Groupes rythmiques (groupings) : Augmentez votre vocabulaire rythmique

J’ai une devinette pour vous :
Comment se distinguer dans un groupe où tout le monde joue de belles notes ? … En les jouant bien en place !
Plus sérieusement, le rythme est Le paramètre qui rend votre jeu intéressant. Après tout, une note bien rythmée dans un solo vaut mieux qu’une longue suite de croches maladroites.

Si vous avez atterri sur cet article, c’est que vous trouvez que vos solos manquent de pêche côté rythmique. Que toutes vos phrases se ressemblent un peu, et que sur la longueur, vos idées se répètent.

Devant ce constat, beaucoup de solutions s’offrent à vous. Vous pouvez jouer avec différents placements comme je l’explique dans cet article, varier vos débuts et fins de phrases, jongler entre différents débits

Mais aujourd’hui, nous allons nous intéresser à un procédé assez simple, popularisé dans les années 60 par des instrumentistes comme Wynton Marsalis ou Kenny Garrett : Les groupes rythmiques (aussi appelés « groupes de notes » ou « groupings »).

Si vous avez lu mon article sur les équivalences, sachez que c’est un type de groupe rythmique, nous allons aller plus loin dans cet article. Et si vous êtes vraiment assidu·e, vous allez reconnaître ici certains exemples tirés de mon article sur Kenny Garrett et son utilisation des motifs. Commençons.

Qu’est-ce qu’un groupe rythmique ?

Le premier exemple est celui de Kenny Garrett sur Mack the Knife. Écoutez et constatez que son débit rythmique change à 1’40 :

Voici maintenant un second exemple, cette fois-ci de Wynton Marsalis. Écoutez la figure rythmique qu’il développe :

Comme vous pouvez le voir dans ces deux exemples :

Un groupe rythmique est une polyrythmie consistant à faire se superposer les appuis normaux d’une mesure et un groupement spécifique de ses subdivisions.
Pour que la polyrythmie soit intéressante, lorsque la décomposition du temps est paire, le groupe doit être impair. Inversement, lorsque la décomposition du temps est impaire, le groupe doit être pair.

Quelques petites précisions pour m’assurer que vous avez bien compris :

  • Polyrythmie : Superposition de différents rythmes entre eux.
  • Groupe impair : groupe de 3, 5, 7, … subdivisions
  • Groupe pair : groupe de 2, 4, 6, … subdivisions

Autrement dit, jouer un grouping consiste à répéter une figure rythmique dont les appuis se décalent par rapport à ceux de la mesure initiale.

Il est possible de ne jouer que la première subdivision de chaque groupe comme Kenny Garrett, ou plusieurs voire toutes les subdivisions internes du grouping comme dans l’exemple de Wynton Marsalis.

Créons ensemble un groupe de 3

C’est parti, apprenons à utiliser cet outil. Pour ce faire, voici de nouveau quelques rapides notions de base :

  • Temps de la mesure : Différentes pulsations à l’intérieur d’une mesure. Dans une mesure à 4/4, le temps est habituellement la noire.
    4/4 = 4 noires par mesure, donc 4 temps par mesure.
  • Subdivisions du temps : Décompositions du temps
    Un temps d’une mesure à 4/4 peut être découpé en de plus ou moins gros morceaux, qui sont nos subdivisions (croches, double-croches…)

Prenons maintenant une mesure à 4/4 binaire, dont le temps (la noire) est divisé en 4 double-croches.

Mon exemple audio dure 4 mesures, la voix du haut est jouée par un métronome avec un son aigu sur chaque 1er temps. La voix du bas est assurée par une caisse claire qui accentue les débuts de groupe.

Groupons maintenant ces subdivisions par 3 :

C’est super, mais avez-vous remarqué qu’un nouveau groupe démarre sur la dernière double-croche de la mesure, et est par conséquent incomplet ?

En effet, il manque la seconde et la troisième subdivision de ce dernier groupe. Ajoutons deux mesures afin que le début d’un groupe tombe sur le 1er temps d’une mesure :

Le cycle de notre groupe de trois est ainsi terminé. Constatez qu’il faut 3 mesures pour que le début d’un groupe coïncide avec un 1er temps. 3 mesures pour un groupe de 3, c’est plutôt pratique pour s’en souvenir, non ?

Cette loi est valable pour tout groupe rythmique : Le cycle d’un groupe de X dure X mesures (quelle que soit la métrique).

Maintenant, gardons seulement la première subdivision de chaque groupe :

Nous voilà avec 3 mesures de groupes de 3.

Le stade ultime de cette manipulation rythmique est, comme le fait Tony Williams avec les équivalences, de créer une sensation de nouveau tempo en se servant des débuts de groupes comme de « nouveaux temps ».

En voici une illustration avec 4 mesures d’un groove binaire basique suivies de 3 mesures du même groove, mais calé sur les appuis du groupe de 3 :

Prudence si vous utilisez cet outil en tant que soliste ! C’est plutôt rare, mais la rythmique peut vous rejoindre et créer cette sensation de tempo différent. Si jamais vous perdez le fil de la métrique de base, bon courage pour retomber en place !

Les autres groupes courants

Le groupe de 3 est le grouping le plus répandu. Cependant, il en existe d’autres. Nous allons dans cet article rester dans le cas d’une mesure binaire, découvrons donc les autres groupes impairs courants, les groupes de 5 et 7.

Pour des raisons autant pratiques que musicales, les groupes de 5 et 7 ont des divisions intérieures, et comportent donc plusieurs appuis.
La formule la plus fréquente pour les constituer est la suivante :

  • Groupe de 5 : un groupe de 2 + un groupe de 3 ;
  • Groupe de 7 : Deux groupes de 2 + un groupe de 3.

Si vous voulez constituer un groupe de 9, il suffit de rajouter un groupe de 2 au début : 2 + 2 + 2 + 3 = 9. Un groupe de 11 ? 4 groupes de 2, puis un groupe de 3. C’est aussi simple que cela !

Pour illustrer ces exemples, voici un extrait d’un solo du saxophoniste Stéphane Guillaume où il utilise de manière rapide le groupe de 5, en ne marquant que ses deux appuis internes :

Cela se passe exactement de 7’57 à 7’58, soyez à l’écoute :

Écoutez comme il retombe sur le temps avec la rythmique, c’est ce genre d’effet que vous visez en utilisant un groupe rythmique.

Pour un exemple plus accessible, consultez cette courte vidéo (moins d’une minute) sur la chaîne Youtube de Jazzcomposer.fr :

https://www.youtube.com/shorts/T2w9Er_hw58

Les groupes rythmiques et le swing

Si vous êtes toujours avec moi, vous vous dites peut-être :

« C’est super toutes ces mathématiques, mais comment je l’applique à mes bons vieux standards ?? »

À l’instar de Marsalis et Garrett, il suffit de grouper les croches swing.

En swing, un temps est divisé en 2 croches inégales. La première se rapproche de deux croches de triolet rassemblées, et la seconde, la troisième croche de ce triolet. Comme ceci :

Groupons maintenant ces croches par 3 (sur le schéma, la « grosse » note correspond à la première note du grouping) :

Et voilà le travail. Je ne vous cache pas que l’intégration de groupings dans votre jeu demande un peu d’entraînement pour être bien en place, et surtout pour ne pas se perdre !

Voici quelques pistes pour travailler les groupes rythmiques :

(Commencez par le groupe de 3 en 4/4 binaire, c’est le plus facile).

  1. Commencez par poser votre instrument ! Même sans les contraintes des bonnes notes, de la technique, de vos pistons, tampons ou autres touches, il vous faudra un peu d’entraînement pour arriver à exécuter un grouping (en faisant en sorte que ça groove !), donc ne vous rajoutez pas de difficultés inutiles.
  2. Prenez un métronome et mettez le à un tempo raisonnable. C’est fait ? … Baissez encore d’une vingtaine de points, et là vous serez vraiment à un tempo raisonnable !
  3. Vos pieds vont maintenant marquer les 4 temps de la mesure, l’un après l’autre (commencez avec celui qui vous plaît le plus).
  4. Chantez toutes les subdivisions avec les onomatopées de votre choix. Si cela vous aide, vous pouvez utiliser des onomatopées comme « Takatiki » ou « Takadimi », mais je vous encourage à rapidement délaisser ces formules scolaires peu musicales pour des syllabes improvisées, ou même l’imitation de percussions.
    Cette étape est sans doute la plus importante, quoi que vous fassiez, n’oubliez jamais d’intégrer la découpe dans votre phrasé ! De cette façon et seulement de cette façon, vous serez parfaitement en place.
  5. Commencez par accentuer une subdivision sur trois, sur seulement une mesure, en alternant par exemple avec une ou deux mesures de découpe non-accentuée. Vous chantez un groupe de 3 !
    Si cela vous aide, vous pouvez aussi marquer cet accent en frappant des mains.
  6. Quand vous maîtrisez la 5e étape, et que ça groove vraiment, ajoutez une mesure.
  7. Répétez la 6e étape autant de fois que vous voudrez, allez au moins jusqu’à 4 mesures.
  8. Enlevez les pieds ! Attention car cette étape est clairement la plus compliquée, et va vous demander un peu de persévérance. Vous allez perdre le fil de la métrique de base et votre sensation du tempo va se synchroniser sur les groupings, mais tenez bon ! Commencez par une mesure sans les pieds, alternée par une ou deux mesures de découpe non-groupée avec les pieds tapant les 4 temps. Puis ajoutez une mesure sans les pieds, etc…
    Vous pouvez aussi partir de l’étape 7, et enlever progressivement des temps tapés au pied. Ne tapez plus que les 1er, 2nd et 3ème temps, puis seulement 1er et 2nd, puis le 1er… Et vous serez arrivés à destination !
  9. Une fois que c’est à votre portée, prenez votre instrument et appliquez votre groupe de 3 sur une grille standard, en prenant pour subdivision la croche swing. Alternez entre des mesures de silence et des mesures de grouping, d’abord sur une ou deux notes qui traversent la grillent sans dissonances, puis avec les notes que vous voulez.
  10. Recommencez avec les groupes de 5 et 7 !

Conclusion

Voilà, vous savez tout sur les groupes rythmiques.

Même en les exécutant basiquement sur une seule note, les groupings vont attirer l’oreille des gens qui jouent avec vous et du public, sans vous demander trop d’effort. C’est donc un outil parfait à avoir dans les doigts pour augmenter son vocabulaire et rendre vos solos plus intéressants !

Dans cet article, nous avons vu qu’un groupe rythmique est une polyrythmie consistant à faire se superposer les appuis normaux d’une mesure et un groupement spécifique de ses subdivisions.

Nous avons créé ensemble un des groupes les plus fréquents, le groupe de 3, ainsi que ceux de 5 et 7.

Puis, nous avons vu comment le transposer au swing en choisissant la bonne subdivision à grouper. Et nous avons conclu sur une méthode pour les implémenter dans votre jeu, en faisant en sorte de groover le plus possible.

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Image de couverture : Wynton Marsalis at the Oskar Schindler Performing Arts Center (OSPAC) Seventh Annual Jazz Festival in West Orange, NJ. 13 September 2009. Par Eric Delmar. Domaine Public.

Comment travailler le jazz pendant les vacances ?

C’est les vacances ! (Pour certains d’entre nous, en tout cas…)
Le mois de juillet est déjà bien entamé, vous profitez sans doute de l’été pour prendre un peu de repos, partir en vadrouille à l’autre bout du pays, ou pour les plus chanceux, enchaîner les concerts.

Mais ce quotidien estival peut poser un problème de taille.

Habituellement, vous avez sans doute plus de temps pour penser à votre pratique du jazz, vous êtes sans doute installé.e dans une routine de travail, peut être au sein d’un cursus dans une école…
Autant d’éléments favorisant une progression rapide de votre niveau, sans que vous vous en rendiez forcément compte.

Une période de vacance, par essence, chamboule l’ordre établi et perturbe cette progression. Sans rythme imposé, vous prenez le risque de stagnerVoire de régresser !

À délaisser votre instrument, vos doigts vont « rouiller » et ne plus bouger aussi vite qu’avant. Votre oreille va prendre la poussière et vous prendrez plus de temps à repiquer des morceaux, ou vous repérer dans les grilles. Votre phrasé ne va plus swinguer aussi bien qu’habituellement, et toutes vos idées vont prendre un temps fou à arriver jusqu’à vos doigts, comme si votre cerveau peinait à suivre la cadence infernale du tempo qui défile.

Je ne sais pas vous, mais pour moi, ce sentiment de régression est un véritable cauchemar !
Pour peu qu’une jam se glisse au beau milieu de l’été, je me retrouve dépité à ne plus savoir quoi penser de ma pratique, après avoir passé 2 morceaux à pédaler dans la semoule…

Si cette situation vous parle, et que votre été rime avec « vacances en famille loin de votre instrument » lisez attentivement la suite. Dans cet article, je vous propose 3 étapes qui ont fait leurs preuves de mon côté, et vous éviteront le stress des doigts rouillés !

Étape 0 : Faire une (GROSSE) pause

Malgré tout ce que vous avez pu lire en introduction, vous pouvez faire le choix conscient et assumé de n’absolument RIEN faire pendant ces vacances. Cela peut même vous être bénéfique, à la condition de ne pas culpabiliser face à l’inactivité.

Une longue pause de deux ou trois mois m’a fait du bien par le passé. J’avais en effet accumulé beaucoup de frustration au cours de mon apprentissage… Ce break m’a permis de m’y remettre avec l’esprit frais et de pointer du doigt de mauvaises habitudes à bannir. En bref, de me recentrer sur l’essentiel.

En choisissant cette option, vous perdrez forcément en dextérité, mais le bénéfice peut être énorme, surtout si comme moi frustrations, mauvaises habitudes et mauvais état d’esprit parasitaient votre pratique.
Et, pas de panique, le jazz, c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas !

Si toutefois vous ne ressentez pas le besoin de faire une pause, et que vous ne voulez pas perdre en niveau, passons à la première étape.

Étape 1 : Planifier

À vos agendas ! Afin de ne pas être submergé par l’imprévu, prenons un peu de hauteur et contemplons ces deux mois qui s’annoncent plus ou moins denses selon chacun de nous.

Si vous aviez rempli un calendrier précis de vos vacances, c’est parfait. Sinon, faites-le ! Notez les endroits où vous allez être, la durée de vos séjours, les activités prévues…

Une fois que c’est fait, regardez le tout, et constatez comme moi qu’il vous reste quand même du temps libre. Quelques jours par-ci, quelques heures par-là, et même aux endroits où vous êtes pris, vous pouvez dégager du temps pour entretenir votre jazz.

Planifiez dès maintenant les créneaux où vous allez pouvoir le faire, notez si vous devez prendre votre instrument avec vous, etc… Cela va vous rassurer et vous pourrez passer à la 2nde étape.

Étape 2 : Fixer ses objectifs

Maintenant, réfléchissez à ce que vous voulez accomplir pendant ces vacances. Sans les échéances d’un cursus, vous n’avez peut-être aucune idée de ce que vous voulez travailler ! Pas étonnant qu’il soit dur de s’y mettre, si votre cerveau pense qu’il n’y a rien à faire…

Ou, inversement, vous avez peut-être l’impression d’être submergé.e par le travail à rattraper, et ne savez pas par où commencer.

Si vous avez beaucoup de concerts à préparer, vos objectifs sont vite fixés !
Si non, vous avez deux solutions. Soit vous voyez à long terme et fixez un gros objectif, soit vous découpez vos deux mois en objectifs plus petits.

Concrètement : J’ai pour projet de repiquer, rejouer, analyser et comprendre ce que fait le trompettiste Ambrose Akinmusire en intro de ce morceau :

Je pense que ça va me prendre un mois (sans me presser !), je considère cela comme étant un moyen/petit objectif.

Par contre, je veux pouvoir être en mesure de jouer 6 standards en guitare solo à l’issue de ces vacances. Sachant que j’aimerais repiquer quelques grilles de Julian Lage pour avoir plus d’idées dans mes propres chorus dans ce format bien particulier, et qu’il faut que j’adapte les 6 thèmes pour jouer en même temps mélodie et accords, c’est un gros objectif (qui risque lui de me prendre toutes les vacances).

Pour venir à bout de vos objectifs, la clé est de morceller :

  • Objectif : Jouer 6 standards en guitare solo.
  • Sous-objectifs : Repiquer Julian Lage, adapter mes 6 thèmes, trouver intro et coda pour chaque.
  • Actions concrètes à réaliser aujourd’hui : 1 nouvelle phrase de Lage à apprendre, trouver la bonne tonalité et travailler à trois tempo I Should Care, écouter ce podcats de Learn Jazz Standards pour trouver une idée de coda.

Pour fonctionner de cette manière, vous devez être capable de définir vous même en toute autonomie les bons exercices qui vont vous permettre d’atteindre vos objectifs.
Si vous avez du mal à faire cela, demandez à un prof ou à un camarade jazzman plus expérimenté de vous aider.

De cette manière, vous pourrez passer à la 3e et dernière étape :

Étape 3 : Se dégager un espace de travail (confortable), et s’y mettre !

Depuis peu, je mets un point d’honneur à travailler dans des espaces dédiés à ma pratique, notamment après la lecture de cet excellent article (en anglais) du site Jazzadvice.
Pour vous montrer à quel point c’est important, laissez-moi vous raconter une anecdote :

« C’est les vacances ! L’occasion pour moi de passer quelques semaines à la campagne chez mes parents. Cela induit forcément un chamboulement d’emploi du temps et d’espace de travail, mais j’y fais face en me fixant des objectifs dès le premier jour, en me dégageant un espace confortable pour travailler ma trompette et poser mon ordinateur afin de réaliser des enregistrements, mixer, composer, etc…

Cependant, au bout de la première semaine, je me rends compte que je n’ai pas touché à ma guitare, je n’ai pas joué une seule note, ce qui pour moi est carrément inhabituel. Il faut dire que j’ai eu moins de temps à lui consacrer que d’habitude, et puis, j’ai perdu de vue ce que je voulais accomplir pendant ces vacances sur cet instrument… Comble de tristesse, l’instrument est resté dans sa housse, à l’autre bout de la maison, et une ou deux araignées y ont même élu domicile !

Ni une, ni deux, je m’en empare, saisis un pied, un vieil ampli qui traînait par là (qui au final fait parfaitement l’affaire !), et installe le tout à côté de mon bureau, en gratouillant un peu au passage. Je vais même jusqu’à déposer un bout de papier et un crayon sur l’ampli, afin de me noter ce que je veux faire le lendemain pour avancer dans mes objectifs.
Résultat des courses la semaine suivante : J’ai travaillé ma guitare tous les jours, progresse de manière efficace dans mes objectifs et ai toujours du temps pour faire tout le reste, alors que mes journées n’ont pas rallongé par miracle. »

Pour moi, ce que je viens de vous dire est la preuve concrète que l’espace que vous vous créez pour travailler est presque aussi important que ce que vous travaillez.

Pour conclure ce point je terminerai avec un conseil de Joe Pass que m’a transmis un de ses élèves (qui est maintenant un de mes profs), Frédéric Loiseau : « Veille à ce que ta guitare soit toujours sortie de sa housse à la maison ».

C’est évident, mais terriblement juste !

Conclusion

Voilà, vous êtes parés pour faire face aux vacances et réussir à progresser envers et contre tout. Ou du moins… À ne pas régresser !

  • Dès à présent, si possible, planifiez vos vacances et dégagez des plages dédiées à votre pratique musicale. Rappelez-vous, 10 minutes de travail efficaces valent mieux qu’une heure à travailler n’importe comment (cf cet article). Même si votre emploi du temps est surchargé, vous avez bien 10 minutes de libre…
  • Ensuite, fixez vous un gros ou plusieurs petits objectifs. Le ou les morceller rendra la tâche plus claire et abordable.
  • Enfin, réfléchissez à un endroit où vous vous sentirez bien pour travailler convenablement.
  • N’oubliez pas de travailler !

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10 bonnes raisons de relever (repiquer, retranscrire…) des solos de jazz

C’est un véritable passage obligé pour un jazzman, les plus grands s’accordent à le dire : Relever des solos de jazz est un travail essentiel. Malgré cela, il y a des bonnes raisons pour que cet exercice vous lasse, voir qu’il vous insupporte !
Après tout, c’est normal d’en avoir marre de passer des heures à distinguer un Ré bécarre d’un Ré bémol, de ne pas entendre cette fichue contrebasse, de ne pas savoir sur quel temps tombe cette satanée mise en place, de recoller note après note les morceaux inintelligibles de cette phrase en double-croches…

Ainsi, il est possible que vous ayez lâché l’affaire, et concentré vos efforts sur un autre exercice moins exigeant !

Dans ma pratique personnelle, il m’est arrivé de ne plus retranscrire de solo pendant des mois ! La première chose que je retiens de cette période, c’est une impression de stagnation. Une désagrable sensation de ne pas avoir progressé, en tout cas pas autant que les moments où ma pratique était organisée autour de la transcription.

C’est pourquoi je vous présente 10 bonnes raisons de relever des solos de jazz, autant de raisons qui vous feront voir l’exercice autrement, et vous convaincront de vous y atteler de nouveau (ou de ne pas arrêter !).

1. Relever des solos nous fait absorber la tradition

J’ai une petite question pour vous :

Avez vous déjà écouté un jazzman d’aujourd’hui qui vous a fait penser à un jazzman d’hier ?

Les exemples sont multiples :

  • Christian Scott ressemble à Miles Davis comme deux gouttes d’eau ;
  • Il y a du Bud Powell et du Art Tatum chez Pasquale Grasso ;
  • Le style icônique de Thelonious Monk est copié par tous les grands pianistes de Chick Corea à Kenny Barron en passant par Fred Hersch…

Tous ces jazzmen ont relevé leurs aînés et rejoué des heures durant leurs tics, tocs, gimmicks et autres licks. Tels des éponges, ils ont absorbé leurs manières de phraser, articuler, nuancer…

Personnellement, quand je me réécoute, j’arrive à relier tous les éléments de mon jeu aux solos que j’ai relevé, ou aux jazzmen/disques précis que j’ai écouté en boucle.

Le mot « tradition » en jazz désigne tout l’héritage qu’ont en commun les plus grands et auquel il faut emprunter pour devenir bon à son tour.
Quoi de plus puissant pour s’en imprégner que la transcription ?

2. Relever des solos nous fait jouer du jazz de la « bonne » manière

Ce second point est dans la directe continuité du premier.

Bien sûr, il existe beaucoup de façons de jouer du jazz, selon le style, l’époque, les jazzmen ou groupes que l’on adore… Mais, pour la plupart, les millions de solos gravés sur micro-sillon sont autant de points de référence quant à comment « bien » jouer le jazz.

Relever Miles Davis par exemple nous informe sur les « bonnes » notes à utiliser, la « bonne » manière de se placer, une certaine « bonne » façon d’organiser ces notes pour arriver à jouer de « belles » phrases.

Le jeu de Sonny Rollins est bien différent de celui de Miles, mais sa manière de phraser et les notes qu’il utilise sont tout aussi « bonnes ».

Toutes ces heures passées à reproduire le jeu des grands jazzmen est autant de temps dédié à « bien » jouer du jazz. À se placer correctement, à articuler de la bonne manière, à jouer de belles phrases, et donc à bien sonner à notre tour.

3. Relever des solos étend notre vocabulaire

Ce troisième point va vous paraître plus évident, vous y avez sans doute pensé dès la lecture du titre de cet article ! Et pour cause, pour étendre son vocabulaire, avoir plus d’idées et d’histoires à raconter sur les grilles de jazz, la transcription est une excellente solution.

Votre travail peut être centré sur une phrase en particulier, à transposer dans les douze tons et à jouer sur une cadence précise. Mais il peut être aussi plus chirurgical et concerner une articulation, une manière d’approcher une note guide, un timbre spécifique, une technique particulière…

En jam, j’ai même surpris plusieurs fois des phrases de solos que je n’avais même pas travaillé spécifiquement jaillir de ma trompette !

Si vous avez la bonne méthode, retranscrire des solos de jazz va étendre très rapidement vos capacités de jeu, et vous rendre confortable dans beaucoup de situations différentes.

4. Relever des solos fait travailler notre oreille et notre rythme

Restons pragmatique ! L’oreille et le sens du rythme sont deux compétences clé chez un jazzman, aussi utiles pour se repérer dans un morceau que pour être à l’aise en le jouant.

« Dépourvu » d’oreille, vous ne pouvez pas jouer sans grille, et si vous vous perdez, aïe aïe aïe. Peu précis rythmiquement, votre jeu va paraître maladroit, et si la rythmique se complexifie…

Quel rapport avec le relevé de solo ? Eh bien, le repiquage vous fait compter les temps et vous force à reconnaître des intervalles et des figures rythmiques pendant des heures et des heures.
Cela ne peut être que bénéfique pour développer vos compétences.

5. Relever des solos nous pousse à nous dépasser

Si vous vous attelez au repiquage d’un virtuose, vous allez forcément arriver à un point où vous n’avez pas la technique nécessaire pour exécuter un passage. Devant ce constat, deux choix s’offrent à vous :

  • Le passage est vraiment trop complexe, vous l’esquivez donc (ou vous le simplifiez) pour pouvoir vous concentrer sur ce qui vous paraît à votre niveau.
  • Ou bien vous sentez que la difficulté peut être surmontée, et vous entreprenez un travail technique pour en venir à bout.

La seconde solution peut vous prendre beaucoup de temps (j’ai récemment relevé un morceau qui a nécessité plus de deux mois de boulot !).
Mais le travail technique fourni en vaut la peine, car il élève votre niveau et vous fait progresser.

De plus, les choses qui vous paraissaient complexes jusqu’alors ne semblent plus aussi difficiles…

6. Relever des solos nous connecte aux autres

Laissez-moi vous raconter une anecdote pour expliquer ce point.

Je me trouve sur la scène d’un club, en bonne compagnie, à monter l’après-midi pour le soir même un répertoire dédié à la musique de Duke Ellington. Nous jouons ce soir là en Septet, avec dans la formation deux trompettistes (moi y-compris).

Au cours de la répétition, nous déchiffrons un morceau au tempo médium et qui a pour tonalité Ré bémol. Un des deux trompettistes doit faire un solo. Nous nous essayons alors à jouer sur la grille, l’un après l’autre. Je ne sais plus qui a commence, mais après que le premier ait terminé, l’autre lui lance un regard amusé signifiant : « J’ai compris ce que tu viens de faire ! ».

Et pour cause, le premier trompettiste avait cité (plus ou moins consciemment) le début d’un chorus de Clifford Brown qui collait avec la grille. Le second l’avait manifestement aussi travaillé, et vous pouvez être sûrs qu’il l’a cité par la suite !

Ce petit moment amusant a eu pour effet d’apaiser l’ambiance, de faire retomber le stress, et a montré de manière évidente les points communs entre nous deux.

De la même manière, lorsqu’en jam, vous citez de manière évidente un gimmick connu (La Cool Blues Lick, des groupings, etc…), ou tout autre partie incontournable du répertoire que vous avez relevé, les autres membres du groupe vont forcément réagir !

Ce genre de connexion est bénéfique, et uniquement faisable si vous repiquez du langage jazz régulièrement.

7. Relever des solos permet de mieux jouer les différents styles de jazz

Je pars du principe qu’il est mieux d’adapter son jeu aux différentes situations que nous rencontrons en tant que jazzman.

En effet, il est possible dans la même semaine de jouer dans les styles New Orleans, Be-bop, Swing, Jazz contemporain, Jazz-Pop, etc…

Comment réagissez-vous pour être le plus cohérent possible au sein de chaque groupe ? À chaque style appartient un vocabulaire différent.

Relever des solos afin de s’imprégner de ce vocabulaire est donc indispensable !

8. Relever des solos donne les réponses à toutes les questions

Vous avez bien lu ! Vous pouvez trouver toutes les réponses aux questions que vous vous posez dans un solo/morceau/accompagnement de jazz.

Comment jouer sur un ii V i mineur ? Repiquez Bill Evans ou Clifford Brown.
Je n’arrive pas à bien utiliser la gamme blues ? Le thème Sandu commence par un plan blues !
Comment jouer moderne ? Écoutez/Repiquez Chris Potter, Brad Mehldau, Michael Brecker, Ben Wendel et tant d’autres !
Comment composer un morceau comme Dave Holland ? À moins de lui demander ou de prendre un cours avec lui, la seule solution et de… Repiquer ses compositions !

Bien sûr, il est parfois difficile de savoir où chercher les réponses…
C’est pourquoi la culture d’un prof qui s’est déjà posé ces questions avant vous est indispensable.

Vous pouvez aussi lire des articles comme celui-ci… À bon entendeur !

9. Relever des solos nous fait penser différemment

De la même manière qu’il étend notre vocabulaire, le relevé peut ouvrir nos possibilités de réflexion en nous confrontant à des instruments différents du notre.

En tant que trompettiste, j’ai bien sûr relevé énormément de trompette, afin de m’imprégner de la tradition de l’instrument. Mais j’ai aussi relevé du sax, de la guitare, du trombone, du piano, de la batterie… (pour ensuite les rejouer à la trompette). Ce, dans le but de comprendre comment les autres instrumentistes pensent en fonction de leurs instruments respectifs.

En effet, l’ergonomie de notre instrument a vite fait de nous cantonner à une manière précise de jouer. Par exemple, un pianiste joue beaucoup plus horizontalement (avec des arpèges…) qu’un contrebassiste car ses mains se sont habituées aux empreintes des accords.
Relever des solos de pianistes permet donc à un contrebassiste de penser son instrument différemment.

Un bon exemple de jazzman repoussant les limites de son instrument est le guitariste Pasquale Grasso :

Il a réussi à se rendre unique en adaptant le langage du pianiste Bud Powell (entre autres) à la guitare. Et personne n’avait rien entendu de tel jusqu’alors (je n’invente rien, c’est Pat Metheny qui le dit…) !

Sa guitare sonne vraiment comme un piano, si vous voulez savoir pourquoi… Repiquez-le !

10. Relever des solos est un travail gratifiant

Quel bonheur d’enfin arriver à bout de cette phrase qui nous a donné du mal pendant des heures et des heures !
Quel sentiment jouissif de prendre la place de Miles Davis en étant accompagné par sa rythmique légendaire !
Que c’est agréable d’entendre intégré à notre jeu un plan que nous travaillions d’arrache-pied !

Ce point est sans doute le plus important. Si vous n’aimez pas repiquer des solos, n’en retirez aucun plaisir, alors ne le faites pas !

Mais ça m’étonnerait…

Conclusion

Voilà donc 10 bonnes raisons de repiquer des solos de jazz.
En bref, relever des solos :

  1. Nous fait absorber la tradition
  2. Nous fait jouer du jazz de la « bonne » manière
  3. Agrandit notre vocabulaire
  4. Fait travailler notre oreille et notre rythme
  5. Nous pousse à nous dépasser
  6. Nous lie aux autres
  7. Permet de mieux jouer les différents styles de jazz
  8. Donne des réponses à toutes nos questions
  9. Nous fait penser différemment
  10. Est un travail gratifiant

Je suis sûr que cet article vous a donné envie de reprendre cet exercice si vous l’aviez abandonné ! Pour autant, si vous ne savez pas par où commencer et qu’il faut que vous bossiez votre swing, cliquez ici.

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Image de couverture : Billy Strayhorn, New York, N.Y., between 1946 and 1948. William P. Gottlieb. Domaine public. Restauration : Adam Cuerden

3 manières d’intégrer des motifs dans vos solos (merci Kenny Garrett !)

Marre de jouer les mêmes phrases dans tous vos chorus ? D’improviser tout le temps avec les mêmes idées ? Le public et la section rythmique s’endorment pendant vos solos…? Un radical changement dans votre vocabulaire s’impose. 

Si vous êtes comme moi, vous n’avez pas envie de passer pour quelqu’un qui fait du remplissage, qui ressort pour la millième fois ses clichés be-bop qu’on a entendu (en mieux) partout ailleurs. Au contraire, vous voulez que vos chorus racontent une histoire, que votre jeu soit connecté à la section rythmique, et au final captiver les gens qui vous écoutent

Une façon très commune, facile, et puissante d’y parvenir est d’utiliser des motifs dans votre improvisation. Prendre une de vos idées et la répéter au moins une fois, tout en la développant.

Cela peut paraître facile et évident, mais bien souvent, nous n’y pensons pas, ou bien une fois sur deux nous essayons mais sans être très clairs, ou alors nous le faisons constamment de la même manière

Car oui, il y a plusieurs façons de faire apparaître un motif au cours de votre improvisation, et si vous faites toujours la même chose… Vous allez paraître ennuyeux, scolaire et peu inspiré.e…

Alors, comment font les grands jazzmen pour créer des motifs ?

Pour répondre à cette question, j’ai réécouté quelques solos d’une référence en la matière : Kenny Garrett. Vous connaissez sans doute cette légende du sax alto, qui a absorbé TOUT le langage be bop, pour ensuite innover en l’utilisant de manière inconventionnelle et sonner « out ». Eh bien, il utilise des motifs dans chaque solo qu’il prend, c’est vraiment une part essentielle de son jeu.

Garrett crée ses motifs de 3 manières différentes, que je vais vous présenter dans cet article.

Remarque : Je vais me concentrer sur la création et non le développement des motifs dans l’improvisation. Si ce dernier point vous intéresse, voici une vidéo très intéressante (en anglais) qui analyse un solo de Paul Desmond.

1ère manière de créer un motif : Reprendre une fin de phrase

C’est la plus évidente, donc j’en parle en premier. Il s’agit simplement de reprendre la fin de notre phrase précédente, et de la répéter. Cela a pour effet de renforcer notre message, et construire notre discours en insistant sur ce que nous venons de dire. 

Garrett crée ce genre de motifs très souvent. Par exemple, dans son solo sur Ornithology, il l’utilise dès le stop chorus, en reprenant les deux notes de la fin de la mélodie : 

Même si j’avais dit que je n’en parlais pas (considérons cela comme un petit bonus !), le développement de son motif est intéressant : il octavie ces deux notes un peu au hasard, donnant un effet accidenté singulier, et réussi.

Ce type de motif réapparaît dans le même chorus, de manière plus évidente :

À un autre endroit, il joue avec le dernier segment d’une de ses phrases, le répète deux fois, puis le re-cite une troisième fois un peu plus loin. Ça raconte tout de suite une histoire :

Vers la fin de son chorus, il enchaîne sur une citation du thème de Charlie Parker Cool Blues, un grand cliché d’improvisation be bop. Il l’utilise comme à son habitude de manière inconventionnelle en reprenant la petite trille de fin pour la décliner 6 fois :

Vous pouvez travailler cette première manière de créer un motif dès maintenant. Jouez une phrase sur un standard, et au moment de la terminer pour en débuter une autre, mémorisez ce que vous êtes en train de jouer. Répétez ensuite cette fin de phrase, en la développant au besoin selon l’harmonie. 

Travaillez ceci dans un premier temps de façon systématique, sur toute une grille. Ensuite, parsemez plus ponctuellement vos improvisations de ce type de motifs. 

Remarque importante !

Attention à ne pas tomber dans le piège classique de l’improvisation motivique, qui a vite fait de nous faire sonner scolaire et cliché dès lors qu’on l’utilise trop souvent.

Dans un autre solo de Garrett sur Mack the Knife, je trouve qu’il répète la fin de ses phrases un peu trop fréquemment, comme « par défaut ». 

Il l’utilise une première fois de 1’11 à 1’21 (mesures 43 à 46 de la vidéo), et recommence avec la phrase qui commence à 1’50 (mesure 63), développant une autre super idée sur 4 mesures.
Il aurait pu s’arrêter là, mais pour terminer sa phrase, il réutilise la fin du motif qu’il vient de décliner et la répète (à partir de 2’02, mesures 70-72), ce qui est à mon goût « le motif de trop » !

À utiliser avec parcimonie…

2nde manière de créer un motif : Répéter un segment entier, ou carrément toute une phrase

Cette seconde manière est la plus basique (mais curieusement pas la plus utilisée) de faire apparaître un motif dans notre solo.
Il s’agit simplement de jouer une ou deux notes, ou un segment mélodique un peu plus long, ou bien une phrase entière, puis de la/le répéter.
(Il ne s’agit plus de reprendre la fin d’une phrase mais bien la phrase dans son intégralité).

Garett l’utilise de manière significative au début de son solo sur Mack the Knife de 0’56 à 1’18 (mesure 33-44) :

Sa phrase de départ est une réinterprétation de la mélodie. Il la répète deux fois, en la développant différemment, d’abord en changeant la fin, puis en la transposant.

Voici un autre exemple sur le morceau Not You Again (une démarcation de There Will Never Be), où Garrett transpose une petite phrase d’une mesure :

Ou encore ici, sur le début d’une grille de Giant Steps, avec comme motif de départ seulement trois notes (une triade descendante) :

Il n’y a pas de grande différence entre cette manière de créer un motif et la première que je vous ai exposée, mais en variant les deux, et la longueur du motif (une ou deux notes, une petite phrase d’une mesure, une phrase plus longue…) on évite le piège du « motif de trop » !

3e manière de créer un motif : Jouer avec un motif rythmique 

La troisième manière de jouer avec ces motifs est un peu à part, car elle repose à 100% sur un seul paramètre : le rythmeIl s’agit de jouer sur une note ou deux, et de la/les répéter suivant un débit précis ou bien une clave.

De cette façon, vous parlez le langage de la section rythmique, et vous pouvez vous attendre à ce qu’elle réagisse et vous rejoigne !

Garett l’utilise de manière concise sur Not You Again

Ou sur une plage beaucoup plus longue dans Giant Steps :

Il fait varier plusieurs notes sur un débit de noires pointées dans Mack the Knife à 1’39 (mesures 57-62) : 

Cette manière de rassembler les notes est très commune, on appelle cela un « groupe de trois » (ici groupe de trois croches, parfois notées sur le relevé avec un débit de noire pointée, ou une noire liée à une croche, ou une croche et un soupir…).

Un petit mot sur les Groupings

Les groupings désignent le fait de répéter un débit précis sur une durée conséquente. C’est à dire faire le choix de n’utiliser qu’un seul débit (un groupe de X croches, noires, croches pointées, etc…) sur plusieurs mesures.

Leur utilisation devient intéressante en groupant des débits impairs sur une métrique paire, comme dans l’exemple ci-dessus où Garrett répète un groupe de 3 croches sur une métrique 4/4 qui en contient 2 par temps. Les points d’appuis se retrouvent déplacés, créant un fort contraste rythmique.

L’utilisation des groupings est un sujet très vaste, mais j’ajouterai juste une autre démonstration avec un autre groupe impair très commun, le groupe de 5 :

Vous avez sans doute remarqué que nous avons changé d’instrumentiste ! À vrai dire, j’avais sous le coude ce chorus de Wynton Marsalis sur Giant Steps qui montre une utilisation d’un grouping en tant que motif. Dans l’extrait, il utilise le groupe de 5 croches en en jouant 4 et en laissant la dernière silencieuse.

À ce tempo, c’est assez délirant, et sur ce type de grille encore plus !!!

Conclusion

Vous savez désormais comment Kenny Garrett fait apparaître des motifs dans ses improvisations.
Comme lui, vous pouvez maintenant :

  • Reprendre la fin de votre phrase précédente
  • Créer un segment de phrase ou une phrase entière puis le/la répéter
  • Ou encore utiliser une cellule rythmique, comme une clave ou un groupe de notes.

Utiliser des motifs dans votre improvisation va varier votre vocabulaire, provoquer la rythmique, et au final enrichir votre discours et faire de vous un meilleur improvisateur.

Travaillez ces trois manières distinctes dès maintenant sur n’importe quelle grille de votre choix, d’abord à un tempo modéré et en gardant le motif sur toute une grille. Puis improvisez librement, et surprenez-vous à en créer au milieu d’un de vos solos !

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Si vous avez la moindre remarque, question, précision, écrivez un petit commentaire ci-dessous, je vous répondrai avec plaisir.

Image de couverture : Kenny Garrett mit seinem Quintett im Stadttheater Rüsselsheim Hinterbühne am 29. Oktober 2013. 29 October 2013. Jens Vajen. CC BY-SA 4.0

La FLEMME de travailler le jazz : Décryptage, comment la combattre

Ah la flemme… Si vous êtes comme moi, vous connaissez bien cette sensation entre la végétation et la fatigue. Elle nous met KO, nous immobilise sur notre canapé, et nous empêche d’être productifs… Quand nous avons abattu quantité de boulot en amont, la flemme est agréable et méritée, mais quand elle surgit au moment de nous mettre sérieusement au travail… C’est la cata.

Je suis une grande victime de ce fléau, qui m’empêche tantôt de plancher sur un travail important, de passer un coup de fil désagréable, ou pire, de sortir mon instrument de sa housse, pour bosser le jazz.

Et si Miles Davis avait eu la flemme de bosser sa trompette ? Si Bill Evans avait procrastiné sa recherche de voicings ? Si Coltrane avait préféré regarder la télé plutôt que de répéter inlassablement ses gammes ?

Tant de génies n’auraient pu s’exprimer s’ils avaient eu la flemme..!

Blague à part, ce serait quand même beau, un monde où nous serions toujours motivés et en forme pour travailler, et donc en progrès constant. Un monde dans lequel nous n’aurions plus l’impression de stagner par flemme de travailler.

Alors j’ai fait mes recherches, et, même si le sujet peut paraître anecdotique, sans importance, il s’avère que je ne suis pas le seul à m’y intéresser. Des scientifiques se sont penchés sur la question, ce qui m’a permis d’identifier trois clés pour remporter le combat contre la flemme.

Attention, dans cet article, vous ne trouverez pas de conseils du style « Couchez-vous et levez-vous tôt » ou « Faites une to-do list ». Je pense que vous avez déjà entendu ce genre d’astuces un bon millier de fois, et même si elles se révèlent souvent utiles, essayons d’aller un peu plus en profondeur dans le sujet.

C’est parti, commençons par nous intéresser aux causes psychologiques à l’origine de la flemme.

Comprendre la Flemme

Difficile de trouver des ressources sérieuses qui traitent du sujet ! J’en ai quand même trouvé deux qui vont se révéler utiles.

D’après cet article issu d’un site spécialisé dans la psychologie, la flemme est en fait un mécanisme psychologique qui résulte en un blocage mental conduisant à l’impossibilité de passer à l’action.

Ce blocage peut avoir trois causes :

  • Le fait que la tâche à réaliser n’engendre aucun plaisir ;
  • Qu’une angoisse profonde et inconsciente vienne parasiter notre motivation ;
  • Ou que l’accomplissement de la tâche en question bouscule notre conception du monde (ce que nous avons intégré comme étant correct et possible). 

J’ai par ailleurs beaucoup entendu parler du livre The War of Art de l’écrivain américain Steven Pressfield (il occupe la première place des bouquins que je dois lire de toute urgence !).
D’après ce que j’en ai compris, l’objet du livre est le combat contre ce que Pressfield appelle la « Résistance ».
Ce rassemblement de blocages psychologiques causerait une sévère procrastination au moment d’accomplir une tâche impliquant un processus créatif, plus particulièrement dans le cas de l’auteur : l’écriture d’un livre.

Spoiler alert : La Résistance telle que la décrit Pressfield ne disparaîtrait en réalité pas vraiment, mais il existerait cependant des moyens de la combattre et de l’atténuer, ce qui me donne de bons espoirs quant à l’issue de mon combat contre ma flemme personnelle.

1er conseil : Renouer avec le plaisir

Par le passé, ma routine de travail ressemblait à ceci : 30 min de tel exercice, 15 de montées et descentes de gammes selon tel ou tel pattern, de l’ear-training bête et méchant, du déchiffrage !

Tout cela n’est pas franchement fun, et ces exercices, certes utiles, n’étaient pas directement reliés à la raison première de mon engagement envers le jazz. À la cause profonde qui m’a poussée à aller à fond dans cette voie.

Et vous, quelle est cette chose qui vous a émue au départ, qui vous a poussé à acheter un instrument, investir du temps et de l’argent dans cette pratique ? Quel est cet élément qui vous procure du plaisir ?

Une des raisons qui me pousse à vouloir faire du jazz se manifeste souvent quand je tombe sur des vidéos de guitaristes en solo. Je suis instantanément plongé dans un état de fascination face à l’inventivité et l’élégance avec laquelle ils résolvent le problème inhérent à l’exercice : Réussir à jouer un morceau dans son entièreté (ligne de basse, accords, mélodie, structure en même temps…) avec seulement six cordes, deux mains, et un seul cerveau !

Je ne sais pas pourquoi, mais cela fait naître en moi une motivation infinie qui pourrait me faire lever des montagnes. Je ressens une envie irrésistible de me mettre à travailler. 

J’ai mis cette envie à la source de ma pratique, résultat : j’ai beaucoup moins de mal à m’y mettre !

Cela peut paraître évident pour certains d’entre vous qui lisez ces lignes, sinon, réfléchissez-y…
Est-ce que tout ce que vous travaillez est connecté à la cause de votre engagement envers le jazz ?
Si non, avez vous la flemme ou procrastinez vous votre pratique de tous les jours ?

2nd conseil : Affronter ses peurs 

Il est possible qu’un événement marquant de notre passé, remontant parfois jusqu’à notre enfance, oublié depuis longtemps, soit la cause du blocage mental qui mène à la flemme.

Pas le choix ! Il faut se faire sa propre psychanalyse, ou, si la flemme devient maladive, aller voir un psy.

Malheureusement, les limites de mes connaissances dans ce domaine m’empêchent de m’y étendre. Mais d’expérience, je peux toutefois vous conseiller, même sommairement. 

Voici quelques questions à se poser pour trouver la source du problème :

  • Pourquoi n’ai-je pas envie de me mettre à travailler le jazz ? 
  • Qu’est-ce qui m’en empêche physiquement ?
  • Rien ? Et mentalement ? Ai-je peur de quelque chose ?

La peur de l’échec, de ne pas être à la hauteur, de paraître ridicule, ou bien de souffrir sont autant de sources potentielles d’un blocage…

J’ai un exemple personnel mettant en scène la peur de l’échec :

Récemment, je bossais les tempos up, en m’enregistrant sans métronome.
Je voulais que mon time, mes lignes mélodiques et mon phrasé soient rigoureusement parfaits, mais à la réécoute, j’étais bien loin du compte…
Frustré devant mon inaptitude à atteindre mes objectifs, j’abandonnais et le lendemain, j’étais toujours hanté par l’échec de la veille, qui ne m’aidait pas à m’y remettre… ! 

Seule solution, descendre d’une marche de mon « escalier de progression ». Dans ce cas précis, j’ai enlevé 30 points de tempo, et même si c’était encore difficile, ce n’était plus inatteignable.
La réussite n’en a été que plus délectable, et a alimenté ma motivation pour le travail à venir. (Et j’ai fini par réussir mon exercice avec mes 30 bpm en plus !)

Ces peurs parasites (si elles ne sont pas maladives) peuvent être affrontées, il faut parfois faire preuve de lucidité, et de recul. Quitte à en passer par une autoévaluation honnête et une bonne dose d’humilité !

3e conseil : Bousculez votre conception du monde

La 3e cause potentielle de la flemme identifiée par Psychologies est particulièrement intéressante, et je me permets de citer un bout de leur article : 

Un conflit psychique, voilà une autre excellente raison de demeurer dans l’inertie.
« C’est la bataille que se livrent nos désirs et nos interdits, analyse Saverio Tomasella. Quand le désir – ce qui fait se mouvoir l’individu – entre en conflit avec ce qui a été intégré comme incorrect ou impossible, alors l’immobilisme est la seule solution. S’ensuit une forme d’indécision, de paralysie, l’expression de ce que l’on appelle la pulsion de mort. »
Si notre désir n’a pas été reconnu, accepté, valorisé, la pulsion de vie s’éteint. Nous sommes coupés dans notre élan. Et n’arrivons plus à avancer.

Posez-vous la question. Est-ce que, dans votre environnement, votre vœu de pratiquer le jazz a été « reconnu, accepté » et est « valorisé », encouragé ?

Est-ce la norme autour de vous ?

Pour ma part, la réponse et oui, et je mesure la chance que j’ai ! Je côtoie chaque jour des musiciens professionnels, ou des élèves de mon école qui aspirent à le devenir, mes parents sont musiciens, mon temps est consacré à 90% à la musique…

Travailler le jazz s’impose comme une évidence, pour rester au niveau, ou même se conformer à la pression sociale…

Mais tout le monde n’a pas cette chance, peut-être que votre temps est consacré à la famille que vous avez construite, peut-être que vous vous lancez tardivement, que personne ne fait cela autour de vous. La pratique du jazz est peut-être en total contraste avec votre environnement qui ne vous renvoie qu’une profonde incompréhension.

« À quoi bon travailler aujourd’hui ? », « N’ai-je pas mieux à faire ? »… Tant de questions qui fusent, et qui s’avèrent difficiles à gérer…

Si vous êtes dans ce cas, mais que le besoin de jouer du jazz reste irrépressible malgré tout, j’ai un conseil à vous donner. Même avec un contexte défavorable, il est possible de créer une fenêtre vers un autre environnement, où repiquer des chorus est un passe-temps prisé, travailler ses gammes, une préoccupation collective… Un monde où le jazz est roi.

Se créer un environnement virtuel fertile

Il suffit de faire appel aux outils numériques. À Internet et ses nombreux réseaux sociaux.

Grâce à Youtube, il est possible de prendre des cours avec les plus grands jazzmen de la planète ! Rien qu’en tapant « Masterclass Jazz » dans la barre de recherche, je peux suivre les enseignements de Pat Martino, Jim Hall, Benny Golson, Dee Dee Bridgewater, Cyrus Chestnuts, Chris Potter…

Grâce à Facebook et Instagram, je peux être en contact presque direct avec nombre de mes idoles, et rester au fait de leurs actualités.

Des forums fourmillent sur la toile, parfois dédiés à notre instrument, où l’on peut trouver les réponses à nos moindres questions et converser en compagnie d’initiés d’un sujet qui nous tient à coeur.

Des sites à l’image de Jazzcomposer.fr vous prodiguent conseils, enseignements, suggestions, cours en ligne…

J’ai même trouvé une chaîne de lives Twitch avec des séances de travail technique pour la trompette !! Parfait pour se motiver à travailler un aspect de l’instrument pas franchement sexy au départ…

Il est possible d’arrêter d’avoir la flemme, de se motiver et de créer des choses en s’aidant de cet environnement virtuel.
C’est personnellement ce que j’ai fait en m’immergeant sous des tonnes de vidéos, podcasts, articles de blogs et newsletters sur le blogging et l’entreprenariat. Jamais mon environnement physique ne m’aurait d’une quelconque manière amené à créer Jazzcomposer.fr.

Conclusion

J’espère que cet article vous sera utile, vous amènera des pistes de réflexion sur votre pratique et vous aidera à combattre la flemme de travailler le jazz.

  • Visez le plaisir dans votre pratique et reconnectez vous à ce qui vous a motivé à jouer du jazz.
  • Analysez vos peurs et appréhensions, cherchez ce qui les entretient dans votre pratique et agissez en conséquence.
  • Entourez vous d’un environnement propice, physique ou virtuel, et immergez vous la tête la première dans le jazz.

Grâce à ces conseils, la flemme n’a qu’à bien se tenir !

Et si, après avoir tout appliqué à la lettre, il vous arrive encore de procrastiner, essayez de vous coucher et de vous lever tôt, de faire du sport et d’avoir une alimentation saine, sait-on jamais…

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3 solos (faciles à relever) pour travailler le SWING (Phrasé/Placement)

Il y a quelques jours, on m’a demandé d’enregistrer le thème du morceau Driftin’, le célèbre hymne Hard Bop composé par Herbie Hancock. Le but était de « reconstituer » la superbe version de Christian McBride en trio avec le guitariste Mark Whitfield et le trompettiste Nicholas Payton. J’ai donc relevé l’interprétation du thème de Payton, dans le détail, et ai enregistré ma trompette seule, le casque sur les oreilles avec le trio pour m’accompagner. Au bout de quelques essais, je parviens à me faire une version correcte, je réécoute, et là… c’est le drame ! Ma partie (seule) ne swingue pas !

Je suis sûr que vous arrivez sans peine à vous identifier dans ce que je raconte. Quand nous sommes dans le jus, en train de jouer, toutes nos notes semblent tomber au bon moment, avec la bonne intention. Mais, au moment de s’écouter sur un enregistrement, c’est la désillusion ! C’est mou, plat. Le côté léger, rebondi, dansant du swing n’est plus qu’une lointaine impression.

Comme si Fred Astaire avait troqué ses claquettes, fines et précises, pour des charentaises, lourdes, qui font traîner le pied. 

(Ça n’a pas l’air de trop le perturber…!)

Il y a quelques années, une histoire similaire m’est arrivée. J’étais en session avec des super musiciens, et j’étais objectivement le moins bon de l’équipe. Néanmoins, l’énergie et le niveau des autres me propulsaient, j’avais l’impression d’être bien meilleur qu’en temps normal. C’était sans compter sur le fait que, comme à mon habitude, j’avais sorti mon portable pour enregistrer… Vous devinez la suite. En réécoutant, j’étais en fait placé beaucoup trop en arrière du temps, et mon phrasé était trop lisse…

Sur le coup, j’étais un peu démoralisé. Mais j’ai réagi, je ne me suis pas laissé faire, et j’ai essayé de corriger mes erreurs.

Une des choses qui m’a le plus aidé dans cette démarche a été de repiquer des jazzmen en traquant les petits détails, les petits riens qui changent tout, qui font qu’ils swinguent comme des bêtes !

Dans cet article, je vais vous présenter 3 solos qui ont changé ma vision du swing. Ils sont plutôt simples à jouer, ce qui permet de se concentrer au maximum sur 3 paramètres cruciaux que vous n’avez peut-être pas encore intégrés dans votre jeu.

Commençons avec :

Les 3 solos, et le paramètre n°1 :
le Débit

La trompette sera mise a l’honneur tout au long de cet article, puisque les 3 solos que j’ai sélectionnés sont respectivement de Miles Davis, Chet Baker, et Nat Adderley
Écoutez-les en vous focalisant sur le débit de croches de chaque trompettiste, et plus précisément sur la balance entre le binaire et le ternaire. 

Nat Adderley sur Never Say Yes :

Miles Davis sur Freddie Freeloader :

Chet Baker sur Nardis :

Le premier paramètre à prendre en compte pour améliorer son swing, c’est le débit de nos croches. Sont-elles majoritairement binaires, ou ternaires ?
Ce schéma va vous aider à mieux visualiser ceci :

  • À gauche, les croches binaires, chacune d’une durée égale. Elles sont le débit de base de la bossa-nova, de la funk ou du rock.
  • À droite, les croches swinguées (à 100%), la première est plus longue que la seconde. « À 100% » car l’écart entre la première et la seconde croche se rapproche du rapport entre les 1ère et 3e croches d’un triolet de croches, d’où le schéma : 

En réalité, ce type de swing très balancé se trouve peu dans le jazz que l’on écoute, et encore moins dans le jeu des instruments solistes.
Ce débit n’est pour autant pas impossible à croiser, il est à la base du shuffle par exemple.

Pour résumer TRÈS grossièrement, en Cool Jazz, on va avoir tendance à jouer un débit de croches plus égal, et en Hard Bop, plus inégal (pour ne citer que ces deux styles).

Chet, Miles, et Nat nous démontrent cela parfaitement. Réécoutez leurs chorus en prêtant encore une fois attention à ce détail, vous verrez que : 

  • Nat (plus Hard Bop) swingue ses croches (dans la globalité) presque au maximum. C’est presque trop à mon goût, parfois !
  • Miles (entre le Cool et le Hard Bop) pioche des deux côtés de la courbe, certaines de ses phrases ont des croches très balancées, et d’autres très égales, ce qui contribue à rendre son jeu expressif
  • Chet (plus Cool) a des croches bien plus binaires que ses deux camarades !

Toutes ces variations de débit sonnent, à vous de faire votre choix en fonction de ce qui vous plaît, du style de jazz que vous pratiquez, de ce que vous voulez exprimer sur le moment… 

Le paramètre n°2 : l’Accentuation

Les trois trompettistes ont beau avoir une conception du débit différente, ils ont en commun une chose fondamentale : l’accentuation du phrasé

Toutes leurs notes ne sont pas jouées avec la même nuance, la même intensité, la même intention. Et ce paramètre a énormément d’influence sur la manière dont nous percevons leurs messages respectifs.

Si je prends une phrase de Chet Baker au hasard :

Et que je trace un schéma avec l’intensité de chacune de ses notes :

Vous remarquerez sans peine que tout n’est pas joué au même niveau. Globalement, sa phrase a une forme de crescendo, puis decrescendo, et une croche sur deux est accentuée.

Je me risque à une analogie ! Ce tracé me rappelle les sismogrammes, ces schémas qui représentent l’intensité des ondes sismiques, qui déterminent la magnitude des séismes.

Sur l’échelle de Richter, une petite secousse que l’on sent à peine, de niveau 2 par exemple ressemblera à ceci :


Alors qu’une onde dévastatrice donnant un séisme de niveau 6 ou 7 aura ce tracé :

Vous l’aurez compris, nous avons tendance à avoir un tracé de phrasé proche d’une petite secousse, alors le swing des grands jazzmen est un séisme de magnitude d’au moins à 5 ou 6 sur l’échelle de Richter !

Il faut donc accentuer de manière plus marquée nos différentes notes.
Mais pas n’importe comment ! La bonne façon nous a été montrée par Chet ci-dessus, il accentue toutes les croches en l’air (celles qui ne tombent pas sur le temps) :

Et pour les noires ? Miles Davis nous donne la réponse :

Les 2e et 4e temps sont donc les temps qui dansent le plus.

Pour résumer simplement, en accentuant les 2e et 4e temps de la mesure et les croches en l’air, vous améliorerez grandement votre swing. 

Le paramètre n°3 : le Placement

Enfin, le meilleur pour la fin, le placement. Si vous n’avez jamais entendu parler de ce paramètre, cela correspond à la position de nos notes par rapport au temps. Il est possible de se placer parfaitement sur le temps, en arrière, ou en avant.

Mais quelle option choisir pour le swing ? La meilleure image que l’on m’ait montré pour m’expliquer le secret du bon placement, c’est celle d’un train en marche

Dans la locomotive se trouvent la contrebasse, avec la cymbale ride de la batterie. Puis, en première classe, le piano et la guitare*. Puis, enfin, encore derrière (dans le wagon bar !), les solistes/Soufflants/Chant

*La place de la guitare peut varier selon le type de comping adopté…

La Ride et la Contrebasse « drivent », elles tirent les autres instruments, et à aucun moment un wagon ne doit dépasser la locomotive ! 

Encore une fois, cette image est une simplification, mais à l’écoute des trois solos, cela se révèle correct. C’est flagrant chez Miles : 

Chez Nat Adderley, le pianiste et lui-même ont tendance à jouer très proche du temps, pas étonnant que le rendu final déborde d’énergie.

Le cas de Chet est assez représentatif de ce que l’on peut trouver chez les soufflants, en général. Il a tendance à varier son placement pour créer de la tension rythmique. Par endroits, il est dangereusement derrière, mais il se « rattrape » juste avant d’aller trop loin et se replace plus près du temps.

Ce placement un peu « flottant », (mais quand même majoritairement derrière !) est très commun, si vous réécoutez Miles, vous verrez qu’il joue de la même manière.

Pour autant, il est possible de trouver des instrumentistes qui jouent absolument toutes leurs notes en arrière du temps, le saxophoniste Dexter Gordon en est un bon exemple. 

Mais alors, comment bien se placer ?

Personnellement, un de mes professeurs m’a dit que j’avais tendance à être devant, puis un autre que je jouais trop derrière…

Je pense avoir trouvé une explication à cette divergence d’opinions. Pour un instrument à vent comme la trompette, ou le sax, il peut y avoir une mini-latence entre le moment où nous décidons de jouer une note et le moment où le son sort pleinement. C’est comme si ces instruments jouaient derrière, de base !

Même chose pour la contrebasse, l’attaque se fait en deux temps, on tire d’abord la corde pour la mettre en tension, puis on la relâche pour qu’elle entre en vibration. Cela créé forcément de la latence entre le moment où nous commandons à nos muscles d’effectuer l’attaque, et le moment où le son se fait entendre.

Par contre, le piano ou la batterie ont une latence beaucoup plus réduite, comme pour la majorité des instruments percussifs.

Si j’avais un conseil à donner :

  • Instrument à vent/Chant : Pensez « sur le temps », la nature de votre instrument vous placeront naturellement derrière, avec le bon dosage
  • Contrebasse : Pour pouvoir assurer votre rôle de locomotive, pensez très devant !
  • Batterie/ Piano : Si vous voulez être derrière, il faut se « freiner » intentionnellement, à travailler donc. Mais si vous voulez être sur le temps, jouez naturellement.

Une dernière chose sur ce 3e paramètre :

Une grande partie du fait que mon placement laissait à désirer et semblait trop en avant du temps venait en réalité d’un problème de technique.
J’étais en dessous des capacités requises pour jouer à la vitesse que je voulais, menant à une perte de contrôle du débit et à un stress qui nuisait à la qualité de mon exécution.
Au fur et à mesure que je progresse, ce stress a tendance à disparaître, mais je le sens parfois revenir, par exemple quand je travaille les tempos up.

Faites attention à ce petit détail, dès que vous sortez de votre zone de confort, votre placement (donc votre swing) peut en pâtir.

Conclusion

3 solos, 3 piliers fondamentaux du swing à maîtriser !

Si vous sentez que vous pouvez swinguer un peu plus, cet article vous a, je l’espère, donné les clés pour avancer.

Commencez par repiquer un des chorus dont je viens de vous parler, en essayant de coller au plus près des phrasé, placement, et débit du soliste.

Pour vérifier si vous êtes dans la bonne démarche, faites comme moi ! Enregistrez votre instrument seul, avec le solo au casque. Vous serez surpris du résultat, d’abord dans le mauvais sens, puis je l’espère, dans le bon.

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Image de couverture : Andre Hunter

Comment C.Brown et B.Evans domptent le Ve degré de la tonalité mineure

Dans la première partie de cette série d’articles sur la tonalité mineure, je vous présentais tout ce dont vous aviez besoin pour comprendre la théorie qui se cache derrière ce type de morceaux. En conclusion, je vous indiquais la manière dont le ii V I mineur est le plus communément joué sur les disques de jazz les plus célèbres. Aujourd’hui, je vais me concentrer sur le Ve degré de la tonalité mineure. « Pour quelle raison ? » me direz-vous…

Eh bien ce Ve degré m’a donné du fil à retordre. Comme vous allez le découvrir, sa couleur d’accord n’est pas du tout la même que celle du Ve degré de la tonalité majeure. Ensuite, le mode à utilisé sur cet accord est aussi très compliqué, il a beaucoup d’altérations et une échelle d’intervalle plutôt bizarre…
Enfin, nous verrons que ce Ve degré n’est pas joué de la même manière selon que l’on improvise ou que l’on accompagne !!

J’ai donc mis un temps fou à comprendre ces spécificités en me documentant, repiquant, analysant, jouant tout ce qu’il faut pour maîtriser cette infime partie de la théorie du jazz… 

Ne vous découragez pas devant l’ampleur de la tâche à accomplir…au contraire ! La lecture de cet article va vous éviter de passer des heures et des heures à éplucher des bouquins de théorie ou à visionner des vidéos de jazzmen anglophones obscurs…
Ainsi, à la fin de votre lecture, vous n’aurez plus qu’à appliquer les conseils que je vous donne, et je vous promets que vous sonnerez (au moins !) aussi bien que Clifford Brown, ou Bill Evans… !

Pourquoi un mode si alambiqué pour le Ve degré de la tonalité mineure ?

Reposons le cadre. 
Nous sommes dans un morceau en Do mineur. Lors de ma première partie, je vous présentait le ii V i mineur « basique » :

ii V i -> D-7b5 G7b9 C-6

Avec :

  • ii : D-7b5 : mode locrien
  • V : G7b9 : mode mixolydien b9b13
  • i : C-6 : mode mineur-majeur

« Mixolydien bémol neuf bémol quoi ?? » Le mode Mixolydien b9b13 (mixo b9b13 pour les intimes) nous cause bien des soucis…
Ce mode est issu de la gamme mineure harmonique (cf article précédent). Ainsi, il ne tombe pas aisément sous les doigts, principalement à causes de ses altérations de 9e et 13e, mais aussi de l’intervalle de seconde augmentée entre la b2 (ou b9) et la 3ce Maj :

Mais pourquoi utiliser un mode si compliqué pour notre Ve degré ? Un simple mixolydien ne fait pas l’affaire, comme pour les Ve degré de la tonalité majeure ?
Les tétrades des deux modes sont pourtant similaires (G7 : Sol Si Ré Fa), et fonctionnent dans un ii V i mineur : 

Le mode mixolydien pose problème dès que l’on ajoute ses extensions. Dès que sa neuvième majeure (La) et sa treizième majeure (Mi) sont empilées sur sa tétrade G7, voici ce que ça donne : 

Cela vous paraît il bizarre ? À moi, oui… !

En fait, il faut considérer les deux notes que l’on vient d’ajouter dans le contexte de la tonalité dans laquelle on se trouve, Do mineur.
Les notes qui colorent le plus cette tonalité sont les 3ce et 6te mineures de la gamme (Mi bémol et La bémol), qu’on peut retrouver dans les gammes mineures harmonique et naturelle.
Or, ajouter au Ve degré des extensions venant du mode mixolydien fait apparaître dans la cadence les 3ce et 6te majeures de la tonalité, La et Mi. Ces notes sont caractéristiques d’une couleur majeure, les ajouter au Ve degré sous forme d’extensions revient donc à annoncer une résolution vers un premier degré… majeur.

Cela explique donc pourquoi le mode mixolydien semble aussi déplacé dans une cadence mineure.

L’intérêt du mode mixo b9b13, c’est que, comme son nom l’indique, on ajoute les b9 et b13 à la tétrade de base :

C’est beaucoup mieux pour le Ve degré de la tonalité mineure… Mais, malheureusement, ces explications n’enlèvent rien à la difficulté du mode !
Pas de panique, comme je vous le disais plus haut, le célèbre trompettiste Clifford Brown va nous montrer une astuce pour simplifier les choses…

La substitution maline qu’utilise Clifford Brown pour se simplifier la vie sur le Ve degré de la tonalité mineure

Chose promise, chose due, voici trois phrases de Brown jouées sur des ii V i mineurs. Saurez-vous trouver leur point commun ? : 

Il se fond parfaitement dans les phrases, mais il est pourtant bien là :  Brown utilise un arpège diminué pour faire sonner le mode mixo b9 b13

L’utilisation de cette couleur diminuée a une explication théorique logique.

Rappelez vous, dans le précédent article, nous avions dressé la liste des degrés de la gamme mineure harmonique (d’où est tiré notre mode mixo b9b13).
Le viie degré de la gamme, qui était, comme le Ve, de fonction dominante, a une couleur d’accord… Diminuée !

En Do mineur, le Ve degré G7(b9) peut donc être substitué par le viie degré, B°. Cela se voit beaucoup en musique savante. Et, en jazz, cela permet très facilement d’arrêter de se prendre les pieds dans le tapis au moment de jouer notre Ve degré de la tonalité mineure.

Est-ce facile pour autant ? Eh bien, pas besoin de faire 3 équations à double inconnues pour trouver comment jouer cette substitution à partir de notre Ve degré :

L’accord diminué du viie degré démarre sur la 3ce Majeure du Ve degré, et ses 3 autres notes sont situées à des intervalles de 3ce mineures

Démonstration avec G7b9 :

Essayez de chanter les 4 notes de B° en jouant un Sol grave au piano. Vous n’avez plus qu’à terminer votre début de phrase par une résolution sur le ier degré (C-), et vous aurez compris la puissance mélodique de cet outil.

Les pianistes et guitaristes utilisent-ils aussi cette technique dans leurs accompagnements
Après tout, c’est possible et plutôt facile de le faire : 

Pourtant, dans la réalité, c’est tout autre chose qui se produit. Cette option semble délaissée par les accompagnateurs qui préfèrent faire appel à un tout autre mode pour jouer le Ve degré de la tonalité mineure : le mode Altéré.

La star des couleurs d’accord du Ve degré de la tonalité mineure : 7alt

Rappelez-vous, j’avais conclu mon précédent article en vous annonçant que la gamme mineure mélodique nous réservait bien des surprises…
Son premier degré nous avait apporté la couleur -6, qui est la plus prisée par les jazzmen.
Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est le mode donné par son septième degré, le mode super-locrien, plus communément appelé mode Altéré :

Si vous voulez en savoir plus sur ce mode, téléchargez mon Ebook gratuit Les Fiches d’Identité des Modes.
Vous y trouverez quelques informations supplémentaires, comme des exemples de morceaux qui l’utilisent, son échelle d’intervalles, et aussi un voicing et une phrase de jazzman que j’ai retranscrit spécialement pour l’occasion.

Le mode Altéré est similaire à un mode locrien dont on a diminué la quarte.
La 4te dim est en fait enharmoniquement similaire à une 3ce majeure, ce qui rend le mode terriblement instable, car il contient déjà une 3ce… mineure !

L’oreille se fiche des noms des notes et l’illusion de la 3ce majeure l’emporte contre la « vraie » 3ce mineure. Cette dernière est perçue comme étant une extension, enharmoniquement la #2 (ou #9) ! 

Voici donc le « vrai » mode altéré et le mode altéré « perçu » par l’oreille : 

Si je vous raconte tout cela, c’est bien entendu parce que les jazzmen utilisent la seconde version, qui donne un accord pour le moins… explosif :

Les jazzmen ne jouent pas toutes les extensions, et préfèrent garder la #11 (ou b5) pour une autre occasion, que je vous présenterai sans doute dans un autre article.
Cela nous laisse avec 6 notes qui forment un accord 7b9#9b13 (sans la quinte), que l’on simplifie avec cette écriture : 7alt.

Vous pouvez entendre un exemple de l’utilisation du mode altéré sur le Ve degré de la tonalité mineure dès les premières minutes de l’album Chet Baker Sings :

En voici un autre exemple, cette fois-ci de Bill Evans, avec les premières secondes du morceau Gloria’s Steps :

Le son de la #9 est reconnaissable entre mille dans ce type d’accords (en top-note dans les deux exemples, ce qui accentue son importance). C’est une des notes caractéristiques du mode altéré, avec la b9 et la b13.
(Les plus attentifs auront d’ailleurs remarqué que je l’ai écrite avec la note de la 3ce mineure, son enharmonie, ce qui est mélodiquement plus pratique à lire.)

Vous devez donc être préparé à faire face au mode Altéré ! Miles Davis, par exemple, a du travailler ses ii V i mineurs avec cette idée en tête :

Michel Petrucciani aussi : 

Et je pourrais vous citer encore et encore des centaines de choses que j’entends quotidiennement ! 

Et voilà !

Dans cet article vous avez appris à slalomer entre les pièges du Ve degré de la tonalité mineure.

Grâce à Clifford Brown, vous savez comment une simple substitution permet de simplifier considérablement le mode mixo b9b13.
Vous savez aussi comment sonner comme tous les pianistes et guitaristes qui sévissent à partir des années 50 grâce à un mode à première vue obscur, le mode Altéré.

Deux pistes de travail peuvent maintenant enrichir votre jeu.
Il ne vous reste plus qu’à sortir votre instrument de sa housse et votre play-back de ii V i mineur, et travailler ces deux choses.
Même si lire cet article vous a fait gagner tout le temps de recherche et d’analyse, vous ne pourrez vous améliorer qu’en appliquant mes découvertes dans votre pratique.

Alors au boulot !

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Image de couverture : Photo of jazz trumpeter Clifford Brown, September 15, 1956 Published in The News Journal, page 39, Associated Booking Corporation (management). Domaine Public.

La Sixte : Cette note qui pimente 🌶😳l’improvisation sur le blues

La gamme blues ? Vous l’avez sur le bout des doigts. La grille de blues ? 3 accords, un ii V I, facile. Le blues, vous connaissez, donc.
Mais comment se fait-il qu’au bout d’une demi-douzaine de grilles vous avez le sentiment d’avoir tout dit ? Que vous n’avez plus d’inspiration ?

Personnellement, je me souviens avoir ressenti cette impression désagréable lors d’une jam :

«Deux saxs me précèdent, la rythmique est un peu à bout et je fais tout mon possible pour trouver des idées. Je me rends vite compte que je réutilise des phrases que j’ai jouées quelques minutes plus tôt, et que les musiciens de la rythmique se lassent et aimeraient bien que je termine mon chorus pour aller boire une bière ! »

Si nous n’arrivons pas à renouveler nos idées, c’est souvent parce que nous sommes limités dans notre vocabulaire. Et cela transparaît d’autant plus sur un format court comme la grille de blues.

Devant ce constat, mon premier réflexe a été de puiser de l’inspiration dans les disques des grands jazzmen, qui maîtrisent si bien le blues.

Aujourd’hui, je vous partage une de mes découvertes, tirée de mes analyses du jeu de Wynton Kelly :

Celui de Wes Montgomery :

Ou encore d’Oscar Peterson :

Le point commun entre les phrases ci-dessus ? Elles font appel à la Sixte (ou 13e) de l’accord 7 du blues.

La Sixte dans la Gamme blues majeure

La Sixte est la note située à 4 tons du centre tonal. Dans un blues en Do, c’est la note La.

C’est une note pleine de couleur, qui n’est pas aussi évidente à entendre que la tonique, la tierce, ou la quinte par exemple.

Il existe une manière simple de la faire entendre dans le contexte du blues, il suffit d’utiliser la gamme blues majeure, qui la contient :

La gamme blues « majeure » est construite à partir de la gamme pentatonique majeure, à laquelle on rajoute une blue note, la #9 (en Do : Ré#). Je vous en avais déjà parlé dans cet article sur la composition du blues.

Voici la phrase d’Oscar Peterson que je vous ai montrée ci-dessus :

Cette phrase montre bien la puissance de la Sixte, mise en valeur ici sur un temps fort, le 4e temps de la première mesure, en l’approchant par une phrase au mouvement ascendant, et en la gardant en top note pendant qu’une seconde voix poursuit la phrase dans la seconde mesure. Les notes de cette seconde mesure forment d’ailleurs un gimmick blues très utilisé par les plus grands… À piquer, donc.

L’opposition avec la Blue Note

Nous avons vu que la particularité de la gamme blues majeure est l’ajout d’une blue note, la seconde augmentée ou #9. Wes Montgomery nous montre une relation intéressante entre cette blue note et la Sixte dans cette phrase tirée de No Blues :

/!\ Nous sommes dans un blues en Fa, la blue note devrait être sol dièse, mais j’ai spontanément écrit un la bémol à la place. J’ai remplacé la seconde augmentée par la tierce mineure. Ces deux notes ont techniquement la même hauteur, mais sont notées différemment, on dit qu’elles sont enharmoniques. Dans ce contexte, La bémol me paraît plus facile à lire, donc ne paniquez pas, c’est bien la blue note !

Donc, l’intervalle entre la blue note et la Sixte est une 5te diminuée (dans l’ex: 4te aug). L’intervalle entre ces deux notes est de 3 tons, il est appelé le triton. C’est un intervalle très dissonant, qui incarne une opposition entre deux notes. Wes, dans l’exemple, ne cherche pas à adoucir cette tension et veut un clash harmonique. Il créé le contraste en jouant les deux notes l’une juste après l’autre, puis en finissant sur la tonique.
Ce genre d’effets, jouant entre tension et relâchement contribue à rendre son jeu particulièrement riche au niveau harmonique.

Voilà donc deux exemples d’utilisation de la Sixte grâce la gamme blues majeure !

La Sixte dans le mode Mixolydien (accords sus4)

Toujours en écoutant Wes Montgomery, j’ai remarqué un procédé intéressant qu’il utilise dans plusieurs de ses chorus. En voici deux exemples, un dans No Blues et l’autre dans D Natural Blues :

Entendez vous la similarité entre les deux exemples ? En fait, Wes utilise une substitution commune des accords 7 qui composent les grilles de blues. Il leur donne une couleur 7sus4.

Petit rappel sur les accords 7sus4

Un accord suspendu est un accord majeur dont la quarte remplace la tierce :

Ce type d’accord est dérivé d’un mode, le cinquième mode de la gamme majeure, le mode mixolydien.
Vous trouverez plus de détails là-dessus dans mon EBOOK gratuit « Les Fiches d’Identité des Modes« . Je pars du principe que vous parlez couramment le mixolydien, et passe donc les explications techniques.

Si on empile toutes les notes du mode mixolydien, en remplaçant la tierce par la quarte, cela donne un accord de couleur 13sus4.

Il existe une manière de simplifier ces accords 13sus4. Jetez à nouveau un oeil aux notes de l’accord ci-dessus, en particulier aux trois dernières notes.

Nous avons un F13sus4. Les trois dernières notes sont Mi bémol, Sol, et . Si j’intercale la quarte, Si bémol, entre ces notes, cela donne : Mi bémol, Sol, Si bémol, . Une tétrade de Mi bémol Majeur 7 !

Si on fait le chemin inverse, en prenant un accord de Ebmaj7 et en y ajoutant la basse Fa, nous avons un F13sus4 !

C’est très pratique pour s’en souvenir ! Quand on veut jouer un accord suspendu, on choisit une tonique, et on superpose l’accord maj7 qui se situe une seconde majeure en dessous de cette tonique.

Revenons à notre sujet, la Sixte. Dans notre exemple avec le F13sus4, c’est la note . Si on pense le F13sus4 comme un Ebmaj7/F, la note Ré devient la septième majeure de Ebmaj7. Elle est contenue dans l’accord, ce qui la rend plus facile à entendre, et donc à jouer.

Et Wes semble raisonner de cette manière. Dans l’exemple que je vous remets ci-dessous, sur un F7, on peut remarquer qu’il attaque par la Sixte sur la première mesure. Il a ensuite l’idée de jouer l’arpège de Mi bémol majeur sur les 2e et 3e mesures, et faire apparaître la couleur suspendue :

La sixte est donc un « pivot » qui peut servir à jouer facilement de nouvelles couleurs, comme la couleur suspendue. L’utilisation de cette note est donc définitivement un atout quand on cherche de nouvelles idées dans un chorus de blues…

La Sixte dans le mode Lydien b7

Canonball Adderley va nous montrer une autre manière de se servir de la Sixte.

En réécoutant son chorus sur Freddie Freeloader, une de ses phrases m’a frappé :

C’est tendu non ? Mais, néanmoins, ça fonctionne !
En analysant on peut se rendre compte que Canonball joue un arpège de Abmaj7#5 sur le Bb7.

  • Abmaj7#5 = La bémol, Do, Mi bécarre, Sol.
  • Bb7 = mode Mixolydien = Si bémol, Do, Ré, Mi bémol, Fa, Sol, La bémol.

Le Abmaj7#5 apporte donc une nouvelle couleur sur le Bb7. Son Mi bécarre se substitue au Mi bémol du mode de Si bémol Mixolydien, ce qui le transforme en Si bémol Lydien bémol 7.

Petit rappel sur le mode Lydien bémol 7

Le mode Lydien bémol 7 est le 4e mode de la gamme mineure harmonique, il donne un accord 7#11 (ou 13#11 avec les extensions).
Encore une fois, si vous voulez aller plus loin -> Les Fiches d’Identité des Modes.

Comme pour la couleur suspendue de tout à l’heure, il existe un moyen de simplifier les accords 13#11 pour pouvoir les jouer plus rapidement et facilement.

Prenons comme exemple le Bb7 de Canonball. Il joue les notes de Abmaj7#5, ce qui ne facilite pas franchement la réflexion. Par contre, si on laisse de côté la note La bémol, il nous reste les trois notes : Do, Mi, et Sol. Une belle triade de Do Majeur !

Penser les accords 13#11 comme un accord 7 auquel on a rajouté une triade majeure située une seconde majeure au dessus de la tonique est une bonne manière de se simplifier la vie !

Revenons à notre Sixte.
La Sixte d’un Bb13#11 est la note Sol. C’est aussi la quinte de la triade de Do. Dans le contexte du blues, où nous jouerions cette note sur Bb7, il est très facile de « pivoter » vers la triade de Do et amener la couleur lydien bémol 7.

Et c’est ce que fait Canonball sur le 3e temps de la première mesure, il se sert de la note Sol, la sixte du Bb7, pour amener la couleur lydien bémol 7 grâce à la triade de Do :

Conclusion

Oscar Peterson, Wes Montgomery et Canonball Adderley nous ont montré dans cet article 3 manières d’utiliser la Sixte sur la grille de blues :

  1. En jouant la gamme blues majeure, en particulier l’opposition 6te – Blue Note
  2. Avec la substitution de l’accord 7 du blues avec un accord 13sus4, en considérant la sixte comme la 7e Majeure de l’accord Maj7 situé un ton en dessous de notre tonique
  3. En substituant le mode mixolydien (l’accord 7) avec le mode lydien bémol 7 (l’accord 13#11), en considérant la Sixte comme la 5te de la Triade majeure située un ton au dessus de la tonique.

Ces différentes manières d’utiliser cette note nous donnent de nouvelles idées à tester sur le blues. Travaillez-les, et vous vous essoufflerez moins rapidement !

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Comment travailler le jazz (sans y passer 8h/jour) ? Prt 2 : Être EFFICACE

Dans l’article précédent, nous nous sommes intéressés aux différentes disciplines à travailler pour devenir un jazzman sans lacunes. Partant du constat que tout travailler séparément prendrait une éternité, je vous donnais quelques pistes pour combiner les approches, et ainsi progresser de manière optimale.

Une fois que vous avez pris conscience de ce paramètre, vous avez parcouru la moitié du chemin.
Pour arriver au bout du tunnel… eh bien il faut sortir son instrument de sa housse, brancher son micro, ouvrir le clapet du piano… autrement dit, travailler !
Et là, cela se complique, je vous parle en connaissance de cause. On a vite fait de passer des heures et des heures sur son instrument, tout en étant pas efficace, ou pire, en s’énervant… Ce qui mène irrémédiablement vers un travail sans progrès, avec très peu de résultats… 

Avant de poursuivre cet article, j’aimerais que vous vous posiez la question suivante :
« La dernière fois que j’ai travaillé mon instrument, ai-je été efficace ? Durant la totalité de mon temps de travail ? »

La fois où j’ai été efficace… 10% du temps

Voici le récit d’une de mes séances de travail type, avant que je me pose des questions sur ma méthode de travail et mon efficacité :

Je suis motivé pour travailler ma guitare, j’allume mon ampli, je m’accorde, règle mon son. J’ai un morceau particulier à travailler, donc je commence à le jouer pour me chauffer, et me rendre compte des points à renforcer. 

Bien sûr, juste pour voir, je le prends au tempo auquel je dois le jouer, et j’ai du mal a exécuter quelques phrases. À chaque fois que je bloque, je reprends la phrase moins vite, une fois, deux fois, n’y arrive toujours pas, la joue encore moins vite, y arrive, continue le morceau.
Le même schéma se reproduit approximativement… toutes les 10 secondes.

20 minutes plus tard, je suis arrivé tant bien que mal au bout du morceau, je sais maintenant de manière évidente quels sont les points à renforcer.
Mais je me laisse distraire par une notification sur mon téléphone, et passe 10 minutes à gérer quelque chose de relativement important. Plus important que le travail de mon morceau, en tout cas. 

Je me re-concentre, travaille trop vite le premier passage problématique et m’énerve car je n’y arrive toujours pas. 
Après quelques autres essais infructueux, je maudis le compositeur du morceau (et toute sa descendance), repose ma guitare et éteins mon ampli, plein de frustration. 

Des choses vous semblent familières dans ce que je décris ? Peut-être devriez vous remettre en question votre méthode de travail ! 
Dans l’exemple que je viens de vous décrire, j’ai été très peu efficace (en tout et pour tout, peut-être… 10% du temps ?).
Essayons ensemble de trouver des astuces pour remonter ce pourcentage.

Guitare cassée ampli aussi on imagine une colère suite à un comportement peu efficace
Sans doute le résultat d’une séance de travail peu efficace.

Être efficace = ne plus être inefficace !

Afin d’atteindre les 100% du temps consacré à être efficace, il faut prendre le problème à l’envers. Voir le verre à moitié vide plutôt qu’à moitié plein.

Je ne pense pas qu’ajouter un exercice, ou 10 min de temps en plus à ma séance de travail va m’aider à avoir plus de résultats… Par contre, je vois très bien les comportements inefficaces qu’il faudrait que je supprime !

Avant même de penser à trouver des moyens d’être plus efficace, il faut commencer par éliminer toutes les petites choses qui nous mènent à l’inefficacité. Ça commence par…

Le Warm-Up

En premier lieu, se chauffer en filant ce que l’on travaille est quelque chose de profondément illogique… J’ai du mal à imaginer Usain Bolt se lancer dans le 100m sans s’être délié les muscles auparavant !

Il faut chauffer son corps et son esprit, afin d’être bien en capacité d’exécuter les tâches complexes que demande le travail de la musique. Cette première étape est, malheureusement, trop souvent ignorée…

Privilégiez un exercice conçu spécialement pour se chauffer, qui va vous réveiller, et non pas vous fatiguer comme le filage d’un morceau complexe, par exemple…

Maintenant que je suis chaud, je file le morceau ??

Eh non, toujours pas ! Comme je vous l’ai raconté, filer le morceau que l’on doit travailler mène à une série de blocages sur les passages problématiques (ce qui revient à être inefficace, voir la partie suivante).

Généralement, nous connaissons nos faiblesses. Si on y réfléchit un peu en regardant notre partition, nous savons quels endroits vont nous poser problème. Ce que nous devons travailler nous apparaît donc naturellement, sans avoir besoin de jouer quoi que ce soit, et échouer ce faisant.

Même en sachant cela, c’est très tentant quand on travaille un passage d’enchaîner directement le suivant (sans s’arrêter de jouer). Ainsi, je me suis souvent surpris à me dire, en travaillant : « C’est bon, j’en suis à ma troisième répétition à un tempo réduit, je peux enchaîner sans pause avec la partie suivante, je crois me souvenir qu’il fallait que je travaille cela comme ceci etc…« . Cela pose toute une série de problèmes, que je ne vais pas détailler ici (concentration, erreurs, etc…).

Si cela vous arrive aussi, faites comme moi ! Aux grands maux, les grands remèdes, je travaille toujours tout à l’envers, la fin d’un morceau avant le milieu, et en dernier lieu, le début. Essayez, vous allez voir, c’est radical !

Le travail (contre-productif) des passages problématiques

Vous rappelez vous, dans mon histoire, ce qui a finalement mené à l’arrêt de ma séance de travail ? C’était mon incapacité à réussir à exécuter un passage qui me posait problème. À cause du fait que… Je travaillais trop vite !

Alors oui, vous connaissez la chanson, tout le monde le répète à longueur de temps, il faut travailler lentement, bla bla bla.
Dans cet article, j’aimerais aller un peu plus loin et m’intéresser aux raisons profondes qui m’amènent à penser que le travail (ultra) lent est la seule manière d’être vraiment efficace.

Quand on on travaille un passage complexe à un tempo trop rapide, notre cerveau ou nos muscles ont du mal à gérer tous les paramètres à prendre en compte (rythmes, notes, nuances, tempos, spécificités techniques…). Cela mène vers un blocage que vous devez bien connaître, et au final, on échoue à exécuter le passage.

Nous allons échouer une fois, deux fois, trois fois… Jusqu’au retrait d’un ou plusieurs paramètres (la contrainte du tempo rapide, des nuances…).

Que croyez vous que le cerveau enregistre devant tant d’échecs
Je vous le donne dans le mille, que le passage est compliqué, et qu’il induit une impossibilité d’exécution.

Et ce, même si par miracle si ce que vous travaillez « passe » au bout du 4e essai. Vous comptabilisez 3 échecs d’exécution pour 1 réussite. Imaginons que vous bossez 7 jours avec cette cadence, vous avez échoué 21 fois réussi seulement 7 fois !

Mais pourtant, nous sommes d’accord travailler le morceau doit servir à préparer son exécution sans erreurs ou hésitations ?
Nous préparerions cette réussite avec… Une majorité d’échecs ?

Je pense que vous commencez à saisir l’absurdité de ce comportement, et pourtant, regardez autour de vous, tout le monde travaille avec cette méthode.
J’en ai moi-même fait les frais, par le passé.

La SEULE méthode pour privilégier la réussite par rapport à l’échec

La méthode miracle pour avoir 4 réussites et 0 échecs ? Prenez comme tempo de départ 40 ou 50 à la noire, en essayant de groover comme si vous étiez à 120, 140.

(Bien sûr, ces valeurs sont indicatives, et dépendent de ce que vous jouez. L’important est de travailler moins vite que ce que vous considérez comme étant lent !)

Cela demande énormément de rigueur et de concentration, mais au fur et à mesure, c’est comme une drogue.
Personnellement, quand je constate les effets bénéfiques de ce travail hyper-lent, j’en redemande !

J’ai d’ailleurs partagé aux abonnés de la newsletter un article du pianiste Antoine Hervé sur le sujet, si cela vous intéresse, voici le lien :

https://blog.antoineherve.com/eloge-de-la-lenteur-ou-comment-travailler-linstrument-73cedd31d91d

Travailler lentement nous aide donc à préparer la réussite par la réussite, et donc à être efficace 100% du temps que l’on consacre à sa pratique.
Après tout, si on s’habitue à échouer… autant ne pas travailler du tout, c’est plus productif !

Conclusion 

Dans mon récit, où je n’étais efficace que 10% du temps, j’avais dû travailler environ 45 minutes. 10% de 45 min, c’est… 4 min 30 secondes. Si j’avais appliqué mes propres conseils, en étant totalement efficace, j’aurais progressé plus en travaillant seulement 5 min !

C’est pour cela que bosser 8h par jour, tout en étant peu efficace… C’est tout simplement un immense gâchis de temps.

On peut travailler moins, et progresser plus.

Maintenant, passez à l’action : Traquez et supprimez tous les petits moments d’inefficacité dans votre pratique. Tout le temps que vous allez gagner peut être réinvesti dans de précieuses minutes de travail efficace à 100%, vous menant vers une progression 2 ou 3 fois plus rapide ?
Ou bien, vous pouvez utiliser ce temps gagné pour vous la couler douce en ayant la sensation du travail accompli… À vous de voir ! 

Si vous aussi, vous avez des astuces pour être plus efficace, je suis preneur ! Indiquez-les dans les commentaires.

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Comment travailler le jazz (sans y passer 8h/jour) ? part-1

D’après Mastery, le livre culte de l’américain Robert Greene, pour devenir un expert dans une activité quelconque, il faut y consacrer pas moins de 10000 heures ! Si on applique cette règle à la pratique d’un instrument, en y passant 2h tous les jours, on peut espérer le maîtriser en… 13 ans et demi ! Évidemment, ce résultat est assez absurde, il est possible de devenir un bon musicien en moins d’une douzaine d’années. En fait, ce chiffre nous informe du temps qu’il faut prendre pour maîtriser complètement un champ d’activité. Mais l’amalgame entre « bon » et « expert » est vite fait, et dans l’imaginaire collectif, ces 10000 heures peuvent vite devenir inatteignables. Travailler le jazz devient un fardeau, qui mène au découragement toute personne étant un peu trop exigeante avec elle-même.

En musique plus que dans toute autre discipline, un certain esprit de compétition peut nous pousser à vouloir travailler toujours plus.
Ce genre de mentalité peut s’avérer très dangereuse. Pourquoi ?

En passant beaucoup d’heures à pratiquer ce qui, au départ, est une passion, nous y investissons une des ressources les plus chères à nos yeux : notre temps.
J’ai ainsi été témoin de deux ou trois histoires de musiciens qui avaient beaucoup (trop) travaillé et investi de temps dans leur pratique. À la suite d’une déconvenue (échec à un examen, concert important sur lequel ils jugent ne pas avoir été à la hauteur, mésentente avec un professeur…) ils ont tout simplement mis un terme à leur pratique !

Un véritable Burn-out.

Qui puise son origine première (entre autres) dans la fausse croyance que pour devenir bon, nous devrions travailler à longueur de journée…
Les légendes urbaines du jazz renforcent d’autant plus ce mythe. Qui n’a jamais entendu parler du rythme de travail de John Coltrane, qui pouvait bosser son sax jusqu’à 12h par jour !?

Trop travailler peut donc s’avérer néfaste, mais, d’un autre côté, ne pas travailler assez ne permet pas de progresser…
Comment faire la part des choses ? Combien d’heures par jour consacrer à travailler le jazz ? Comment ne pas être submergé par la quantité de boulot ? Comment progresser plus efficacement ?

Je vais essayer de répondre à toutes ces questions dans les deux parties de cette série d’articles. Commençons par définir :

Les choses indispensables à travailler

Abraham Lincoln a dit un jour :

Si j’avais 6 heures pour abattre un arbre, je passerai les 4 premières à affûter ma hache.

Abraham Lincoln

Quel rapport avec le jazz, me direz vous ?

J’y viens. 
Avez vous déjà été dans une école de jazz ? Si oui, vous avez une petite idée de ce qu’on y enseigne. Voici une liste non-exhaustive :

  • L’harmonie
  • Le rythme
  • Le déchiffrage
  • L’improvisation
  • L’interprétation
  • La culture
  • L’oreille
  • Le jeu en groupe
  • L’accompagnement
  • Le répertoire

On peut organiser ces différentes disciplines de cette manière :

Schéma différentes matières en jazz

Bien sûr, on peut être un très bon musicien sans avoir travaillé les fondamentaux (les musiciens de jazz manouche, qui ne déchiffrent pas, en sont un bon exemple).
Je connais des gens qui jouent des phrases très sophistiquées grâce à leurs relevés de solo, mais qui n’ont pour autant jamais étudié l’harmonie ou le rythme en profondeur.

La combinaison des fondamentaux, de la théorie, et des matières purement rattachées au jazz forme en fait l’idéal du musicien polyvalent.
Un jazzman capable de braver toutes les situations, d’improviser sur les grilles les plus compliquées, d’être toujours précis rythmiquement et de jouer tout ce qu’il entend.

Pour en revenir à Lincoln, s’il avait fait du sax, il nous aurait peut-être dit : 

Si on me donne 6h pour enregistrer une version de Cherokee, je passerai les 4 premières à écouter des versions, bosser la grille, ses accords et ses modes, répéter le morceau en session, m’entraîner à jouer 100 points en dessous… »

Abraham Lincoln (enfin presque)

Bref, vous m’avez compris, Lincoln nous apprend que nous sommes plus efficace en passant du temps à préparer ses outils, plutôt qu’en s’attelant tout de suite à la tâche, sans réfléchir.

Afin d’être bien préparé pour faire face aux situations les plus compliquées, il faut donc travailler le jazz de manière complète, pour devenir bon dans toutes les disciplines. Et cela pose un problème de taille…

Comment faire pour tout travailler ?!

Travailler le jazz en combinant différentes approches

Les différentes matières sont nombreuses, et, comme indiqué dans le titre, nous avons envie de passer moins de 8h par jour à travailler le jazz !

Il y a quelques années, j’ai personnellement résolu le problème en faisant l’impasse sur les matières qui me plaisaient le moins, le rythme et le déchiffrage.
Mais, comme vous pouvez vous en douter, je me suis retrouvé très vite face à mes faiblesses, et cela a été problématique dans la suite de mon apprentissage. J’aurais bien aimé qu’on me montre une solution alternative, plus intelligente…

En fait, il est possible, de travailler plusieurs disciplines en même temps. Je vais vous donner un exemple :
Imaginons que vous travailliez All of Me cette semaine. 

  • Vous choisissez de trouver sa grille en repiquant la ligne de basse. Vous mêlez donc l’apprentissage du répertoire et l’oreille
  • L’écoute d’une vingtaine de versions vous aide à vous familiariser avec le standard. Supposons que pour chacune, vous notez les noms des musiciens, des albums, labels et années d’enregistrements… Vous alliez maintenant répertoire et culture.
  • La manière qu’a le saxophoniste Lester Young d’interpréter le thème vous plaît, en particulier au niveau rythmique. Vous repiquez donc le thème, le travaillez sur votre instrument, prenez le rythme à part et en faites un exercice (pieds sur les 2e et 4e temps, mains avec la clave du chabada, texte à la voix par exemple). Répertoire + Oreille + Interprétation + Rythme !
  • Vous vous intéressez à la grille du standard, voyez que la partie C comporte une subtilité, et vous décidez de vous renseigner. Vous découvrez une nouvelle progression d’accords, la cadence plagale mineure, et la travaillez dans tous les tons, en utilisant un voicing précis au piano. Répertoire + Harmonie + Accompagnement.
  • Vous choisissez d’amener le standard en session, en vous rendant compte qu’avec tout ça, vous n’avez pas appris le thème (du moins pas sa version basique) ! Répertoire + Jeu en groupe + Déchiffrage.

Et voilà comment à partir du choix d’un standard, on peut réussir (à peu près !) à tout travailler. La combinaison des différentes disciplines renforce même l’apprentissage.

Dans mon exemple, je peux vous garantir qu’après une semaine à varier les approches, All of Me n’a plus de secrets pour vous ! Et les progrès que vous avez accompli dans vos compétences fondamentales vont vous servir à accélérer votre apprentissage d’autres morceaux. 

Objection !

Évidemment, tout ne fonctionne pas aussi bien en pratique. Optimiser au mieux sa méthodologie en mixant un maximum d’approches n’est pas une chose évidente à faire.

Il est difficile de choisir le bon standard par rapport à notre niveau, de trouver les bons exercices, transcrire un solo peut prendre un temps fou…

Heureusement, il existe des solutions.

  • Pour éviter d’y passer des heures et des heures, réduisez la charge de travail (Repiquez 4 mesures au lieu de 8, ou 16, diminuez le tempo final…). Travailler régulièrement en petites quantité est beaucoup plus efficace que travailler ponctuellement en grande quantité.
  • Faites appel à un prof pour vous conseiller. Il s’est déjà posé toutes les questions que vous vous posez, son aide sera indispensable pour que vous ne perdiez pas de temps. 
  • Allez chercher de l’information dans des méthodes de jazz ou sur internet, à l’aide de blogs comme Jazzcomposer.fr ou de chaînes Youtube.

De cette manière, vous passerez moins de temps à travailler le jazz, tout en progressant plus.

Conclusion

J’ai peut-être enfoncé des portes ouvertes, mais si on m’avait dit tout cela quelques années auparavant, j’aurais progressé beaucoup plus vite !
Si un article de ce genre aurait pu m’aider, il y a de grandes chances pour que cela aide certains d’entre vous.

Donc, jetez de nouveau un oeil sur le schéma vous présentant les différentes disciplines, et cherchez comment les combiner dans votre pratique.
Votre apprentissage n’en sera que plus profond et durable.

Consultez ici la deuxième partie de cette série d’articles.

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