Marre de jouer les mêmes phrases dans tous vos chorus ? D’improviser tout le temps avec les mêmes idées ? Le public et la section rythmique s’endorment pendant vos solos…? Un radical changement dans votre vocabulaire s’impose.
Si vous êtes comme moi, vous n’avez pas envie de passer pour quelqu’un qui fait du remplissage, qui ressort pour la millième fois ses clichés be-bop qu’on a entendu (en mieux) partout ailleurs. Au contraire, vous voulez que vos chorus racontent une histoire, que votre jeu soit connecté à la section rythmique, et au final captiver les gens qui vous écoutent.
Une façon très commune, facile, et puissante d’y parvenir est d’utiliser des motifs dans votre improvisation. Prendre une de vos idées et la répéter au moins une fois, tout en la développant.
Cela peut paraître facile et évident, mais bien souvent, nous n’y pensons pas, ou bien une fois sur deux nous essayons mais sans être très clairs, ou alors nous le faisons constamment de la même manière…
Car oui, il y a plusieurs façons de faire apparaître un motif au cours de votre improvisation, et si vous faites toujours la même chose… Vous allez paraître ennuyeux, scolaire et peu inspiré.e…
Alors, comment font les grands jazzmen pour créer des motifs ?
Pour répondre à cette question, j’ai réécouté quelques solos d’une référence en la matière : Kenny Garrett. Vous connaissez sans doute cette légende du sax alto, qui a absorbé TOUT le langage be bop, pour ensuite innover en l’utilisant de manière inconventionnelle et sonner « out ». Eh bien, il utilise des motifs dans chaque solo qu’il prend, c’est vraiment une part essentielle de son jeu.
Garrett crée ses motifs de 3 manières différentes, que je vais vous présenter dans cet article.
Remarque : Je vais me concentrer sur la création et non le développement des motifs dans l’improvisation. Si ce dernier point vous intéresse, voici une vidéo très intéressante (en anglais) qui analyse un solo de Paul Desmond.
1ère manière de créer un motif : Reprendre une fin de phrase
C’est la plus évidente, donc j’en parle en premier. Il s’agit simplement de reprendre la fin de notre phrase précédente, et de la répéter. Cela a pour effet de renforcer notre message, et construire notre discours en insistant sur ce que nous venons de dire.
Garrett crée ce genre de motifs très souvent. Par exemple, dans son solo sur Ornithology, il l’utilise dès le stop chorus, en reprenant les deux notes de la fin de la mélodie :
Même si j’avais dit que je n’en parlais pas (considérons cela comme un petit bonus !), le développement de son motif est intéressant : il octavie ces deux notes un peu au hasard, donnant un effet accidenté singulier, et réussi.
Ce type de motif réapparaît dans le même chorus, de manière plus évidente :
À un autre endroit, il joue avec le dernier segment d’une de ses phrases, le répète deux fois, puis le re-cite une troisième fois un peu plus loin. Ça raconte tout de suite une histoire :
Vers la fin de son chorus, il enchaîne sur une citation du thème de Charlie Parker Cool Blues, un grand cliché d’improvisation be bop. Il l’utilise comme à son habitude de manière inconventionnelle en reprenant la petite trille de fin pour la décliner 6 fois :
Vous pouvez travailler cette première manière de créer un motif dès maintenant. Jouez une phrase sur un standard, et au moment de la terminer pour en débuter une autre, mémorisez ce que vous êtes en train de jouer. Répétez ensuite cette fin de phrase, en la développant au besoin selon l’harmonie.
Travaillez ceci dans un premier temps de façon systématique, sur toute une grille. Ensuite, parsemez plus ponctuellement vos improvisations de ce type de motifs.
Remarque importante !
Attention à ne pas tomber dans le piège classique de l’improvisation motivique, qui a vite fait de nous faire sonner scolaire et cliché dès lors qu’on l’utilise trop souvent.
Dans un autre solo de Garrett sur Mack the Knife, je trouve qu’il répète la fin de ses phrases un peu trop fréquemment, comme « par défaut ».
Il l’utilise une première fois de 1’11 à 1’21 (mesures 43 à 46 de la vidéo), et recommence avec la phrase qui commence à 1’50 (mesure 63), développant une autre super idée sur 4 mesures.
Il aurait pu s’arrêter là, mais pour terminer sa phrase, il réutilise la fin du motif qu’il vient de décliner et la répète (à partir de 2’02, mesures 70-72), ce qui est à mon goût « le motif de trop » !
À utiliser avec parcimonie…
2nde manière de créer un motif : Répéter un segment entier, ou carrément toute une phrase
Cette seconde manière est la plus basique (mais curieusement pas la plus utilisée) de faire apparaître un motif dans notre solo.
Il s’agit simplement de jouer une ou deux notes, ou un segment mélodique un peu plus long, ou bien une phrase entière, puis de la/le répéter.
(Il ne s’agit plus de reprendre la fin d’une phrase mais bien la phrase dans son intégralité).
Garett l’utilise de manière significative au début de son solo sur Mack the Knife de 0’56 à 1’18 (mesure 33-44) :
Sa phrase de départ est une réinterprétation de la mélodie. Il la répète deux fois, en la développant différemment, d’abord en changeant la fin, puis en la transposant.
Voici un autre exemple sur le morceau Not You Again (une démarcation de There Will Never Be), où Garrett transpose une petite phrase d’une mesure :
Ou encore ici, sur le début d’une grille de Giant Steps, avec comme motif de départ seulement trois notes (une triade descendante) :
Il n’y a pas de grande différence entre cette manière de créer un motif et la première que je vous ai exposée, mais en variant les deux, et la longueur du motif (une ou deux notes, une petite phrase d’une mesure, une phrase plus longue…) on évite le piège du « motif de trop » !
3e manière de créer un motif : Jouer avec un motif rythmique
La troisième manière de jouer avec ces motifs est un peu à part, car elle repose à 100% sur un seul paramètre : le rythme. Il s’agit de jouer sur une note ou deux, et de la/les répéter suivant un débit précis ou bien une clave.
De cette façon, vous parlez le langage de la section rythmique, et vous pouvez vous attendre à ce qu’elle réagisse et vous rejoigne !
Garett l’utilise de manière concise sur Not You Again :
Ou sur une plage beaucoup plus longue dans Giant Steps :
Il fait varier plusieurs notes sur un débit de noires pointées dans Mack the Knife à 1’39 (mesures 57-62) :
Cette manière de rassembler les notes est très commune, on appelle cela un « groupe de trois » (ici groupe de trois croches, parfois notées sur le relevé avec un débit de noire pointée, ou une noire liée à une croche, ou une croche et un soupir…).
Un petit mot sur les Groupings
Les groupings désignent le fait de répéter un débit précis sur une durée conséquente. C’est à dire faire le choix de n’utiliser qu’un seul débit (un groupe de X croches, noires, croches pointées, etc…) sur plusieurs mesures.
Leur utilisation devient intéressante en groupant des débits impairs sur une métrique paire, comme dans l’exemple ci-dessus où Garrett répète un groupe de 3 croches sur une métrique 4/4 qui en contient 2 par temps. Les points d’appuis se retrouvent déplacés, créant un fort contraste rythmique.
L’utilisation des groupings est un sujet très vaste, mais j’ajouterai juste une autre démonstration avec un autre groupe impair très commun, le groupe de 5 :
Vous avez sans doute remarqué que nous avons changé d’instrumentiste ! À vrai dire, j’avais sous le coude ce chorus de Wynton Marsalis sur Giant Steps qui montre une utilisation d’un grouping en tant que motif. Dans l’extrait, il utilise le groupe de 5 croches en en jouant 4 et en laissant la dernière silencieuse.
À ce tempo, c’est assez délirant, et sur ce type de grille encore plus !!!
Conclusion
Vous savez désormais comment Kenny Garrett fait apparaître des motifs dans ses improvisations.
Comme lui, vous pouvez maintenant :
- Reprendre la fin de votre phrase précédente
- Créer un segment de phrase ou une phrase entière puis le/la répéter
- Ou encore utiliser une cellule rythmique, comme une clave ou un groupe de notes.
Utiliser des motifs dans votre improvisation va varier votre vocabulaire, provoquer la rythmique, et au final enrichir votre discours et faire de vous un meilleur improvisateur.
Travaillez ces trois manières distinctes dès maintenant sur n’importe quelle grille de votre choix, d’abord à un tempo modéré et en gardant le motif sur toute une grille. Puis improvisez librement, et surprenez-vous à en créer au milieu d’un de vos solos !
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Image de couverture : Kenny Garrett mit seinem Quintett im Stadttheater Rüsselsheim Hinterbühne am 29. Oktober 2013. 29 October 2013. Jens Vajen. CC BY-SA 4.0