrique
- Le Tempo
Le Style va nous donner une idée du contexte global au niveau harmonique, rythmique et structurel.
Par exemple, dans un morceau de pop, on aura une harmonie à 3 sons, une rythmique binaire, et une structure qui s’organise autour des parties couplet – refrain – pont. En jazz, et plus particulier en swing, notre rythmique sera ternaire (swing) et notre structure pourra être AABA, ABAC, ABCA…
La métrique nous donne une idée de la danse intérieure et des temps forts du morceau. Notre mélodie va s’écrire bien différemment entre le 3/4 et le 4/4, et encore plus si l’on a quelque chose d’impair comme du 5/8 par exemple.
Le tempo, enfin, nous donne une idée de ce que l’on peut faire ou pas au niveau rythmique dans notre mélodie ou notre harmonie.
Si nous écrivons une mélodie avec des doubles croches sur un up tempo, l’interprète va passer un sale quart d’heure à moins de s’appeler John Coltrane. De la même manière, une ballade aura généralement un rythme harmonique plus rapide qu’un morceau médium car nous avons plus de temps à notre disposition pour faire varier l’harmonie.
Pour notre exemple, choisissons la valeur sûre du swing medium en 4/4 AABA, cela ira bien avec notre mélodie.
Étape 3 : Écrire partiellement la grille
Si nous analysons les grilles de la plupart des standards AABA, nous pouvons nous rendre compte de plusieurs choses. Le premier A pose une question, à laquelle on répond avec le 2nd. Le B sert de pont, et introduit une variation quelconque avant le retour au dernier A, très souvent similaire au 2nd.
Ces conventions structurelles affectent directement la grille. La fin du 1er A comporte souvent une demi-cadence et la fin du 2nd une cadence parfaite.
Je vais prendre un morceau au hasard pour vous le montrer, On the Sunny Side of the Street par exemple :
(Précision concernant la demi-cadence mesure 8 : même si le Ier degré de la tonalité suit le Ve (à la mesure 9), comme le Ve est placé en fin de cycle de 4 mesure, l’oreille perçoit une sensation de suspension caractéristique de la demi-cadence. On pourrait mettre n’importe quel accord ensuite, l’effet serait le même. Quand vous improvisez ou composez votre thème, vous pouvez forcer la résolution en faisant en sorte que votre phrase chevauche le cycle.)
Savoir ce genre de choses va nous permettre d’avoir un cadre quand nous allons écrire notre grille. Je vous recommande d’analyser de cette manière les morceaux stylistiquement similaires à celui que vous voulez composer, pour en dégager les codes. De cette manière, vous pouvez vous faciliter la vie en les utilisant et/ou jouer avec.
Nous savons que les premiers accords des parties A seront des Ier degrés, donc un Bbmaj7, car notre première phrase est conclusive, comme vu plus haut.
Nous pouvons en déduire que les derniers accords du 1er A vont être une demi-cadence, donc V : F7, que nous pouvons précéder du second degré comme souvent en jazz : C-7.
Les derniers accords du 2nd A seront ii : C-7, V : F7 et I : Bbmaj7.
Pour déterminer le reste de la grille, nous pouvons nous aider du schéma de l’harmonie tonale, vu dans cet article. Il va nous donner les différents degrés de la tonalité de Bb majeur, les accords qui vont bien sonner, donc.
Nous pouvons amener ces accords avec leur dominantes secondaires, c’est pourquoi elles sont indiquées sur le schéma :
Nous avons maintenant tous les outils pour expérimenter, voir où l’oreille nous mène, ce qui nous plaît. Le plus beau dans tout cela, c’est que nous avons presque éliminé le risque de se perdre et écrire une grille qui ne sonne pas en définissant une carrure bien précise.
Pour ma part je préfère passer à l’étape suivante :
Étape 4 : Continuer la mélodie
Notre première idée est plutôt stable, sortons de ce petit confort en créant un deuxième segment qui pose une question.
J’ai un peu cherché et ai fini par trouver cela :
Voilà, il ne reste plus qu’à revenir à l’étape 3 pour harmoniser notre nouveau passage. En répétant les étapes 3 et 4, nous allons finir par écrire un morceau entier !
Étape 5 : Répéter les étapes 3 et 4
Le nouveau segment pose une question, il faut donc l’harmoniser avec un Ve degré :
Plusieurs possibilités d’harmonisation s’offrent à moi pour la mesure 3. La note Mi bémol est importante, car c’est la quarte de notre gamme de Si bémol majeur. Cette note tend l’harmonie et est caractéristique de la fonction sous-dominante (cf mon article sur l’harmonie tonale)
Nous pouvons donc harmoniser ce passage avec le ii, C-7, ce qui, avec le F7 de la mesure suivante nous donnerait un ii V, une demi-cadence. Mais je vais plutôt choisir l’autre accord de sous dominante, le IV, Ebmaj7. Je trouve très joli d’amener ce IVe degré avec sa dominante secondaire, Bb7, qui s’insérerait juste après le Ier degré, Bbmaj7.
Sympa non ? Les dominantes secondaires sont des outils formidables pour enrichir les grilles que l’on compose.
Ensuite, notre Ve degré veut résoudre sur un Ier degré, ce que je souhaite éviter, ce serait redondant.
Nous allons rediriger notre harmonie en choisissant d’atterrir sur un autre degré de notre tonalité, que nous allons amener encore une fois à l’aide de sa dominante secondaire.
Regardons à nouveau notre schéma et les possibilités qui nous sont offertes. Que préférez vous ?
Personnellement, j’aime bien aller sur le II, le IV, ou le vi. Aller sur le vi m’inspire plus, et j’ai même une idée mélodique qui pourrait aller pour la suite :
Il ne nous reste plus beaucoup de chemin à parcourir pour terminer notre morceau.
Je pourrais continuer en suivant ma méthode, mais je pense que vous avez compris comment je résonne.
J’entends pour la fin du 1er A des choses plus sophistiquées qui n’ont pas leur place ici. Et il faut que l’on trouve un B, en sachant que ces parties spécifiques méritent un article tout entier !
Voilà quand même un aperçu de ce que nous avons réussi à écrire durant l’article :
Conclusion
Il ne vous reste plus qu’à suivre ces 5 étapes la prochaine fois que vous voudriez transformer une mélodie qui vous trotterait dans la tête en un morceau entier.
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2 commentaires
Cyril · 20 avril 2020 à 10:27
Il est super cet article. Merci beaucoup. Ouais, moi je suis très intéressé par le développement du B. Merci encore de ton investissement et de la limpidité de tes explications.
Cordialement.
Louis · 20 avril 2020 à 17:43
Merci encore Cyril pour ton retour, heureux que cela te plaise. Pour ce qui est du développement du B, je suis tombé là dessus il y a quelques jours https://www.youtube.com/watch?v=NEy9L7zyrGE
Je ne sais pas si tu connais et si tu n’es pas allergique avec l’anglais, mais je te le partage quand même au cas où 🙂
Bonne musique !