Le Blues est né aux États-Unis à la fin du XIXe siècle. Ses racines sont les Work Songs, chants de travail des esclaves africains et les Negro Spirituals, chants sacrés aux origines harmoniques et mélodiques occidentales.
Le Blues est donc une collision de musiques diverses, qu’on pourrait résumer à une influence africaine pour sa mélodie, et occidentale pour l’harmonie.
Voici un extrait d’un blues joué dans les années 60 par un des premiers bluesmen du Delta, Son House :
Death Letter Blues de Son House.
Son House est un des premiers bluesmen enregistrés à la fin des années 1920. Cet enregistrement plus récent nous permet d’apprécier avec précision les sonorités caractéristiques du Blues :
la mélodie chantée par une voix rocailleuse et plaintive ;
l’accompagnement joué par une guitare avec bottleneck* pour glisser sur les cordes et faire écho à la voix et ses inflexions.
*goulot de bouteille découpé que le bluesman enfile sur un des doigts de sa main gauche pour glisser sur les cordes
Il nous permet également de bien saisir la structure du Blues (en tant que morceau), qui est fixe et tourne en boucle.
La structure mélodique du Blues :
Pour un tour de grille, qu’on pourrait appeler un « couplet », on compte 3 phrases :
1 question ;
1re phrase de Death Letter Blues
1 autre question, reprenant des éléments de la précédente pour la développer ;
2e phrase de Death Letter Blues
et 1 réponse, différente mélodiquement.
3e phrase de Death Letter Blues
Ces phrases durent généralement 4 mesures, ce qui donnera ensuite la structure typique d’un Blues à 12 mesures.
À noter : les premiers bluesmen s’accompagnant généralement seuls à la guitare, il est possible qu’ils ajoutent ou enlèvent des mesures aux carrures. Mais la structure globale tripartite reste inchangée.
Également, si on écoute attentivement Death Letter Blues, on se rend compte que la première phrase est très fournie, que la seconde reprend la première moitié mais pas la suite, comme une sorte de résolution avant la 3e phrase, « véritable » réponse et conclusion du « couplet ».
La structure du Blues est donc indicative, nous verrons ensuite que les musiciens qui l’interprètent adorent le modifier, le transformer, l’enrichir.
Continuons notre exploration en étudiant le matériau de base des mélodies du Blues : La Gamme Blues.
Le Blues est sans doute le morceau le plus joué et enregistré en jazz. C’est un des premiers morceaux qu’on recommande d’apprendre pour pouvoir jammer avec d’autres musiciens.
Malgré cette réputation de « morceau pour débutant », le Blues regorge de subtilités !
Dans ce cursus, je vais vous expliquer les enjeux de la grille de Blues pour que vos improvisations et accompagnements sonnent comme ceux des maîtres.
Vous découvrirez qu’il n’y a pas qu’une gamme blues, ou qu’une grille de Blues, et que de petits détails comme des accords diminués bien sentis peuvent enrichir considérablement votre jeu !
Les mélodies du Blues se basent sur une gamme spécifique, qu’on appelle Gamme Blues. Cette gamme est très différente des gammes occidentales, car ses hauteurs de notes ne sont pas fixes.
Par exemple, sa 3ce peut changer et correspondre tantôt à une 3ce majeure ou une 3ce mineure, ou entre les deux. A contrario, la 3ce d’une gamme occidentale comme la gamme majeure est fixe.
Pourquoi une telle spécificité ?
Les instruments étant d’abord inaccessible pour les esclaves africains, le Blues s’est développé comme un genre principalement vocal. À la voix, on peut glisser entre les notes, les faire monter ou descendre comme bon nous semble.
La Gamme Blues « originelle »
Voici la gamme blues « originelle » et ses hauteurs variables, régies par ces inflexions vocales :
Cette gamme peut être divisée en 4 régions distinctes :
la 1re note, qui est le point de repère fixe ;
la 3ce, qui peut être abaissée ou relevée ;
les 4te et 5te qui glissent de l’une à l’autre en passant par la 4te augmentée, très expressive ;
la 7e, qui peut être abaissée ou relevée.
Voici une illustration pour mieux visualiser ces régions :
Exercice : prenez votre instrument et essayez d’improviser avec les notes de cette gamme, en glissant d’une note à l’autre au sein d’une de ses « régions ». Revenez fréquemment sur la 1re note, en fin de phrase par exemple.
Voici un exemple de son utilisation dans une work song (genre musical à l’origine du Blues) :
Steel Laying Holler, Rochelle Harris, capté dans un pénitencier par Alan Lomax dans les années 1930.
Remarquez que la 1re note de la gamme Blues est un des seuls rendez-vous clairs et stables de la mélodie. C’est sa seule hauteur fixe.
Comment cette Gamme Blues mène aux « gammes blues » utilisées aujourd’hui
Ce n’est qu’après la Guerre de Sécession (1865), avec :
la libération des esclaves ;
la création d’orchestres militaires et religieux ;
et la circulation des instruments bon marché (banjos, guitares, harmonicas) ;
que les musiciens afro-américains ont pu transposer leur langage vocal sur des instruments.
Peu à peu, ils adaptent leur art à des instruments de facture occidentale, aux hauteurs fixes et basés sur un tempérament égal.
Par exemple, avec un clavier de piano, impossible de glisser entre deux notes !
Pour se rapprocher du son de la gamme blues originelle, les musiciens ont usé de stratagèmes, parmi lesquels la création de deux autres gammes blues, les gammes blues majeure et mineure.
Dans l’article précédent, nous avons découvert la Gamme Blues « originelle », et ses hauteurs variables. pour l’émuler sur leurs instruments, les musiciens ont dérivé deux gammes blues radicalement différentes.
Comme les instruments de musiques occidentaux sont associés à la musique tonale, ils les ont caractérisés en une gamme blues majeure, et une mineure, à l’image des gammes majeures et mineures sur lesquelles on base notre système tonal.
Nous pourrions découvrir ces gammes en partant de la Gamme Blues « originelle », mais il est plus pratique de les considérer d’une autre manière.
Il suffit de prendre les gammes pentatoniques majeure et mineure :
Gamme pentatonique majeure
Gamme pentatonique mineure
Et de leur ajouter chacune une blue note, note « bleue », très dissonante et qui va rappeler les inflexions de la gamme blues originelle :
Gamme blues majeure
Gamme blues mineure
Comprendre la raison de la création de ces gammes blues permet de les utiliser à bon escient, en se rappelant la sonorité de la Gamme Blues « originelle ».
Exemple dans un enregistrement de jazz
Loin d’être des gammes bricolées, vous entendrez à maintes reprises ces gammes blues jouées telles quelles dans les enregistrement de jazz.
Voici un exemple avec le début du thème de Sister Sadie de Horace Silver :
Horace Silver met en scène la gamme blues majeure, en omettant la 2de note.
« 3 notes, déchirant le silence, s’échappent de votre radio…
Un coup de cymbale, un voicing de piano vous propulsent dans la pièce avec les musiciens.
Est-ce une odeur de tabac que vous sentez, provenant des nombreuses cigarettes grillées au cours de la séance, et dont les fumées viennent tamiser l’éclairage déjà sombre du studio ? »
C’est sans doute à une occasion similaire qu’est née votre envie de vous mettre au jazz, ou plutôt votre obsession, celle de réussir à faire sortir toutes ces notes, ces cris, ces émotions de votre instrument.
Mais voilà, pour devenir Miles Davis, la route est longue et sinueuse ! Et si vous êtes mal indiqué, vous pourriez vous décourager et ne jamais connaître ce formidable épanouissement musical qu’est la pratique du jazz.
J’ai écrit cet article pour vous donner une idée précise des étapes à accomplir pour apprendre le jazz, que vous soyez instrumentiste ou vocaliste. Suivez le guide !
1. Écoutez pour assimiler le langage du jazz
La musique et le jazz en particulier est un langage, avec ses mots particuliers, ses manières habituelles de les organiser en phrases, ses expressions particulières… Si vous parlez d’une langue étrangère, c’est donc une bonne idée de s’inspirer de votre apprentissage pour progresser dans votre pratique du jazz.
Et la 1re chose à faire avant d’ouvrir un dictionnaire ou un bouquin de conjugaison, ou d’apprendre les différentes déclinaisons et les verbes irréguliers, c’est d’apprendre le B-a-ba pour tenir une conversation ! Et la meilleure manière pour le faire est de vous immerger dans l’univers sonore de la langue que vous souhaitez apprendre, de repérer des mots particulièrement usités, des expressions, de les apprendre tels quels… En parlant le plus possible !
Donc, avant même de jouer, il est essentiel que vous écoutiez beaucoup de jazz.
Plongez-vous dans les enregistrements des grands musiciens : Miles Davis, John Coltrane, Charlie Parker, Bill Evans, Thelonious Monk, et bien d’autres.
Écoutez activement : repérez les motifs récurrents, imprégnez vous du swing, des sensations procurées par les progressions harmoniques…
Essayez de chanter les thèmes des morceaux avant de les jouer sur votre instrument.
L’écoute régulière permet d’intérioriser les structures du jazz et d’en assimiler le groove, de manière intuitive.
2. Acquérez de solides fondamentaux
Si vous débutez, un minimum de maîtrise de votre instrument et des fondamentaux musicaux est nécessaire pour aborder le jazz.
Travaillez la gamme majeure dans plusieurs tonalités « faciles » (ayant peu d’altérations), comme Do, Fa, Si bémol, Sol, Ré.
Travaillez les arpèges d’accords de ces différentes couleurs : majeur à 3 sons, mineur à 3 sons, maj7, min7, 7.
Développez une maîtrise basique du solfège :
connaissance des intervalles : cela vous aidera à mieux manier les éléments musicaux comme les gammes et les arpèges
lecture de notes en clé de Sol : pour pouvoir déchiffrer des partitions basiques et des exercices basiques
connaissance du principe du rythme, de la décomposition du temps en débits que sont les noires, croches, etc…
Toutes ces notions ne doivent pas vous faire peur, et peuvent être abordées ensemble, en même temps que vous apprenez vos premiers thèmes de jazz. Mais il est important de ne pas développer de lacunes dans votre apprentissage. Si vous voulez vous exprimer avec liberté et virtuosité, vous devez vous appuyer sur ces fondamentaux.
3. Apprenez des standards
Les standards de jazz sont la base du répertoire. Ils permettent de développer votre vocabulaire musical et de jouer avec d’autres musiciens.
Commencez par des morceaux accessibles comme C Jam Blues, Blue Bossa, Summertime, Take The A Train, Song For My Father, All of Me.
Écoutez plusieurs versions du morceau pour savoir comment il est joué par les jazzmen, pour ne pas être pris au dépourvu quand quelqu’un fait référence à un enregistrement particulier pour le jouer en Jam-session
Apprenez en priorité des versions « basiques » enregistrées par Ella Fitzgerald, Frank Sinatra, Nat « King » Cole…
Apprenez la mélodie du morceau, et ensuite sa progression d’accords.
Commencez à improviser sur le morceau selon les deux approches de l’harmonie, le jeu vertical ou horizontal (= selon les arpèges des accords, ou la gamme de la tonalité du morceau)
Pour ne pas être désarçonné en Jam-session, jouez le morceau à différents tempos et dans plusieurs tonalités
Généralement, un standard est joué par les jazzmen dans une tonalité bien précise, popularisée par un enregistrement de référence
On est amené à le transposer pour correspondre au registre limité d’un vocaliste ou d’un instrumentiste.
En connaissant plusieurs standards, vous pourrez rapidement participer à des jam sessions et échanger avec d’autres musiciens.
4. Comprenez l’harmonie du jazz
L’harmonie du jazz est particulièrement riche. Pour improviser et accompagner efficacement, il est essentiel de comprendre certaines notions de base.
Les progressions harmoniques courantes : le II-V-I (2-5-1) est la progression la plus importante à maîtriser et représente environ 80% des grilles de jazz.
J’ai écrit 2 ouvrages dont le but est de maîtriser les 251 majeur et mineur, pour vous les procurer :
Le chiffrage des accords (la notation des accords) : les accords sont indiqués sur une grille avec leur note fondamentale (écrite avec la lettre correspondante dans le système anglo-saxon) suivie d’altérations qui donnent sa composition.
Par exemple : CΔ7.
« C » signifie la note Do
Elle n’est suivie d’aucune précision avant l’indication de 7e, cela signifie qu’on fait face à une triade de Do majeur
La notation « Δ7 » indique une 7e majeure ajoutée à cette triade.
La différence entre harmonie tonale et modale.
Cliquez pour ouvrir cet article dans un nouvel onglet, je vous y explique les enjeux de l’harmonie tonale simplement.
5. Apprenez des techniques d’improvisation
Généralement, un morceau de jazz se structure en Thème – Improvisation – Thème. L’improvisation se fait sur la grille d’accords sur laquelle la mélodie du morceau a été écrite, il s’agit donc d’inventer de nouvelles mélodies, qui doivent être autant voire plus intéressantes que celle du morceau !
L’improvisation est donc un art à part entière, exigeant, auquel vous devez vous préparer. Voici quelques exercices pour vous mettre le pied à l’étrier, avec à chaque fois le lien vers une vidéo de ma chaîne Youtube pour vous inspirer :
Commencez par ré-interpréter la mélodie du morceau, en vous en détachant peu-à-peu pour construire un solo de plus en plus original
Inspirez vous des techniques utilisées par les jazzmen pour ré-interpréter des mélodies simples, je les détaille dans cette vidéo : https://youtu.be/tLtVPrzaWmA
Commencez à jouer des solos originaux en construisant vos phrases grâce aux arpèges des accords
Améliorez le tout en basant votre discours sur les conduites de voix qui traversent les accords, afin que vos phrases soient plus abouties mélodiquement parlant
Ajoutez à cela des techniques be-bop pour enrichir votre jeu.
Utilisez ces deux vidéos à cet effet :
Analyse du solo de Pasquale Grasso sur Like Someone in Love : 3 techniques pour sonner Be-Bop ! https://youtu.be/JNothBWczl0
Les Ornements : un outil simple et efficace pour sonner Be-Bop (Analyse de Pasquale Grasso 2/2) https://youtu.be/VwzEjfUnvjU
Transcrivez ou étudiez des transcriptions de solos de grands musiciens pour comprendre leur logique et intégrer des éléments de vocabulaire qui font le son du jazz.
Aidez-vous des séquences ciblées autour de pépites de vocabulaire vous proposant des exercices pour les maîtrisez dans ma page Patreon
Vous pourrez ensuite vous intéresser aux modes et autres substitutions qui amènent des couleurs sophistiquées à vos phrases.
6. N’oubliez pas le rythme et le swing
Le swing est l’âme du jazz. Comme dit la chanson de Duke Ellington :
« It Don’t Mean A Thing If It Ain’t Got That Swing »
Même en jouant les bonnes notes au bon moment, si votre placement rythmique est rigide, votre jeu ne sonnera pas comme celui des grands jazzmen.
Accentuez légèrement les 2e et 4e de la mesure quand vous jouez des noires
Accentuez légèrement les contretemps quand vous jouez des croches
Jouez vos croches avec un phrasé swing
La 1re croche de chaque temps est légèrement plus longue que la 2de
Pratiquez avec des playbacks pour vous imprégner du swing de la section rythmique
Encore mieux : Pratiquez avec un collègue batteur pour améliorer votre sens du rythme.
Tous les jazzmen, peu importe leurs instruments, sont des virtuoses rythmiques. Un bon jazzman est avant tout un bon rythmicien. Ne l’oubliez jamais !
7. Jouez en groupe
C’est de l’interaction entre les différents musiciens que naît la richesse du jazz, et l’intérêt à en jouer. Jouer seul est une étape, mais pour vraiment vivre cette musique, il faut la jouer en groupe.
Pratiquez souvent en groupe pour vous habituer à l’exercice
Rejoignez un atelier jazz dans une école de musique ou un conservatoire.
Sortez souvent en jam-session ou « boeuf » pour rencontrer d’autres musiciens et jouer avec eux.
Travaillez votre réactivité musicale : écoutez les autres et adaptez votre jeu à leurs idées.
Plus vous jouerez avec d’autres, plus votre compréhension du jazz se développera naturellement et intuitivement.
Conclusion
Vous l’avez compris, pour pleinement vivre votre passion, quelques heures de pratique sont nécessaires ! J’espère que cet article vous aidera à tracer un itinéraire direct vers votre épanouissement musical.
Si vous suivez ces 7 règles, vous y arriverez :
Écoutez pour assimiler le langage du jazz
Acquérez de solides fondamentaux
Apprenez des standards
Comprenez l’harmonie du jazz
Apprenez des techniques d’improvisation
N’oubliez pas le rythme et le swing
Jouez en groupe
Pour ne manquer aucun de mes conseils, recevez chaque semaine (ou presque) la newsletter Jazzcomposer.fr :
Quel que soit votre niveau, vous vous êtes sans doute rendu compte de la complexité harmonique des grilles de jazz.
En plus d’utiliser des couleurs parfois alambiquées, les compositeurs aiment souvent explorer des accords et des progressions qui sortent de la tonalité principale. Si bien qu’un tapis confortable de Do majeur peut se retrouver chahuté par une progression en La♭ ou Si ou Mi majeur… !
Si vous n’y êtes pas préparés, vous allez déraper.
Pour cette raison, on nous conseille souvent de transposer les éléments de vocabulaire qu’on travaille dans toutes les tonalités. Que ce soit de simples arpèges ou gammes, mais aussi des petites phrases, voire des thèmes ou relevés de solo entiers !
Nous allons le voir ensemble, je ne pense pas que ce soit un bon conseil pour tout le monde. Dans cet article, je vais vous faire part de mon expérience, et de mes astuces pour être le plus efficace possible, sans se submerger de boulot.
Cas pratique : un plan de Chet Baker
Partons d’un cas concret. Sur ma page Patreon(que je vous encourage à rejoindre, au passage !), nous travaillons en ce moment un solo de Chet Baker, que nous relevons phrase par phrase. Chaque phrase peut être utilisé comme un « plan » (« lick » en anglais), et je vous encourage à les replacer dans vos propres solos, sur les grilles des morceaux que vous jouez.
Prenons cette phrase, jouée sur un ii V I (2-5-1) en Sol majeur :
Si vous la travaillez comme je l’indique dans la vidéo sur Patreon, ça vous donnera une super phrase à utiliser sur les ii V I en Sol. Mais n’est-ce pas dommage de pouvoir la jouer seulement dans cette tonalité ? Et s’il n’y a pas de ii V I en Sol dans les morceaux que vous jouez ?
Il faut donc transposer cette phrase, et le premier conseil qu’on vous donnera est :
« Transposez dans toutes les tonalités »
Si vous êtes comme moi, vous devriez rechigner à exécuter cette consigne… Cela représente une énorme quantité de boulot ! Dans notre cas précis, cela nécessite de :
bien connaître les accords du ii V I dans toutes les tonalités ;
déterminer les intervalles des notes du plan par rapport aux accords originels ;
arriver (sans se tromper) à calculer ces intervalles par rapport aux accords de la nouvelle tonalité ;
Si vous ne connaissez pas par cœur les couleurs d’accord du ii V I, dans toutes les tonalités, rien que la 1re étape va vous causer des nœuds au cerveau !
Transposer dans toutes les tonalités est donc bénéfique et approprié quand on a un certain niveau de connaissance des progressions d’accords, des intervalles, des cellules mélodiques classiques en jazz…
Pour la majorité d’entre vous, fidèles lecteurs, la quantité de boulot nécessaire ne peut que vous décourager. Pour pallier ce problème, voici deux recommandations :
Priorisez les tonalités dont vous avez VRAIMENT besoin
En d’autres termes : travaillez seulement les tonalités incluses dans les grilles des morceaux que vous jouez en ce moment. C’est certes lacunaire, mais ça a le bénéfice d’alléger la charge de travail, et d’alimenter directement votre maîtrise des grilles en question. Vous forgerez de solides réflexes de pensée qui alimentera votre discours d’improvisation sur les progressions en question.
Et quand vous vous attaquerez à une nouvelle grille, elle contiendra sans doute de nouvelles tonalités à dompter, vous pourrez à ce moment-là reprendre votre élément de vocabulaire et le transposer selon ces nouveaux besoins.
Si vous avez un peu de temps libre, et si vous voulez vous préparer un peu mieux, vous pouvez être pro-actif et transposer les éléments de vocabulaire que vous voulez apprendre dans d’autres tonalités que celles dont vous avez besoin sur le moment. Dans ce cas :
Privilégiez les tonalités les plus communes
Il existe deux types de tonalités :
les « sympas » ;
et les « pourries » !
La quantité d’altérations à la clé détermine comment les tonalités se classent dans ces deux catégories. Les tonalités très altérées (« pourries ») nécessitent beaucoup de réflexion et sont par conséquent plus difficiles à manier que les tonalités peu altérées (« sympas »).
Les tonalités les plus communes sont dans l’ordre :
Do Majeur / La mineur (rien à la clé)
Fa majeur / Ré mineur (Si♭ à la clé)
Sol majeur / Mi mineur (Fa # à la clé)
Si♭ majeur / Sol mineur (Si♭ et Mi♭ à la clé)
Ré majeur / Si mineur (Fa# et Do # à la clé)
Mi♭ majeur / Do mineur (Si♭, Mi♭, et La♭ à la clé)
La majeur / Fa# mineur (Fa#, Do#, et Sol # à la clé)
Et voici les tonalités « difficiles », des moins altérées aux plus altérées :
La♭ majeur / Fa mineur (Si♭, Mi♭, La♭, et Ré♭ à la clé)
Mi majeur / Do# mineur (Fa#, Do#, Sol#, et Ré # à la clé)
Ré♭ majeur / Si♭ mineur (Si♭, Mi♭, La♭, Ré♭, et Sol♭l à la clé)
Si majeur / Sol# mineur (Fa#, Do#, Sol#, Ré#, et La # à la clé)
Fa# majeur / Ré# mineur (Fa#, Do#, Sol#, Ré#, La#, et Mi # à la clé)
Remarque : on pourrait ajouter Sol♭ majeur / Mi♭ mineur, qui ont 6 bémols à la clé, et qui équivalent à Fa# majeur / Ré# mineur, 6 dièses à la clé. La difficulté est similaire, vous pouvez choisir le couple qui vous arrange selon votre préférence. La plupart des instrumentistes préfèrent « penser » en dièses.
Les tonalités à ne surtout pas travailler
Par contre, il est contre-productif d’utiliser les tonalités de Do♭ majeur / La♭ mineur et Do# majeur / La# mineur. Ces tonalités équivalent respectivement à Si majeur / Sol# mineur et Ré♭ majeur / Si bémol mineur, que j’ai inclus dans le classement ci-dessus. Utilisez ces ces dernières, qui comportent une altération en moins que leurs enharmonies (6 # ou 6 ♭ contre 7). Si on peut s’épargner des altérations, autant le faire !
Travaillez en priorité les tonalités « sympas »
C’est bien logique, les jazzmen écrivent plus fréquemment leurs thèmes dans les tonalités les moins altérées, qui vont leur demander le moins de réflexion et sur lesquelles il sont le plus à l’aise. Il est donc judicieux d’axer votre travail en priorité sur celles-ci.
Ça peut vous sembler lacunaire, mais rassurez-vous, une fois que vous vous êtes forgés de solides réflexes dans ces 7 tonalités « faciles », les autres plus « difficiles » peuvent être calculées en fonction.
Suivez cette simple règle :
une phrase en X♭ majeur correspond aux mêmes notes qu’en X majeur, avec un bémol ajouté à chaque note ;
une phrase en X# majeur correspond aux mêmes notes qu’en X majeur, avec un # ajouté à chaque note.
Petite précision : si vous rajoutez un bémol à une note diésée, alors elle devient bécarre, et inversement.
Voici un exemple avec la phrase de Chet. Imaginons que nous souhaitions la jouer dans la tonalité difficile de Ré♭ majeur. Il suffit de considérer la phrase en Ré majeur, et d’ajouter un bémol à chaque note :
↓ Ajout d’un ♭ à chaque note ↓
Morceler le travail et varier les tonalités
Les pratiques que je vous ai présenté ci-dessus visent à alléger votre charge de travail, pour que vous puissiez passer du temps à des choses plus épanouissantes.
Mais si vous voulez slalomer avec grâce dans les progressions sophistiquées de morceaux comme In Your Own Sweet Way ou Stella By Starlight, alors il est important de ne pas faire l’impasse sur les tonalités les plus ardues dans votre routine de travail.
D’ailleurs, même dans des morceaux présentés comme accessibles, on peut faire de mauvaises rencontres ! Prenez la grille d’Autum Leaves, c’est un morceau basique en Sol mineur, mais il comporte une grosse difficulté vers la fin, avec un accord de F#7, issu de la gamme de Si majeur. Ou Blue Bossa, le début est en Do mineur, mais on module rapidement en Ré♭ majeur !
Vous aborderez plus sereinement ces progressions d’accord envisitant fréquemment les tonalités altérées dans votre pratique.
On en revient au conseil de départ… On dirait bien que vous allez devoir transposer dans toutes les tonalités, finalement !
Pour éviter l’overdose, il est important de morceler votre travail. Si vous disposez de 3 ou 4 sessions de travail par semaine, vous pouvez très bien faire le tour des 12 tons en n’en travaillant que 2 ou 3 différents par session.
Ça peut vous paraître léger, mais vous allez faire de solides progrès si vous travaillez régulièrement. Je vous garantis que si vous cultivez la tonalité de Fa# majeur chaque semaine, au bout de 3 mois, 6 mois, un an, vous la connaîtrez comme votre poche.
Attention à ne pas tomber dans ce piège si vous travaillez 2 ou 3 tonalités consécutives :
Au cours d’une même session de travail, vous pourriez être tentés de travailler Do, Ré♭, et Ré majeur. Vous allez enchaîner une phrase/arpège/gamme en Do, puis la même chose tout de suite après en Ré♭, puis en Ré.
Ce faisant vous allez déduire les notes de la phrase suivante par rapport à la phrase précédente(dans mon exemple, en ajoutant un demi-ton à ce que vous venez de jouer).
Où est le problème ? Eh bien… C’est de la triche ! Car qu’êtes-vous en train de travailler :
votre connaissance d’une tonalité, de ses notes, de ses altérations, des intervalles des notes de l’élément que vous transposez par rapport à la tonalité ?
Ou simplement votre habileté à ajouter un demi-ton aux notes de la phrase précédente ?
Soit dit en passant, cette deuxième compétence peut s’avérer très utile, mais ce n’est pas celle qui nous intéresse ici.
Nous voulons créer de solides réflexes qui pourront nous faire reconnaître d’un coup d’oeil un 2-5 en Fa# dans une grille ;
nous voulons déterminer du tac-au-tac les notes de la gamme de Ré bémol majeur ;
nous voulons enchaîner un même arpège sur BΔ7 et ensuite EΔ7, à la vitesse de l’éclair.
Pour ne pas tomber dans ce piège…
… Transposez par cycle de tierces, ou quartes, ou quintes.
J’affectionne particulièrement les cycles de 3ces, car chaque session nous fait à la fois visiter des tonalités « sympas », et des « pourries ».
Si vous transposez par 3ces mineures :
1re session : Do Majeur / La mineur, Mi♭ majeur / Do mineur, Fa# majeur / Ré# mineur, La majeur / Fa# mineur
2e session : Ré♭ majeur / Si♭ mineur, Mi majeur / Do# mineur, Sol majeur / Mi mineur, Si♭ majeur / Sol mineur
3e session : Ré majeur / Si mineur, Fa majeur / Ré mineur, La♭ majeur / Fa mineur, Si majeur / Sol# mineur
Si vous transposez par 3ces majeures :
1re session : Do Majeur / La mineur, Mi majeur / Do# mineur, La♭ majeur / Fa mineur
2e session : Ré♭ majeur / Si♭ mineur, Fa majeur / Ré mineur, La majeur / Fa# mineur
3e session : Ré majeur / Si mineur, Fa# majeur / Ré# mineur, Si♭ majeur / Sol mineur
4e session : Mi♭ majeur / Do mineur, Sol majeur / Mi mineur, Si majeur / Sol# mineur
Testez, vous m’en direz des nouvelles !
Dernier conseil : ne trichez pas avec les enharmonies
Les enharmonies sont le fait de considérer une hauteur de note avec plusieurs noms. Dans notre système de tempérament égal, un Ré♭ correspond strictement à un Do#. Do équivaut à Si# ou Ré♭♭, etc…
Lorsque vous transposez, ne prenez pas de libertés avec ces enharmonies, concrètement : ne remplacez pas une note altérée par une autre plus facile.
Si vous vous forcez à ne pas remplacer un Mi# par un Fa, un Sol♭ par un Fa#, alors vous aurez un système de pensée clair et carré, même si cela vous demande un peu plus de réflexion.
Lorsque vous déchiffrerez une partition qui contient ces altérations difficiles, vous serez mieux préparés pour les aborder.
Également, vous serez plus rapide pour manipuler un élément musical dans un contexte très altéré.
Par exemple, vous rencontrez dans une grille un accord de D♭Δ7, vous voulez jouer dessus un arpège majeur. Si, dans vos sessions de travail, vous avez « pensé » l’accord de Ré♭ majeur avec les notes « Do#, Fa, La♭ » au lieu de « Ré♭, Fa, La♭ » (parce que vous préférez Do# à Ré♭), alors votre système est bizarre, détourné. Vous allez perdre du temps à chercher à quoi correspond l’enharmonie de la note Ré♭ avant de jouer votre arpège !
Laissez-moi vous donner un autre exemple. Les accords basiques sont constitués d’empilements de notes situées à des intervalles de 3ces les unes des autres. Imaginons que vous honnissiez la note La#, et que vous la remplaciez systématiquement par son enharmonie, Si♭. Si vous rencontrez un accord de Fa# majeur dans une grille, alors vous serez tentés de le considérer ainsi : Fa#, Si♭, Do#.
Si vous faites ça, votre accord ne correspond plus à un empilement de 3ces. C’est un « machin » constitué d’une 4te et une 2de (Fa -> Si = 4te, Si -> Do = 2de), beaucoup moins clair que de belles 3ces (Fa -> La -> Do = 3ces).
Également, vous ne pouvez plus utiliser l’astuce que je donnais précédemment de calculer les éléments altérés à partir d’éléments non altérés. Ici, notre accord de Fa# correspond à un accord de Fa, avec un dièse à chaque note.
Si la manière avec laquelle vous manipulez les accords est claire et carrée, alors vous augmentez les chances pour que votre discours le soit aussi. Inversement, si vos accords comprennent des intervalles improbables, vous augmentez les chances pour que votre discours soit fouillis et chaotique.
Ce point n’est valable que pour les tonalités et éléments basiques. Si vous manipulez des accords ou modes très altérés (accords/modes diminués, mode altéré, gamme par tons…), arrangez-vous avec les enharmonies sous peine de vous retrouver avec des double-bémols ou double-dièses. La rigueur a ses limites !
Résumons :
Dans cet article, nous avons vu de bonnes pratiques pour transposer avec le plus d’efficacité pour se préparer au mieux aux défis harmoniques que représentent les grilles de jazz :
transposez dans toutes les tonalités seulement si vous êtes très à l’aise avec les bases du solfège ;
sinon, priorisez le travail des tonalités les plus communes qui sont :
Do, Fa, Sol, Si♭, Ré, Mi♭, et La majeur ;
morcelez votre travail et variez les tonalités régulièrement, en procédant par cycles de 3ces, 4tes, 5tes…
ne trichez pas avec les enharmonies quand vous transposez, sauf si vous manipulez des éléments très sophistiqués tels que les modes à transposition limitée.
À vue de nez, on dirait que Clifford Brown improvise globalement en Si bémol pendant 4 mesures, avec une petite touche bluesy. Voici maintenant cette même phrase, dans son contexte harmonique :
Quelle surprise ! La grille est en fait très riche, elle comprend beaucoup d’accords, beaucoup de couleurs différentes… Cela ne s’entend pas du tout dans le jeu de Clifford, on dirait qu’il improvise sans se soucier des accords…
Serait-on devant un flagrant délit de filouterie !? Se pourrait-il qu’un grand jazzmen comme Clifford Brown, admiré pour son jeu si riche et sophistiqué, truande la grille sans que personne ne s’en rende compte ??
Je vous le confirme, et il n’est pas le seul à le faire. Si vous êtes abonnés à la chaîne Youtube de Jazzcomposer.fr, vous connaissez déjà cet exemple de Joey Di Francesco qui improvise sur la moitié de Fly Me To The Moon en n’utilisant que 2 gammes !
Mais quelle est donc cette technique ? Comment la reproduire à notre tour, sans faire complètement n’importe quoi ?
Toutes les réponses sont dans cet article. Commençons avec…
… Un peu de théorie !
La majorité des standards de jazz sont écrits selon un cadre tonal. En résumé, pour construire la tonalité majeure, on sélectionne une note qui sera le centre tonal (aussi appelée « tonique »), et on utilise la gamme majeure en partant de cette note pour composer des mélodies :
On peut aussi harmoniser la gamme pour créer des accords (les « degrés« ), qui seront joués par la section rythmique :
Un petit détail très important pour la suite : pour constituer ces accords, on utilise seulement des notes de la gamme majeure de départ. On dit que les notes (et les accords) sont diatoniques, elles appartiennent à la tonalité, elles sont toutes issues de la même gamme.
Ensuite, ces accords s’alternent, tendent, détendent l’harmonie selon les notes qu’ils contiennent…
C’est l’harmonie tonale, empreinte d’une sonorité et d’un caractère propre, se distinguant d’autres systèmes d’harmonisation comme l’harmonie modale, ou atonale…
(Consultez cet article pour en savoir plus sur la construction de l’harmonie tonale)
La manière basique d’improviser, le jeu « vertical »
Parmi l’harmonisation de la gamme de Do majeure présentée ci-dessus, j’ai pioché 4 accords pour créer une progression tonale, que voici :
Prenez votre instrument et improvisez sur ces accords.
…
…
…
Alors ?
Je suis sûr que vous avez procédé ainsi :
vous avez étudié chaque accord séparément,
vous vous êtes demandé quelles sont ses notes, quelles gammes vous avez le droit d’employer dessus,
et vous vous êtes lancé dans une impro endiablée !
Cela devait donner quelque chose du style :
Vous ne vous en êtes pas rendus compte, mais vous avez appréhendé la progression d’accords d’une manière bien particulière. J’appelle cela le jeu « vertical », vous avez utilisé un outil harmonique (gamme, arpège) pour chaque accord.
C’est la manière de « penser » l’harmonie par défaut, elle a pour avantage de vous connecter à la section rythmique (vous jouez exactement le même contenu harmonique au même moment), et elle donne un jeu plutôt virtuose car vous multipliez les éléments harmoniques dans votre phrase. Autant de pirouettes et galipettes harmoniques qui vous permettent de briller en société : « Et toc, vous avez vu comment je maîtrise bien mes gammes et mes arpèges ? »…
Bien sûr, ce mode d’improvisation n’est pas sans inconvénients ! En effet, si, vous n’avez pas vos gammes et arpèges sous les doigts… Bonjour les dégâts. Également, à la longue, improviser seulement en jeu vertical peut paraître scolaire et mécanique.
Ce qu’on ne vous a sans doute jamais dit… C’est que ce n’est pas la seule manière d’aborder une progression d’accords !
La 2de manière de penser l’harmonie : le jeu « horizontal »
1. L’analyse de grille
Prenons un peu de recul par rapport à la progression d’accords, et interrogeons-nous : « Comment le compositeur s’y est-il pris pour créer sa grille ? ». A-t’il mis de jolies couleurs un peu au hasard les unes après les autres, ou y a t’il une logique ?
Bien souvent, il y a une logique, et cette logique, c’est celle de l’harmonie tonale. Dans notre exemple, vous m’avez vu faire…
… J’ai sélectionné les Ier, vie, iid, et Ve degrés de la tonalité.
Dans la vraie vie, vous ne pourrez pas passer un coup de fil au compositeur de chaque morceau que vous jouerez, alors comment repérer par vous même le parcours tonal d’une grille que vous ne connaissez pas ?
En réalité, il n’y a pas 36 manières d’harmoniser un morceau. Certaines alternances sont trèèèès fréquentes (on les appelle les « cadences »). Plus vous vous intéresserez au fonctionnement de l’harmonie tonale, plus vous analyserez des grilles différentes, et plus vous trouverez votre chemin facilement et rapidement. Je vous enseigne comment faire dans mon cours complet Harmonie Jazz : de la Théorie à l’Improvisation.
2. L’improvisation avec le jeu horizontal
En quoi cette analyse de grille nous facilite la vie ? Une fois cette petite étape franchie :
si les accords n’appartiennent pas à une seule et même tonalité —> jeu vertical (= selon chaque accord) ;
si les accords appartiennent à une seule et même tonalité, alors vous pouvez improviser de manière horizontale.
En quoi consiste le mode de jeu horizontal ? Comme les accords sont issus d’une même tonalité, ils ont été créés à partir du même réservoir de notes : la gamme majeure de la tonalité. On peut donc tout à fait utiliser cette gamme pour improviser sur ces accords, on jouera forcément les « bonnes » notes ! Autrement dit, pas de risque de « fausses » notes.
Vous n’avez donc qu’à improviser, en utilisant seulement la gamme majeure… Sans vous soucier des accords !
Voici ce que ça donne :
Les avantages du jeu horizontal
Vous l’aurez deviné, improviser ainsi est diablement plus facile que le jeu vertical ! Votre esprit n’est plus encombré par tout un calcul des arpèges et modes afférents aux accords… Vous pouvez vous concentrer pleinement sur votre musicalité.
Comme vous utilisez une seule et même gamme, le son que vous obtenez est moins sinueux et vallonné que si vous utilisiez une gamme ou arpège différent pour chaque accord. Vos phrases ont un caractère plus mélodique qu’avec un mode de jeu vertical.
Ça paraît trop facile… Même si ça l’est, vous avez raison de vous méfier.
Les inconvénients du jeu horizontal
Vous l’aurez peut-être deviné, utiliser une seule gamme pour exprimer plusieurs accords est problématique.
Il y a une raison pour laquelle les différents accords de la tonalité sonnent différemment. Certes, nous partons d’une même gamme majeure pour les constituer, mais, pour chaque accord, nous ne prenons pas TOUTES les notes de la gamme pour les créer ! Les notes des accords sont les plus importantes, ce sont elles qu’on doit mettre en valeur dans notre impro, afin qu’on perçoive bien le rôle harmonique de l’accord (autrement dit sa « fonction », tendre ou détendre l’harmonie).
Ainsi, en jouant une seule gamme pour plusieurs accords, vous prenez le risque de jouer des notes étrangères aux accords spécifiques, ne plus faire sonner la progression et vous déconnecter de l’histoire harmonique qu’a voulu raconter le compositeur.
Également, vous vous désolidarisez de la section rythmique, ce qui n’est pas du plus bel effet. Autre écueil, si vous abusez de ce mode de jeu, votre impro paraîtra monotone et plate. Sans mentionner qu’il est beaucoup plus facile de se perdre sans être concentré à 100% sur les accords qui défilent !
Mais pourquoi le jeu horizontal fonctionne-t’il alors ?
Malgré tous ses défauts, malgré qu’on fasse parfois sonner les « mauvaises » notes sur certains accords, le jeu horizontal reste incroyablement efficace et convaincant, comme le montre l’exemple de Clifford Brown :
2e mesure, 3e et 4e temps, remarquez les notes : Fa#, Sol, Si b sur l’accord F7… Pas du tout les « bonnes » notes !
Pourquoi ? Car le son de la gamme de la tonalité du morceau est bien particulier, il est ancré dans notre oreille. Si votre phrase sonne, si elle utilise du vocabulaire simple et basique, sa puissance mélodique primera sur ses défauts harmoniques.
Et ce, particulièrement si vous ajoutez ce petit ingrédient en plus…
Utilisez les gammes blues pour donner un caractère explosif à votre jeu horizontal
Voici de nouveau la phrase de Clifford Brown :
Vous l’aurez sans doute remarqué, Clifford Brown n’utilise pas exactement la gamme majeure pour improviser horizontalement… Il utilise un vocabulaire blues.
Pourtant, la grille est tonale, à priori sans rapport avec le blues… Comment cela peut-il fonctionner ?
Revenons aux basiques :
Les deux gammes blues
Il existe deux gammes blues :
la gamme blues majeure ;
la gamme blues mineure.
On construit une gamme blues en partant d’une gamme pentatonique, à laquelle on ajoute une « blue note », note épicée, extrêmement dissonante qui donne tout son caractère plaintif au jeu blues.
Précisément, pour créer les gammes blues, on part des gammes :
pentatonique majeure pour la gamme blues majeure ;
pentatonique mineure pour la gamme blues mineure.
Pour créer ces gammes pentatoniques :
on part de la gamme majeure dont on enlève les notes dissonantes, la 4te et la 7e pour la gamme pentatonique majeure ;
on part de la gamme mineure naturelle dont on enlève les notes dissonantes, la 2de et la 6te pour la gamme pentatonique mineure.
Vous ne l’avez peut-être pas remarqué, mais la clé est ici. Pour créer une gamme blues, on part de la pentatonique correspondante elle-même issue d’une gamme parente, gamme servant à établir la tonalité et son harmonie.
On passe de la gamme majeure… :
… À la gamme pentatonique majeure… :
… À la gamme blues majeure :
Si on peut improviser de manière horizontale avec la gamme de la tonalité, on peut tout à fait le faire avec les gammes en découlant (pentatonique et blues).
Et c’est comme ça qu’on en arrive à ce genre de phrases, pensées simplement sur des progressions pourtant fournies :
Résumons :
Pour improviser ou composer des phrases sur une grille d’accords, on peut « penser » l’harmonie de deux manières :
verticalement, en utilisant un outil harmonique (gamme, arpège) pour chaque accord ;
horizontalement, en prenant la gamme de la tonalité de laquelle est issue la progression d’accords.
Ces deux pensées offrent deux sonorités différentes à exploiter dans vos impros :
plus virtuose et sinueuse en jeu vertical ;
plus mélodique et linéaire en jeu horizontal.
Pour improviser horizontalement, il est mieux d’avoir analysé sommairement la grille, pour ne pas utiliser la mauvaise gamme sur un bout de progression qui ne ferait pas partie de la tonalité.
N’abusez pas du jeu horizontal pour ne pas paraître déconnecté de la grille, ne pas vous perdre…
Utilisez les gammes pentatonique et blues pour varier de la gamme de la tonalité.
Si vous n’en avez jamais entendu parler, il y a des chances pour que cet article révolutionne votre manière d’appréhender les grilles d’accords, et vous ouvre de nouveaux horizons pour vos solos ! Partagez-le donc à vos collègues jazzwomen et jazzmen, pour qu’ils bénéficient également de ces conseils.
Pour intégrer cette modes de jeu à vos impros, je vous recommande de pratiquer les exercices que je donne dans mon cours complet : Harmonie Jazz, de la Théorie à l’Improvisation. Dans ce cours, vous retrouverez le contenu de cet article en vidéo et sous forme de fiche récap’ pdf, et beaucoup d’autres notions comme celles-ci, indispensables pour improviser sur les grilles de jazz.
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Les « drop 2 »… Au détour d’une conversation entre jazzmen, au cours d’un atelier jazz dans votre école… Vous en avez forcément entendu parler. Et si tout le monde en parle, ça doit être important !
Je vous l’affirme, ce type de répartition de note au sein d’un accord (« voicing » en anglais) est incontournable. Quel que soit le disque de jazz que vous écoutiez, il contient forcément des drop 2 quelque part !
Dans cet article, nous allons découvrir les drop 2 et leurs principales utilisations en arrangement, accompagnement et composition. En plus de nous donner des sonorités sophistiquées à explorer, ils vont nous tirer d’affaire dans une variété de situations…
Qu’est-ce qu’un voicing drop 2 ?
Pour construire un voicing drop 2, partons d’une autre disposition de voix : la position serrée. Si ce terme ne vous évoque rien, consultez brièvement cet article avant de poursuivre votre lecture :
En cliquant, il s’ouvrira dans un nouvel onglet, vous pourrez revenir aux drops 2 en un clic.
Voici un Cmaj7 en position serrée :
Comme son nom l’indique, pour créer un voicing « drop 2 » à partir de cet accord, il suffit de prendre sa deuxième note en partant du haut et de la faire « tomber » (« to drop ») d’une octave. Voici maintenant les notes obtenues :
→→→
En écoutant le son de cet accord, on se rend compte qu’il est plus large, plus aérien. Il correspond maintenant à une position dite « ouverte » puisque l’intervalle entre certaines de ses notes est supérieur à la tierce.
Je vous vois venir : « Ça sonne super, mais c’est dommage que le Do ne soit plus la basse de l’accord… ». J’y viens !
Les différents renversements de l’accord de Cmaj7 et les voicings drop 2 correspondants.
Pour obtenir différentes basses pour notre Cmaj7 en drop 2, « renversons » notre accord de base, Cmaj7 en position fermée. Voici ses différents renversements :
Pour chaque renversement, basculons la 2de note en partant du haut d’une octave inférieure, pour créer des voicings drop 2 :
En prenant le second renversement de Cmaj7 et en appliquant la formule du drop 2 on se retrouve avec un accord ouvert dont la note Do (la fondamentale de notre accord), est bien la basse (= sa note la plus grave).
Écoutez la différence entre un Cmaj7 joué en position serrée, et cet accord :
Lequel préférez-vous ?
Comme nous venons de le voir, nous pouvons donc obtenir tout type d’accord sous cette forme du drop 2. Maintenant, découvrons à quoi tout cela peut bien servir.
Les différentes utilisations du voicing drop 2
Le drop 2, star de vos arrangements
Les voicings Drop 2 sont un outil privilégié de l’arrangeur, ils vont lui servir dans une variété de situations.
En premier lieu, voici une application résolvant un problème concret : l’atteinte d’une limite d’ambitus d’un de vos instruments. Il n’est pas rare qu’au cours d’une harmonisation, quelques notes soient trop hautes ou basses pour qu’un de vos instruments puisse les jouer. Prenons pour exemple cette phrase, jouée par une section de cordes :
C’est une montée qui se termine sur une note aiguë. En harmonisant toute la phrase en positions serrées, on se rend compte que les notes de nos instruments graves tels que le violoncelle sont dans son registre aigu. Compte tenu de la nuance demandée et du jeu en section, cela ne va pas convenir car joué dans ce registre, le violoncelle a globalement un caractère plus timbré et fort, qui convient mieux pour un passage en solo, lyrique. Il serait plus judicieux de rester dans les médiums de l’instrument.
Solution : ouvrons notre accord en utilisant la technique du drop 2. En faisant basculer d’une octave inférieure sa deuxième note en partant du haut, l’accord est maintenant plus étendu et sa nouvelle note la plus grave est située pile dans les médiums du violoncelle. Parfait !
(Remarquez au passage l’harmonisation en approches chromatiques, si vous voulez des détails, consultez cet article)
De manière générale, vous pouvez très bien utiliser les voicings drop 2 pour harmoniser un contre-chant ou une mélodie qu’on pourrait harmoniser sans problème en positions serrées. Votre choix sera motivé par la différence de caractère entre les deux techniques :
La position fermée donne un son assez compact, les instruments sont très proches au sein de la section et paraissent « soudés » :
La position ouverte est plus aérée :
Au final, c’est votre goût qui décidera de la disposition d’accord choisie !
Utilisez le drop 2 pour renforcer vos accompagnements
Il faut le savoir : si jamais vous jouez de la guitare, il y a de fortes chances pour que les accords que vous utilisez dans vos accompagnements (ou quand vous jouez en chord melody) correspondent déjà à des drop 2 :
Voicings de guitare typiques, en drop 2 !
Également, écoutez comment les grands pianistes utilisent les drop 2 pour enrichir leurs accompagnements et obtenir des phrases et harmonisations qu’il serait moins facile d’obtenir avec des positions serrées :
Vous pouvez entendre ce même exemple de Bill Evans dans cette petite vidéo d’Antoine Hervé :
Quel que soit votre instrument, si jamais vous n’avez pas l’habitude de les utiliser, familiarisez vous avec les drops 2 en prenant une grille que vous maîtrisez bien, et en vous forçant à disposer vos accords ainsi. Bien entendu, vous pouvez passer par l’écrit si la gymnastique mentale est trop ardue !
Je ne m’étends pas plus sur le sujet, qui pourrait être celui d’un article complet. Si jamais vous voulez en savoir plus, écrivez-le en commentaire !
Utilisez le drop 2 et obtenez des arpèges sophistiqués au sein de vos compositions
Si vous utilisez les arpèges des accords dans vos compositions et que vous trouvez que vous en avez fait le tour, alors les drop 2 tombent à pic ! Voici une illustration de leur utilisation dans une ligne mélodique dont vous pouvez vous inspirer. Il s’agit d’une musique de jeu vidéo du compositeur Eirik Suhrke :
En résumé, voici ce que nous avons exploré dans cet article sur les voicings drop 2 :
Les drop 2 sont des voicings obtenus à partir des positions serrées en basculant la 2e note en partant du haut d’une octave inférieure
Ce sont des positions d’accord « ouvertes »
Ils sont utiles en arrangement pour obtenir une harmonisation plus aérée et pour contourner des limites de registre
Ils sont utiles en accompagnement pour obtenir un son plus ouvert et sophistiqué que la position fermée
Ils peuvent vous aider à renouveler les arpèges de vos compositions.
Si vous avez besoin de précisions sur l’un des sujets abordés ou si vous souhaitez explorer davantage ce sujet, n’hésitez pas à me le demander en commentaire !
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L’image de couverture a été générée par l’intelligence artificielle Stable Diffusion XL, avec cette instruction : « Representation of a piano keyboard, Piet Mondrian style »
J’ai rédigé cet article pour TROMPETTISTE(S) MAGAZINE, la revue 100% trompette traitant aussi bien de classique que de jazz. Si vous êtes trompettiste et cherchez à vous cultiver sur votre instrument, découvrir ses virtuoses d’hier et d’aujourd’hui, abonnez-vous en suivant ce lien :
Cet article est le premier d’une série consacrée aux trompettistes de l’école « cool », courant stylistique encore bien en vogue aujourd’hui et s’opposant au jazz « hot ». La différence ? L’un est plus intimiste, réservé (on peut parfois le qualifier de « jazz de chambre »), l’autre explosif, exubérant, festif.
J’ai espoir que la plongée dans cet univers pourra vous inspirer, mener à la découverte de belles oeuvres musicales, et vous aider à façonner votre discours d’improvisateur grâce à l’étude de ceux des maîtres.
Commençons avec un trompettiste injustement méconnu, ayant pourtant une influence considérable sur ceux qui l’ont écouté et suivi : Bix Beiderbecke.
Bix Beiderbecke : Biographie
Débuts
Bix Beiderbecke, né le 10 mars 1903 à Davenport, Iowa, est un trompettiste et pianiste de jazz autodidacte. Issu d’une famille de la classe moyenne, son père, Bismark Herman Beiderbecke, dirige une entreprise prospère de combustibles et de bois de construction, tandis que sa mère, Agnes Jane Hilton, est une pianiste talentueuse. Dès son plus jeune âge, Bix démontre une oreille musicale exceptionnelle, apprenant à jouer du piano sans lire la musique.
En 1919, le frère de Bix acquiert une platine Victrola, et Bix est vite captivé par les enregistrements de jazz de l’époque, notamment par le son de la trompette, au sein de groupes phares tels que l’Original Dixieland Jass Band. Il reproduit ce qu’il entend au piano mais se procure rapidement un cornet, apprenant l’instrument sans professeur.
Bix Beiderbecke en 1924.
En 1921, il forme son premier orchestre, le Bix Beiderbecke Five. Son passage à l’Académie Militaire de Lake Forest en 1921 est écourté en raison de performances académiques insatisfaisantes et de démêlés dans des bars locaux.
1923-1927
Les années 1923 à 1927 marquent la période d’ascension de Bix dans le monde du jazz. En 1923, il rejoint le groupe des « Wolverines », dans lequel il joue principalement du cornet mais aussi parfois du piano, avec qui il enregistre ses premiers disques pour le label Gennett Records. C’est à cette époque qu’il fait la connaissance de Frankie Trumbauer, spécialiste du saxophone en ut, avec qui il grave ses plus beaux sillons. À la même époque, il enregistre avec d’autres petites formations dont les « Sioux City Six », puis rejoint en 1925 l’orchestre de danse de Jean Goldkette (un pianiste classique reconverti en imprésario, qui en fait ne joue dans aucun des groupes portant son nom !).
Frankie Trumbauer et son saxophone en Ut.
En parallèle de son engagement avec Goldkette, il enregistre avec Frankie Trumbauer et son orchestre des morceaux mythiques tels que Singin’ the Blues en 1927, qui établissent sa réputation parmi les musiciens de jazz. Également en 1927, Bix intègre l’orchestre le plus connu de l’époque, celui de Paul Whiteman, surnommé alors le « Roi du Jazz » (Paul Whiteman a notamment commandé la Rhapsody in Blue à George Gershwin). Malgré des tensions liées au style musical, un jazz symphonique maniéré et enfermant, il continue d’enregistrer des solos mémorables (Barnacle Bill, Mississippi Mud…).
La dissolution de l’orchestre Goldkette en 1927 le conduit à jouer avec Adrian Rollini et les New Yorkers avant de rejoindre définitivement l’orchestre de Paul Whiteman. Une version romancée de l’histoire du trompettiste le décrira en artiste maudit, rongé par l’alcool et profondément affligé par cet engagement commercial le bridant dans sa créativité, mais à la vérité, Bix n’aurait pas été si mécontent de cet emploi fixe et bien payé !
1928 – 1931
Les années 1928 et 1929 sont marquées par une intense activité musicale, avec des enregistrements mémorables tels que Changes, San, et I’m Coming Virginia. Cependant, la santé de Bix commence à décliner en raison d’une consommation excessive d’alcool. En 1930, il enregistre des compositions originales, dont I’ll Be a Friend with Pleasure. Les dernières années de Bix, de 1929 à 1931, sont assombries par une détérioration rapide de sa santé. Il décède le 6 août 1931 à l’âge de 28 ans des suites d’une pneumonie, résultat de son mode de vie autodestructeur.
Sa contribution au jazz, en tant que génie et pionnier, est indéniable. Il est un des premiers jazzmen à ouvrir la porte vers la musique impressionniste, comme le montrent ses pièces pour piano, Candlelights, In The Dark, Flashes, et sa plus célèbre In A Mist qu’il enregistre au piano en 1927. On ne peut qu’imaginer comment aurait évolué sa personnalité musicale au cours des années 30, et au delà…
Parenthèse sur le matériel
L’instrument de prédilection de Bix Beiderbecke était un cornet long Conn Victor 80A (un cuivre à la perce très large), qu’il jouait sans doute avec une embouchure Bach 7C. Ce cornet a la particularité de pouvoir être converti rapidement de la tonalité de Si bémol à La : on tire au maximum la coulisse d’accord qui est reliée à un mécanisme automatique permettant l’allongement simultané des 3 coulisses des pistons pour éviter les problèmes d’intonation. Il dispose également du mécanisme “opera-glass”, une deuxième coulisse d’accord verticale à vis sans fin placée à l’entrée du pavillon, vraisemblablement pensée comme le mécanisme d’ajustement d’accordage principal de l’instrument. Bix a aussi joué deux cornets Bach Stradivarius, avec son nom gravé sur le pavillon. Il est également photographié avec un cornet long Holton Clarke en main, l’orchestre de Paul Whiteman dans lequel il se produisait étant alors sponsorisé par cette marque, rien n’indique qu’il l’ait effectivement adopté.
Le cornet Conn Victor 80A restauré par Fabrice Wambergue de l’atelier W.
Vue de côté révélant une tige pour maintenir la coulisse d’accord et une meilleure vue du mécanisme entraînant les autres coulisses
Zoom sur le mécanisme d’accordage des coulisses des pistons et la coulisse d’accord opera-glass (avant restauration)
Pour zoomer sur les images, cliquez ici. Merci à Fabrice Wambergue de l’Atelier W à Montreuil pour ces images d’un cornet Conn Victor 80A de 1923 dont il a effectué une restauration en 2019 (plus d’infos sur son site internet).
3 relevés de solo et analyse de son jeu
Les premiers enregistrements de Bix Beiderbecke sont précieux, on y découvre un jeune artiste en recherche de son propre style. En écoutant Jazz Me Blues et Davenport Blues (1925), malgré un phrasé rythmique un peu gauche et une articulation et justesse perfectibles, on devine déjà une certaine sophistication qui va caractériser son jeu.
En 1927, pas de doute, le discours de Bix Beiderbecke est arrivé à maturation, comme le prouve son assurance et la classe qui imprègne ce qui est sans doute son plus beau solo sur Singin’ The Blues. J’aime aussi particulièrement ses solos sur Riverboat Shuffle et Way Down Yonder In New Orleans. Vous trouverez les transcriptions de ces 3 solos en fin d’article ↓ (clic droit sur l’image et « enregistrer sous » pour les télécharger).
Écoute des solos
Écoutez attentivement ces 3 solos, et prêtez attention au son de Bix, son articulation, et son sens du rythme :
Way Down Yonder In New Orleans :
Riverboat Shuffle :
Singin’ The Blues :
En écoutant attentivement ces 3 solos, on est d’abord frappé par le son du cornet, doux et velouté, un point commun à tous les trompettistes de l’école cool. Puis, c’est l’articulation du cornettiste qui force l’admiration, chaque phrase est rendue dynamique par un accent, une note piquée, ou une série de liaisons.
Enfin c’est seulement par l’écoute qu’on peut réellement saisir son aplomb rythmique. Bix est solidement ancré dans le tempo et ne manque pas de souligner les temps pour affermir la cohésion avec ses accompagnants, comme l’illustre un élément de langage récurrent de son vocabulaire, 3 noires jouées à la suite (voir Singin’ The Blues mesures 17 et 19, Way Down In New Orleans mesures 1 et 9, Riverboat Shuffle mesures 18 et 20) :
En outre, il n’hésite pas à employer le rythme du triolet de croches, chose peu répandue à l’époque. Un plan récurrent qu’il utilise à cet effet met en scène les 3 premières notes d’un accord de 7e montées avec un triolet (Way Down In New Orleans mesure 19, joué deux fois de suite dans Riverboat Shuffle à la mesure 17) :
La science harmonique de Bix Beiderbecke
Les transcriptions sont particulièrement utiles pour se rendre compte de sa maîtrise harmonique. On y découvre entre autres que Bix connaît sur le bout des doigts les arpèges des accords et les gammes afférentes, qu’il aime agrémenter de quelques chromatismes.
Sur un accord majeur, ses outils préférés sont les gamme pentatonique majeure et gamme blues majeure. Il alterne occasionnellement avec la gamme majeure, faisant ressortir des notes plus sophistiquées comme la 7e majeure ou la 2nde majeure (voir Way Down Yonder In New Orleans à la 3e mesure du solo ou Riverboat Shuffle sur tous les accords de Bb) :
(Nous sommes en La majeur, 3 dièses à la clé (Fa#, Do#, Sol#)
De manière générale, ses choix de notes correspondent principalement aux tétrades basiques des accords : fondamentale, 3ce, 5te, avec pour les accords majeurs la 6te et pour les accords « 7 » la 7e. Mais il s’aventure souvent du côté des extensions d’accord (9e, 11e, 13e*), ce qui est précoce pour l’époque. J’ai décrit ci-dessus son goût pour les 7e et 9e sur les accords majeurs, pour les accords « 7 », un bon exemple est la 3e mesure du solo de Singin’ The Blues où il fait sonner sur un C7 les 9e (Ré) et 13e (La puis La bémol) :
* La 9e d’un accord correspond à la 2nde de la gamme, la 11e à la 4te, la 13e à la 6te.
Autre chose marquante, il n’hésite pas à isoler une note et la répéter, quitte à l’ancrer sur de longues plages comme avec la note Do des mesures 13 à 20 dans son solo sur Riverboat Shuffle. Il aime également alterner entre deux notes, prises au sein d’un accord (Way Down Yonder In New Orleans mesures 3 et 18, Riverboat Shuffle mesures 25 et 27-28), ou prendre une note grave (souvent Do ou Do dièse) qu’on entend parfois à peine et qui n’est souvent même pas notée sur les transcriptions (voir l’exemple ci-dessus sur l’accord A6 ou Singin’ the Blues mesures 7, 9 et 25, Riverboat Shuffle intro, mesures 12 et 23, Way Down Yonder In New Orleans mesures 4 et 26).
Ces éléments sont ceux qui m’ont le plus marqué, mais ces 3 solos sont des mines d’or de vocabulaire à vous approprier en les jouant encore, et encore ! Je remercie particulièrement l’excellent trompettiste et spécialiste de Bix Beiderbecke Malo Mazurié qui a mis à disposition les relevés de Singin’ The Blues et Riverboat Shuffle. Si vous souhaitez le remercier, faites un don sur son site internet et téléchargez d’autres transcriptions de Bix, Wynton Marsalis, Roy Hargrove… en plus de retrouver des informations sur sa musique (son nouvel album Takin’ the Plunge paraît ce mois-ci !). Malo m’a également conseillé la lecture de la biographie par Jean-Pierre Lion « Bix Beiderbecke, une biographie », et l’écoute d’Andy Schumm et Mike Davis qui perpétuent l’héritage de ce cornettiste outre-atlantique.
Bix Beiderbecke : 3 solos retranscrits
Clic droit sur l’image et « Enregistrer sous » pour la télécharger. Ces transcriptions sont présentées un ton en dessous de la hauteur réelle des notes, en tonalité de transposition Bb. Si vous désirez les transcriptions en Ut, en Eb, en clé de Fa… cliquez sur les liens ci-dessous :
Pour la partition en Ut, clé de Fa… Contactez Malo Mazurié ici. Un lecteur averti me souligne que le Singin’ The Blues de Bix est composé par J. Russel Robinson et Con Conrad ! Le Singin’ The Blues de Melvin Endsley est un autre morceau…
Je remercie également Fabrice Wambergue de l’Atelier W à Montreuil pour les images du cornet Conn Victor 80A de 1923 comprises dans cet article, dont il a effectué une restauration en 2019 (plus d’infos sur son site internet : atelierwparis.com/restauration-cornet-conn-victor-1923).
Bonjour à vous cher(è) lectrice ou lecteur ! Si vous lisez cet article, vous voulez progresser dans votre pratique du jazz. Dans cette publication, j’ai voulu recenser les meilleures ressources en ligne à explorer pour vous aider dans ce but.
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Ressources générales
Commençons par le plus important, votre immersion dans l’univers du jazz. Plus vous en écouterez, de préférence en live, et mieux vous en jouerez ! Pour vous y aider :
Le site Festival Jazz 360 a pour but de recenser tous les festivals de jazz, en France et à travers le globe, avec la programmation, des infos pratiques sur chaque festival… En prime, retrouvez des articles sur l’histoire du jazz, ses instruments, ses sous-styles…
Et si vous pouviez vous connecter chaque soir à un des plus célèbres jazzclub au monde pour assister à des concerts d’artistes d’envergure internationale, se produisant à New York ? C’est ce que propose le club Smalls/Mezzrow, grâce à des retransmissions en direct de sa programmation sur Youtube ou sur le site. Accédez également à des centaines de concerts en archive sur Youtube.
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En premier lieu, je ne saurai que vous recommander les nombreux articles et vidéos disponibles sur Jazzcomposer.fr ! Ceci étant dit, voici une sélection des ressources qui ont été les plus précieuses aux membres de la communauté :
Plus de 100 exercices publiés depuis 2007 dans le mensuel Viva la Música de l’AMR (Association pour l’encouragement de la musique improvisée) à Genève.
Jazzcomposer.fr est la 1ère ressource francophone dédiée à l’apprentissage de la théorie du Jazz. Épluchez la catégorie d’articles dédiée intitulée « Théorie » pour y trouver votre bonheur, ou pour un apprentissage approfondi, considérez les cours en lignes et méthodes.
Malheureusement, ce qui pourrait passer pour le meilleur site de vulgarisation de la théorie musicale n’est plus mis à jour par son créateur, n’ayant pas rencontré le succès escompté. Pourtant… Ça vaut le détour, particulièrement pour la bonne dose d’humour contenue dans les publications !
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La superbe émission de Laurent Valero Repassez moi le standard revient à l’origine des standards en nous faisant découvrir de nombreuses versions, à travers les âges.
Be’swing est un groupe de jazz événementiel ayant eu la bonne idée d’ajouter à leur site un menu « Principe du jazz » comportant une section théorique avec accords, gammes…, mais surtout une section reprenant l’histoire du jazz condensée, et une autre avec des suggestions de groupes incontournables à écouter.
Plus un outil qu’une ressource, l’appli iReal Pro est un allier de taille pour vous aider à progresser ! Outre son répertoire de grilles sans cesse alimenté, la possibilité d’écouter les accompagnements et de les varier (style/instrumentation), on apprécie l’outil de visualisation d’accords/gammes du morceau..
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Meludia repose sur la méthode d’écoute SEMA – Sensations Emotions Mémoire Analyse – créée par Vincent Chaintrier. Fruit de 25 ans d’enseignement auprès de 3000 musiciens, meludia a reçu la médaille d’or du prestigieux concours Lépine en 2014.
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Progresser sur son Intrument
Ne jouant pas de tous les instruments, je ne peux pas inclure des ressources que je ne connais pas ! À vous de partager en commentaire les pédagogues qui vous font progresser, selon votre instrument. Merci d’avance ! (Si votre instrument ne figure pas à la liste, mentionnez-le, je l’ajouterai !)
Comme d’habitude, si cet article vous a appris des choses, partagez-le à vos collègues jazzwomen et jazzmen ! Pour ne manquer aucune publication de Jazzcomposer.fr, abonnez-vous à la newsletter hebdomadaire :