opened brown wooden french door

Le cas délicat de la Backdoor Cadence bVII7 -> I

Si vous avez déjà ouvert un Realbook pour déchiffrer des standards comme There Will Never Be Another You, Stella by Starlight, Just Friends… alors vous avez déjà rencontré une cadence bien spécifique qui a pu vous poser problème. J’ai nommé : La Backdoor Cadence, le degré bVII7 qui résout vers le Ier degré majeur.
D’où vient cette cadence ? Comment l’analyser ? Et enfin, comment les grands jazzmen s’y prennent-ils pour bien la faire sonner ?

Backdoor Cadence bVII7 -> I, qu’est-ce que c’est concrètement ?

La « Backdoor Cadence » est dans une tonalité majeure la résolution du degré bVII7 sur le Ier degré.
Le degré bVII7 est comme son nom l’indique de couleur 7, une triade majeure avec une 7e mineure. Sa fondamentale est située à une seconde majeure descendante par rapport au centre tonal. Voici un exemple en Do Majeur :

(J’ai éclaté les voicings mais toutes les notes de l’accord y sont !)

« Backdoor Cadence »… Mais pourquoi une telle appellation ? En fait, on considère implicitement que la cadence parfaite ii V -> I est la « Front Door » cadence, le chemin par défaut pour résoudre sur le premier degré dans l’harmonie tonale.
On passe donc par l’entrée principale, la « porte d’entrée », pour rentrer à la maison.

Ainsi, partir du bVII7, le degré situé juste avant (ou « derrière ») le I pour y résoudre peut être vu comme une manière secondaire d’arriver à nos fins, comme passer par la porte de derrière pour entrer dans notre maison.

Cette dénomination peut faire sourire, mais elle est pourtant assez proche de l’impression auditive que donne cette cadence :

Porte d’entrée :

Porte de derrière :

Dans mon second exemple, j’ai rajouté un F-7 (en Do : le iv7) avant mon Bb7 (bVII7) pour créer un ii V. C’est sous cette forme que la backdoor cadence se trouve le plus fréquemment dans nos grilles. Nous verrons un peu plus bas que ce détail a une grande importance…

D’où vient le degré bVII ?

Si vous avez des bons souvenirs de mon article sur la Tonalité Mineure, alors vous connaissez déjà la réponse.

Sinon, voici le schéma de l’harmonie tonale, ici dans la tonalité mineure (créé à partir du mode aeolien ou mineur naturel et enrichi des Ve et viie degrés issus de la gamme mineure harmonique) :

Vous pouvez constater que le degré bVII est présent dans la famille sous-dominante. Pourquoi cette classification ? Sa tétrade contient une 7e mineure (d’où le chiffrage bVII7), qui est aussi la sixte mineure par rapport au centre tonal.
Cette note est instable et tend à résoudre vers la Quinte juste par rapport au centre tonal, c’est la caractéristique de la famille sous-dominante en tonalité mineure.

Mais comment se fait-il que ce degré, appartenant à la tonalité mineure, se retrouve dans des grilles d’accord de morceaux majeurs ?

En fait, Do majeur et Do mineur sont plutôt proche harmoniquement, ils partagent entre autres la même tonique. Il est fréquent que les compositeurs empruntent des accords chez l’homonyme mineur si l’on est en majeur et vice versa. Ce procédé a un nom barbare : l’interchange modal. Pas de panique, j’y reviendrai plus en détail dans un prochain article !

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cela amène un peu de mouvement dans notre grille. Une goutte de mineur au milieu du majeur, c’est expressif.

Pourquoi le bVII7 résout sur le Ier degré ? Habituellement, c’est le job du Ve degré non ?

Bonne question. Et je vais vous annoncer une nouvelle qui ne va pas arranger nos affaires : le bVII7 est le Ve degré du degré bIII (c’est donc une… dominante secondaire).
En Do, Bb7 est le bVII7, mais aussi le Ve degré de Eb Majeur, le bIII.

C’est donc logiquement vers le bIII que le bVII7 devrait être principalement attiré, et pas le I.

Mais, si vous revenez au schéma de l’harmonie tonale, vous remarquerez qu’une flèche relie la fonction sous-dominante à la fonction tonique :

Cette flèche symbolise une cadence, la cadence plagale. Elle est plutôt rare en jazz, et nous avons tôt fait d’oublier son existence ! Cependant, le cas de la Backdoor Cadence est un bon exemple de son utilisation.

Pourquoi ne pas appeler « Backdoor Cadence » « Cadence plagale » alors ? Eh bien, son cas est si particulier qu’elle a son propre nom, pour bien la différencier d’autres plagales.

Notons que bVII7 -> I a la particularité d’être une cadence plagale qui commence avec un degré venant de la tonalité mineure et qui résout sur le Ier degré majeur.

Ce genre de manipulations est assez fréquent en jazz, souvent en guise de réharmonisation.
La cadence parfaite peut elle aussi commencer en mineur pour résoudre en majeur, comme dans les 4 premières mesures du standard de Cole Porter I Love You :

(Attention, le thème est en clé de Fa !)

La Backdoor Cadence complète : bVII7 précédé par le iv7

Prenez les quatre premières mesures du standard de Tadd Dameron Lady Bird :

Nous avons devant nos yeux une Backdoor Cadence typique bVII7 -> I (Bb7 -> Cmaj7).
Cependant, vous avez sans doute remarqué qu’un F-7 s’est invité avant notre Bb7 (je vous en parlais au début de cet article !).

Ce degré est étranger à Do Majeur. D’où vient-il ?

Comme pour le cas de notre bVII7, d’un interchange modal avec le mode de Do mineur naturel.

Rappelez-vous de notre schéma :

Le iv7 fait aussi partie de la famille sous-dominante. Mais pourquoi faire se succéder deux accords de sous-dominante, n’est-ce pas un peu contre-productif ?

En fait, ajouter un iv7 avant le bVII7 permet de rappeler la fonction secondaire de ce dernier : Ve degré du degré bIII.
En effet, le iv7 est aussi… le iind degré du bIII.

En Do, la Backdoor Cadence complète est F-7 Bb7 -> Cmaj7.
F-7 et le iv7, et Bb7 le bVII7. Mais F-7 et Bb7 sont aussi les ii et V du degré bIII, Eb Majeur.

Dans la Backdoor Cadence, ajouter un iv7 permet de dessiner le mouvement favori du jazzman, le ii V I.

L’ajout du iv7 est très prisé des boppeurs. C’est à leur contact que de multiples sous-dominantes ont fleuri dans les grilles des standards afin de faire apparaître des ii V.

Sauf que iv7 bVII7 a beau y ressembler, ce n’est pas vraiment un ii V ! Dans notre tonalité, les fonctions iv7 et bVII7 sont avant tout de famille sous-dominante. Il faut donc les chiffrer dans notre analyse comme tels.

Le seul cas où bVII7 est V/bIII

Il existe cependant une exception à la règle, un scénario où le bVII7 se comporte selon sa fonction secondaire, c’est-à-dire Ve degré du degré bIII.
C’est plutôt logique : quand on observe une résolution sur le degré bIII ! bVII7 est alors une dominante secondaire, et doit être notée comme telle : V/bIII

C’est peu fréquent, mais on peut trouver ce cas de figure dans le B de On Green Dolphin Street :

Mais dans la majorité des cas, bVII7 a une fonction sous-dominante.

Une question a dû naître dans votre esprit. Comment un accord 7 peut ne pas être de fonction dominante ?

Les accords 7 qui n’ont pas une fonction dominante

On compte de nombreux exemples en jazz où un accord 7 n’a pas pour vocation de résoudre vers son Ier degré.

Le premier accord du Blues par exemple, qui est un I7, n’est pas attiré comme un aimant sur le IV comme il devrait l’être dans un autre contexte. Le II7 et le bVI7 se comportent aussi parfois de cette manière, et bien entendu, notre bVII7.

Tous ces degrés ne se comportent pas comme des dominantes en ne résolvant pas vers leurs Ier degrés respectifs.
Mais pourquoi dans un morceau en Do majeur, Bb7 ne résout pas primairement sur Ebmaj7 ?

En fait, la réponse est dans la question… Car nous sommes en Do Majeur !

Comme la grille alentours est cimentée vers notre centre tonal, la manière dont nous comprenons le degré bVII7 est liée à ce contexte harmonique.
Inversement, le même accord, Bb7, dans le contexte d’une grille en Eb majeur n’est bien sûr plus compris et entendu comme étant le bVII7 de Do Majeur ! Sa fonction primaire est ici d’être le Ve degré.
Tout dépend donc du contexte.

Comme ces accords n’agissent pas selon leur fonction primaire, on peut légitimement se dire qu’il ne faut pas non plus les jouer comme tels, comme s’ils allaient résoudre vers leurs Ier degrés respectifs.

C’est à dire, dans une Backdoor Cadence en Do, jouer Bb7 comme s’il allait résoudre sur Ebmaj7. Donc en utilisant le 5e mode de la gamme de Eb Majeur, Bb mixolydien :

Vous pourriez me rétorquer que, pourtant, ça a l’air de fonctionner ! Cependant, il existe un mode qui paraît plus approprié :

Le mode Lydien b7

Le mode Lydien b7 est le 4e mode de la gamme mineur mélodique (plus d’informations sur ce mode dans mon Ebook Les Fiches d’Identité des Modes). C’est un des modes préférés des jazzmen pour faire sonner les accords 7 qui ne se comportent pas comme des dominants.

Pourquoi ?

Comparons sa structure par rapport au mode Mixolydien, le mode du Ve degré majeur (de fonction dominante), avec ici comme fondamentale la note Sol :

La seule différence entre les deux modes se situe au niveau de leurs Quartes : Le mode Mixolydien comprend une 4te juste et le mode Lydien b7 une 4te augmentée.

Cette petite différence est en fait tout ce qui fait l’intérêt du Lydien b7. Cette note correspond à la tonique sur laquelle résout le Ve degré. En Do majeur, le Ve degré est G7, la quarte de cet accord est Do, la tonique de notre tonalité.

Si maintenant, nous augmentons la quarte pour donner le mode Lydien b7, le Do devient Do#. Notre tonique n’est plus dans l’accord de Ve degré ce qui amoindrit son attraction vers son Ier degré.

Mais ce n’est pas le seul intérêt de ce mode, surtout appliqué au bVII7.

En Do, le bVII7 est Bb7. Voici Bb Lydien b7 :

Avez-vous remarqué que la tétrade de base donne les notes de Bb7, et les 3 extensions (9e, 11e, 13e) les notes Do, Mi et Sol ? Ce sont respectivement les 9e, #11 et 13e de Bb7 mais aussi et surtout les notes de la triade de Do majeur, le Ier degré majeur sur lequel le bVII7 tend à résoudre !

Regardez bien les 3 notes du haut de mon Bb7… La triade de Do Majeur !

C’est pour cette raison que ce mode semble préférable au mixolydien pour le degré bVII7. Le Mixolydien contient une altération de plus par rapport à notre tonalité de départ, le rendant moins évident à faire sonner.

En tout cas, ce choix est validé par d’illustres compositeurs de nos standards favoris :

Harry Warren pour There Will Never Be Another You :

Victor Young pour Stella by Starlight :

Henri Mancini pour The Days of Wine and Roses :

(Bon, en réalité, les premiers enregistrements des trois thèmes cités ci-dessus ne comportent pas de bVII7 à ces passages !! Cependant, c’est avec ces progressions d’accord qu’elles nous sont parvenues, ce sont celles que nous jouons aujourd’hui. Ces harmonies font clairement entendre un mode Lydien b7.)

Au passage, réhausser la quarte de notre bVII7 pour le faire sonner lydien b7 nous fait sortir du mode mineur naturel duquel nous l’avons emprunté.
En effet, en Do, Bb7#11 contient un Mi bécarre, note qui n’est pas contenu dans la gamme de Do mineure naturelle d’où provient notre bVII7. De quelle mode vient le bVII7#11 dans ce cas ??

Les compositeurs empruntent à l’harmonie de Do mixolydien b6 (mode que vous connaissez si vous avez lu Les Fiches d’Identité des Modes), dont le degré bVII7 est bien lydien b7.

Mais c’est un détail. Dans l’improvisation, ce n’est pas du tout comme ça que ça se passe !

Le choix des grands Jazzmen pour jouer le bVII7

Écoutez plutôt Stan Getz sur Stella :

J’ai omis de l’indiquer, mais F7 est le bVII7 et Gmaj7 le I.

Et sur There Will Never Be Another You :

J’ai encore omis de l’indiquer, mais Db7 est le bVII7 (nous sommes en Eb majeur).

Et Wes Montgomery sur The Days of Wine and Roses :

Dans la majorité des interprétations de standards comprenant le bVII7, les grands jazzmen restent fidèle à Do mineur naturel en jouant la bVII7 avec le mode mixolydien ! Même parfois pendant les thèmes, qui contiennent pourtant la 4te augmentée comme je vous le montrais plus haut !

En fait, je pense que ce consensus est dû aux multiples réharmonisations qu’ont subit ces standards, notamment l’ajout de ii V à tout va. Dans les thèmes cités ci-dessus, le bVII7 est utilisé seul, sans ajouter le iv7 avant pour créer une forme ii V.

Mais dans les grilles des années 50, des ii V ont fleuri pour ajouter du mouvement harmonique. Si vous écoutez bien l’accompagnement derrière la version de There Will Never Be Another You par Stan Getz, pendant les chorus, on entend que la section rythmique joue Ab-7 Db7 au lieu de simplement Db7. Ce qui est au passage… out par rapport au thème qui comporte un Sol bécarre (contre Sol bémol dans le Ab-7).

Et ce détail change tout ! Les jazzmen, en voyant un ii V sur leurs grilles, jouent les modes basiques sur un ii V… Dorien, puis Mixolydien.
Certes, on pourrait commencer à jouer Dorien sur le iv7, puis Lydien b7 sur le bVII7. Mais c’est beaucoup moins évident…

D’ailleurs, des thèmes directement composés par des boppeurs comme Lady Bird ou Yardbird Suite utilisent de base la forme ii V : iv7 bVII7. Et leur mélodie est écrite avec… Le mode mixolydien, et pas le Lydien b7 :

Le choix entre Mixolydien et Lydien b7 pour jouer le bVII7 dépend donc du contexte.
Si vous voulez rester proche du thème, jouez Lydien b7, vous sonnerez au passage un peu old school ! Si vous voulez sonner bop, jouez mixolydien.

Ce qu’il faut retenir de cet article :

La « Backdoor Cadence » est dans une tonalité majeure la résolution du degré bVII7 vers le I, le plus souvent précédé du iv7.

iv7 et bVII7 sont empruntés au mineur naturel parallèle par interchange modal.
Ce sont aussi les ii et V du degré bIII, et, même si ce ne sont pas leurs fonctions primaires, ils sont le plus souvent joués comme tels par les jazzmen, ce qui implique d’utiliser le mode dorien pour le iv7, et le mode Mixolydien sur le bVII7.

Cependant, vous pouvez aussi faire le choix de jouer le bVII7 Lydien b7, ce qui amoindrit sa fonction secondaire de V/bIII et rappelle le thème que vous jouez.

J’espère que cet article vous aura permis d’y voir plus clair sur ce mystérieux accord !
Si vous avez des questions, des remarques, laissez un commentaire, je vous répondrai avec plaisir.

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Comment entendre plus facilement la basse ?

Vous n’entendez pas ce que joue le bassiste de votre groupe ? Vous n’arrivez pas à distinguer le hauteurs de note dans le registre grave, et échouez à repiquer des grilles ?
Ne cherchez pas plus loin : Votre oreille n’est pas assez entraînée pour entendre la basse.

Et pourtant, ce serait chouette de pouvoir comprendre ce qui se passe en bas du spectre sonore… Vous sauriez exactement où vous en êtes dans une grille, vous pourriez commencer à entendre les couleurs d’accord de votre pianiste en fonction de la basse, etc…
Bref, arrêter de vous perdre et entendre ce que vos camarades jouent afin de pouvoir réagir en conséquence.

Peut-être que tout cela vous semble insurmontable à accomplir, mais ne vous en faites pas, tout problème a sa solution.

Comme pour beaucoup de chose en matière de musique, pour affiner son oreille, il faut l’entraîner. Comme ça, elle peut mémoriser les bonnes sensations auditives et les relier ensuite à vos connaissances théoriques.

Avez-vous l’habitude de vous concentrer longtemps sur le jeu de votre contrebassiste quand vous jouez avec lui ? Relevez-vous des lignes de basse régulièrement ?

C’est pour vous mettre dans cette direction que j’ai écrit cet article.
Vous allez y (re)découvrir la basse sous toutes ses coutures, apprendre quel est son rôle dans la section rythmique, et certaines techniques récurrentes dans le jeu des bassistes qui peuvent nous aider à mieux comprendre ce qui se passe, et les repiquer plus facilement.

C’est parti !

Qu’est-ce qu’une contrebasse, et qu’est-ce qui la rend si difficile à entendre ?

*J’emploie le terme « basse » pour désigner l’instrument qui tient ce rôle dans un groupe de jazz. Mais l’instrument en lui-même peut être une contrebasse, une basse électrique, la main gauche d’un organiste…
Dans cet article, je me focaliserai sur le plus difficile à entendre : la contrebasse.

La contrebasse est un instrument à cordes, constitué de haut en bas d’une tête avec des chevilles d’accordage, de cordes qui descendent le long d’un manche au dessus de sa touche et ce jusqu’au chevalet.
Ce dernier est posé sur une caisse de résonance qui a pour but d’amplifier le son créé par la vibration des cordes de l’instrument.

Cette vibration est créée par la main droite du.de la bassiste (si il.elle est droitier) qui va pincer les cordes et les relâcher. Pour modifier la hauteur de la note jouée, sa main gauche va presser la corde en un point précis sur la touche, ce qui va avoir pour effet de modifier la longueur de corde qui vibre et donner une hauteur de note différente que celle de la corde à vide*.

Première information extrêmement importante : Les 4 cordes « à vide » (*en les attaquant sans les presser sur la touche avec la main gauche) sont accordées comme ceci : E1, A1, D2, G2.

Les chiffres après les lettres correspondent aux hauteurs par rapport aux touches de piano, dont le clavier débute avec le « la zéro » -> A0, Bb0, B0, puis C1, etc…

Remarquez le petit 8 en dessous de ma clé de Fa, qui

Comme vous pouvez le voir, le registre de la contrebasse commence dans l’extrême grave du piano, région que nous n’avons pas vraiment l’habitude d’écouter attentivement.

De plus, la manière de jouer d’un bassiste de jazz (qu’on pourrait qualifier de pizzicato pour un contrebassiste classique) donne un timbre sourd, rond, mat à l’instrument, ce qui veut dire qu’il est pauvre en harmoniques.

Il est donc plus compliqué de discerner la hauteur d’une note à la contrebasse qu’au piano par exemple (son timbre étant plus riche en harmoniques).

Voilà pourquoi entendre la basse n’est pas si évident. Maintenant, intéressons-nous à sa fonction, et voyons si nous pouvons en tirer quelque chose d’utile pour nos repiquages.

Quel est le rôle de la basse dans la section rythmique ?

Traditionnellement, la basse connecte les fondamentales des accords d’une grille de jazz à l’aide d’une « ligne » ou d’un « riff« .

La ligne de basse a souvent un rythme régulier constitué de blanches ou de noires (on parle de Walking Bass), à la différence d’un riff dont la forme rythmique peut être plus complexe.

Une Walking Bass en noires.
Un extrait du riff de basse d’Equinox (John Coltrane)

C’est parce que la contrebasse est l’instrument avec la tessiture la plus grave du groupe qu’elle joue les fondamentales des accords (fondamentale : Note la plus grave d’un accord, à ne pas confondre avec « tonique » qui désigne seulement la note du premier degré de notre tonalité).

En swing, le.la bassiste joue ces fondamentales sur le premier temps de la mesure s’il n’y a qu’un accord dans celle-ci.

Si la mesure comporte deux accords, la basse joue la fondamentale du second accord sur le troisième temps de la mesure.

Donc, si vous connaissez bien votre grille, écoutez la basse et vous saurez où vous en êtes dans le morceau.

De même, connaître la grille d’un morceau dont vous relevez la ligne de basse vous donne un indice sur potentiellement la moitié des notes !

À noter : Les bassistes prennent un malin plaisir à avancer ou retarder la venue des accords, ou bien à jouer une autre note que la fondamentale de l’accord (et réharmoniser)…
Mais dans la majorité des cas, si le morceau est vraiment « standard », vous n’aurez pas de mauvaises surprises.

Trois éléments du jeu de contrebasse essentiels à connaître pour en repiquer plus efficacement

1. Les cordes à vides et leurs harmoniques

Voici de nouveau les cordes à vide de l’instrument : E1, A1, D2, G2.

En fait, ces cordes à vide sont un véritable atout pour le.la bassiste.
Le fait de pouvoir jouer une note sans devoir utiliser sa main gauche lui donne énormément de flexibilité.
En effet, les bassistes peuvent jouer une note dans le médium-aigu de leur instrument et revenir dans le grave aussitôt en jouant une corde à vide.

Ce qui est un avantage pour eux.elles peut être un inconvénient pour nous car cela donne parfois de grands intervalles difficiles à entendre dans leurs lignes.

Arrivé au Mi de la corde de Sol, je laisse le temps à ma main gauche de se replacer en haut du manche en jouant la corde à vide de Mi, créant un intervalle de deux octaves dans ma ligne !

De la même manière, les harmoniques des cordes de Ré et de Sol sont souvent utilisés et créent parfois de grands intervalles dans les lignes.

Petit point terminologie : Que sont les « harmoniques » d’une corde ?

Tout son est composé d’une fréquence fondamentale qui détermine sa hauteur, à laquelle s’ajoute d’autres sons : les harmoniques. Ces sons sont des multiples de la fréquence fondamentale, ils peuvent être plus ou moins nombreux, ce qui détermine entre autres le timbre du son.

Sur un instrument à cordes, ce terme peut aussi désigner plusieurs points de résonance situés à des endroits clés de la corde. Effleurer ces points avec la main gauche (sans presser la corde contre la touche) tout en attaquant la corde avec la main droite va faire résonner un harmonique précis contenu dans le timbre de la corde.

Dans le cas de la contrebasse, un harmonique en particulier nous intéresse, celui de l’octave de la corde à vide, situé pile-poil au milieu de la corde (cela correspond à la 12e frette d’une basse électrique ou d’une guitare).

Mon dernier intervalle est une octave utilisant l’harmonique de la corde de Sol.

Utiliser cet outil permet au.à la bassiste de faire résonner deux notes en particulier sans avoir à maintenir la main gauche appuyée sur la touche (comme pour les cordes à vide). Ces notes sont les octaves de D2 et G2 : D3 et G3.

Ainsi, si vous entendez de grands intervalles dans le jeu de votre bassiste, il utilise à coup sûr les cordes à vide et ses harmoniques, soit les notes E1, A1, D2, G2, D3, G3.

2. Les Ghost Notes

Les Ghost Notes sont littéralement des notes « fantômes », qui sont là sans vraiment l’être…

En fait, ce terme désigne une note sans hauteur définie, présente dans le jeu du bassiste pour lui donner du relief en l’enrichissant rythmiquement.

Pour ce faire, le.la bassiste attaque la note à la main droite et l’étouffe à la main gauche, comme ceci :

Ces notes n’ayant pas d’importance harmoniquement parlant, il est donc possible de les omettre dans nos relevés. Cependant, c’est une des techniques préférées des bassistes pour faire groover leur ligne de basse, rythmiquement parlant, elles sont essentielles.

Donc, si vous désirez les noter, utilisez cette écriture :

Quand on connaît l’instrument, on peut écrire une ghost note à la hauteur de la corde à vide sur laquelle elle est jouée par le.la bassiste.
Si vous n’êtes pas familier avec le fonctionnement de la basse, notez la comme une note d’approche à la note suivante de votre relevé, juste au-dessus ou en-dessous.

Pour résumer, si vous entendez une petite pique rythmique sans hauteur apparente, pas besoin de vous casser la tête, vous êtes face à une ghost note.

3. Les Fills

Voici un point plus problématique. Un fill est une ponctuation dans le jeu du bassiste, quelques notes jouées rapidement généralement à la fin d’une carrure de 4 mesures.

Les 4 dernières mesures d’un Blues en Do, avec un fill pour relancer à la fin (je le rejoue ensuite au ralenti pour que vous puissiez en saisir tous les détails)

Les bassistes utilisent des fills pour enrichir leur jeu, leur donner du relief rythmique, répondre au soliste…

Sauf que je ne vous l’ai pas encore indiqué, mais la contrebasse est un instrument délicat à maîtriser, son ergonomie fait qu’il est difficile d’en jouer rapidement

Pourquoi ce détail est-il important ? Parce que cela va nous aider dans nos relevés : Les bassistes vont au plus simple et au plus pratique pour jouer leurs fills, en utilisant… des cordes à vide !

Comme l’attaque de la contrebasse se fait naturellement de l’aigu vers le grave, les fills ont en majorité une direction descendante.

Une autre astuce utilisée par les bassistes pour jouer rapidement est la technique du pull-off, qui désigne seulement une attaque de la corde en la pinçant tout en relâchant la note précédente à la main gauche (ce qui économise une attaque de main droite). Dans la vidéo plus haut, mon fill commence par un pull-off.

Les fills que vous entendrez utilisent donc à coup sûr cordes à vide, parfois des harmoniques, et des pull-offs.

Résumons ensemble :

Dans cet article, nous avons vu que :

  1. La basse joue les fondamentales des accords sur les 1er temps des mesures (1er et 3e temps s’il y a deux accords par mesure) ;
  2. Les cordes à vide (E1, A1, D2, G2) et les harmoniques D3 et G3 permettent aux bassistes d’insérer des grands intervalles dans leurs lignes ;
  3. Les ghost notes sont des notes purement rythmiques sans hauteur, qu’il n’est pas indispensable de noter ;
  4. Les fills contiennent toujours les cordes à vides ou leurs harmoniques et sont joués de l’aigu vers le grave (souvent grâce à un pull-off).

J’espère que cet article vous aidera à mieux entendre le jeu de votre bassiste, et à repiquer de la basse plus facilement.

Toutefois, même avec ces astuces, le plus important est de se familiariser avec le son et le registre de l’instrument, ce qui veut dire en relever régulièrement.

Par chance, j’ai conçu un programme de relevé spécialement à cet effet : 30 jours pour mieux entendre la Basse

Si jamais :

  • Vous rêvez d’improviser d’oreille sur des standards de jazz ;
  • Vous aimeriez pouvoir retranscrire des grilles d’accords facilement, sans avoir besoin d’un piano ;
  • En improvisant, vous voulez décoller les yeux de la grille sans vous perdre ;

Alors ce programme va être un précieux allié pour vous. Pour en savoir plus, cliquez sur le bouton ci-dessous :

Image de couverture : Slam Stewart at Keystone Korner, San Francisco CA 4/28/81. Playing with Illinois Jacquet.
© Brian McMillen / brianmcmillen@hotmail.com

Trouver la Tonalité ou l’Armure d’un morceau rapidement (Schéma visuel)

Aujourd’hui, nous nous attaquons à une compétence vitale pour un.e jazzman.woman : Être capable en quelques fractions de secondes de donner la tonalité d’un morceau.
En effet, nous sommes souvent amenés à décortiquer des grilles pour improviser convenablement dessus… Connaître la tonalité est à la base de ce processus !

Le procédé inverse, trouver l’armure à partir d’une tonalité donnée, est tout aussi indispensable.
Imaginez que vous releviez un solo d’un grand jazzman que vous adorez. Vous savez que le morceau est en Ré bémol majeur… Si vous n’indiquez pas l’armure au début de vos portées, vous allez perdre du temps à indiquer toutes les altérations à côté des notes correspondantes… Votre partition n’en sera que moins claire !

Aussi, je vous ai concocté un super schéma (deux en réalité !) qui présente le tout en quelques étapes.

Prenez le temps de le(s) découvrir. Je vous indiquerai ensuite 2 erreurs très fréquentes à éviter.

C’est parti !

Comment trouver la Tonalité d’un morceau à partir de son Armure ?

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Comment trouver l’Armure d’un morceau à partir de sa Tonalité ?

Qu’est-ce que le relatif mineur d’une tonalité Majeure ?

Une petite précision avant de continuer.

Vous avez sans doute remarqué que sur mes schémas, j’indique le terme « relatif mineur » d’une tonalité majeure.

Si vous avez lu mon article sur les modes, vous savez qu’on peut tirer différents modes de la gamme majeure. Le sixième (ou mode de La) est le mode aeolien ou mineur naturel, notre gamme mineure de référence pour construire l’harmonie de la tonalité mineure (plus sur ce point dans cet article).

Quand on souhaite trouver la tonalité mineure relative à une tonalité majeure, on cherche en fait le mode aeolien de la gamme de la tonalité majeure en question. Pour se simplifier la vie, il suffit de descendre d’une 3ce mineure par rapport à la tonique de la gamme.

Ce qu’il faut retenir : Les gammes majeures et mineures relatives étant liées, elles possèdent la même armure.

Trouver la Tonalité ou l’Armure d’un morceau : Les erreurs à ne pas faire

Revenons sur notre premier schéma.

Je vous y indique que pour trouver le relatif mineur d’une tonalité majeure, il suffit de descendre d’une 3ce mineure.
Une 3ce mineure ? Pourquoi se casser la tête, vous pourriez très bien vous dire :

« Après tout, une 3ce mineure équivaut à 3 demi-tons ou 1 ton et demi. Je préfère raisonner comme ceci, c’est plus simple et plus rapide »

Et vous n’auriez pas totalement tort. Mais, malheureusement, ce raccourci a un problème de taille.

Imaginez que vous cherchiez le relatif mineur de la tonalité de Si Majeur. Descendez de 3 demi-tons par rapport à Si : Si bémol, La, La bémol.

Le relatif de Si Majeur est donc La bémol mineur. Vous êtes d’accord ?

… Vous êtes tombés dans le panneau !

En fait, la tonalité de Si Majeur est une tonalité exprimée en dièse, il n’y a donc aucune chance pour que La bémol mineur soit son relatif ! Pourtant, nous sommes bien descendus de 3 demi-tons…

En fait, la bonne réponse était Sol dièse mineur. En effet, Sol dièse est aussi situé à 3 demi-ton de Si : Si bémol, La, Sol dièse.

Sauf que, quand nous réfléchissons à des intervalles descendants, nous avons tendance à « penser en bémols » (et vice-versa, nous « pensons en dièse » pour les intervalles ascendants). Cette association ne nous facilite pas la tâche et dans mon exemple ci-dessus peut même mener à une erreur.

Pour être sûr.e de ne pas se tromper : Penser 3ce mineure descendante pour trouver le relatif mineur d’une tonalité majeure.

Dans mon exemple de la tonalité de Si Majeur, si nous descendons d’une tierce, cela nous donne la note… Sol. Notre tierce est mineure ? Donc Sol dièse. Plus d’erreur possible !

Seconde erreur à ne pas commettre : Ne pas détacher le dièse de sa note

Je m’explique.

Vous avez une armure remplie de dièses et vous désirez trouver la tonalité correspondante. Il vous faut donc ajouter une 2de mineure au dernier dièse. Vous avez Fa#, Do#, Sol#, Ré#, La#, Mi# Si# à la clé.
Le dernier dièse est donc un Si, en lui ajoutant une 2de mineure, cela nous donne un Do.

Nous sommes donc en Do majeur. Oui ?

… Non !!!

Vous savez comme moi que Do Majeur n’a pas d’altérations à la clé ! Où est le problème ?

En fait, j’ai « détaché » la note de son dièse : Au lieu d’ajouter une seconde mineure à Si #, j’ai ajouté une seconde mineure à… Si. Sauf que mon dernier dièse n’est pas « Si », c’est « Si DIÈSE ».

La bonne tonalité est donc Do dièse Majeur.

Conclusion

Dans cet article, vous avez appris à trouver rapidement une tonalité à partir de son armure et inversement (l’armure à partir d’une tonalité).

Je vous ai présenté en prime deux erreurs fréquentes pour vous éviter de les commettre à votre tour, et perdre un temps précieux.

Il vous reste maintenant à pratiquer ! Avec un peu d’entraînement, vous ne décomposerez même plus les étapes intermédiaires et trouverez les tonalités en un instant.

ASTUCE POUR VOUS ENTRAÎNER : Partagez mes schémas à un.e de vos collègues jazzman.woman et faites-vous des questions/réponses. C’est plus amusant à plusieurs !

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Groupes rythmiques (groupings) : Augmentez votre vocabulaire rythmique

J’ai une devinette pour vous :
Comment se distinguer dans un groupe où tout le monde joue de belles notes ? … En les jouant bien en place !
Plus sérieusement, le rythme est Le paramètre qui rend votre jeu intéressant. Après tout, une note bien rythmée dans un solo vaut mieux qu’une longue suite de croches maladroites.

Si vous avez atterri sur cet article, c’est que vous trouvez que vos solos manquent de pêche côté rythmique. Que toutes vos phrases se ressemblent un peu, et que sur la longueur, vos idées se répètent.

Devant ce constat, beaucoup de solutions s’offrent à vous. Vous pouvez jouer avec différents placements comme je l’explique dans cet article, varier vos débuts et fins de phrases, jongler entre différents débits

Mais aujourd’hui, nous allons nous intéresser à un procédé assez simple, popularisé dans les années 60 par des instrumentistes comme Wynton Marsalis ou Kenny Garrett : Les groupes rythmiques (aussi appelés « groupes de notes » ou « groupings »).

Si vous avez lu mon article sur les équivalences, sachez que c’est un type de groupe rythmique, nous allons aller plus loin dans cet article. Et si vous êtes vraiment assidu·e, vous allez reconnaître ici certains exemples tirés de mon article sur Kenny Garrett et son utilisation des motifs. Commençons.

Qu’est-ce qu’un groupe rythmique ?

Le premier exemple est celui de Kenny Garrett sur Mack the Knife. Écoutez et constatez que son débit rythmique change à 1’40 :

Voici maintenant un second exemple, cette fois-ci de Wynton Marsalis. Écoutez la figure rythmique qu’il développe :

Comme vous pouvez le voir dans ces deux exemples :

Un groupe rythmique est une polyrythmie consistant à faire se superposer les appuis normaux d’une mesure et un groupement spécifique de ses subdivisions.
Pour que la polyrythmie soit intéressante, lorsque la décomposition du temps est paire, le groupe doit être impair. Inversement, lorsque la décomposition du temps est impaire, le groupe doit être pair.

Quelques petites précisions pour m’assurer que vous avez bien compris :

  • Polyrythmie : Superposition de différents rythmes entre eux.
  • Groupe impair : groupe de 3, 5, 7, … subdivisions
  • Groupe pair : groupe de 2, 4, 6, … subdivisions

Autrement dit, jouer un grouping consiste à répéter une figure rythmique dont les appuis se décalent par rapport à ceux de la mesure initiale.

Il est possible de ne jouer que la première subdivision de chaque groupe comme Kenny Garrett, ou plusieurs voire toutes les subdivisions internes du grouping comme dans l’exemple de Wynton Marsalis.

Créons ensemble un groupe de 3

C’est parti, apprenons à utiliser cet outil. Pour ce faire, voici de nouveau quelques rapides notions de base :

  • Temps de la mesure : Différentes pulsations à l’intérieur d’une mesure. Dans une mesure à 4/4, le temps est habituellement la noire.
    4/4 = 4 noires par mesure, donc 4 temps par mesure.
  • Subdivisions du temps : Décompositions du temps
    Un temps d’une mesure à 4/4 peut être découpé en de plus ou moins gros morceaux, qui sont nos subdivisions (croches, double-croches…)

Prenons maintenant une mesure à 4/4 binaire, dont le temps (la noire) est divisé en 4 double-croches.

Mon exemple audio dure 4 mesures, la voix du haut est jouée par un métronome avec un son aigu sur chaque 1er temps. La voix du bas est assurée par une caisse claire qui accentue les débuts de groupe.

Groupons maintenant ces subdivisions par 3 :

C’est super, mais avez-vous remarqué qu’un nouveau groupe démarre sur la dernière double-croche de la mesure, et est par conséquent incomplet ?

En effet, il manque la seconde et la troisième subdivision de ce dernier groupe. Ajoutons deux mesures afin que le début d’un groupe tombe sur le 1er temps d’une mesure :

Le cycle de notre groupe de trois est ainsi terminé. Constatez qu’il faut 3 mesures pour que le début d’un groupe coïncide avec un 1er temps. 3 mesures pour un groupe de 3, c’est plutôt pratique pour s’en souvenir, non ?

Cette loi est valable pour tout groupe rythmique : Le cycle d’un groupe de X dure X mesures (quelle que soit la métrique).

Maintenant, gardons seulement la première subdivision de chaque groupe :

Nous voilà avec 3 mesures de groupes de 3.

Le stade ultime de cette manipulation rythmique est, comme le fait Tony Williams avec les équivalences, de créer une sensation de nouveau tempo en se servant des débuts de groupes comme de « nouveaux temps ».

En voici une illustration avec 4 mesures d’un groove binaire basique suivies de 3 mesures du même groove, mais calé sur les appuis du groupe de 3 :

Prudence si vous utilisez cet outil en tant que soliste ! C’est plutôt rare, mais la rythmique peut vous rejoindre et créer cette sensation de tempo différent. Si jamais vous perdez le fil de la métrique de base, bon courage pour retomber en place !

Les autres groupes courants

Le groupe de 3 est le grouping le plus répandu. Cependant, il en existe d’autres. Nous allons dans cet article rester dans le cas d’une mesure binaire, découvrons donc les autres groupes impairs courants, les groupes de 5 et 7.

Pour des raisons autant pratiques que musicales, les groupes de 5 et 7 ont des divisions intérieures, et comportent donc plusieurs appuis.
La formule la plus fréquente pour les constituer est la suivante :

  • Groupe de 5 : un groupe de 2 + un groupe de 3 ;
  • Groupe de 7 : Deux groupes de 2 + un groupe de 3.

Si vous voulez constituer un groupe de 9, il suffit de rajouter un groupe de 2 au début : 2 + 2 + 2 + 3 = 9. Un groupe de 11 ? 4 groupes de 2, puis un groupe de 3. C’est aussi simple que cela !

Pour illustrer ces exemples, voici un extrait d’un solo du saxophoniste Stéphane Guillaume où il utilise de manière rapide le groupe de 5, en ne marquant que ses deux appuis internes :

Cela se passe exactement de 7’57 à 7’58, soyez à l’écoute :

Écoutez comme il retombe sur le temps avec la rythmique, c’est ce genre d’effet que vous visez en utilisant un groupe rythmique.

Pour un exemple plus accessible, consultez cette courte vidéo (moins d’une minute) sur la chaîne Youtube de Jazzcomposer.fr :

https://www.youtube.com/shorts/T2w9Er_hw58

Les groupes rythmiques et le swing

Si vous êtes toujours avec moi, vous vous dites peut-être :

« C’est super toutes ces mathématiques, mais comment je l’applique à mes bons vieux standards ?? »

À l’instar de Marsalis et Garrett, il suffit de grouper les croches swing.

En swing, un temps est divisé en 2 croches inégales. La première se rapproche de deux croches de triolet rassemblées, et la seconde, la troisième croche de ce triolet. Comme ceci :

Groupons maintenant ces croches par 3 (sur le schéma, la « grosse » note correspond à la première note du grouping) :

Et voilà le travail. Je ne vous cache pas que l’intégration de groupings dans votre jeu demande un peu d’entraînement pour être bien en place, et surtout pour ne pas se perdre !

Voici quelques pistes pour travailler les groupes rythmiques :

(Commencez par le groupe de 3 en 4/4 binaire, c’est le plus facile).

  1. Commencez par poser votre instrument ! Même sans les contraintes des bonnes notes, de la technique, de vos pistons, tampons ou autres touches, il vous faudra un peu d’entraînement pour arriver à exécuter un grouping (en faisant en sorte que ça groove !), donc ne vous rajoutez pas de difficultés inutiles.
  2. Prenez un métronome et mettez le à un tempo raisonnable. C’est fait ? … Baissez encore d’une vingtaine de points, et là vous serez vraiment à un tempo raisonnable !
  3. Vos pieds vont maintenant marquer les 4 temps de la mesure, l’un après l’autre (commencez avec celui qui vous plaît le plus).
  4. Chantez toutes les subdivisions avec les onomatopées de votre choix. Si cela vous aide, vous pouvez utiliser des onomatopées comme « Takatiki » ou « Takadimi », mais je vous encourage à rapidement délaisser ces formules scolaires peu musicales pour des syllabes improvisées, ou même l’imitation de percussions.
    Cette étape est sans doute la plus importante, quoi que vous fassiez, n’oubliez jamais d’intégrer la découpe dans votre phrasé ! De cette façon et seulement de cette façon, vous serez parfaitement en place.
  5. Commencez par accentuer une subdivision sur trois, sur seulement une mesure, en alternant par exemple avec une ou deux mesures de découpe non-accentuée. Vous chantez un groupe de 3 !
    Si cela vous aide, vous pouvez aussi marquer cet accent en frappant des mains.
  6. Quand vous maîtrisez la 5e étape, et que ça groove vraiment, ajoutez une mesure.
  7. Répétez la 6e étape autant de fois que vous voudrez, allez au moins jusqu’à 4 mesures.
  8. Enlevez les pieds ! Attention car cette étape est clairement la plus compliquée, et va vous demander un peu de persévérance. Vous allez perdre le fil de la métrique de base et votre sensation du tempo va se synchroniser sur les groupings, mais tenez bon ! Commencez par une mesure sans les pieds, alternée par une ou deux mesures de découpe non-groupée avec les pieds tapant les 4 temps. Puis ajoutez une mesure sans les pieds, etc…
    Vous pouvez aussi partir de l’étape 7, et enlever progressivement des temps tapés au pied. Ne tapez plus que les 1er, 2nd et 3ème temps, puis seulement 1er et 2nd, puis le 1er… Et vous serez arrivés à destination !
  9. Une fois que c’est à votre portée, prenez votre instrument et appliquez votre groupe de 3 sur une grille standard, en prenant pour subdivision la croche swing. Alternez entre des mesures de silence et des mesures de grouping, d’abord sur une ou deux notes qui traversent la grillent sans dissonances, puis avec les notes que vous voulez.
  10. Recommencez avec les groupes de 5 et 7 !

Conclusion

Voilà, vous savez tout sur les groupes rythmiques.

Même en les exécutant basiquement sur une seule note, les groupings vont attirer l’oreille des gens qui jouent avec vous et du public, sans vous demander trop d’effort. C’est donc un outil parfait à avoir dans les doigts pour augmenter son vocabulaire et rendre vos solos plus intéressants !

Dans cet article, nous avons vu qu’un groupe rythmique est une polyrythmie consistant à faire se superposer les appuis normaux d’une mesure et un groupement spécifique de ses subdivisions.

Nous avons créé ensemble un des groupes les plus fréquents, le groupe de 3, ainsi que ceux de 5 et 7.

Puis, nous avons vu comment le transposer au swing en choisissant la bonne subdivision à grouper. Et nous avons conclu sur une méthode pour les implémenter dans votre jeu, en faisant en sorte de groover le plus possible.

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Image de couverture : Wynton Marsalis at the Oskar Schindler Performing Arts Center (OSPAC) Seventh Annual Jazz Festival in West Orange, NJ. 13 September 2009. Par Eric Delmar. Domaine Public.

Les équivalences rythmiques expliquées SIMPLEMENT

Vous est-il déjà arrivé de vous perdre pendant un solo de batterie ? En jam par exemple, alors que tout se déroule à merveille, voilà que votre perception du tempo se retrouve chamboulée. Vous ne savez plus où se trouve le premier temps, le stress grandit au fur et à mesure que s’approche la reprise de thème… Et tout ça à cause du jeu un peu aventureux du.de la batteur.euse !

Personnellement, cela m’est arrivé un nombre incalculable de fois ! Et je ne pense pas être le seul à avoir la hantise du solo de batterie…

Mais pour quelle raison la rythmique arrive-t-elle à nous déstabiliser ce point ? Je vous le donne dans le mille :

Pendant leurs solos, les batteurs.euses jouent essentiellement sur l’aspect rythmique du jazz, utilisant parfois des outils avancés qui brouillent notre perception de la métrique et du tempo.
Or, lorsque nous travaillons le jazz, notre attention (à nous, non-batteurs.euses) est principalement focalisée sur l’harmonie, les modes, les gammes, etc… et (presque) pas le rythme.

À contrario, les batteurs.euses pratiquent essentiellement l’aspect rythmique du jazz pour leurs solos. C’est donc normal qu’ils.elles aient un train d’avance dans ce domaine.

Ne baissons pas les bras !

Il est possible de rattraper notre retard en se cultivant un peu sur le sujet, et arriver en jam sereins.eines sans craindre cette satanée reprise de thème…

Découvrons ensemble un des procédés utilisés par nos amis percussionnistes qui nous retourne le cerveau, j’ai nommé :

Les équivalences rythmiques.

Qu’est-ce qu’une équivalence rythmique ?

Avant toutes choses, j’aimerais vous donner un ou deux exemples de ce procédé en action :

Nous voilà au beau milieu d’un solo de Herbie Hancock, au sein du second grand quintet de Miles Davis, véritable laboratoire d’idées harmoniques et rythmiques totalement novateur à l’époque.

Dans quelques mesures, vous pourrez entendre le batteur Tony Williams changer sa manière d’accompagner (à 9’36 exactement) en utilisant une équivalence.

Allez à 10’00, au début d’une carrure, et patientez jusqu’à 10’25 pour entendre une autre équivalence développée sur 4 mesures.

Ça décoiffe non ? Avez-vous l’impression que le tempo a changé ? Avez-vous perdu le premier temps ??
C’est l’effet voulu par Tony Williams. En fait, il réimprime le pattern du cha-ba-da sur les nouveaux appuis de son équivalence pour créer cette illusion rythmique.

Pas de panique, j’explique tout après le second exemple :

Ici, Wynton Marsalis et son groupe paraissent changer de métrique en accélérant progressivement durant les deux premiers A du thème d’Autumn Leaves, puis décélérer durant le C.

En fait, le tempo reste le même du début à la fin (environ 240 à la noire). Marsalis et son groupe nous trompent en utilisant des équivalences successives pour faire entendre un, puis deux, puis trois, quatre… jusqu’à huit temps à l’intérieur de deux mesures, tout en laissant la trompette exposer le thème normalement.

Rentrons un peu dans la théorie pour expliquer ces phénomènes :

Définition d’un équivalence rythmique

Une équivalence rythmique est un type de polyrythmie servant à changer la métrique d’une mesure en conservant sa durée initiale.
On utilise une équivalence pour faire entendre X temps dans une mesure en contenant normalement Y, ce qui donne la notation :
« X pour Y ».

Imaginez que vous êtes en train de jouer un standard à 4 temps, et que vous voulez en cours de morceau passer à 3 temps. Vous pouvez utiliser une équivalence pour ce faire. L’avantage est que la durée de la mesure reste inchangée, ce qui est pratique pour ne pas chambouler complètement la métrique du morceau (ce qui serait peu musical).

Ce dernier point peut être un peu délicat à saisir, aussi, laissez-moi vous donner une analogie :

Imaginez que la mesure est un gâteau dont nous allons faire des parts qui représentent nos temps. Dans un morceau à 4 temps, le gâteau est de base divisé en 4. Utiliser une équivalence pour passer à 3 temps revient à reconstituer le gâteau, puis le redécouper en 3 parts égales.

C’est toujours le même gâteau ! Il est juste découpé différemment.

D’où le terme d’« équivalence ». La mesure ainsi divisée en 3 a une durée équivalente à l’ancienne (divisée en 4), seuls sa découpe et ses appuis ont changé.

Voici un exemple où je m’amuse à passer du 4 temps au 3 temps grâce aux équivalences :

Même si mes appuis changent en cours de route, les 4 temps initiaux sont toujours présents de manière implicite.

Cela va vous paraître logique, mais le premier temps de la mesures à 3 temps est au même endroit que si je jouais à 4 temps. C’est d’ailleurs le cas pour toutes les équivalences, la manipulation ne dure qu’une mesure.

À ce stade, deux possibilités s’offrent à vous :

1. Les équivalences vous semblent inutiles, compliquées à jouer et anti-musicales (vous souhaitez abandonner votre lecture et vous mettre au free jazz de ce pas) ;

2. Les équivalences vous semblent être un bel outil pour s’amuser avec la section rythmique, finalement pas si compliquées à conceptualiser et plutôt musicales.

Quoi que vous en pensiez, si vous voulez arrêter de vous perdre pendant les solos de batterie, restez avec moi ! Je vais maintenant vous montrer comment créer une des équivalences les plus répandues par vous-même.

À vous de jouer ! Réalisation d’un 3 pour 4

Voici quelques notions basiques avant de nous atteler à la réalisation d’une équivalence 3 pour 4 :

  • Temps de la mesure : Différentes pulsations à l’intérieur d’une mesure.
    Dans une mesure à 4/4, le temps est habituellement la noire, 4/4 = 4 noires par mesure, donc 4 temps par mesure.
  • Subdivisions du temps : Décompositions du temps
    Un temps d’une mesure à 4/4 peut être découpé en de plus ou moins gros morceaux, qui sont nos subdivisions. Voir exemples ci-dessous.
  • Binaire : Les subdivisions du temps ont des valeurs paires, souvent 2 ou 4
    Notre temps peut être découpée en deux croches, ou quatre double-croches (ce sont donc nos subdivisions).
  • Ternaire : Les subdivisions du temps ont des valeurs impaires, souvent 3
    Notre temps est découpé en trois croches. Les mesures 6/8 et 12/8 sont des mesures ternaires. Les subdivisions du temps sont les croches, qui groupées par 3 donnent des temps égaux à des noires pointées (il y a deux temps dans une mesure 6/8 et 4 en 12/8).
  • Polyrythmie : Superposition de différents rythmes entre eux.

Maintenant que les bases sont posées, attelons-nous à notre 3 pour 4.

Nous sommes dans une mesure à 4 temps ternaire*. Notre temps (la noire pointée) est divisé en 3 croches :

*Petit rappel : Le swing est une rythmique ternaire, mais elle est écrite en 4/4, comme une rythmique binaire. Donc : mon exemple s’applique à merveille au swing !

Voici comment sonne cette mesure et ses subdivisions (cycle de 4 mesures, tempo : 120 à la noire) :

Groupons maintenant ces subdivisions par 4 :

Cela créé une polyrythmie, les appuis de nos groupes de 4 croches ne tombent pas au mêmes endroits que les temps (sauf pour le premier !).

Si nous gardons seulement le début de chaque groupe en éliminant les autres subdivisions cela nous donne ceci :

Si on alterne entre notre pulse de base et notre nouveau groupe de subdivisions… Nous avons l’impression de passer de 4 temps à 3 temps, tout en conservant la durée de notre mesure !

C’est l’exemple que je vous donnais plus haut :

Cette équivalence s’appelle un 3 pour 4, nous avons créé 3 nouveaux temps à partir de notre mesure à 4 temps de base.

Avez-vous remarqué notre cheminement ? Nous sommes partis de la mesure initiale et de ses subdivisions que nous avons groupées d’une certaine manière pour arriver à notre équivalence.

J’aime particulièrement cette façon de procéder car elle permet d’être parfaitement régulier et stable au moment de jouer l’équivalence.
Nos nouveaux temps ne tombent pas au hasard car ils sont formés grâce aux subdivisions de la mesure. Cela permet à tout les musiciens de jouer bien en place, afin de sonner au mieux.

Une manière simple de trouver une équivalence

Les équivalences résultent donc d’un certain groupement des subdivisions de la mesure, qui dépend de l’équivalence que l’on veut jouer.

Avez-vous remarqué que dans le cas du 3 pour 4, nous avons groupé nos 3 subdivisions du temps par 4 ?

3 pour 4 = Le temps est découpé initialement en 3 subdivisions, que nous allons grouper par 4. C’est aussi simple que ça !

Dans une équivalence X pour Y, notre temps est découpé initialement en X subdivisions, qu’on groupe par Y.

Cette simplification cache en fait une difficulté supplémentaire qu’occasionnent les équivalences…

Parenthèse sur les équivalences avancées

Réfléchissez-y : X pour Y, notre temps découpé en X subdivisions, groupées par Y.

Si nous voulons faire entendre disons 7 temps dans une mesure en contenant normalement 4, il faut que nous découpions nos temps en 7 et que nous groupions ces subdivisions par 4.

Sauf que les temps de notre morceau ne sont pas de base découpés en 7 ! En swing, ils sont découpés en 3, c’est pour ça que le 3 pour 4 fonctionne aussi bien ! Donc, comment faire ?

En fait, il faut changer la subdivision du temps, ce qui implique un changement stylistique.

En effet, une découpe du temps ternaire est utilisée par les styles afro-cubains ou le swing, tandis qu’une découpe binaire peut englober le rock, la bossa-nova
Une découpe du temps en 5 est plus rare, mais on peut l’entendre dans certains grooves alambiqués en Nu-Soul, et les découpes en 7 sont carrément introuvables !

Écoutez plutôt, Tony Williams passe d’un temps découpé en 3 croches (Swing) à un temps découpé en 4 doubles-croches (bossa-nova) dans mon exemple du second quintet de Miles :

Cela arrive exactement à 10’54, même s’il commence à faire entendre le changement un peu avant, en intégrant des double-croches dans son jeu (10’48-49, 10’52).

Ce type de manipulation est plutôt avancé, mais c’est exactement ce qu’utilisent les batteurs.euses pour se jouer de nous et nous mettre dans la panade !

Je vous recommande donc (si vous ne savez pas encore le faire) d’apprendre à alterner, dans une mesure, entre une subdivision binaire et ternaire. Une fois ceci maîtrisé, familiarisez-vous avec les équivalences qui jouent avec ces deux découpes du temps. Puis, ajoutez quintolets, sextolets et septolets à vos découpes.

Conclusion

Si, comme moi, le sens du rythme ne vous a pas été donné à la naissance, il est possible que vous ayez appris beaucoup de choses lors de cet article !

Nous avons vu que les équivalences sont des polyrythmies servant à changer la métrique d’une mesure tout en conservant sa durée initiale (par exemple, en insérant du 3 temps dans une mesure à 4 temps).

Les équivalences sont notées « X pour Y », on insère X « nouveaux » temps dans une mesure à Y temps.

Il faut s’appuyer sur des groupements des subdivisions du temps pour réussir ces équivalences. Ainsi, dans un X pour Y, on divise le temps en X subdivisions qu’on groupe en Y.

En swing, l’équivalence la plus utilisée est le 3 pour 4. Travaillez-la en écoutant l’exemple que je vous ai donné avec le second Quintet de Miles Davis (à 10’25), et appliquez-la à des standards de votre choix.
De cette manière, vous réussirez à ne pas vous perdre si la section rythmique décide de l’utiliser pendant un de vos solos !

Si vous avez des questions, des remarques, laissez un commentaire, je vous répondrai avec plaisir.

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Image de couverture : Miles Davis à Antibes dans la nuit du 26 au 27 juillet 1963. À gauche, Ron Carter. À droite, Tony Williams. Mallory1180. CC BY-SA 4.0.

5 questions à Sylvain Le Ray – Sortie de son album The Unchosen Way

Aujourd’hui, j’ai le plaisir de vous partager ma conversation avec le jeune pianiste Sylvain Le Ray. Il sort son premier album The Unchosen Way chez le label Hostel Records le 14 août 2020. À seulement 24 ans, il se positionne comme une voix singulière sur la scène jazz actuelle, sa musique est riche d’influences et porteuse d’un message qui se veut spirituel.

Parmi toutes les questions qui me venaient à l’esprit, j’ai choisi de me concentrer sur la création de son album. Au programme :

  • L’histoire que raconte son album et comment elle influence sa musique ;
  • Une anecdote sur un morceau enregistré au tout dernier moment ;
  • Sa manière de composer dont nous pouvons nous inspirer ;
  • Son regard sur le métier de musicien de jazz aujourd’hui.

Jazzcomposer.fr : Bonjour Sylvain. Première question plutôt vaste avant de nous plonger dans ton album. Pour toi, qu’est-ce qu’un musicien de jazz en 2020 ?

Sylvain Le Ray : Aujourd’hui, être musicien de jazz nécessite d’être polyvalent. Il n’est pas facile de vivre en jouant exclusivement du jazz.

Personnellement je fais du jazz, de la Salsa, de la musique traditionnelle, de la musique bretonne (je suis originaire de la région), etc…

C’est aussi important d’être dans un endroit concentrant beaucoup de musiciens. Je gravite à Rennes où j’ai beaucoup de projets, je commence aussi à en avoir à Paris. En parallèle, je suis en formation au Centre de Musiques Didier Lockwood. Plus on rencontre de gens, plus ça nous enrichit musicalement, et humainement.

Mon projet solo est très important pour moi. Pour autant, je ne me vois pas en vivre exclusivement d’ici 5 à 10 ans.

JC.fr : Ton premier album s’appelle The Unchosen Way. Quelle histoire raconte-t-il ?

SL : Je voulais parler des choses de la vie sur lesquelles nous n’avons pas d’emprise. De manière plus prosaïque, les trucs qui t’arrivent sans que tu puisses y faire grand chose ! En trois mots : The Unchosen Way.

Le message implicite est qu’il faut accepter qui nous sommes et être plus à l’écoute et respectueux de ce qui nous entoure. De manière plus large, on peut même y percevoir une dimension écolo !

Au moment où l’album a été enregistré (Octobre 2018), ces valeurs étaient particulièrement importantes pour moi, et je voulais les transmettre à travers ce disque.

L’idée était aussi de me démarquer. Je n’avais pas envie de faire simplement un album de jazz en mode « Salut, je m’appelle Sylvain Le Ray, je fais du piano… » !

C’est d’ailleurs grâce à mes études au Conservatoire de Rennes que j’ai pu faire ce premier disque à mon nom. Au départ, le trio s’est formé pour mon projet DEM !

JC.fr : Ton message a-t-il influencé la construction de l’album ?

SL : Il a influencé l’ordre des pistes, mais pas les compositions en elles-même.

J’étais dans un certain état d’esprit au moment de composer les morceaux, mon message n’était pas encore formulé de manière consciente.

Au moment de choisir un titre pour l’album, « The Unchosen Way » m’est venu de manière naturelle, cela faisait sens par rapport aux morceaux.

Concrètement, la première piste Imaginary World représente l’éveil d’un personnage, sa présentation à l’auditeur.
Les deux pistes suivantes (Etna et e-ruption) sont un peu plus agitées, mouvementées. Notre personnage (dans lequel je me transpose) est pris dans le tourbillon de la vie, dans une course effrénée.

Ensuite, Contradictions représente un état de remise en question par rapport à tout cela, et vient Openness où le personnage se libère progressivement, s’épanouit.

Young Years est une parenthèse à propos de la famille, et le dernier titre, Nouveaux Horizons représente un futur plein d’espoir.

Cette progression colle bien avec l’idée de l’acceptation de soi et de l’écoute de ce qui nous entoure.

JC.fr : Je trouve Young Years très réussi, parle-nous de ce morceau.

SL : C’est un air de musique traditionnelle bretonne que mon père musicien a collecté auprès de la grand-mère d’un de mes oncles.

Il l’a ré-arrangé pour l’enregistrer sur un de ses albums, et pour le jouer avec son groupe dans lequel j’ai remplacé quelques fois le pianiste.

Un jour, j’ai repris le morceau et me suis amusé avec, en m’inspirant de Tigran Hamasyan qui est une de mes influences principales. Son disque en solo A Fable est un de mes disques préférés. La piste Kakavik (The Little Partridge) m’a particulièrement inspirée, c’est d’ailleurs un air traditionnel que Tigran a réarrangé !

C’est drôle car nous n’avions pas prévu d’inclure ce morceau à l’album à la base. Au soir du second et dernier jour d’enregistrement de l’album (nous avions donc tout bouclé), dans l’euphorie, je me suis assis au piano et l’ai enregistré seul, en une seule prise !

JC.fr : Tes compositions sont très belles, et racontent toutes une histoire singulière. Comment t’y prends-tu pour composer ?

J’ai différent procédés… Pour ce qui est des morceaux de l’album, ça a fonctionné à l’inspiration.
Pour Imaginary World, c’est la mélodie qui m’est venue en marchant. Je l’ai ensuite arrangée, ai ajouté les accords, etc…
Openness est partie d’une idée purement rythmique, j’ai eu le riff dans la tête et suis parti dans une direction avec.

Par contre, j’ai modelé Etna de manière consciente. Je voulais que le morceau soit assez long et ressemble à une odyssée. J’avais plusieurs idées indépendantes qui mises bout-à-bout sonnaient bien.

Pour moi, tout part de l’idée. Après ce que tu en fais… le plus important c’est d’avoir l’idée !

Je ne pense pas non plus à l’esthétique de mes morceaux. Je trouve cela très compliqué de se forcer à écrire dans un style particulier.

Je pense que c’est une force, comme je n’arrive pas à écrire dans un style précis, je pense que naturellement, j’ai trouvé mon propre style !

JC.fr Merci Sylvain !

Cette interview vous aura sûrement donné envie d’écouter l’album :

Youtube | Deezer | Spotify

Pour retrouver Sylvain Le Ray : Sur Youtube, Sur Instagram, Sur Facebook

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Comment travailler le jazz pendant les vacances ?

C’est les vacances ! (Pour certains d’entre nous, en tout cas…)
Le mois de juillet est déjà bien entamé, vous profitez sans doute de l’été pour prendre un peu de repos, partir en vadrouille à l’autre bout du pays, ou pour les plus chanceux, enchaîner les concerts.

Mais ce quotidien estival peut poser un problème de taille.

Habituellement, vous avez sans doute plus de temps pour penser à votre pratique du jazz, vous êtes sans doute installé.e dans une routine de travail, peut être au sein d’un cursus dans une école…
Autant d’éléments favorisant une progression rapide de votre niveau, sans que vous vous en rendiez forcément compte.

Une période de vacance, par essence, chamboule l’ordre établi et perturbe cette progression. Sans rythme imposé, vous prenez le risque de stagnerVoire de régresser !

À délaisser votre instrument, vos doigts vont « rouiller » et ne plus bouger aussi vite qu’avant. Votre oreille va prendre la poussière et vous prendrez plus de temps à repiquer des morceaux, ou vous repérer dans les grilles. Votre phrasé ne va plus swinguer aussi bien qu’habituellement, et toutes vos idées vont prendre un temps fou à arriver jusqu’à vos doigts, comme si votre cerveau peinait à suivre la cadence infernale du tempo qui défile.

Je ne sais pas vous, mais pour moi, ce sentiment de régression est un véritable cauchemar !
Pour peu qu’une jam se glisse au beau milieu de l’été, je me retrouve dépité à ne plus savoir quoi penser de ma pratique, après avoir passé 2 morceaux à pédaler dans la semoule…

Si cette situation vous parle, et que votre été rime avec « vacances en famille loin de votre instrument » lisez attentivement la suite. Dans cet article, je vous propose 3 étapes qui ont fait leurs preuves de mon côté, et vous éviteront le stress des doigts rouillés !

Étape 0 : Faire une (GROSSE) pause

Malgré tout ce que vous avez pu lire en introduction, vous pouvez faire le choix conscient et assumé de n’absolument RIEN faire pendant ces vacances. Cela peut même vous être bénéfique, à la condition de ne pas culpabiliser face à l’inactivité.

Une longue pause de deux ou trois mois m’a fait du bien par le passé. J’avais en effet accumulé beaucoup de frustration au cours de mon apprentissage… Ce break m’a permis de m’y remettre avec l’esprit frais et de pointer du doigt de mauvaises habitudes à bannir. En bref, de me recentrer sur l’essentiel.

En choisissant cette option, vous perdrez forcément en dextérité, mais le bénéfice peut être énorme, surtout si comme moi frustrations, mauvaises habitudes et mauvais état d’esprit parasitaient votre pratique.
Et, pas de panique, le jazz, c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas !

Si toutefois vous ne ressentez pas le besoin de faire une pause, et que vous ne voulez pas perdre en niveau, passons à la première étape.

Étape 1 : Planifier

À vos agendas ! Afin de ne pas être submergé par l’imprévu, prenons un peu de hauteur et contemplons ces deux mois qui s’annoncent plus ou moins denses selon chacun de nous.

Si vous aviez rempli un calendrier précis de vos vacances, c’est parfait. Sinon, faites-le ! Notez les endroits où vous allez être, la durée de vos séjours, les activités prévues…

Une fois que c’est fait, regardez le tout, et constatez comme moi qu’il vous reste quand même du temps libre. Quelques jours par-ci, quelques heures par-là, et même aux endroits où vous êtes pris, vous pouvez dégager du temps pour entretenir votre jazz.

Planifiez dès maintenant les créneaux où vous allez pouvoir le faire, notez si vous devez prendre votre instrument avec vous, etc… Cela va vous rassurer et vous pourrez passer à la 2nde étape.

Étape 2 : Fixer ses objectifs

Maintenant, réfléchissez à ce que vous voulez accomplir pendant ces vacances. Sans les échéances d’un cursus, vous n’avez peut-être aucune idée de ce que vous voulez travailler ! Pas étonnant qu’il soit dur de s’y mettre, si votre cerveau pense qu’il n’y a rien à faire…

Ou, inversement, vous avez peut-être l’impression d’être submergé.e par le travail à rattraper, et ne savez pas par où commencer.

Si vous avez beaucoup de concerts à préparer, vos objectifs sont vite fixés !
Si non, vous avez deux solutions. Soit vous voyez à long terme et fixez un gros objectif, soit vous découpez vos deux mois en objectifs plus petits.

Concrètement : J’ai pour projet de repiquer, rejouer, analyser et comprendre ce que fait le trompettiste Ambrose Akinmusire en intro de ce morceau :

Je pense que ça va me prendre un mois (sans me presser !), je considère cela comme étant un moyen/petit objectif.

Par contre, je veux pouvoir être en mesure de jouer 6 standards en guitare solo à l’issue de ces vacances. Sachant que j’aimerais repiquer quelques grilles de Julian Lage pour avoir plus d’idées dans mes propres chorus dans ce format bien particulier, et qu’il faut que j’adapte les 6 thèmes pour jouer en même temps mélodie et accords, c’est un gros objectif (qui risque lui de me prendre toutes les vacances).

Pour venir à bout de vos objectifs, la clé est de morceller :

  • Objectif : Jouer 6 standards en guitare solo.
  • Sous-objectifs : Repiquer Julian Lage, adapter mes 6 thèmes, trouver intro et coda pour chaque.
  • Actions concrètes à réaliser aujourd’hui : 1 nouvelle phrase de Lage à apprendre, trouver la bonne tonalité et travailler à trois tempo I Should Care, écouter ce podcats de Learn Jazz Standards pour trouver une idée de coda.

Pour fonctionner de cette manière, vous devez être capable de définir vous même en toute autonomie les bons exercices qui vont vous permettre d’atteindre vos objectifs.
Si vous avez du mal à faire cela, demandez à un prof ou à un camarade jazzman plus expérimenté de vous aider.

De cette manière, vous pourrez passer à la 3e et dernière étape :

Étape 3 : Se dégager un espace de travail (confortable), et s’y mettre !

Depuis peu, je mets un point d’honneur à travailler dans des espaces dédiés à ma pratique, notamment après la lecture de cet excellent article (en anglais) du site Jazzadvice.
Pour vous montrer à quel point c’est important, laissez-moi vous raconter une anecdote :

« C’est les vacances ! L’occasion pour moi de passer quelques semaines à la campagne chez mes parents. Cela induit forcément un chamboulement d’emploi du temps et d’espace de travail, mais j’y fais face en me fixant des objectifs dès le premier jour, en me dégageant un espace confortable pour travailler ma trompette et poser mon ordinateur afin de réaliser des enregistrements, mixer, composer, etc…

Cependant, au bout de la première semaine, je me rends compte que je n’ai pas touché à ma guitare, je n’ai pas joué une seule note, ce qui pour moi est carrément inhabituel. Il faut dire que j’ai eu moins de temps à lui consacrer que d’habitude, et puis, j’ai perdu de vue ce que je voulais accomplir pendant ces vacances sur cet instrument… Comble de tristesse, l’instrument est resté dans sa housse, à l’autre bout de la maison, et une ou deux araignées y ont même élu domicile !

Ni une, ni deux, je m’en empare, saisis un pied, un vieil ampli qui traînait par là (qui au final fait parfaitement l’affaire !), et installe le tout à côté de mon bureau, en gratouillant un peu au passage. Je vais même jusqu’à déposer un bout de papier et un crayon sur l’ampli, afin de me noter ce que je veux faire le lendemain pour avancer dans mes objectifs.
Résultat des courses la semaine suivante : J’ai travaillé ma guitare tous les jours, progresse de manière efficace dans mes objectifs et ai toujours du temps pour faire tout le reste, alors que mes journées n’ont pas rallongé par miracle. »

Pour moi, ce que je viens de vous dire est la preuve concrète que l’espace que vous vous créez pour travailler est presque aussi important que ce que vous travaillez.

Pour conclure ce point je terminerai avec un conseil de Joe Pass que m’a transmis un de ses élèves (qui est maintenant un de mes profs), Frédéric Loiseau : « Veille à ce que ta guitare soit toujours sortie de sa housse à la maison ».

C’est évident, mais terriblement juste !

Conclusion

Voilà, vous êtes parés pour faire face aux vacances et réussir à progresser envers et contre tout. Ou du moins… À ne pas régresser !

  • Dès à présent, si possible, planifiez vos vacances et dégagez des plages dédiées à votre pratique musicale. Rappelez-vous, 10 minutes de travail efficaces valent mieux qu’une heure à travailler n’importe comment (cf cet article). Même si votre emploi du temps est surchargé, vous avez bien 10 minutes de libre…
  • Ensuite, fixez vous un gros ou plusieurs petits objectifs. Le ou les morceller rendra la tâche plus claire et abordable.
  • Enfin, réfléchissez à un endroit où vous vous sentirez bien pour travailler convenablement.
  • N’oubliez pas de travailler !

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10 bonnes raisons de relever (repiquer, retranscrire…) des solos de jazz

C’est un véritable passage obligé pour un jazzman, les plus grands s’accordent à le dire : Relever des solos de jazz est un travail essentiel. Malgré cela, il y a des bonnes raisons pour que cet exercice vous lasse, voir qu’il vous insupporte !
Après tout, c’est normal d’en avoir marre de passer des heures à distinguer un Ré bécarre d’un Ré bémol, de ne pas entendre cette fichue contrebasse, de ne pas savoir sur quel temps tombe cette satanée mise en place, de recoller note après note les morceaux inintelligibles de cette phrase en double-croches…

Ainsi, il est possible que vous ayez lâché l’affaire, et concentré vos efforts sur un autre exercice moins exigeant !

Dans ma pratique personnelle, il m’est arrivé de ne plus retranscrire de solo pendant des mois ! La première chose que je retiens de cette période, c’est une impression de stagnation. Une désagrable sensation de ne pas avoir progressé, en tout cas pas autant que les moments où ma pratique était organisée autour de la transcription.

C’est pourquoi je vous présente 10 bonnes raisons de relever des solos de jazz, autant de raisons qui vous feront voir l’exercice autrement, et vous convaincront de vous y atteler de nouveau (ou de ne pas arrêter !).

1. Relever des solos nous fait absorber la tradition

J’ai une petite question pour vous :

Avez vous déjà écouté un jazzman d’aujourd’hui qui vous a fait penser à un jazzman d’hier ?

Les exemples sont multiples :

  • Christian Scott ressemble à Miles Davis comme deux gouttes d’eau ;
  • Il y a du Bud Powell et du Art Tatum chez Pasquale Grasso ;
  • Le style icônique de Thelonious Monk est copié par tous les grands pianistes de Chick Corea à Kenny Barron en passant par Fred Hersch…

Tous ces jazzmen ont relevé leurs aînés et rejoué des heures durant leurs tics, tocs, gimmicks et autres licks. Tels des éponges, ils ont absorbé leurs manières de phraser, articuler, nuancer…

Personnellement, quand je me réécoute, j’arrive à relier tous les éléments de mon jeu aux solos que j’ai relevé, ou aux jazzmen/disques précis que j’ai écouté en boucle.

Le mot « tradition » en jazz désigne tout l’héritage qu’ont en commun les plus grands et auquel il faut emprunter pour devenir bon à son tour.
Quoi de plus puissant pour s’en imprégner que la transcription ?

2. Relever des solos nous fait jouer du jazz de la « bonne » manière

Ce second point est dans la directe continuité du premier.

Bien sûr, il existe beaucoup de façons de jouer du jazz, selon le style, l’époque, les jazzmen ou groupes que l’on adore… Mais, pour la plupart, les millions de solos gravés sur micro-sillon sont autant de points de référence quant à comment « bien » jouer le jazz.

Relever Miles Davis par exemple nous informe sur les « bonnes » notes à utiliser, la « bonne » manière de se placer, une certaine « bonne » façon d’organiser ces notes pour arriver à jouer de « belles » phrases.

Le jeu de Sonny Rollins est bien différent de celui de Miles, mais sa manière de phraser et les notes qu’il utilise sont tout aussi « bonnes ».

Toutes ces heures passées à reproduire le jeu des grands jazzmen est autant de temps dédié à « bien » jouer du jazz. À se placer correctement, à articuler de la bonne manière, à jouer de belles phrases, et donc à bien sonner à notre tour.

3. Relever des solos étend notre vocabulaire

Ce troisième point va vous paraître plus évident, vous y avez sans doute pensé dès la lecture du titre de cet article ! Et pour cause, pour étendre son vocabulaire, avoir plus d’idées et d’histoires à raconter sur les grilles de jazz, la transcription est une excellente solution.

Votre travail peut être centré sur une phrase en particulier, à transposer dans les douze tons et à jouer sur une cadence précise. Mais il peut être aussi plus chirurgical et concerner une articulation, une manière d’approcher une note guide, un timbre spécifique, une technique particulière…

En jam, j’ai même surpris plusieurs fois des phrases de solos que je n’avais même pas travaillé spécifiquement jaillir de ma trompette !

Si vous avez la bonne méthode, retranscrire des solos de jazz va étendre très rapidement vos capacités de jeu, et vous rendre confortable dans beaucoup de situations différentes.

4. Relever des solos fait travailler notre oreille et notre rythme

Restons pragmatique ! L’oreille et le sens du rythme sont deux compétences clé chez un jazzman, aussi utiles pour se repérer dans un morceau que pour être à l’aise en le jouant.

« Dépourvu » d’oreille, vous ne pouvez pas jouer sans grille, et si vous vous perdez, aïe aïe aïe. Peu précis rythmiquement, votre jeu va paraître maladroit, et si la rythmique se complexifie…

Quel rapport avec le relevé de solo ? Eh bien, le repiquage vous fait compter les temps et vous force à reconnaître des intervalles et des figures rythmiques pendant des heures et des heures.
Cela ne peut être que bénéfique pour développer vos compétences.

5. Relever des solos nous pousse à nous dépasser

Si vous vous attelez au repiquage d’un virtuose, vous allez forcément arriver à un point où vous n’avez pas la technique nécessaire pour exécuter un passage. Devant ce constat, deux choix s’offrent à vous :

  • Le passage est vraiment trop complexe, vous l’esquivez donc (ou vous le simplifiez) pour pouvoir vous concentrer sur ce qui vous paraît à votre niveau.
  • Ou bien vous sentez que la difficulté peut être surmontée, et vous entreprenez un travail technique pour en venir à bout.

La seconde solution peut vous prendre beaucoup de temps (j’ai récemment relevé un morceau qui a nécessité plus de deux mois de boulot !).
Mais le travail technique fourni en vaut la peine, car il élève votre niveau et vous fait progresser.

De plus, les choses qui vous paraissaient complexes jusqu’alors ne semblent plus aussi difficiles…

6. Relever des solos nous connecte aux autres

Laissez-moi vous raconter une anecdote pour expliquer ce point.

Je me trouve sur la scène d’un club, en bonne compagnie, à monter l’après-midi pour le soir même un répertoire dédié à la musique de Duke Ellington. Nous jouons ce soir là en Septet, avec dans la formation deux trompettistes (moi y-compris).

Au cours de la répétition, nous déchiffrons un morceau au tempo médium et qui a pour tonalité Ré bémol. Un des deux trompettistes doit faire un solo. Nous nous essayons alors à jouer sur la grille, l’un après l’autre. Je ne sais plus qui a commence, mais après que le premier ait terminé, l’autre lui lance un regard amusé signifiant : « J’ai compris ce que tu viens de faire ! ».

Et pour cause, le premier trompettiste avait cité (plus ou moins consciemment) le début d’un chorus de Clifford Brown qui collait avec la grille. Le second l’avait manifestement aussi travaillé, et vous pouvez être sûrs qu’il l’a cité par la suite !

Ce petit moment amusant a eu pour effet d’apaiser l’ambiance, de faire retomber le stress, et a montré de manière évidente les points communs entre nous deux.

De la même manière, lorsqu’en jam, vous citez de manière évidente un gimmick connu (La Cool Blues Lick, des groupings, etc…), ou tout autre partie incontournable du répertoire que vous avez relevé, les autres membres du groupe vont forcément réagir !

Ce genre de connexion est bénéfique, et uniquement faisable si vous repiquez du langage jazz régulièrement.

7. Relever des solos permet de mieux jouer les différents styles de jazz

Je pars du principe qu’il est mieux d’adapter son jeu aux différentes situations que nous rencontrons en tant que jazzman.

En effet, il est possible dans la même semaine de jouer dans les styles New Orleans, Be-bop, Swing, Jazz contemporain, Jazz-Pop, etc…

Comment réagissez-vous pour être le plus cohérent possible au sein de chaque groupe ? À chaque style appartient un vocabulaire différent.

Relever des solos afin de s’imprégner de ce vocabulaire est donc indispensable !

8. Relever des solos donne les réponses à toutes les questions

Vous avez bien lu ! Vous pouvez trouver toutes les réponses aux questions que vous vous posez dans un solo/morceau/accompagnement de jazz.

Comment jouer sur un ii V i mineur ? Repiquez Bill Evans ou Clifford Brown.
Je n’arrive pas à bien utiliser la gamme blues ? Le thème Sandu commence par un plan blues !
Comment jouer moderne ? Écoutez/Repiquez Chris Potter, Brad Mehldau, Michael Brecker, Ben Wendel et tant d’autres !
Comment composer un morceau comme Dave Holland ? À moins de lui demander ou de prendre un cours avec lui, la seule solution et de… Repiquer ses compositions !

Bien sûr, il est parfois difficile de savoir où chercher les réponses…
C’est pourquoi la culture d’un prof qui s’est déjà posé ces questions avant vous est indispensable.

Vous pouvez aussi lire des articles comme celui-ci… À bon entendeur !

9. Relever des solos nous fait penser différemment

De la même manière qu’il étend notre vocabulaire, le relevé peut ouvrir nos possibilités de réflexion en nous confrontant à des instruments différents du notre.

En tant que trompettiste, j’ai bien sûr relevé énormément de trompette, afin de m’imprégner de la tradition de l’instrument. Mais j’ai aussi relevé du sax, de la guitare, du trombone, du piano, de la batterie… (pour ensuite les rejouer à la trompette). Ce, dans le but de comprendre comment les autres instrumentistes pensent en fonction de leurs instruments respectifs.

En effet, l’ergonomie de notre instrument a vite fait de nous cantonner à une manière précise de jouer. Par exemple, un pianiste joue beaucoup plus horizontalement (avec des arpèges…) qu’un contrebassiste car ses mains se sont habituées aux empreintes des accords.
Relever des solos de pianistes permet donc à un contrebassiste de penser son instrument différemment.

Un bon exemple de jazzman repoussant les limites de son instrument est le guitariste Pasquale Grasso :

Il a réussi à se rendre unique en adaptant le langage du pianiste Bud Powell (entre autres) à la guitare. Et personne n’avait rien entendu de tel jusqu’alors (je n’invente rien, c’est Pat Metheny qui le dit…) !

Sa guitare sonne vraiment comme un piano, si vous voulez savoir pourquoi… Repiquez-le !

10. Relever des solos est un travail gratifiant

Quel bonheur d’enfin arriver à bout de cette phrase qui nous a donné du mal pendant des heures et des heures !
Quel sentiment jouissif de prendre la place de Miles Davis en étant accompagné par sa rythmique légendaire !
Que c’est agréable d’entendre intégré à notre jeu un plan que nous travaillions d’arrache-pied !

Ce point est sans doute le plus important. Si vous n’aimez pas repiquer des solos, n’en retirez aucun plaisir, alors ne le faites pas !

Mais ça m’étonnerait…

Conclusion

Voilà donc 10 bonnes raisons de repiquer des solos de jazz.
En bref, relever des solos :

  1. Nous fait absorber la tradition
  2. Nous fait jouer du jazz de la « bonne » manière
  3. Agrandit notre vocabulaire
  4. Fait travailler notre oreille et notre rythme
  5. Nous pousse à nous dépasser
  6. Nous lie aux autres
  7. Permet de mieux jouer les différents styles de jazz
  8. Donne des réponses à toutes nos questions
  9. Nous fait penser différemment
  10. Est un travail gratifiant

Je suis sûr que cet article vous a donné envie de reprendre cet exercice si vous l’aviez abandonné ! Pour autant, si vous ne savez pas par où commencer et qu’il faut que vous bossiez votre swing, cliquez ici.

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Image de couverture : Billy Strayhorn, New York, N.Y., between 1946 and 1948. William P. Gottlieb. Domaine public. Restauration : Adam Cuerden

La Substitution Tritonique : un bon point de départ pour sonner « out »

Le ii V I n’a plus de secrets pour vous ? Malgré tout, vos idées ne ressemblent pas aux phrases sophistiquées que jouent les grands jazzmen sur cette cadence ? Comme eux, vous voudriez varier votre vocabulaire harmonique, sonner « moderne » mais vous ne savez pas par où commencer ? Cet article est fait pour vous. Aujourd’hui, je vous présente un outil simple et efficace pour ajouter un peu de piquant à vos ii V I : la Substitution Tritonique. 

Qu’est-ce que la Substitution Tritonique ? 

La substitution tritonique est un type de substitution harmonique utilisé très couramment en jazz.
Il s’agit de remplacer (ou « substituer ») l’accord de Ve degré d’une cadence V -> I par un autre accord de Ve degré, dont la fondamentale est située à un intervalle d’un triton de celle de l’accord substitué.

D’emblée, quelques petites précisions :

  • Le Ve degré a toujours dans le cas des accords à 4 sons une couleur 7. Ses notes sont, par rapport à la fondamentale : (Fondamentale), Tierce majeure, Quinte juste, et 7e mineure.
    La substitution tritonique est aussi un Ve degré, elle a pour conséquent une couleur 7.
  • Le mot « triton » est l’autre nom de l’intervalle de 4te augmentée ou quinte diminuée, composé de tout pile 3 tons (d’où le surnom !)

Voici un exemple pour plus de clareté :

Prenons une cadence V -> I en Do majeur : G7 -> Cmaj7.
Il suffit de trouver la 4te augmentée ou quinte diminuée de la fondamentale de G7, Sol. C’est la note Ré bémol (ou Do dièse).

La substitution tritonique de G7 est donc Db7, et notre cadence G7 -> Cmaj7 devient Db7 -> Cmaj7.

Voici le son de ces deux cadences, l’une après l’autre : 

Ça sonne super non ? 

Mais je sens que j’ai éveillé plusieurs questionnements en vous !

Comment fonctionne la substitution tritonique ? Pourquoi peut-on l’utiliser ?

Je ne vous cache pas qu’il y a une astuce !

Prenons les notes de G7 : Sol, Si, Ré, Fa.
Laissons de côté la quinte, Ré, car elle n’est au final pas aussi essentielle que la tonique (Sol), la tierce (Si), et la septième (Fa) de l’accord. 

G7 tend à résoudre vers Cmaj car il contient les sensibles de la tonalité de Do majeur, Fa et Si (si vous vous demandez pourquoi, un petit détour par ici s’impose).
Le Fa de G7 résout sur le Mi de Cmaj, et de la même manière le Si résout sur le Do (ou reste sur un Si, si notre accord de résolution est un Cmaj7 a 4 sons).

Comme ceci : 

Cette conduite de voix est l’essence de l’harmonie tonale. Ce phénomène d’attirance du Ve degré pour le Ier degré est ensuite malaxé et enrichi par les compositeurs pour donner nos grilles de jazz.
Mais quel rapport avec la substitution tritonique ? 

Eh bien, si G7 tend à résoudre sur Cmaj7 parce qu’il contient les notes Fa et Si, tout accord contenant les notes Fa et Si tendra à résoudre vers Cmaj7. Pouvez vous penser à un autre accord contenant les notes Fa et Si (ou leurs enharmonies Mi dièse et Do bémol) ? 

Exactement… Db7 ou C#7

De plus, dans la cadence Db7 -> Cmaj7, le mouvement des toniques est lui aussi acteur de l’effet de tension/résolution. Dans la tonalité de Do majeur, la note Ré bémol est hautement explosive, extrêmement dissonante, elle se détend donc volontiers sur le Do situé juste un demi-ton au dessous d’elle.

Dans ces exemples, j’utilise Db7
mais pouvons-nous aussi noter C#7 ?

Très bonne question !

En fait, les deux accords sont enharmoniquement similaires.
C’est à dire qu’à l’oreille, ils sont identiques, alors que sur une partition, ils ne sont pas constitués des mêmes notes :

  • Db7 = Db F Ab Cb
  • C#7 = C# E# G# B. 

Dans mon exemple avec la cadence parfaite en Do majeur, je substitue le G7 par Db7, la note Ré bémol étant située à une quarte augmentée descendante (ou quinte diminuée ascendante) par rapport à la note Sol.
Mais j’aurais tout aussi bien pu prendre C#7, la note Do dièse étant quant à elle située à un intervalle d’une quinte diminuée descendante (ou quarte augmentée ascendante) par rapport à Sol.

Je vous rappelle que tous ces intervalles, ascendants ou descendants, font au final trois tons = des tritons !

Sauf que C#7 pose un léger problème avec notre point d’arrivée, le Ier degré, Cmaj7. En effet, la note Do dièse est située à un intervalle d’un unisson augmenté par rapport à Do, alors que la note Ré bémol est située à une seconde mineure de Do.

À mon sens, il est plus facile de penser « seconde mineure » que « unisson augmenté », je préfère donc choisir : Db7 -> Cmaj7. 

Et concrètement, à quoi sert la Substitution Tritonique ? 

Comme je le disais dans mon introduction, si vous avez envie d’ajouter un peu de sophistication à votre jeu et pimenter un peu l’harmonie, La substitution tritonique est un des moyens les plus simples, élégants et communs de le faire. C’est à dire ?

  • Dans votre improvisation : Au lieu de jouer tout le temps la même chose sur vos Ve degrés (mode mixolydien, arpège de l’accord, gamme be-bop…), vous pouvez utiliser cet outil et sortir brièvement de l’harmonie (« jouer out« ). Vos auditeurs et vos collègues jazzmen tendront l’oreille, à coup sûr !
  • Dans votre accompagnement : Idem, au lieu d’utiliser tout le temps les mêmes accords dans vos cadences, réharmonisez à l’aide de cet outil, et secouez un peu le soliste !
  • Dans vos compositions/arrangements : Si vous voulez avoir une écriture un peu plus moderne et moins monotone, insérez une substitution tritonique là où une cadence V -> I paraît redondante. C’est un moyen élégant d’arriver au même endroit sans passer par le même chemin, harmoniquement parlant.
    (La musique de Monk contient de nombreux exemples !)

Super ! Et comment doit-on s’y prendre exactement ? 

Le moyen le plus facile d’utiliser la substitution tritonique est d’utiliser les 4 notes de l’accord. C’est certes basique, mais utilisé par les grands jazzmen.

Laissez-moi vous donner un exemple :

Au lieu de jouer ceci :

Je peux utiliser la substitution tritonique et jouer cela :

Puissant non ? Jouer out est plus simple qu’il n’y paraît !

Si vous voulez aller plus loin et utiliser plus de notes, il va falloir que je mette les mains dans le cambouis et vous parle de modes.

Db7 a une couleur 7, le mode à jouer sur ce type d’accord est donc… Le mode mixolydien.

C’est une option valable, elle permet de jouer des phrases qui vont sonner vraiment hors de notre tonalité de départ.
Comme cette phrase de Wes Montgomery sur D Natural Blues

(Oups, ne tenez pas compte de la dernière note de ma transcription qui n’existe pas !)

Mais cette option n’est pas la plus commune.

Avant de vous dévoiler le mode privilégié par les jazzmen, laissez-moi vous révéler une chose : la substitution tritonique s’applique aussi aux cadences V -> i (cadence parfaite en tonalité mineure).

Si vous êtes un lecteur assidu de mes articles, vous savez déjà quel est le mode le plus utilisé pour jouer le Ve degré dans la cadence V -> i. 
Je vous laisse réfléchir…

Il s’agit du mode Altéré (Si vous avez besoin d’un autre rappel, par ici). 

Bon, mais quel rapport avec notre substitution tritonique ?? 
En fait, la clé est dans ce mode Altéré. Prenons G7alt, qui résoud vers C- : 

Voici son mode, ne remarquez-vous pas quelque chose ?

Le mode de Sol Altéré contient un Ré bémol !

Il contient aussi les notes Fa, et Do bémol (ou Si bécarre), ce qui veut dire que nous avons tous les ingrédients pour confectionner un Db7 ! (qui est pour rappel la substitution tritonique de G7)

Ainsi, si nous démarrons la gamme de Sol altéré par Ré bémol, nous obtiendrons un super mode (en l’occurrence, le mode lydien bémol 7) pour notre substitution tritonique !

Le voici :

Le voici en action : 

Il peut aussi être utilisé dans la cadence V -> I (majeure donc) :

Le mode lydien b7 apporte un son plus « soft » à la substitution tritonique, et paraît ainsi moins out que le mode mixolydien. C’est sans doute pour ces raisons que les jazzmen l’aiment tant.

Y a-t-il d’autres choses à savoir avant  d’aller travailler ce formidable nouvel outil ? 

Oui, j’ai encore deux ou trois petits détails importants à ajouter. 

1. La notation. 

Si on veut chiffrer la substitution tritonique quand on analyse une grille, il faut utiliser la notation subV.
Ainsi, la cadence majeure V -> I avec substitution tritonique se note simplement subV -> I.

2. Le ii V substitué

Si vous avez révisé votre harmonie tonale, vous savez qu’il est commun d’ajouter un accord de sous-dominante avant un accord de dominante dans une cadence parfaite.
Traduit en langage jazz : Il n’est pas rare d’avoir un iind degré avant le Ve degré pour aller sur le Ier degré. Ça nous donne notre cadence fétiche en jazz, le ii V -> I

Comme vous le savez maintenant, la substitution tritonique est un Ve degré. Cependant, elle est le Ve degré d’une autre tonalité que le Ier degré sur lequel elle résout (en tant que substitution tritonique).

C’est-à-dire, en Do majeur : V -> I = G7 -> Cmaj7.
Substituons tritoniquement le G7 qui devient Db7.

De quelle tonalité Db7 est-il normalement le Ve degré ?
Réponse : La tonalité de Gb Majeur.

Pourquoi ce cheminement ? Car si Db7 est le Ve degré de Gbmaj7, on peut le faire précéder par son iind degré correspondant, en l’occurrence Ab-7 (Le ii V -> I en Gbmaj est Ab-7 Db7 -> Gbmaj7). Et ce, même si Db7 est utilisé en tant que substitution tritonique.

Il est donc possible de substituer la cadence V -> I d’origine (G7 -> Cmaj7) par Ab-7 Db7 -> Cmaj7. 

Voici ce que ça donne en musique :

Ajouter un iind degré avant la substitution tritonique a pour effet d’emmener l’oreille loin de notre tonalité de départ. Le ii V substitué trace une route claire vers le Ier degré de la tonalité d’où est tirée la subV.
Par conséquent, la résolution vers notre « vrai » Ier degré a pour effet un virage harmonique très serré.

3. La substitution tritonique au sein du ii V -> I

Il n’est peut-être pas utile de le préciser, mais la substitution tritonique peut se glisser au sein du ii V -> I « classique », en conservant le iind degré de notre tonalité de départ. Cela donne la progression ii subV -> I, qui sera sans doute celle que vous rencontrerez le plus souvent dans vos grilles.

Conclusion 

Voilà, vous avez maintenant tout ce qu’il vous faut pour comprendre et utiliser la Substitution Tritonique

Dans cet article, vous avez appris pourquoi elle fonctionne, son utilité, comment l’utiliser et même comment la chiffrer sur une grille !

Vous pouvez dès maintenant chercher dans votre Realbook si vos grilles favorites en contiennent (Par exemple, ‘Round Midnight à la 7e mesure du A), et même la tester sur des standards « faciles » comme All of Me ou Autumn Leaves

Si vous avez des questions, des points que vous ne trouvez pas clairs, laissez un petit commentaire en bas de l’article, j’y répondrai avec plaisir. 

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Image de couverture : Photo portrait of American jazz guitarist, posed with a Gibson L-5, from a 1967 print advertisement for Gibson guitars. Photo first published by Gibson. According to NPR, the photo was taken by Chuck Stewart. Domaine Public.

3 manières d’intégrer des motifs dans vos solos (merci Kenny Garrett !)

Marre de jouer les mêmes phrases dans tous vos chorus ? D’improviser tout le temps avec les mêmes idées ? Le public et la section rythmique s’endorment pendant vos solos…? Un radical changement dans votre vocabulaire s’impose. 

Si vous êtes comme moi, vous n’avez pas envie de passer pour quelqu’un qui fait du remplissage, qui ressort pour la millième fois ses clichés be-bop qu’on a entendu (en mieux) partout ailleurs. Au contraire, vous voulez que vos chorus racontent une histoire, que votre jeu soit connecté à la section rythmique, et au final captiver les gens qui vous écoutent

Une façon très commune, facile, et puissante d’y parvenir est d’utiliser des motifs dans votre improvisation. Prendre une de vos idées et la répéter au moins une fois, tout en la développant.

Cela peut paraître facile et évident, mais bien souvent, nous n’y pensons pas, ou bien une fois sur deux nous essayons mais sans être très clairs, ou alors nous le faisons constamment de la même manière

Car oui, il y a plusieurs façons de faire apparaître un motif au cours de votre improvisation, et si vous faites toujours la même chose… Vous allez paraître ennuyeux, scolaire et peu inspiré.e…

Alors, comment font les grands jazzmen pour créer des motifs ?

Pour répondre à cette question, j’ai réécouté quelques solos d’une référence en la matière : Kenny Garrett. Vous connaissez sans doute cette légende du sax alto, qui a absorbé TOUT le langage be bop, pour ensuite innover en l’utilisant de manière inconventionnelle et sonner « out ». Eh bien, il utilise des motifs dans chaque solo qu’il prend, c’est vraiment une part essentielle de son jeu.

Garrett crée ses motifs de 3 manières différentes, que je vais vous présenter dans cet article.

Remarque : Je vais me concentrer sur la création et non le développement des motifs dans l’improvisation. Si ce dernier point vous intéresse, voici une vidéo très intéressante (en anglais) qui analyse un solo de Paul Desmond.

1ère manière de créer un motif : Reprendre une fin de phrase

C’est la plus évidente, donc j’en parle en premier. Il s’agit simplement de reprendre la fin de notre phrase précédente, et de la répéter. Cela a pour effet de renforcer notre message, et construire notre discours en insistant sur ce que nous venons de dire. 

Garrett crée ce genre de motifs très souvent. Par exemple, dans son solo sur Ornithology, il l’utilise dès le stop chorus, en reprenant les deux notes de la fin de la mélodie : 

Même si j’avais dit que je n’en parlais pas (considérons cela comme un petit bonus !), le développement de son motif est intéressant : il octavie ces deux notes un peu au hasard, donnant un effet accidenté singulier, et réussi.

Ce type de motif réapparaît dans le même chorus, de manière plus évidente :

À un autre endroit, il joue avec le dernier segment d’une de ses phrases, le répète deux fois, puis le re-cite une troisième fois un peu plus loin. Ça raconte tout de suite une histoire :

Vers la fin de son chorus, il enchaîne sur une citation du thème de Charlie Parker Cool Blues, un grand cliché d’improvisation be bop. Il l’utilise comme à son habitude de manière inconventionnelle en reprenant la petite trille de fin pour la décliner 6 fois :

Vous pouvez travailler cette première manière de créer un motif dès maintenant. Jouez une phrase sur un standard, et au moment de la terminer pour en débuter une autre, mémorisez ce que vous êtes en train de jouer. Répétez ensuite cette fin de phrase, en la développant au besoin selon l’harmonie. 

Travaillez ceci dans un premier temps de façon systématique, sur toute une grille. Ensuite, parsemez plus ponctuellement vos improvisations de ce type de motifs. 

Remarque importante !

Attention à ne pas tomber dans le piège classique de l’improvisation motivique, qui a vite fait de nous faire sonner scolaire et cliché dès lors qu’on l’utilise trop souvent.

Dans un autre solo de Garrett sur Mack the Knife, je trouve qu’il répète la fin de ses phrases un peu trop fréquemment, comme « par défaut ». 

Il l’utilise une première fois de 1’11 à 1’21 (mesures 43 à 46 de la vidéo), et recommence avec la phrase qui commence à 1’50 (mesure 63), développant une autre super idée sur 4 mesures.
Il aurait pu s’arrêter là, mais pour terminer sa phrase, il réutilise la fin du motif qu’il vient de décliner et la répète (à partir de 2’02, mesures 70-72), ce qui est à mon goût « le motif de trop » !

À utiliser avec parcimonie…

2nde manière de créer un motif : Répéter un segment entier, ou carrément toute une phrase

Cette seconde manière est la plus basique (mais curieusement pas la plus utilisée) de faire apparaître un motif dans notre solo.
Il s’agit simplement de jouer une ou deux notes, ou un segment mélodique un peu plus long, ou bien une phrase entière, puis de la/le répéter.
(Il ne s’agit plus de reprendre la fin d’une phrase mais bien la phrase dans son intégralité).

Garett l’utilise de manière significative au début de son solo sur Mack the Knife de 0’56 à 1’18 (mesure 33-44) :

Sa phrase de départ est une réinterprétation de la mélodie. Il la répète deux fois, en la développant différemment, d’abord en changeant la fin, puis en la transposant.

Voici un autre exemple sur le morceau Not You Again (une démarcation de There Will Never Be), où Garrett transpose une petite phrase d’une mesure :

Ou encore ici, sur le début d’une grille de Giant Steps, avec comme motif de départ seulement trois notes (une triade descendante) :

Il n’y a pas de grande différence entre cette manière de créer un motif et la première que je vous ai exposée, mais en variant les deux, et la longueur du motif (une ou deux notes, une petite phrase d’une mesure, une phrase plus longue…) on évite le piège du « motif de trop » !

3e manière de créer un motif : Jouer avec un motif rythmique 

La troisième manière de jouer avec ces motifs est un peu à part, car elle repose à 100% sur un seul paramètre : le rythmeIl s’agit de jouer sur une note ou deux, et de la/les répéter suivant un débit précis ou bien une clave.

De cette façon, vous parlez le langage de la section rythmique, et vous pouvez vous attendre à ce qu’elle réagisse et vous rejoigne !

Garett l’utilise de manière concise sur Not You Again

Ou sur une plage beaucoup plus longue dans Giant Steps :

Il fait varier plusieurs notes sur un débit de noires pointées dans Mack the Knife à 1’39 (mesures 57-62) : 

Cette manière de rassembler les notes est très commune, on appelle cela un « groupe de trois » (ici groupe de trois croches, parfois notées sur le relevé avec un débit de noire pointée, ou une noire liée à une croche, ou une croche et un soupir…).

Un petit mot sur les Groupings

Les groupings désignent le fait de répéter un débit précis sur une durée conséquente. C’est à dire faire le choix de n’utiliser qu’un seul débit (un groupe de X croches, noires, croches pointées, etc…) sur plusieurs mesures.

Leur utilisation devient intéressante en groupant des débits impairs sur une métrique paire, comme dans l’exemple ci-dessus où Garrett répète un groupe de 3 croches sur une métrique 4/4 qui en contient 2 par temps. Les points d’appuis se retrouvent déplacés, créant un fort contraste rythmique.

L’utilisation des groupings est un sujet très vaste, mais j’ajouterai juste une autre démonstration avec un autre groupe impair très commun, le groupe de 5 :

Vous avez sans doute remarqué que nous avons changé d’instrumentiste ! À vrai dire, j’avais sous le coude ce chorus de Wynton Marsalis sur Giant Steps qui montre une utilisation d’un grouping en tant que motif. Dans l’extrait, il utilise le groupe de 5 croches en en jouant 4 et en laissant la dernière silencieuse.

À ce tempo, c’est assez délirant, et sur ce type de grille encore plus !!!

Conclusion

Vous savez désormais comment Kenny Garrett fait apparaître des motifs dans ses improvisations.
Comme lui, vous pouvez maintenant :

  • Reprendre la fin de votre phrase précédente
  • Créer un segment de phrase ou une phrase entière puis le/la répéter
  • Ou encore utiliser une cellule rythmique, comme une clave ou un groupe de notes.

Utiliser des motifs dans votre improvisation va varier votre vocabulaire, provoquer la rythmique, et au final enrichir votre discours et faire de vous un meilleur improvisateur.

Travaillez ces trois manières distinctes dès maintenant sur n’importe quelle grille de votre choix, d’abord à un tempo modéré et en gardant le motif sur toute une grille. Puis improvisez librement, et surprenez-vous à en créer au milieu d’un de vos solos !

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Et partagez cet article s’il vous a été utile. C’est votre manière de me remercier !

Si vous avez la moindre remarque, question, précision, écrivez un petit commentaire ci-dessous, je vous répondrai avec plaisir.

Image de couverture : Kenny Garrett mit seinem Quintett im Stadttheater Rüsselsheim Hinterbühne am 29. Oktober 2013. 29 October 2013. Jens Vajen. CC BY-SA 4.0