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Cette semaine, après avoir parlé de Jon Batiste, Chick Corea et Fred Hersch, la newsletter mettra une nouvelle fois à l’honneur un pianiste.
Et deux pour le prix d’un en plus ! En effet, cette fois-ci, on rend hommage à Michel Petrucciani, disparu le 6 janvier 1999. L’empreinte de géant qu’il a laissé dans le Jazz n’a pas finit pas d’inspirer les générations futures…
Le pianiste qui vient de lui dédier son dernier disque n’est pas n’importe qui, il commence à bien se faire connaître tant en France qu’à l’international (il a été élu en 2017 « Artiste le plus programmé à l’étranger » par le Bureau Export). Outre les distinctions qu’il accumule, il suffit d’écouter sa musique, en particulier cet album pour se rendre compte de toute l’étendue de son talent.
Sans plus attendre, voilà MICHEL ON MY MIND de Laurent Coulondre.

L’artiste et l’album
Laurent Coulondre est un pianiste Nîmois né en 1989, qui commence par apprendre la batterie avant de s’attaquer au piano. Cela se ressent énormément dans son style, il est très précis rythmiquement et adepte de complexité rythmique, utilisant notamment beaucoup de groupings dans sa musique.
Comme je l’écrivais plus haut, il accumule prix et distinctions : lauréat des tremplins Didier Lockwood (2010), Jazz à Costello (2011), Jazz en Baie (2012), du concours Jazz à la Défense (2014), élu génération Spedidam (2014/2017) et talent Adami (2015/2016), et enfin une Victoire du Jazz dans la catégorie « Révélation de l’année » (2016).
Après son album Opus I (2010) avec lequel il se lance sur la route des tremplins, Opus II (2013) lui ouvre les portes du cercle restreint des grands jazzmen parisiens (Stéphane Huchard, Nicolas Folmer…) et il commence à se faire un nom dans le milieu.
En plus d’être un excellent pianiste, il est aussi un innovateur né, avec son concept de « trio réversible » : il alterne entre piano – basse – batterie et orgue – basse – batterie. Dans la seconde formation, il joue les basses à l’orgue avec un pédalier, ce qui permet à la basse électrique de jouer dans l’aigu et prendre la place d’une guitare. Cette nouveauté dans l’utilisation de l’instrumentarium le propulse sur les grandes scènes nationales et internationales, avec la sortie de l’album Schizophrenia en 2015.
Il s’entoure pour Michel on my Mind de Jeremy Bruyère (contrebasse et basse électrique) et André Ceccarelli (batterie), deux musiciens au talent indiscutable, l’un ayant fait ses preuves aux côtés de Thomas Enhco ou Cyrille Aimée et l’autre de Chick Corea, Dee Dee Bridgewater ou encore Sylvain Luc.
Équipe de choc, donc, comme nous le verrons tout au long de l’album, qui comportera bien sûr des morceaux de Petrucciani avec une ou deux compositions de Coulondre, pour un hommage à la fois audacieux et respectueux de l’oeuvre de l’artiste.
Piste par Piste
La première piste de Michel on my Mind, Memories of Paris, est sans doute un des plus beaux thèmes de Petrucciani, qu’il écrit aux USA dans un élan mélancolique alors qu’il a le mal du pays. Fidèle à l’original, la patte de Coulondre transparaît tout de suite. On sent un élan de nouveauté et de fraîcheur, ainsi qu’une maîtrise extraordinaire de l’art du trio. Son jeu tranche avec celui de Petrucciani, il utilise la pédale douce, se veut moins percussif que son aîné, tout en jouant plus aventureusement avec différents débits.
La deuxième piste est une bonne occasion d’entendre toute l’étendue des talents de Ceccarelli sur des rythmiques brésiliennes. Brazilian Like est un thème comme Petrucciani savait bien en faire : une mélodie entêtante, des mises en place qui la soulignent de manière subtile et efficace… Les solos de Coulondre et Bruyère sont magnifiques, et le son du trio d’une cohérence magistrale.
Cette piste est aussi l’occasion pour Coulondre d’ajouter une couche sonore supplémentaire, avec l’orgue. Plus tard, dans Les Grelots, composition d’Eddy Louiss, il pousse son utilisation au maximum en jouant en duo avec lui-même au piano. Bel hommage aux très bons albums du duo Louiss-Petrucciani (Conférence de presse I et II).
Avant cela, le troisième morceau She Did It Again nous éblouit avec son tempo up et son célèbre ostinato de main gauche qui finit par se tuiler avec la grille de Take the A Train. Outre les performances du pianiste, je saluerai aussi le sang-froid de la rythmique qui déroule un tapis élégant et sobre faisant ressortir le côté fou et créatif de l’improvisateur.
La piste suivante, Michel on my Mind, est une composition originale de Coulondre. Sa vamp rêveuse faisant alterner les modes ionien et aeolien nous transporte dans l’esprit habité du pianiste. On sent la présence de Petrucciani dans les pensées de l’artiste, car si le morceau n’est pas de lui, il en reprend néanmoins les codes : mises en place, mélodie simple et efficace, harmonie surfant entre tonalité et modalité…
Vient ensuite le tube de Petrucciani, Looking Up. Coulondre lui fait un lifting plus moderne, avec l’ajout de fills de main gauche, une réharmonisation mineure sur certains passages, un passage en 7/4 pour les chorus…On découvre Bruyère à la basse électrique, qui joue le thème comme avec le trio réversible du pianiste.
Cette piste est pour moi une réussite, la réappropriation est totale et fonctionne très bien.
September Second, l’autre grand tube de Petrucciani est traité de la même manière plus tard dans l’album, mais je suis moins emballé par l’arrangement, qui paraît plus dépouillé à l’oreille par rapport à l’original et sa production plus chargée…
Michel on My Mind, se distingue également grâce à la variation de l’instrumentarium au fil des pistes.
On a vu que l’ajout de l’orgue apporte une touche de nouveauté supplémentaire par rapport au son du trio, mais Coulondre va plus loin et joue en solo le très joli Hidden Joy. Il se sépare aussi de la batterie pour Rachid et laisse s’exprimer Bruyère, qui se révèle hallucinant sur ce groove qui tourne en rond.
Bite, comme Rachid est un morceau avec une grille assez courte, sans doute le plus proche esthétiquement des derniers disque de Coulondre. Amateurs de groupings en tout genre, ce morceau est fait pour vous !
Les quatre autres morceaux de l’album se partagent aussi entre tradition avec le rhythm changes Little Peace in C, modernité avec le morceau modal binaire Colors, et influence de la musique latine avec Guadeloupe et Choriniño.
La musique de Petrucciani fait converger tous ces courants en un seul style, et Michel on my Mind illustre bien cette diversité d’influences tout en parvenant à proposer une musique cohérente et bien ficelée.
Conclusion
Michel on my Mind de Laurent Coulondre est un hommage réussi au grand Michel Petrucciani.
Coulondre y affirme son statut de jeune pianiste de premier plan sur la scène jazz internationale, en nous livrant une musique à la fois ancrée dans la tradition et emprunte d’actualité.
À écouter de toute urgence !
Pour l’écouter : Youtube Spotify Deezer Site Web de Laurent Coulondre : http://laurent.coulondre.fr |
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